11/05/2017
16:08:09
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Activités étrangères à Carnavale - Page 5

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Ruche


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Dans l’ombre froide, il se glissa. Son vêtement fit un bruissement épais. Le couloir immense était plongé dans l’obscurité. Ses petits pas y murmurèrent. Sa main projetait une lumière blafarde comme la petite luciole d’un poisson des grands fonds marins. C’était une chandelle électrique, dont le blanc était bleui par la nuit et le nuage artificiel de la guerre.

Il monta quelques escaliers à travers des salles ensevelies de ténèbres. Le courant avait été coupé ? Ou bien était-ce par goût d’un dramatique dénouement qu’on avait fait éteindre les lampes de la tour ? Immobilisés, ascenseurs et communications s’étaient tus et ne flottait autour du monde que l’énorme noirceur du silence. Parfois brisé par les coups de l’orage extérieur, ténu, plaintif, auquel c’était interdit de faire attention. Des fusées abstraites s’y affrontaient, aussi vagues que de fugitives impressions sans matière. Des rêves, des cauchemars, rien de plus, en-dehors de la Basilique.

Il arriva à la chambre du presbytère qu’une carte électromagnétique incrustée dans la fleur de sa peau déverrouilla par non-contact. L’implant neuronal signala son identité à Caïn qui, dieu des algorithmes et des secrets préservés, lui ouvrit les portes anti-acouphènes de la chambre du prêtre. Qu’un enfant y pénètre n’était pas rare. Qu’il le fasse sans prévenir était inédit.

— Mon Père. Mon Père, éveillez-vous.

Le vicaire était à demi recouvert par son drap. Il entrouvrit des paupières fatiguées. C’était le milieu de la nuit. Il se rendit compte qu’elle était totale. Le visage blafard de l’enfant de chœur, aux lèvres impassibles et aux cils fixes, ne souriait pas.

— Mon Père, il faut vous lever.

— Quoi ? Qui me mande ? articula-t-il d’une voix pâteuse.

— Le Pape, Mon Père. L’on m’a dit de vous prévenir. Une allocution pontificale va être réalisée.

Le vicaire se figea et se redressa lentement. Diffus se répandit en lui le parfum du Jugement. L’enfant reprit alors.

— Sa Sainteté vient de recevoir la confession de Madame Pervenche Obéron. Il faut préparer l’allocution, mon père, levez-vous donc.




***






Quatre heures cinquante-sept. Ordre de nettoyer les alvéoles. Toutes les unités au déblayage.

Ils couraient en combinaison le long de la piste de bitume. Le tunnel s’alignait en fanaux ininterrompus.

— Aller, aller, aller !

Ils transpercent la noirceur et l’humidité, pointant leurs fusils automatiques dont le rayon de visée passa sur des formes humaines. Des étoiles vrombissantes jaillissent de leurs armes.

— Plus vite, on s’arrête pas !

On tire à vue. On tire car derrière les véhicules de déblaiement raclent la surface de la vieille piste sous-terraine réactivée par ordre des autorités Obéron. Partenariat signé d’un coup de transpensée par implant neuronal, milices Castelage et Dalyoha déblaient les conduits désaffectés de la ruche militaire sur laquelle repose Carnavale.

— Alvéoles 76 et 77 décrassées !



Les équipes armées abattaient à vue les habitants du bidonville souterrain. Charriant cadavres et résidus d’habitations en pneus, tôles, cartons, les phares aveuglants des chasse-merdes et leurs lames aveugles suivaient la première ligne des tireurs.

La sueur collait à ses tempes et dans sa combinaison hermétique le jeune homme se sentait traversé par les ondes furieuses de la substance absorbée avant le déploiement sur le terrain. Les ascenseurs militaires les avaient propulsés au cœur du dispositif aérien secret, jusqu’ici oublié et négligé, dans lequel des milliers d’âmes écrabouillées par la surface avaient trouvé refuge. Un monde sous-terrain sous la lumière de néons grésillant serait ce soir entièrement passé par le feu. Derrière la première ligne, les dératiseurs flambaient d’ailleurs le tas informe de détritus et de morts que les équipes de déblayage laissaient derrière elles.

— Alvéole 78 décrassée !

Coranthym jeta un œil vers le sergent de son équipe qui venait de brailler dans le micro. A ses oreilles s’était répercuté l’ordre d’interrompre la manœuvre de dégagement final de la piste. Les miliciens firent de grands gestes. Une lueur s’alluma au fond du tunnel, au cœur de la Terre.

Le sang lui battait à la tête. L’adrénaline se combinait à d’intenses molécules de plaisir. L’extermination du bidonville n’avait pris que quelques minutes ; une opération de nettoyage. Il jeta un œil vers la fin du boyau, qui donnait sur le brouillard épais et bleu de l’extérieur. Il distingua des silhouettes, éplorées et boitillantes, qui se traînaient désespérément vers la sortie.

Il ouvrit le feu. Il courut vers elle et ouvrit le feu à nouveau. Ses impacts démembrèrent les fuyards. Sept, douze, Dix-huit. Les fous de la gare, les punks à chien, les sans-papiers, l’abject peuple morveux et éploré était sa proie. Ce massacre lui faisait un effet dingue, bien mieux qu’en surf ne l’aurait comblé la plus grande des vagues.

— Bonne initiative, C14.

Le sergent valida son geste. Les signes reprirent. La boule de feu au bout du tunnel se rapprocha avec vive allure. Le vrombissement des moteurs à réaction émietta les particules de son et l’oiseau d’acier passa comme une gifle, disparaissant à l’orée de l’alvéole. Il fut suivi par un autre, et encore un autre. L’alvéole 78 était opérationnelle et il était temps de passer à la suivante.

— Equipe, on se relâche pas !

Coranthym gueula de plaisir. Ses yeux étaient ceux d’un aigle, d’un loup ou d’un barracuda. Il irait les débusquer et les massacrer tous. Quel shoot putain. La puissance de sa gâchette le faisait frémir de joie. Il l’avait ressenti, ça, dès le début de la guerre. L’apparition du bleu. Les désordres magnétiques. L’air de la nuit criblé de leurres en forme d’escadrilles. Les impacts et leur sourdes décharges de puissance. Et l’appât du combat. Elle absorberait tous ses chagrins. Elle le sauverait. Infiniment supérieure aux bonus promis par Castelage, aux chiffres clignotants aguichés par Dalyoha, cette adrénaline du massacre était la meilleure des récompenses.




***




La rumeur habituelle des exclamations régnait en salle de marché. C’était il y a quelques jours, qui paraissaient des siècles. Quand l’Histoire s’écrit le temps se dilate. Les minutes se perdent au fond des âges et soudain rejaillissent, maculés d’immanence, les faits du passé. Que tracent dans leur esprit ceux qui savent les lire les symboles annoncés d’une prophétie nucléaire.

La Bourse de Carnavale est un cœur flottant au milieu des fluides de la ruche. Elle décompte les valeurs et résonne, avec démocratie et positivisme, comme l’âme du pays. Ses clignotements et ses données rythment la production des acides, des détergents, des ogives et des produits financiers dérivés ; ils écrivent les variations des taux et des prix de l’implant neuronal, du philtre d’amour, de la consultation à Grand-Hôpital. Ils confirment ou infirment le mandat des fétus qui peuplent le Conseil Municipal, réagissent comme une foule rémienne aux exploits des gladiateurs. La Bourse est un stade où s’affrontent les poussières et les dieux. Elle est aussi invincible qu’insaisissable. Elle n’est personne. Elle est un écho de murmures. Des lignes de codes dans une salle de marché.

— Treize mille.

— Quinze mille.

— Cote à quatre point deux. Gérémien, tu me dois un carton de loterie !

L’autre peste. Quelle heure est-il si tard dans la nuit de l’Histoire ? Mesurant minute après minute le nombre des transactions sur le marché secondaire de l’action Obéron Industries, l’ordinateur de Sérafion affiche sur fond noir l’évolution de la probabilité de gain à la revente. Il teste un logiciel du calcul de rentabilité développé par la boîte de consulting finance créée le mois dernier. Il compte vendre ça à des fonds de pensions eurysiens et aleuciens. L’hypocrisie de ces mondes qui débattent de traités pendant que leurs actifs sont investis dans la sphère de Carnavale !

— Cinquante-cinq mille.

— Cinquante-huit.

La hausse est provoquée par des fluctuations sur le marché des molécules. Grand-Hôpital a annoncé des livraisons de clones faramineuses à la Pharmacopée. La productivité en sera décuplée. Ce sont des mesures de soutien à la guerre, de réindustrialisation et de souveraineté comme diraient les pitres qu’un chauve obèse gouverne avec faiblesse dans un pays rêvé. Les moyens investis sont démentiels. Les Trois Maisons flambent littéralement la caisse. L’action Obéron, ces derniers jours, est montée en flèche. Il y a quelques heures, une frénésie totale a accueilli le lancement de centaines de têtes balistiques vers Estham.

— Putain mais on va dépasser les cent mille.

