Posté le : 13 jui. 2025 à 22:21:07
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Philosophie
Période velsnienne classique
La cité velsnienne idéale: dialogue teylais
Giovanni Cesari (1312)
Un jour, un teylais est venu me voir. Il me dit faire un long chemin pour me voir, afin de me quérir de quelque problème et paradoxe de son monde. Pensant que je serais de bon conseil, mais sans doute bien davantage pour piéger l'homme libre que je suis, il me pose ainsi sa question:
« Excellence Cesarini. Toi qui est sénateur de ta cité, toi qui connaît les affres de la politique, toi qui sait à quel point faire le bien est plus difficile qu'en énoncer son contenu. Dis moi donc quel serait le gouvernement idéal selon toi ! »
Alors je me penche vers lui, et je lui fis remarquer qu'il prenait pas cette question par le bon côté. Qu'avant même de lui dire ce qu'était le bon gouvernement, je devais lui dire ce qu'était un gouvernement, ou même ce qu'était la politique. Je pose alors ma main sur son épaule, et lève le doigt vers le ciel :
Je ne pense pas qu'il de bien et de mal, de bonne ou de mauvais situation dans la politique. Il y a ceux, qui préfèrent bâtir un système politique idéal et théorique, et ceux qui se fondent sur l’expérience, l'approche réaliste et descriptive. Il est beau d'imaginer le paradis, il est plus difficile de le mettre en branle lorsque l'on ignore les tenants et les aboutissants, en partant du néant et sans connaître les choses du monde qui pourraient nous y diriger.
Vois tu: toutes les associations sont formées dans le but de parvenir au bien sont de l'ordre de la politique. La question du gouvernement idéal a autant de sens qu'elle ne se présente dans la variété d ses situations. Les teylais ont les royaumes, les velsniens ont trouvé la cité, qui est l’association la plus commune de notre monde, contenant toutes les autres associations: c'est un rassemblement de familles, de cellules et d'associations. Encore une fois, les teylais ont encadré cela par l'hérédité, les velsniens par la cité. Dans les deux cas, la cité doit viser le plus grand bien du corps qui la compose. Ainsi, nous ne pouvons atteindre la vie bonne qu’en vivant dans une cité, à contrario des achosiens vivant seulement avec le cadre naturel, presque nus. Ainsi donc, avant même de définir le bon gouvernement, il faut en définir le cadre: celui des relations qui définissent la cité.
A ce « qu'est une cité », je té répondrais, moi, Giovanni Cesari, qu'il s'agit d'un cadre qui s'impose à nous de la plus naturelle des façons, si tant est qu'une société civilisée en perçoit le bon usage. Comme Velsna l'a été un temps, une cité est constituée de plusieurs villages vivant en autonomie et en indépendance, qui permet aux gens de mener une vie jugée heureuse par ceux qui en sont à leur tête. Donc toute cité est une construction naturelle puisqu’elle procède de villages qui le sont aussi. C'est là simplement un niveau supérieur de construction politique que la simple communauté, qui nous éloigne de la sauvagerie. Sur ce point là, Teyla et Velsna sont toutes deux des cités, car toutes deux ont été constituées par des individus vivant auparavant dans des entités plus modestes, et de leur propre chef. Enfin, pour toi qui accorde tant d'importance à te distinguer du reste de l'univers et te dire teylais, sache que je ne considère pas que la cité est liée à un lieu ou à un point donné. Il ne s'agit pas d'un ancrage territorial, mais si je vais t'expliquer plus tard que l'indépendance et l'autarcie qui caractérise toute cité libre se doit d'en posséder un. Car oui, la bonne cité est la communauté de la vie heureuse, dont la fin est une vie parfaite et autarcique, libérée de la contrainte extérieure. A ce titre, tu comprendras toute l'importance que mes compatriotes accordent à l'exercice de leur propre voix.
Enfin, à ce qu'est une bonne cité en son sein, je pense qu'il est toujours bon d'établir une distinction entre les individus qui la compose, car il ne peut y avoir d'égalité lorsque chacun y a une tâche différente. Il existe en effet une distinction entre les gens de la cité. Dans la bonne cité, il y a les gens très aisés, les gens très modestes et en troisième lieu les gens intermédiaires.Je ne connais point de cités qui ne compte rien que l'une ou deux de ces catégories, du moins parmi celles qui sont sorties de la sauvagerie. La meilleure communauté politique qui existe est celle constituée par des individus de ces trois conditions, car plus ils permettent d’empêcher les excès. Si la part des modestes est prépondérante alors on tombe dans la tyrannie des plus nombreux. A l'inverse, si il n'y a que des hommes et des femmes nobles, qui fera donc les labeurs qui nécessitent davantage la force des bras que celle de l'esprit. La bonne cité est celle de la propriété privée, qui est assez tempérée pour ne pas paradoxalement étouffer la propriété privée.