Les sept mille cent trente-trois propriétaires d’actions des Industries ont toutes les raisons de sauter au plafond. La joie du gain est un plaisir rare. Pervenche est une déesse de la performance. L’annihilation d’une capitale de la coalition signera aussi sûrement sa dislocation confuse que le triomphe des Bonne Santé VIII, armés par la fine fleur de la Pharmacopée à travers un partenariat inédit. Et va falloir que ça crache. L’esclavage sera sans doute rétabli, peut-être provisoirement, pour tenir les cadences d’un rythme industriel déterminé à gagner la guerre.

Dans les volutes du nuage artificiel, les indicateurs sont au beau fixe. La nuit sera paisible. Le cœur de Carnavale bat. Vivante. La reine est vivante, et tout autour d’elle dehors ses soldates vrombissent pour la protéger. La ruche vomit des avions de chasse par ses alvéoles, qui dans un ballet suicidaire se relaient pour faire autour d’elle un anneau protecteur. Protéger la reine est, pour les abeilles, les fourmis et les autres insectes sociaux, un impératif aussi mystérieux que fascinant. Dalyoha aimerait connaître la formule de synthèse de la molécule que s’échangent les individus à pattes et à ailes, à mandibules et à antennes, pour l’appliquer aux bipèdes et les gouverner avec zéro incertitudes. Ce tracé invisible que sentent les insectes les met dans une transe littérale. On s’en inspire pour motiver les soldats des milices. Les Trois Maisons entretiennent leurs hommes et leur amour du combat grâce à des substances similaires, mais qui ne copient que pâlement les performances d’une termitière assiégée. Les parties se sacrifient jusqu’au démembrement pour le tout. La maison-mère est davantage encore qu’un dieu. Personne ne connaît encore l’inestimable plaisir qu’un individu peut ressentir en protégeant sa ruche. Que la reine vive ! Que la reine vive ! Et vrombira son nuage de tueuses.

— Quatre-vingt-dix-neuf.

— Quatre-vingt-dix-neuf point trois.

— Point cinq.

Gérémien et Sérafion froncent les sourcils.

— Point quatre.

L’action baisse de l’épaisseur d’un cheveu. Ralentissement de la hausse ?

— Point deux.

— Je vais vérifier.

Sérafion saisit son ordinateur portable et arrose le clavier de pianotements frénétiques. En un instant il trouve ce qu’il cherche sur l’internet démultiplié de la Babylone numérique.

— On dirait que…

Il zoome sur un tableau de chiffres qui s’actualise en temps réel.

— … Obéron vient de vendre des actions.

Ils se regardent, émerveillés. C’est jour de chance !

— Vite, vite !

Ils se ruent vers le poste des transactions pour y décaisser toutes leurs économies. L’action Obéron est la chose la plus précieuse sur terre ce soir après le milligramme de titane.

— Obéron vend des actions putain.

Gérémion s’explique à lui-même ce qu’il voit.

— Ce n’est pas arrivé depuis treize ans.

— Depuis le feu d’artifice sur le Golfe.

— Ils vendent pas mal en plus dis donc.

Ils se concentrent sur une ligne de l’écran.

— Trois mille actions en une transaction, c’est beaucoup, non ?

— Le marché réagit !

La courbe exponentielle devient une verticale. Le logiciel a du mal à mettre à jour la dimension des axes.

— Douze mille actions ?

Les deux traders contemplent les ventes du groupe Obéron sur le marché secondaire, qui s’actualisent en temps réel dans des proportions que leur rétine imprime.

— Valeur de l’action ?

— Quatre-vingt-sept mille.

Quelques secondes passent.

— Quatre-vingt-quatre mille point deux.

Il leur faut quelques instants pour sortir du déni. Les minutes s’écoulent dans la salle des marchés qu’une actualité vient de tendre malgré la douceur du soir. Dehors frelons et abeilles poursuivent leur bal étincelant, ignoré des habitants que le brouillard dissimule derrière la forêt de tours. Mais enfin, d’aller en retour d’un écran sur l’autre, ils finissent par quadrer le cercle.

— L’action baisse, souffle Gérémien. L’action Obéron baisse.

Elle s’écroule à vingt-six mille chèques carnavalais quelques secondes plus tard. La baisse est tellement forte que cette fois c’est l’écran d’alerte qui surplombe la salle des marchés qui s’allume en rouge. Cette alarme pourrait faire rire de grotesque si elle n’était pas nécessaire, mais elle l’est ce soir. Les marchés s’effondrent. Le directeur de la Bourse de Carnavale est prié de fermer boutique avant que la chute ne soit fatale. Ce serait la première fois depuis les années de cauchemar enfouies dans le passé. Quand l’Histoire s’écrit, le temps se dilate. Les remugles de la guerre civile, des guerres civiles remontent des entrailles de la terre. Kärcher et chasse-merdes dans les profondeurs des égouts ne peuvent rien faire à cette puanteur enivrante qui sature tout à présent. L’alerte sonne et le directeur de Carnavale devrait bientôt fermer la bourse. Dans quelques instants il débranchera le système et les pertes subies ne seront même plus calculables. Dans quelques instants la plus grosse et la plus libidineuse des places financières mondiales s’éteindra dans le silence. Dans quelques instants le cœur de Carnavale cessera de battre.

Il arrive que la Reine meure avant sa colonie. Alors le ballet des fourmis, des abeilles et des autres insectes sociaux se transforme en une furie démente et absurde, qui consume les individus et les entraîne jusqu’au dernier à la mort par épuisement. Pourtant rien n’en fait dévier la trajectoire. Autour de leur Reine morte les ouvrières et les soldates continuent le bal fantasmatique des naissances, des travaux de ruche, de la production du nectar, de la prospection de ressources, de l’entretien des greniers et des œufs à élever. Et toutes rendues folles par l’odeur imprécise de la menace, elles se font les instruments d’une défense sans objet, d’un sacrifice vain, d’un culte vide.




Suite...
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Le Lion de Dieu




Ceci est l'épisode final d'un arc développé aux chapitres suivants :

1. Fleurette
2. Passe-passe
3. Réveillon
4. Outremer
5. Prologue
6. Ruche



L’air froid de février les avait mordu et depuis tout avait basculé. Ils étaient venus dans la nuit bleue. Arpentant les rues saumâtres de la capitale, Yu s’était hissé dans l’une des vieilles tours du quartier des Hotels. Dévoilant ses traits albinos au fanatique en faction, il fut autorisé à entrer. C’était le repaire de la Sainte. Celle qui se faisait appeler ainsi.

Amra priait quand il fut arrivé. Le pasteur de la communauté millénariste était en effervescence. Parcourant des yeux la poignée d’êtres présents, il reconnut Harmattan, Zéphyr, Sirocco et Simoun. Quatre noms d’emprunts pour les agents de sa mission, au cœur des Enfers.

Les terreurs le surprennent comme des eaux ; un tourbillon l'enlève au milieu de la nuit. Le vent d'orient l'emporte, et il s'en va ; il l'arrache violemment de sa demeure. Dieu lance sans pitié des traits contre lui, et le méchant voudrait fuir pour les éviter…

Harmattan murmura au pasteur de bien vouloir s’éloigner pour que les archanges puissent préserver la Sainte. Celui-ci admit l’idée. Tout autour d’eux, dans les halls pourris des tours du quartier, se réunissait une foule processionnaire endiablée par les rumeurs et la frénésie. Livre de Job, vingt à vingt-deux, précisa néanmoins le gourou.

Yu jeta un œil aux quatre agents. Il attendit quelques instants, puis, rompant sa patience, pénétra dans la pièce obscure.

Elle était assise sur les genoux. Le bruit de ses inspirations rythmait le silence.

— Il faut commencer, souffla Yu.

Elle ne lui répondit pas et demeura imperturbable.

— Cela vient d’être lancé. Je viens de L’avoir en direct.

Elle se retourna, comprenant de ses vifs yeux brun doré, hypnotiques comme des disques de cuivre ceints de khôl, que l’albinos venait de raccrocher un appel satellitaire avec leur Maître.

— Nous ne sommes pas prêts, murmura-t-elle. Ils n’ont même pas encore vu mon visage.

— Les choses se sont accélérées.

— Ils ne connaissent pas mon histoire.

— Si nous survivons, ils l’apprendront dans les livres.

— Nous n’avons pas fini notre travail.

— Il faudra se contenter de ce que nous avons fait jusqu’ici, et espérer que cela suffise.

Elle eut un mouvement de langue, et se redressa. Des toiles étaient nouées dans ses cheveux. La couleur de son vêtement la désignait comme la Sainte. Combien de jours avait-elle vécu recluse dans cette église illégale et souterraine ?

— Tous en sous-sol, ordonna-t-elle. Aux escaliers.

L’heure approchait. Yu constata par derrière un rideau que des véhicules passaient dans la rue. C’étaient d’énormes serpents, des mastodontes informes et lents chargés de grandes ogives pointues comme des épées. Les lanceurs mobiles s’acheminaient comme de grosses termites à tête de soldat en-dehors des galeries de la maison-mère ; porteuses de mort, elles gagnaient les terrains de mise à feu. Il referma le rideau. Les lumières s’éteignirent dans tout l’immeuble.

— Le courant est coupé. Aux torches.