A cette configuration idéale, je dis qu'une cité est nécessairement celle qui est formée d’un nombre de gens qui ont le nombre minimum pour atteindre l’autarcie en vue de la vie heureuse qui convient à la communauté politique. Dès lors, il est évident que la meilleure limite pour une cité, c’est le nombre maximum de citoyens propre à assurer une vie autarcique et qu’on peut saisir d’un seul coup d’œil. L'indépendance s’acquiert avant tout par le nombre, il va sans dire. Dans la même optique, la cité parfaite se doit d’avoir un terrain difficile à envahir par les ennemis mais facile à évacuer par ses habitants. Ce même territoire doit être le plus autarcique possible mais permettre une vie de loisirs, et se satisfaire d'assez de commerce pour compenser ses quelques lacunes. Aussi, je ne peux concevoir de cité idéale et véritablement libre sans tous ces critères.
A cela j'ajoute que l'unité fondamentale de la cité est le citoyen. Un citoyen est celui qui habite la cité. Mais je te mets en garde sur cette définition, qui ne peut pas être aussi simple car l'étranger y habite aussi sans être citoyen. Ainsi le citoyen est défini par la possibilité de la fonction judiciaire et la magistrature. Le citoyen est un fils de citoyen, ou il lui a été octroyé la citoyenneté sur la base du mérite extraordinaire. On peut être citoyen de façon juste ou injuste. Cependant il ne faut pas remettre en cause la qualité du citoyen admis de façon non juste. Ainsi, sur cette base, je dirai que le pouvoir politique, c’est de gouverner des gens du même genre que soi, c'est-à-dire des hommes libres. Ainsi il existe la vertu de commandement et la vertu d’obéissance chez les hommes libres.
A cela, je pense que le citoyen doit être encadré par des textes et des lois qui va dépendre du type de citoyen qu’il y a dans la cité. Il n’existe pas pour moi, de constitution idéale, teylais, car comme je l'ai dit, toutes les situations ont des solutions différentes. Je te prends l'exemple de ma cité, Velsna, qui n'a pas toujours eu la forme qu'on lui connaît. Avant la République, il y eut des patrices qui se comportaient en monarques. Non pas que la monarchie en soi est une chose fort mauvaise, car aucun régime n'est naturellement porté vers le mal, mais la royauté en revanche, est caractéristique de sociétés où il est rare de trouver des hommes supérieurs en vertu, assez supérieurs et libres pour remettre en cause un droit primitif à l'hérédité. En ce sens, la royauté teylaise n'est pas tant moins bonne que la République de nos sénateurs, mais il convient mieux à des sujets qu'à des hommes libres. Velsna a changé sa manière de gouverner par le développement de la vertu civique d'un plus grand nombre d'individus.
Ainsi donc, il existe autant de gouvernements idéaux que de situations, des gouvernements qui peuvent être toutefois pervertis dans tous les cas. Et je me fais l'honneur de t'en définir la liste. Laisse moi enquêter sur les lois qui définissent tous les régimes, qu'ils soient réels ou bien théoriques. En tout point il faut préférer la souveraineté de la loi à celle d'un des citoyens, car de là naît le droit. Savoir si une bonne cité est unie est une bonne question, car instinctivement, n'importe qui dirait que c'est là une bonne chose. Toutefois, il est manifeste que si elle avance trop sur la voie de l’unité, une cité n’en sera plus une, car la cité a dans la nature d’être une certaine sorte de multiplicité, et d'exprimer les opinions de ses citoyens. A mon opinion, il doit exister un lien entre la liberté, la propriété et l’intérêt du bien commun, qui se doit d'être représenté par les assemblées représentatives des corps civiques, tel un Sénat composé des meilleurs et des plus vertueux de nos citoyens.
A ceux qui me diraient que la richesse et les déséquilibres que la prospérité de certains implique, je penserai que ce sont les désirs davantage que la fortune qu’il convient de juguler, et cela passera par la loi, supérieure à tous les hommes. Cette recherche de la vertu citoyenne doit se faire par celle du régime qui sera le plus approprié pour ta cité, teylais. La liberté ne s'obtient pas dans l'idéalisme au sens philosophique du terme, mais par l'observation empirique de la situation dans laquelle tu te trouves. Il existe plusieurs formes de nations: celles qui visent l’avantage commun, les constitutions que je considère vertueuses selon ta situation, et celles au contraire qui ne visent que l’intérêt d'un groupe précis, qui sont des constitutions déviantes qui mèneront ton pays à la ruine.