Des lampes frontales s’allumèrent dans la pénombre. Les agents en combinaison se dirigèrent vers le fond du couloir, où des boyaux de marches les amèneraient aux niveaux inférieurs du sous-sol : caves de bidonvilles, abri anti-atomiques, égouts, et encore plus profond, les alvéoles de l’armée carnavalaise d’où jaillissait une nuée d’oiseaux d’acier.

Les fidèles gémirent dans leurs cryptes. Ils étaient plusieurs milliers et gagnés par une fièvre inquiète. Le confinement et le silence d’un couvre-feu qui dégénérait en ville leur poussait le désir d’exulter dans la rue, de se couvrir de cendres et de hurler à Dieu. C’est alors qu’elle leur apparut. Dissimulée derrière un voile, sa présence les fit se signer. Les brutes de la milice fanatique, hommes de main de ces gangs criminels et religieux, mirent un genou à terre. Dans leur esprit à la théologie décomposée par les drogues et les écrans publicitaires se mouvait toujours le grand mystère divin de la Création et de l’Apocalypse, contre lequel le marketing ne peut pas tout.

La Sainte parla d’une voix modulée par le micro incisé dans sa gorge et c’était pour livrer, devant la foule ahurie, l’annonce de la fin du monde et de la punition des méchants. Partout dans le monde les anges sortent des entrailles de la Terre et les démons pleuvent. La guerre est là, c’est le grand combat, l’heure du djihad, qui purifiera la surface du monde et nimbera l’Humanité d’une brume de sainteté. Le matin arrive et il va falloir l’aider à accoucher. En guerre !

Les hurlements sont moins de terreurs que de joie. Enfin ! Enfin ! Tant désirée, si convoitée, rien n’est plus délicieux quand on méprise la vie que d’assister à sa fin absolue. Les abominations traumatiques des hôpitaux, des pharmacies, des usines où les corps se branchent comme des batteries ne peuvent avoir eu pour effet qu’une frémissante fragilité de l’âme. Dans ce quartier, comme dans celui des Oranges, celui des Luminaires ou encore même dans les tours des Emeraudes, vivotent les nuances des cultes dévots et sacrificiels d’un cyber-christianisme aussi incontrôlable qu’un forum internet. La papauté est peu de chose face aux théories spirituelles d’un peuple coupé de toute morale, et ces fleurs fabuleuses peut-être n’ont rien à envier aux plantes carnivores des Jardins Botaniques. La Sainte est pour eux la révélation qu’il faudra transmettre à toute la ville. A toute la ville ! Chaque Eglise se prévaut d’être l’élue et c’est au moment du Jugement dernier, sur lequel tous s’accordent à convenir qu’il est pour bientôt et peut-être pour aujourd’hui, que se trancheront les ultimes querelles. L’imminence du Dernier Jour annonce pour toute la Terre un printemps sans intempérie.

Amra suit ses compagnons qui dévalent à présent le conduit d’escaliers et claque derrière eux la lourde porte ignifuge. Les lueurs dans les ténèbres et la vitesse des événements passent confusément devant ses yeux. Elle inspire et se remémore son insigne de Janissaire. Au nom de son maître, la Sémillante Altesse, et du service absolu qui enchaîne sa vie depuis les premiers jours, elle sera prête à descendre jusqu’au fond de cet enfer. Sa conviction est d’autant plus puissante qu’elle vacille comme un écran. Les odeurs indéfinissables des produits innommables ensevelis dans les bas-fonds de Carnavale traversent même les masques électroniques. Déchets expulsés par les industries cosmétiques ? Marée verte d’un accident à l’usine chimique vieux d’un siècle ? Champignons des Botaniques ayant essaimé sur le monde souterrain ? Cuves d’ignobles armes de destruction massive prêtes à être pulvérisées sur la ville ? Remugles de cadavres pourrissants d’une plèbe qui vaut moins que des insectes ? Ou bien l’odeur d’œuf pourri de bombes étrangères ?

Yu se concentre sur les marches. La vitesse risque de les faire tomber. Il faut se tenir. Les étages sont nombreux et plongent dans le noir. Le poing serré sur son arme il se tient à l’affût d’un mendiant illuminé qui jaillirait de la pénombre. Il sent pourtant son téléphone vibrer contre son cœur. Sans le décrocher il sait. Il sait qui appelle et cette fois ce n’est pas le retors contemplateur d’Agatharchidès.

Phlalie en panique l’appelle car elle n’a plus personne. Ses actions Obéron se sont envolées ; Pervenche a tout vendu un instant avant l’écroulement de la Bourse. Celle-ci a été disjonctée. Il n’y a plus rien à espérer. Sur Bourgléon où elle devait travailler ces jours-ci règne une atmosphère de fête et de déni. C’est comme si l’île allait larguer les amarres pour tel un grand vaisseau entamer une croisière dans les mers ensoleillées de l’Occident immortel. Comme ci pour elle la ville, ses tours, ses marais, ses jardins, son luxe et ses ombres avaient cessé d’exister. Terrifiée soudain elle se demande, son intuition lui tord les tripes, si en fait Carnavale existe encore. Coranthym a pété un câble et trucide des clochards dans les alvéoles militaires, un écusson Dalyoha à l’épaule et un fusil automatique entre les mains. Agartha sirote un long verre de vin rouge dans son appartement luxueux où le courant vient de se rallumer. Les ampoules toutes illuminées, prêtes à éclater de joie et de fureur, éclaboussent la nuit comme un soleil. La liqueur monte à la tête quand quelqu’un sonne à la porte de l’appartement et avec une satisfaction sourde et un obscur besoin de niquer elle court ouvrir aux miliciens.

— Quelqu’un t’appelle ?

— C’est Eurydice.

Yu avoue par un regard la teneur du problème à Amra l’insensible. Elle se fend d’un sourire moqueur, dont l’ironie déjoue la gravité.

— Tu n’es plus Orphée, cingle-t-elle. Ce plan-là est abandonné.

— Je le sais bien.

Au fond des Enfers, sous l’Asphodèle de la Pharmacopée, entourée par le Styx, Phlalie sombre dans le désespoir frénétique de ses collègues. Les profondes ramifications des racines Dalyoha s’étendent à travers des allées de laboratoires souterrains et d’unités médicales secrètes. Ce dédale est un Elysée pour des scientifiques astreints à la performance, gavés de récompenses de court terme, petites abeilles ouvrières d’une ruche excentrique qui pourvoit nectars et poisons. C’est sans doute l’accomplissement prométhéen le plus insolent fait à la face des Dieux. Celui qu’un messager au pied léger, au beau visage et aux mains de musique, se prétendait d’enfreindre. Mais Hermès bat des ailes et s’éloigne. Même l’Olympe se tait car les portes adamantines se sont rouvertes et s’il est un combat ce soir à Carnavale, c’est celui de Titans.

Yu et Amra s’enferment dans le silence. Leur quatre camarades déverrouillent au fusil à pompe et au sabre les portes scellées de nouveaux conduits. Par les égouts et les galeries désaffectées de la termitière, tous les chemins mènent à destination. Leur cartographie mise à jour, on y évite les Cerbères et les Sphinges. Une vibration traverse l’existence. C’est un impact de bombe. Même à cette profondeur on l’a ressenti avec cette force-là. Dans la haute atmosphère au-dessus du brouillard, des bombardiers furtifs, aveugles comme des raies manta, larguent des ogives anti-bunker sur la population carnavalaise. Chaque secousse ébranle la terre. Les deux janissaires se saisissent instinctivement la main. Ils sont là, l’un auprès de l’autre, et à deux c’est déjà un peu de la saveur du collectif tout entier. Leurs peaux en contact sont deux synapses par lesquelles transitent la douce folie du dhikr et la voix entêtante du Maître. Ensemble ils traversent l’ombre. Enfants du devchirmé, esclaves d’élite, un mot du Calife était leur souffle de vie et en son absence ils n’ont plus que l’un l’autre qui les lie à la maison.




***




La ruche est infiltrée. Les adeptes d’Évangiles déments clament la venue du Messie, ou presque : leur mot d’ordre est légèrement différent, teinté d’une note orientale, que Carnavale s’apprête à découvrir. Ils se répandent dans les rues mais surtout sur les réseaux sociaux où les images à demi trafiquées par des IA génératives grotesques éberluent les cerveaux en surchauffe d’une population que son élite a décidé de jeter dans les flammes. Le cœur de cible est moins d’ailleurs la plèbe grouillante terrorisée que cette masse des travailleurs qualifiés de l’économie carnavalaise.

L’économie carnavalaise : ce qui n’est un marasme que pour un lecteur inattentif. Castelage n’aurait pas si ardemment défendu sa Banque Princière si elle n’était pas rentable et contrairement aux deux autres, il ne se paye pas en titres de noblesse et en hauts faits de dynastie, mais bien en pièces sonnantes. Que l’inflation ait sauté aux plus hauts niveau de l’inenvisageable est anecdotique ; à Carnavale tout est particulier. 522 000 % d’explosion des prix et le déséquilibre monumental des chaînes de valeur s’explique par l’extraordinaire adaptabilité d’une main-d’œuvre gavée d’hypnotisants et de récompenses de court-terme. C’est la prouesse d’un système où les cycles économiques sont accélérés au point de ne pouvoir les discerner les uns des autres : crise et croissance sont une seule et même réalité. Production et chômage, investissement et destruction créatrice, le sang qui irrigue les veines de la puissance technologique et industrielle mondiale n’en est pas moins, comme partout dans l’univers, comptabilisés en devises. Et si ses grands propriétaires y tiennent les marchés d’une main de fer depuis des siècles malgré l’instabilité des poids et mesures, c’est bien qu’il y a, dans ce chaos, un ordre, un équilibre. Cet équilibre, c’est celui du jeu des transactions.
Castelage peut-être se trouve-t-il en personne dans l’assemblée silencieuse des spectateurs. Sur scène, face à une foule endimanchée, parée de bijoux et de beaux atours, une chorale conclut quatre heures d’opéra. La voix des castrats s’élève comme une prière artificielle ; peut-être que ces gamins ont soixante ans, peut-être sont-ils des clones mutilés pour le plaisir de nos oreilles. On les dit reproduits par mitose à partir de cellules de poils de cul d’un président loduarien. C’est exquis cet air-là.

Les lumières disparaissent de la scène au moment du point d’orgue. Le silence succède aux chants. Dans le public, des actionnaires, des membres du Conseil Municipal, des aristocrates et des start-upers applaudissent et s’esbaudissent. Une chaleur démente règne. Ceux de la maison Castelage, si ce n'est Arthur, alors sa nièce Améthyste, qui se trouvent là conviennent qu’ils trouvent l’atmosphère bizarre et peut-être sont-ils au courant que c’est bien le plan de Dalyoha et d’Obéron. Encore une fois les deux grandes familles vont dicter leur loi. Dans les rues leurs milices se déploient pour monter aux hôtels et au sommet des grandes tours pleines de lumière et d’orgies. Leurs miliciens pourtant ignorent la réalité du choix terrible de Blaise et Pervenche. Coranthym, que les yeux injectés de sang brûlent, qui a des crampes aux bras à force de flinguer des inconnus, ressent moins la gloire et la beauté d’une apothéose sanglante que la fatigue d’une soirée de travail trop longue. Et dans ses pensées confuses flottent des images de lit, de Phlalie, de vagues à surfer.

Sous les vivats les petits choristes se dispersent comme des mouches, grâce aux ailes et hélices intégrées à leur trou du cul. On dirait de petits cafards, de petits anges pardon, qui volettent d’un côté et de l’autre, qui parfois en chantant à tue-tête que les quatre Cavaliers de l’Apocalypse viennent de surgir à l’orient se cognent au plafond, s’écrasent dans l’assistance. Le chaos déréglé est illuminé par un flash lumineux. L’air vibre. Quelque chose va s’afficher sur scène. C’est un hologramme.

L’hologramme se manifeste simultanément sur des façades d’immeuble, sur la place Timéorion, sur le palais des Lampadaires. Le son trafiqué des enceintes municipales, réservé aux annonces publicitaires, vient d’être piraté par les agents azuréens. L’image est blanche. A travers le chaos de Carnavale on peut prêter l’oreille. Quelle surprise est-ce là ? Un show inédit ? Le spectacle pyrotechnique annoncé pour ce soir ?

L’image frétille à peine, encore un peu saturée. Mais la voix résonne. La voix de la Sainte modulée par la foi et la folie de la nuit résonne dans l’opéra, dans les rues, dans les hangars. Et s’affiche une image indiscernable. Dans son siège, il se redresse. C’est une sorte de félin, de lion, au poil blanc étincelant : un lion albinos, comme nimbé par le Soleil. Les contours se précisent. Le fauve flotte dans la nuit, une nuit couverte d’étoiles. Il tient entre ses griffes un astre lumineux. Le motif du lion solaire s’imprime sur la rétine de l’assistance. L’image se modifie légèrement. Sous les yeux de ceux qui regardent, soit à l’extérieur, soit à la télé avec une coupe de champagne et la tête d’un inconnu entre les jambes, se matérialise une carte de tarot.



Insoupçonnable, insaissable
Je suis l’Arcane des plaisirs
Aux griffes aiguës, aux crocs puissants
J’entends tout, je vois tout
Je suis l’ombre et le murmure.
Je suis l’Arcane de la Paix,
Je garde sa Barque contre le Démon,
Je tue le serpent chaque matin et chaque soir,
Je rayonne dans le cœur des mortels.
Je suis son foudre de guerre,
Sa créature,
Votre guide dans le dédale,
Je suis le premier de ses anges,
Je suis le Lion de Dieu.






OP annuler
https://i.imgur.com/ZVJl3D8.png






Le Lion de Dieu est une entité spirituelle représentée par un chat albinos qui tient le soleil entre ses griffes. C’est une figure mystique et invocatoire. Dans Carnavale en folie, certains se mettent à scander son nom. Lion de Dieu ! Lion de Dieu ! Il est le synonyme de la rédemption. Il est aussi une concrétion politique qui ne demande qu’à éclore. Il agrège les fanatiques religieux, s’adresse au peuple de Carnavale dont il reprend l’emblème léonin, et cible l’élite. Ses yeux dorés brillent et profèrent des slogans du nationalisme carnavalais. Le Lion de Dieu est une carte inédite sur la table canavalaise, divisée entre fausses institutions et réelles Maisons Nobles. Il est le syntagme d’un mouvement transporté par le millénarisme infusé à Carnavale, catalysé en volonté de dépassement de l’ancien monde. Le Lion de Dieu est un mouvement politique. C’est le parti qui rallie ceux à Carnavale qui ne veulent pas du plan autodestructeur mis en place par les milices Dalyoha. Sa puissance repose sur les impressions magiques distillées dans le peuple par les Grandes Maisons pour asseoir leur domination : à présent cette puissance se révèle dans son autonomie. L’apparition du Lion de Dieu signifie l’apparition d’un nouvel acteur politique à Carnavale. Ses porte-paroles sont encore cachés mais des messages cryptiques facilement interprétables en propositions d’alliances inondent les réseaux de communication. Yu et Amra sont les maîtres des horloges derrière l'image du Lion de Dieu. Le Lion de Dieu propose l’unification de Carnavale derrière lui pour, d’un bond, sauver la ville auprès de Dieu. Si les ralliements au leadership du Lion de Dieu sont suffisamment importants, il pourra se manifester pacifiquement ou lancer une insurrection contre les autorités. S’ils sont insuffisants, il demeurera une idée minoritaire et inconcrète.







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Opération postée le 23/07, mise à jour le 3/08 après négociation entre les joueurs.
Elements mis à jour en rouge



Le Lion de Dieu
votre image ici

Sécession à Carnavale

Musique d'ambiance


Pays infiltrant: Azur
Pays infiltré: Carnavale
Prévisionnel de la date (RP) de l'action clandestine : 1er avril 2017 (post fait le 10/03)
Prévisionnel de la date (HRP) de l'action clandestine : 5 août 2025
Type d’opération : Coup d'Etat Sécession partielle, négociée pour être sans effet sur le territoire, les usines, ou le RP politique interne de Carnavale, en échange d'une remise sur le coût en points de l'opération. C'est en effet plutôt une grosse opération idéologique (prix standard : 10'000 points), je propose donc autour de 50'000 points.
Province cible : #21349

RECONTEXTUALISATION / FRISE CHRONOLOGIQUE DES EVENEMENTS PRE-OPERATION :

Infiltration de la société carnavalaise par des agents azuréens :

1. Fleurette
2. Passe-passe
3. Réveillon
4. Outremer
5. Prologue
6. Ruche
7. Le Lion de Dieu

Evenements internationaux affectant Carnavale :

puis disparition de celle-ci qui pète un câble après l'insuccès de son neveu à contrôler le pape IA et donc c'est le bordel à tous les étagesLes événements RP consécutifs ont été écrits après cette opération, ne la prennent pas en compte, celle-ci ne les prend donc pas en compte car elle arrive avant.