Ainsi, à ta question de la recherche du meilleur des gouvernements, je te réponds que chacun d'entre eux a un mieux, vers lequel il faut tendre, et un pire, qu'il convient d'éviter, et que chaque régime idéal porte en lui des mécanismes qui peuvent le faire sombrer. Il existe une tension constante entre le pouvoir désintéressé, et le pouvoir égoïste.
En premier lieu, il y a le pouvoir d'un seul, tel que tu le connais en ta patrie, le pouvoir de la royauté et de l'hérédité, et dont le pendant égoïste est la tyrannie. Je puis te confier mon admiration, teylais, de la façon dont vous autres avez à vous reposer sur un individu que vous nommez « roi ». Dans l'absolu, le pouvoir d'un seul est la forme la plus pure et la plus parfaite des gouvernements...mais sa gouvernance exige de telles qualités que même Dame Fortune ne peut les concevoir. Un telle personne, sur laquelle repose autant de choses, celle-là nécessité d'être dotée d'une telle vertu, tant et si bien qu'elle doive se rapproche plus d'un dieu que de l'Homme pour être bonne. Aussi, conviens-en que confier le pouvoir à un un roi n'est aucunement une bonne chose, sauf si celui-ci sait tendre l'oreille en direction d'hommes vertueux. Il faut donner le pouvoir en fonction des compétences et non pas en fonction de la naissance, et je vois en cette solution des conseillers vertueux la seule viabilité du royaume dans lequel tu vis. Car oui, la royauté exige plus que tout autre ce rôle de législateur, car naître roi ne fait pas de soi un homme de loi. Le législateur est le maillon le plus fort de la cité, et il est comme un artisan. Comme eux, il crée, utilise et réforme quand c'est nécessaire le système légal. Mais ses opérations sont plus difficiles à réaliser par des hommes de bien lorsque le seul homme au pouvoir est lui-même imparfait.
A contrario, les gens de la patrie des apaméens, dont j'ignore si tu as étudié leurs coutumes, vivent dans un monde qui est totalement renversé par rapport au tien. Eux, vénèrent la solution du plus nombreux, et voient en celle-là la meilleure de toutes les constitutions. Là encore, il existe la bonne et la mauvaise démocratie, selon les peuples auprès de qui on l'applique. Il va de soi que pour les gens de la noble cité d'Apamée, cette solution s'impose, compte tenu de l'implication de ses gens, dont les vertus sont par endroits plus grandes que celles de ma propre patrie. Mais en revanche, je ne pense pas que des achosiens réglant chacun de leurs problèmes avec des massues ne soient de la trempe idéale pour en appliquer les principes, et par extension chez tous ceux qui aspirent à faire régner le régime du plus fort. Outre cela, la démocratie, elle aussi, peut dégénérer vers sa forme égoïste, et devenir un régime de la clientèle et de la médiocrité. L'égalité du droit, en effet, peut conduire à une valorisation de la médiocrité en tant que moyenne, et faire triompher l'envie et la jalousie au dépens du talent personnel et individuel. Si je dois reprendre l'exemple de la cité d'Apamée, il existe une mesure permettant de procéder à l’ostracisme de ses citoyens les plus à même de représenter une menace pour la cité. Cependant, cette loi vertueuse est devenue un outil de l’égoïsme, dans le sens où elle sert désormais de moyen facile à l'exil de citoyens sous couvert de l'envie, et n'est rien de plus désormais qu'une arme politique aux mains d'hommes peu vertueux. Si même des hommes de la cité si noble d'Apamée ne peuvent entretenir la vertu de la démocratie, je te pose la question, teylais, de savoir qui en ce monde est en mesure de le faire. Les démocraties changent principalement du fait de l’audace des démagogues, qui lorsqu'ils évoluent dans un cadre médiocre, peuvent fournir les plus grands tyrans. Il ne fait nul secret que la plupart d'entre eux sont sortis de ce moule par le passé, du moins en ma patrie.