Cette opération se repose sur plusieurs forces et éléments concrets :


    Ce qui faciliterait l'adhésion de la population de Carnavale (classes moyennes) à l'idéologie du Lion de Dieu :
  • Une bonne connaissance des affects de la population carnavalaise grâce à des agents immergés dans le contexte local et une influence accumulée sur la province à 39,2 % 40 % au 29/07
  • Les Carnavalais semblant ultra-matérialistes, il est improbable que le délire orgiaque de fin du monde fasse l’unanimité, chacun ayant toujours privilégié ses intérêts : une opposition devrait donc exister.
  • Carnavale est touchée par l’hyperinflation (522'000 %), donc la corruption de gangs et de responsables religieux est d'autant plus facile du fait de la pression sur le pouvoir d'achat.
  • Les hologrammes religieux sont une technique de manipulation psycho-religieuse mentionnée à Carnavale.
  • Existence de sectes millénaristes (quartier des Hotels, des Oranges…) qu’une telle apocalypse ne peut qu’impressionner et influencer.
  • Commissariat Central a cessé de lutter contre les groupes islamistes, facilitant le travail d'infiltration des radicaux par des agents d'une puissance musulmane.
  • L'opération a lieu le soir du déclenchement du plan d'autodestruction de Carnavale, au milieu des fêtes babyloniennes. Un "spectacle pyrotechnique" a été annoncé et le peuple attend une grande annonce. L'atmosphère est extrêmement tendue et le désarroi des spectateurs est total comme le décrit ce texte. Ainsi, l'opération survient au moment idéal pour capter l'attention du pays.
  • Les chats sont un appât publicitaire courant du fait de leur mignonneté. Il n'y a pas de raison que ça ne fonctionne pas ce coup-ci.
    Ce qui faciliterait l'adhésion de la famille Castelage à l'idéologie du Lion de Dieu :
  • Les Castelage sont écartés des décisions prises par les Obéron et les Dalyoha, comme l’indique l’histoire longue de Carnavale, et le bombardement d’Estham pour lequel ils n’ont pas été consultés. Ce mépris est concrétisé par l'assassinat d'Arthur Castelage par les Obéron qui appelle sûrement vengeance.
  • Les Castelage ont des intérêts économiques et financiers réels à Carnavale à travers la Banque Princière, et ont dû s’adapter à contrecoeur pour les protéger des décisions prises par les Obéron et les Dalyoha.
  • Les milices Castelage sont une compagnie de sécurité privée mentionnée à de multiples reprises dans le RP de Carnavale. Les Castelage sont visés IRP par l'opération, mais il est convenu HRP que le résultat sur eux sera minime. Les Castelage ne seront pas convertis.

  • Ce qui faciliterait l'adhésion des autres Grandes Maisons Nobles et de leurs ingénieurs, soldats, serviteurs :
  • Le Lion de Dieu est un mouvement patriotique carnavalais, et cristallise donc un fort sentiment d'appartenance nationale au moment où le pays est en proie à une invasion. Il est convenu HRP qu'aucune faction existante à Carnavale ne sera convertie et annexée par le Lion de Dieu à la suite de cette opération. La dimension nationaliste du Lion de Dieu est à négliger.



Beaucoup de voyants sont donc au vert pour agir à Carnavale.


OBJECTIFS DE L’OPERATION



Réussite majeure :
  • Le Lion de Dieu enflamme la foule. Les Castelage et leurs milices s'y rallient. Des millions Douze à treize millions de Carnavalais adhèrent à cette égérie, y compris dans les rangs des Dalyoha et Obéron essentiellement dans les bas-fonds, les gangs, les sectes, et parmi les milices privées. Un puissant mouvement rejette le plan Dalyoha/Obéron de destruction de la ville. Le Conseil Municipal est évincé au profit des porte-paroles du Lion de Dieu. La plupart des forces de sécurité adhèrent au Lion de Dieu, au moins dans la ville de Carnavale. L'élite précédente perd son pouvoir absolu sur son arsenal et ses soldats. Le Lion de Dieu étant imprégné de symbolique nationaliste et religieuse carnavalaise, il suscite une forte adhésion patriotique sur lequel les Grandes Maisons pourraient aussi miser pour survivre. Carnavale est sauvée de la destruction. Les nouveaux convertis à l'idéologie du Lion de Dieu sont de fervents défenseurs de cette apparition vue comme un sauveur matériel et spirituel au milieu du marasme de Carnavale. Leur adhésion est sans faille et les conduira à accueillir avec enthousiasme les décisions du Lion de Dieu. Ils s'emparent d'armes (ALI) et véhicules légers à travers des pillages [Note : si ces armements ne sont pas prélevés sur l'atlas de Carnavale, ils peuvent l'être sur celui de l'Azur, ceci étant justifié par la saisie d'armements jusque là inutilisés à Carnavale - nombre exact à définir].


Réussite mineure :
  • Le Lion de Dieu devient un leader politique dématérialisé mais influent à Carnavale. Il structure une opposition face à l'élite en place et peut lancer des mouvements de grève ou d'insurrection, bien que son influence ne s'étende pas à toute la société ni à la majorité des sphères de pouvoir. Les Grandes Maisons pourraient néanmoins solliciter son appui, en tous cas lutter contre lui sera redoutablement coûteux pour elles. Carnavale n'est pas encore détruite car la résistance s'organise, RP à venir. Le Lion de Dieu suscite des adhésions de la part d'une série de sectes, de gangs et de groupes divers. Quatre à cinq millions de personnes sont converties et sont prêtes à suivre les désirs du Lion de Dieu avec enthousiasme. Une quantité proportionnelle d'armes et véhicules sont saisis lors de pillages.


Echec mineur :
  • Les gens se détournent du Lion de Dieu dont ils ne perçoivent pas l'intérêt. Cette idée politique reste minoritaire et peu puissante, voire massivement rejetée. Des éléments incriminant des espions azuréens fuitent : la police carnavalaise pourrait les rechercher. La méfiance vis-à-vis du Lion de Dieu et de la présence d'espions azuréens sur le territoire renforcent la lutte contre les opérations futures de l'Azur et éventuellement d'autres pays. Les opérations d'influence politique deviennent plus difficile à réussir et Carnavale bénéficie d'un bonus au combat. Carnavale ne sera pas sauvée tout de suite. 100 000 à 200 000 personnes sont converties à l'idéologie du Lion de Dieu et prêtes à exécuter ses volontés. Elles ne s'emparent que d'un nombre d'armes limité et pas de véhicules. Ce sont essentiellement des pauvres en déshérence.


Echec majeur :
  • Le Lion de Dieu est un anathème anti-Carnavale aux yeux de la population. Les responsables de cette opération sont traqués, identifiés et capturés. Yu, Amra et leurs camarades tombent aux mains des autorités, qui décident librement de leur sort. L'avenir des opérations azuréennes à Carnavale est sérieusement compromis. L'élite en place sort politiquement et militairement renforcée de cette arrestation. Carnavale ne pourra plus jamais être sauvée. L'opération fait flop. Les Carnavalais sont trop attachés à leurs pubs catholiques pour être réceptifs à de la symbolique un peu plus élaborée. Les agents azuréens disparaissent dans la nature. Ils ne sont considérés comme saisis que si Colin souhaite écrire un RP à ce sujet, avec mon aimable agrément au préalable.


LIMITES ET CONTRAINTES DE L’OPERATION
(ne pas hésiter à demander aux concernés l’ajout d’éventuelles contraintes supplémentaires)

Plusieurs limites et contraintes sont à prendre en compte dans l’arbitrage de l’opération :
    Ce qui pourrait limiter les chances de réussite de l'opération :
  • Une partie de la population est enthousiaste à l’idée de disparaître, compliquant un projet alternatif ayant pour objet de sauver la ville. Retiré : sauver la ville n'est plus le sujet.
  • L’Eglise de Carnavale est incontestablement dominante et elle est pilotée par Justin l’Eternel, membre du clan Obéron. Il dispose d’outils numériques pour influencer les fidèles dans son intérêt (cyber-christianisme) et les détourner de l’opération.
  • Madame Clémentine a été épluchée vive. Je vous la remets pour le plaisir.
  • Les Carnavalais cuisinent parfois les chats, amenuisant leur possible respect des félins et en particulier du Lion de Dieu.
  • L’autodestruction fait partie de la culture carnavalaise, comme l’indique l’usage de biomasse humaine, entre autres occasions de massacre de sa propre population.
  • Les Castelage ne sont pas forcément réceptifs à la proposition qui leur est faite pour des raisons propres à leur mentalité. Retiré : l'effet sur les Castelage est déjà acté comme négligeable.
  • Toute information supplémentaire communiquée par Colin. Pas de nouvelle info à ce jour.


Moyens engagés :

Les moyens engagés sont décrits dans le poste précédent. Pour faire simple : piratage de projecteurs à hologrammes et des enceintes municipales qui diffusent dans toute la ville, pour publier le discours ; utilisation de bots et technologies numériques pour diffuser sur internet le discours du Lion de Dieu, et afficher l'hologramme à l'Opéra ; corruption monétaire de miliciens, de gangsters et de leaders religieux pour qu'ils rejoignent le mouvement ; persuasion de sectes fanatiques millénaristes déterminées à conquérir le monde au nom du Lion de Dieu, grâce au symbolisme utilisé par la Sainte (Amra) et le Lion de Dieu ; persuasion de la haute bourgeoisie carnavalaise par des accents patriotiques derrière la bannière léonine de Carnavale. Les moyens mis en oeuvre reposent sur une poignée d'espions aux facultés exceptionnelles, donc un réseau clandestin.
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Sortir des proches de l'apocalypse

Trigger warningDans ce qui va suivre, l'on va avoir affaire à des cadavres, de la pauvreté extrême, du rejet, de la violence psychologique et des angoisses existentielles. Lisez quand vous le sentez, si vous le sentez !
Au milieu des champs, ce ne sont pas les métaux lourds qui font le gros de la pollution. C'est plutôt les pesticides, l'ozone et... L'eutrophisation. Dans les faits, il arrive aussi que tombe des pluies acides. Donc, dans qu'on ne restaure pas des régions entières, voire juste le pays, l'on ne peut pas réellement dépolluer la terre entièrement

Un peu de musique ?

Ici, les oiseaux chantent. C'était inimaginable il y a cinq ans, mais les oiseaux chantent ! La brise souffle lentement dans cette jeune forêt, dans une vallée qui a été ravagée depuis des décennies. Les campagnes sont une zone tellement ignorée du monde capitaliste, que même l'apocalypse ne l'a pas atteint. C'était des collines que possiblement tout le monde a oublié, la communauté a racheté la vallée pour pas cher, à un sous-traitant de sous-traitant de sous-traitant de Dalyoha, qui ne pouvait plus cultiver ces collines escarpées de manière rentable, les communautés shuhes y ont élu domicile. Dans cette vallée, il existe une forêt, des étangs, des champs, trois villages, une réelle vie campagnarde. Et l'une des zones les plus à l'abri des regards de tout Carnavale ! Personne ne lance son regard vers la campagne. Pour des Shuhs habitués à cultiver des déserts, des volcans glacés, et des ruines polluées, l'environnement dans lequel l'on se trouve est nouveau, mais la vie rêve d'y fleurir. Tout le problème est de dépolluer la terre, l'air, l'eau, l'air, une tâche qui reste loin d'être terminée, et qui comme à Hohhohtaï, prendra possiblement des siècles. Les arbres qui poussent ne sont que les plus robustes possibles, altérées génétiquement par les biohackers shuhs, ainsi que par les quelques Carnavalais qui ont rejoint l'équipe, pour tenir, principalement ce qu'on ne pourra pas nettoyer prochainement, les pluies acides. Des gens qui ont pu connaitre des médecins shuhs, des gens qui y ont vu l'une des rares occasion de trouver une éducation, de se sortir de la situation dans laquelle ils se trouvaient. Mais la pollution est toujours là, omniprésente. Mais, pour des standards carnavalais, c'est une nouveauté.

La réalité, c'est qu'alors que les rêves de jardins poussant sur les ruines polluées de terres autrefois luxuriantes fleurissent dans tous le pays, ils n'atteignent, encore une fois pas les campagnes. L'effondrement économique du pays implique que l'agriculture va perdre de sa superbe ici. Les champs ne seront plus irrigués, vont dépérir. Les plantes vont mourir, et il restera le sol à nu. Un sol qui reçoit engrais et pesticides depuis des décennies, les champignons ne sont plus là pour retenir le sol déjà largement appauvri et lessivé. La décomposition de la matière organique est dominée par les bactéries, qui ne retiennent pas le sol. Un peu de pluie et les côtes seront inondées de boues, un peu de vent et le sol partira en poussière, qui sait si la Grande Carnavale elle-même ne sera pas ensevelie sous la poussière de ses campagnes. L'agriculture menaçait déjà d'un effondrement total quand les premier-es Shuh-es sont arrivé-es en 2008, le pays est maintenant sur la voie d'une désertification. C'est l'autre face de l'apocalypse. Pas celle spectaculaire et bruyante découlant de la décision d'une grande famille, mais celle silencieuse, lente, graduelle, des zones exploitées et oubliées. Pour le moment, l'Enclave verte est la seule région de Carnavale a avoir clairement des chances de survivre à cette apocalypse là, la base d'un futur pour ces campagnes. Et étrangement, cette vallée perdu au milieu d'un monde agonisant, c'est désormais sa maison.

Sans racines ni champignons pour retenir le sol, il vole au vent

Le ciel est bleu, l'on entends les oiseaux chanter, les feuilles bruissent de partout. Passez la crête et l'on se retrouve dans les collines désertiques. Mais ici, c'est l'Enclave verte. Et même : plus besoin de négocier d'achat, plus besoin de se montrer, la compagnie qui détient ces terres se meure avec le capitalisme, elle tentera de sauver ses champs et probablement échouera d'ici deux ou trois mois comme tous les sous-traitants, ouvrant les campagnes de tout le pays à désertification, et à la restauration écologique, elle ne défendra pas ces terres mortes et surtout, non rentables. L'Enclave verte s'étendra, et des Carnavalais-es pourront à nouveau considérer ces terres comme leur foyer, que ce soit un désert, une forêt, un marécage, une prairie, des rochers, ou même une plage.

La fin du monde ici, ressemblera à des chants d'oiseaux sous la poussière. La décomposition d'un vieux monde et l'émergence d'un nouveau. C'est pas spectaculaire, mais justement : c'est la grosse explosion que l'on regardera, pas la poussière qui danse au loin. Mais si les citadin-es ne regardent pas les petits grains de vie campagnarde qui poussent tranquillement, les campagnard-es ne peuvent pas ignorer l'apocalypse brillante et bruyante de la ville. Cette apocalypse là, elle s'est matérialisée aujourd'hui par Émilienne et Aubin, arrivant dans la pièce commune et demandant une réunion. Parce que des gens meurent en ville. Et si l'on comprends qu'on ne pourra pas sauver tout le monde, même si on faisait appel à toute l'Union Shuhe, il reste possible de sauver quelques personnes. Des proches, des ami-es, des petit-es ami-es, des gens auxquels les communautés proprement carnavalaises des trois villages de l'Enclave verte tiennent. Autant que possible. Il y a également à voir cette autre apocalyse de nos yeux. Nous ne somme pas les Grandes Familles de Carnavale, nous regardons ce qu'il se passe ailleurs. De voir ces cette fameuse fin du monde nos yeux. Et les germes d'un monde nouveau, sensé remplacer la ville non pas mourante, mais assassinée, de voire le chaos, de le consigner. C'est l'un des plus gros trajets à Carnavale que l'on fera depuis que l'on a eu besoin de passer au magasin de bricolage pour ramener outils et matériaux de construction. Il nous revient de maintenir un monde habité au milieu de ce qui va devenir un désert aussi hostile que l'Inlansis de Shuurgmösoron. Nous embrasseront les deux : le monde hostile et ses esprits exigeants prêts à tout balayer d'un revers de main, le monde habité qui abritera plus de vie que Carnavale n'en a jamais connu depuis longtemps. Ce n'est pas nous qui colonisons Carnavale, il n'y a même pas besoin. C'est les grandes familles elles-même qui ont laisser les Terres inhabitées s'installer ici, et qui ont transformé les campagnes carnavalaises en petit adelphes de l'Enclave volcanique. Les Shuh-es sont sur le point de prospérer ici, qu'iels viennent de l'Enclave, ou de Carnavale. Il n'y a que peu d'autres choix, la plupart impliquent encore plus de morts. Il est possible que je reprenne la route d'ici dix ans. L'une des première bandes nomades thurannies qui aient foulé le sol eurysien fait partie des sujet dont les Thuranni du coin discutent depuis quelques mois. Il nous faudra des nomades pour reconstruire un monde ici, et au nom de Yetugr, que je rêve de me déplacer à nouveau !


1. Partir à la ville

Lorsque nous quittons le village pour aller en ville, le chemin est assez long. En premier, nous prenons la draisine nous montons l'une des collines sur le versant nord de la vallée pour atteindre la crête. C'est la limite de nos terres pour le moment, donc il y a une station, avec un hameau, des entrepôts, quelques laboratoires et une station d'étude géologique et météo. Ensuite, l'on passe à la marche une dizaine de kilomètres de collines désolées, une image de ce qui attends les plaines inexploitables : une terre un peu sableuse, rocheuse, argileuse, quelques herbes tentent de pousser, mais globalement, c'est le domaine des petits tourbillons de poussière. Ici, la désertification est avancée, l'on voit dans une des vallées le Robinier faux-acacia qui nous sert de point de repère, il est rabougri, jamais loin de mourir, mais tenant bon, autant dire que les biohackers s'en sont donné à cœur joie pour décoder son ADN.

Tiens, d'ailleurs, je ne me suis pas présentée ! Toutes mes excuses. Je pars dans des tunnels en oubliant que tout le monde n'a pas tout le contexte. Je suis Checheyigen, du clan Hüryiee, une biohackeure thuranne sédentarisée par le manque de nourriture, qui a voulu partir dans les étoiles beaucoup trop tôt, le programme spatial m'a donc envoyé à Carnavale à la place. En Eurysie, il m'a fallu un nom de famille pour les papiers, je suis donc devenue Checheyigen Angarag (ce qui veut dire... Mars, la planète, littéralement). Du haut de ma quarantaine d'années à tout péter, j'ai déjà vu des clans et tribus se restructurer entièrement. Les apocalypses n'existent pas dans l'Enclave volcanique, seulement des crises perpétuelles, les blessures jamais refermées et toujours mouvantes du froid, des éruptions, de l'industrie et de l'agriculture, qui altère les gens jusqu'à les rendre méconnaissables. Pas étonnant que l'on se rêve à transformer ce que veut dire être humain, que les Terres australes soient non seulement un foyer du transhumanisme, mais de l'alterhumanité tout autant. Il faut aller en Eurysie pour voir une apocalypse. Nous voilà donc sur les terres eurysiennes, où les histoires se racontent avec un début et une fin. Et aujourd'hui, le début et la fin se confondent. Donc, je suis Checheyigen du clan Hüryiee, aussi connue sous le nom d'Angarag, démone forge-vie dans un corps d'humaine, venue habiter les zones oubliées de ce monde touchant à sa fin, et possiblement, ce qui viendra après.