A ces deux régimes, il nous reste celui de l'aristocratie, qui diffère en plusieurs points des gouvernements d'un seul, et de ceux de tous. Celui du grand nombre tempéré par la raison du petit nombre: une République dominée par l'aristocratie, sous le régime des meilleurs. Comme un régime où émergent des individus supérieurs, aptes à exercer le pouvoir, je soutiens que l'aristocratie est le gouvernement de tous les hommes de bien, lorsque ceux ci sont majoritaires, à défaut de quoi, et comme tous les régimes, l'aristocratie vertueuse peut devenir une oligarchie déviante, tout comme la démocratie peut devenir médiocrité et comme la monarchie peut devenir tyrannie. Cependant, je ne puis m'empêcher de penser que la déviance de l'aristocratie sera toujours moins dangereuse que celle de la monarchie ou de la démocratie, dans le sens où le pouvoir y est divisé, entre le grand et le petit nombre, et qu'il s'agit du régime que les démagogues ont le plus grand mal à renverser. Ils furent nombreux à Velsna, il n'y eu pas un pour réussir, car l'aristocratie est inébranlable lorsqu'elle s'appuie sur le tradition et l'ancienneté. Quant au peuple, ce n’est pas tant d’être écartés du pouvoir qui irrite la majorité des gens, au contraire, ils sont contents si on leur permet de s’occuper à loisir de leurs affaires personnelles, que de penser que les magistrats pillent le bien public. Bien entendu, l'aristocratie elle même reste corruptible: la corruption extrême est atteinte lorsque la classe dirigeante devient héréditaire, là, l’aristocratie se transforme en oligarchie, puis en monarchie. N’ayant plus besoin de l'approbation des gouvernés, la noblesse héréditaire ne gouverne plus en vue de l’intérêt commun, et les nobles ne peuvent plus guère avoir de modération, qui est la plus grande vertu du régime aristocratique. C'est en veillant à ce que l'aristocratie ne devienne pas héréditaire notre patrie a produit de très bonnes lois afin de maintenir la modération des ses gens, et j'estime qu'il s'agit là de la meilleure forme de gouvernement, car c'est celle qui s'éloigne le plus de l'arbitraire.
Naturellement, tous ces gouvernements ne peuvent pas se diriger vers la vertu sans l'éthique, avec qui la politique a en commun la recherche du bien.. Pour bâtir une cité solide sur ses fondations, il faut non seulement de la justice mais aussi quelque chose de plus, à savoir l'amitié. Celle-ci permet de dépasser la notion de juste milieu et renforce l'idée de justice. Cette justice, dans la reconnaissance des torts de chacun, dans son usage avec modération, se rapproche davantage de l'idéal de l'aristocratie que de tout autre chose. Comme toutes les vertus morales, la justice vise la mesure, le juste milieu. Mais, elle a aussi un autre sens et sert à qualifier nos rapports avec nos semblables et dans ce sens à un lien avec l'amitié. Elle est donc la vertu complète qui nous fait rechercher à la fois notre bien et celui d'autrui. En pratique, il est utile qu'elle soit soutenue par des lois qui diront le juste et l'injuste. La justice est d'abord une vertu éthique de sorte qu'elle sert de norme à la loi, plutôt que la loi elle même.
Enfin, et pour toute chose, je finirai dans ma démonstration de la cité idéale que celle-ci repose sur cinq principes : en premier lieu, les hommes ont une fonction naturelle, une tâche spécifique qu'il s'agit d'accepter pour embrasser son rôle dans la cité. Deuxièmement, la cité doit aspirer au principe de perfection, car le bien ultime, le bonheur des êtres humains consiste dans la perfection, dans la pleine réalisation de notre fonction naturelle. Ensuite, la cité doit remplir le principe de communauté, dont la forme la plus parfaite est celle de la cité-état : entité ni trop grande, ni trop exiguë, et qui correspond à la nature de l'homme et permet d'atteindre la vie bonne. Va ensuite le principe de gouvernement sous la loi placée sous le règne de la raison. Et enfin, ce même principe de la règle de raison qui doit justifier chacune de nos actes. Nous sommes tous habités par l’irrationalité, mais la gouvernance terrestre nous oblige à nous conformer, non pas par la passion, mais par la raison, quitte à devoir refouler nos passions éphémères et l'idéal inatteignable.
Pour finir et dans mon opinion, la cité bonne et juste n'a ni vocation comme le croient les oligarques à maximiser leur richesse ni, comme le croient les pauvres qui plaident pour la démocratie, à promouvoir l'égalité. Son but n'est en rien la liberté non plus, mais est de rendre possible une vie bonne faite d'actions nobles et vertueuses. La moins mauvaise constitution, en ce sens est celle où le pouvoir est contrôlé par un groupe d'hommes éduqués, comme peut l'être l'aristocratie, car n'étant ni seuls au pouvoir, ni pauvres, sont plus naturellement modérés et enclins à suivre la raison que les autres. Par ailleurs, ils auront toujours moins tendance à rejoindre des factions violentes et irréductibles, et la cité sera d'autant plus en paix et stable, ce qui est l'une des conditions de l'accès au bonheur : le seul but véritable du bon gouvernement.