Quand on atteint enfin une piste, l'on trouve un hangar auparavant abandonnée, que l'on a racheté et dans lequel on stocke des véhicules. Il n'y a même pas d'électricité ici, seulement les vestiges d'une époque où cultiver ces collines étaient économiquement viable. Cette fois, l'on est plusieurs dizaines à partir pour Carnavale. Pour ma part, je ne prends pas l'un des bus, mais un camion : je serais là pour ramener une personne ou deux, mais je suis surtout là comprendre ce qu'il se passe, et pour en apprendre le plus possible. Je pose mon sac dans la remorque, et ma partenaire aussi, ce sera Lucrèce, une carnavalaise trans d'environ 50 ans, anarchiste et sataniste, et pour le coup, une vraie combattante. L'une des meilleures tireuses au fusil que j'ai jamais rencontré. Pour ma part, je ne sais pas manier un fusil. Je m'arme de mon arc long qui m'accompagne depuis l'époque où je me déplaçait dans la Chaîne de Tsaagan. C'est aussi, ma meilleure amie de tout Carnavale. Elle a juré de protéger sa démone, j'ai juré de lui apprendre les arcanes de l'ingénierie génétique. Pour que l'une meure, il faudra tuer l'autre. Et c'est ses proches aussi qu'on part chercher.

Pour le début du trajet, c'est moi qui conduit. Alors que l'on s'élance sur la piste de terre poussiéreuse, l'on voit quelques avions militaires passer au loin. L'OND ? Obéron ? Dalyoha ? Des destructions à venir ou à peine passées ? Pour le moment, lorsque l'on franchit les collines, l'on se retrouve toujours dans les champs. Ils ont encore l'air de pousser, comme si rien n'avait changé. Comme s'il y avait encore un marché pour les céréales qui devaient être récoltées prochainement, et les betteraves sucrières qui venaient d'être semées. L'irrigation tient, c'est quelques jours de plus arrachés au désert.

Lucrèce dit pensivement

"Tu sais, j'ai jamais vu une vraie forêt avant de vous avoir suivi. C'était tellement bizarre. On a des vergers, mais pas des forêts ! C'est les champs Dalyoha qui ont tout remplacé. Quand j'ai appris qu'il y avait des forêts plus grandes que la nôtre, avec de grands arbres et pleins de plantes, j'en ai pleuré"

"J'en ai pas beaucoup connu non plus j'avoue ! Enfin, si, mais pas les mêmes. Des fougères arborescentes surtout. Des forêts de fougères arborescentes qui poussent dans les sources chaudes. Elles me manquent un peu"

"Tu as pensé à retourner aux Terres australes ?"

"Oui, mais pas pour atterrir dans une ville, malheureusement, je ne pense pas que reprendre la route là-bas sera possible pour moi. On n'a pas la technologie pour être autant de nomade, donc ceux qui le peuvent le restent, les autres partent en ville"

"J'aimerais bien voir le Sud, Shuurgmösoron, un jour. Et même voir ton clan, ta famille, tes amis. Tu m'y emmènerais ?"

"Avec grand plaisir. Malheureusement, vu où on en est à Carnavale, c'est pas pour demain"

"Vous avez pas choisi l'endroit le plus facile où habiter !"

"Des gens devaient le faire. Carnavale était un risque existentiel. Toustes les biohackeurres le savaient, même à l'époque. L'on venait à peine de faire connaissance avec le reste du monde que l'on voyait les forces puissantes qui pouvaient tout balayer"

"Vous êtes paranos, un peu, des fois"

"L'on vit aussi sur le fil. En réalité, là où on vit, la vie pourrait rapidement s'éteindre. Une guerre mondiale. Une pandémie, ou une catastrophe écologique finit en général par nous affecter"

"Bon, à Carnavale, vu d'où on part... Qu'est-ce qu'il pourrait bien se passer de pire ?"

"Cramoisie ?"

"... Oh, bloody hell, il faudrait que je fasse attention avant de proposer d'imaginer des trucs horribles à une Cendrée ! Évidemment que vous pouvez toujours imaginer pire !"

"Désolée..."

"Oh, ça va, c'est aussi ça que j'aime chez toi ! Tu fais pas semblant que tout se passe bien, tu regarde le pire en face, et pourtant, n'abandonne jamais tes idées, tes rêves, ou... Moi... Ça me donne de l'espoir"

"Franchement, le Bien et le Mal, c'est des concepts étranges. on dirait une tentative d'expurger tout arbitraire de ce que l'on souhaite ou non, le tracé de frontières aussi floues et changeantes que celles d'un pays. Un coup de bluff permanent"

"Normalement, c'est Dieu qui fixe le Bien et le Mal, qui dit qui est juste ou non, qui décide qui envoyer au Paradis ou en Enfer, qui construit l'ordre du monde. Lucifer, il renverse la table. Satan n'est pas l'ange du Mal, mais des zones grises de la moralité. C'est l’Église qui raconte une version simplifiée de l'histoire pour garder le monde sous contrôle. Et ils y croient ! C'est confortable d'imaginer un monde où il n'y a que le Bien et le Mal, et rien entre les deux. Seuls les privilégiés peuvent être purement bons ou mauvais. Leur jugement dernier sera très confortable. Pour les autres, c'est probablement l'enfer qui les attends. Mais Lucifer, et je compte sur lui là-dessus, ne les laissera pas tomber"

"Le révolté face à l'autorité suprême, qui poursuivrait la révolution jusqu'en Enfer"

"Exactement ! J'ai vu des gens qu'on pourrait vraiment imaginer comme des saints. Et crois-moi, ils sont largement récompensés. Leur vie en général est plutôt tranquille. C'est des gens qui ne craignent ni la faim, ni la persécution, ni la maladie. La plupart d'entre nous, on a fait des choix dont on est pas fiers, et la communauté trans la première. Et on se comprends. Personne ne devrait avoir à être parfait à tout moment ou condamné à mourir dans les pires angoisses existentielles qui peuvent te vriller le crâne. Le Bien sert à contrôler les gens. Par le Bien, les plus puissants peuvent se poser en autorité morale, voire en représentant de Dieu sur Terre"

"C'est assez souvent que j'ai vu des gens qui s'affrontaient, parfois durement, parce qu'iels ne souhaitaient pas du tout la même chose pour le monde. J'ai participé aux grèves des serres de Braha, j'ai été arrêtée par le Vuûl, et privée de sommeil pendant une semaine, et ce, parce qu'iels considéraient que l'on constituait une menace pour la survie de la région entière. C'était une période très triste"

"Ouah. Tu as jamais parlé de cette période... Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'en vous rencontrant, j'ai pas seulement vu les nuances de gris, mais aussi de couleurs. Vous avez eu gain de cause à la fin ?"

"Ça a pris des années, et les Guerriers ont tué des gens que je connaissais. C'est pas comme dans une société capitalistes où les productions sont à flux tendus. Aux Terres australes, faire une grève est beaucoup plus compliqué, parce qu'en face de nous, il y a des long-termistes. Quand on arrête de produire de la nourriture, le gouvernement a des réserves, et les utilisera, tout en nous épuisant progressivement. Une grève, c'est une partie de ta vie. Finalement, on a eu le droit à des journées plus courtes, plus de pauses, et surtout, l'automatisation des serres est à venir, mais tous les gouvernements locaux laissent trainer cette partie là, qui va se relancer dans une grève maintenant ? On a eu aucune garantie sur le fait que le Vuûl arrêterait d'arrêter les gens et de les torturer. A mon avis, il faudrait juste les démanteler. C'est littéralement une police de militaires, qui voit tous les opposants comme des adversaires, et qui n'est contrôlée par personne, à part des enquêteurices qui manquent de moyens et de pouvoir pour leur faire face. Mais voilà, pour le moment, c'est soit la grève, soit le travail, les gens que je connais là-bas auraient tellement besoin de repos"

"Ici, on a beaucoup trop de mal à se faire confiance pour faire un mouvement social cohérent. Quand il y a une grève, c'est quelque chose comme... Vingt personnes ?"

"Et ça se finit rarement bien, j'imagine"

"Les grévistes, en général, se font virer, et en plus, ils retrouvent pas de taf parce que les patrons s'appellent entre eux, ce qui te pousse dangereusement vers la mort ici. Tu ne fais pas grève pendant des mois, et en général, c'est pas efficace. Donc, on fait tout péter"

"Honnêtement, tout faire péter, ça nous déjà traversé l'esprit"

"Pas très étonnamment, je dirais. Après un an, j'imagine bien qu'on en vienne à vouloir que ça finisse"

"On cherche à mener la logique jusqu'au bout, quoi que ça veuille dire. On a commencé une grève, et on a envisagé de la continuer en détruisant les serres. Puis on s'est ravisé : ce n'est pas ça la continuité logique de la grève. On ne luttait pas contre l'agriculture, mais pour fournir de meilleures conditions de travail aux cultivateurices. Donc on a commencé à cultiver par nous-même, et à assurer les distributions de nourriture par nous-même, sans personne pour nous diriger. Je crois que c'est ça qui a permis à la grève de durer, et que ça nous a donné des leviers en plus pour négocier : l'on montrait non pas que l'on était prêt-es à détruire les serres, mais que l'on pouvait les mener sans être contrôlé-es, et c'est ce contrôle que les gouvernements locaux ont essayé de protéger"

"Savoir quoi cibler"

"Exactement !"

Tout a laissé place aux champs, cette terre recouvre déjà un désert

Le convoi roule maintenant sur une des routes asphaltées qui perce à travers les champs. Le ciel s'obscurcit progressivement, autant par les fumées, les gaz, et les poussières, que par le crépuscule. Lucrèce a pris le volant pour que je puisse me reposer un peu. Le paysage est d'une monotonie impressionnante. C'est même pas un désert. C'est une plaine continue de champs industriels, avec un hangar, en entrepôt ou des silos de temps en temps. Pas grand chose d'autre. Une terre méticuleusement rasée, mise sous contrôle, oubliée. Tant que de la nourriture en sort, personne n'y pense. Mais plus exactement : personne n'a envie d'y penser. Et pourtant, j'y pense. Il y avait quelque chose ici. Et quoi ? Qui sait ? Les documents historiques ne sont pas disponibles au public. Soit ils ont été détruit, soit seules les grandes familles y ont accès. On peut considérer que l'histoire a été gommée. Toute l'histoire ? Non ! Personne n'a effacé les pollens ! Il existe des sédiments dans le moindre petit lac qui s'accumulent au fil du temps avec les pollens. Des carottes sont au labo, en train d'être décomptées, et on commence à sortir des résultats. L'on voit les grandes forêts primaires, avec ses chênes, ses frênes, ses peupliers, ormes, châtaigniers... Variant lentement au fil de la sortie de glaciation. Puis l'arrivée de graines de seigle : l'agriculture est là, suivi d'un réarrangement brutal de la composition des pollens avec plus de fleurs des champs, et des plantes comme la myrtille qui poussent dans les éclaircies forestières. L'on voit au fil du temps, l'arrivée de nouvelles plantes de contrées lointaines, le retour de la forêt (une famine ?), puis l'industrialisation de l'agriculture, la disparition des haies, le remplacement des pollens par seulement quelques uns, et des graines, du blé surtout, du maïs. Ce qu'on voit aujourd'hui.

L'on passe un panneau, qui annonce sobrement les difficultés à venir : "Carnavale". On y est. L'on passe une zone industrielle et commerciale entourée de logements d'ouvriers agricoles dans un sale état. Ici, l'on voit d'ores et déjà quelques destructions. Quelques personnes regardent le convoi de camion : même dans un sale état, ils comprennent que quelque chose est en train de se passer. Heureusement pour nous, à qui ils iraient en toucher mot ? Qui les écouterait ? Le convoi prend à droite, sur une voie industrielle en plaques de béton. A côté de stocks d'outils, et de tas de phosphore noir entreposé en attente de traitement par une usine d'engrais proche. L'on en arrive à une casse où s'accumule des épaves de véhicules industriels et de machines agricoles.

Malgré l'apocalypse ambiant... Quelques usines sont encore en fonctionnement

Le tenant de la casse arrive pour nous accueillir. L'on déballe quelques caisses de conserves venant authentiquement de Hohhothaï. Il nous remercie, et nous indique où trouver du carburant au besoin. La nourriture en soit, n'est même pas réellement un paiement d'ailleurs, il n'a jamais demandé ces conserves. C'est plus un cadeau, un moyen du faire du lien. Accepter de la nourriture d'une personne, c'est une grande marque de confiance. De manière générale, ce ne sont pas les fusils ou l'argent qui permettent survivre dans les bas-fonds de Carnavale, même si on peut en avoir besoin. C'est la solidarité des gens qui n'a pas du tout disparu. Comme quoi que les humain-es seraient des "animaux sociaux" ! L'on va nettement plus loin avec des conserves de bonne nourriture, de l'eau propre, des médicaments fonctionnels. SURTOUT quand le monde est sur le point de s'effondrer, plus ou moins littéralement. Tout le monde se prépare et enfile sa combinaison. La pollution est en train d'exploser de partout, on le sait. On n'a pas encore senti les gaz dans la rue, on ne va pas attendre qu'il soit là. Je mets ma tête-de-champignon, pendant que Lucrèce sort sa combinaison de liquidateur récemment modifiée pour avoir des mains plus agiles. Deux combinaisons de trop, plus une autre pour enfants de cinq ans, restent dans le camion. Qeorvik au loin nous balance un "bonne fin du monde à toustes !", le Soleil est quasiment couché, c'est maintenant la nuit. Lucrèce et moi, on se regarde une dernière fois. Elle plonge son regard dans le mien, je baisse le mien. Deux façons conflictuelles, mais tout aussi difficiles à désapprendre, de se témoigner respect l'une envers l'autre. Je finis de lui ajuster sa combinaison, vérifie l'étanchéité, lampe torche à la main. Je lui dis que c'est bon d'un hochement de tête. Elle fait de même avec la mienne, et lève le pouce. C'est tout bon. On n'a plus qu'à vérifier l'état du camion ensemble avant de partir. On ne souhaiterait pas une panne en pleine apocalypse, non ? On remet de l'huile de moteur, on remplit le réservoir de lave-glace, nous sommes prêtes à partir. Le gérant de la casse nous donne un gros livre : le plan de Carnavale. Globalement, on a fait un peu de repérage, mais ça peut nous sauver la vie tout de même.

Je tourne la clef dans le contact, le camion démarre tout de suite, plutôt bon signe. On a une adresse, celle de la sœur de Lucrèce, dix ans sa cadette, et de ses enfants. L'on parcoure le chemin de dalles à la lueur des phares, jusqu'à retomber sur l'asphalte et à se diriger vers la ville. Quelques lumières sont encore allumées, de l'électricité circule toujours dans ces fils. Peut-être quelques générateurs ça et là ? Et l'on descend vers la ville, la grande, vers les gaz, les eaux rouges, blanches, brunes, noires, vers les dernières personnes désespérées qui tentent de survivre quelques jours de plus et les millénaristes qui attendent la fin.

Lucrèce allume son téléphone crypté. C'est désormais lui qui relie l'équipe entière à travers un groupe de discussion. Elle envoie :

"En route vers la première adresse, si on n'a rien envoyé pendant deux heures, c'est inquiétant"


2. Énergie et nutriments

Un peu de musique pour vivre l'apocalypse avec les Shuh-es

Le camion fonce sur la route pratiquement abandonné, passant plusieurs kilomètres de quartiers pavillonnaires avant de passer dans un bidonville. Des véhicules délaissés bloquent la route, l'on doit trouver un moyen de passer. Je sors du camion, je m'approche lentement des carcasses de voitures. Lucrèce est juste derrière moi, clairement qu'elle me suivra comme mon ombre. Elle est en train de souffler : "monte la garde, je règle le problème. Me voilà à regarder tout autour de moi, flèche encoché sur l'arc, prête à bander et décocher. Je sais qu'il reste quelques personnes qui vivent par là. Je les entends. Mais personne ne sort. Une lumière apparaît au loin, derrière nous, je pointe l'arc dans cette direction, les lumières se rapprochent, je tends lentement mon fil. C'est un bus, un des nôtres, c'est Yi qui conduit. Je baisse mon arc pendant qu'elle descends.

"Lucrèce prends ça en charge on dirait, j'espère qu'on ne va pas avoir à faire ça toute la soir..."

L'apocalypse a été créée de toute pièce, les grandes familles l'ont décidé par elles-mêmes. Obéron se voit-elle comme la servante de Dieu, ou comme Dieu elle-même ?

Un grondement, non, des grondements multiples, se font entendre, quelque chose fonce dans la nuit. On entend le bruit passer au-dessus de nos tête, même Lucrèce a levé la tête, les passagers du bus qui nous ont rejoint également. Une lumière sort de ces aéronefs et nous illumine. L'on voit une volée entière. Des missiles ! Des missiles Obéron ! Elles traversent Carnavale pour exploser quelque part. L'on voit une immense explosion dans un coin à l'Est de la ville. Bourg-Léon. Même de là où on est, on sent le choc comme une musique trop forte dans nos os, l'on sent le vent souffler sur nous. Et la nuit est illuminée. Une lumière crue nous flashe le visage, une lumière rouge-jaune qui dessine un nouveau jeu d'ombre et de lumière. D'autres missiles sont en train de passer. Une famille est en train d'attaquer une autre famille, et tant pis si leur terrain de jeu est détruit dans le processus : le jeu lui, continue, tant qu'il reste une personne vivante. Le vrombissement d'une autre voiture se fait entendre : Lucrèce est au volant, et écarte une voiture de notre chemin. Quand elle en sort, on dirait voir un jeu d'ombre et de lumière vacillante, un peu mouvante, un peu superposée.

"Allons-y, n'attendons pas que des millénaristes se jettent sous nos roues"

L'on reprends nos esprits. Même face à la puissance destructrice de l'arsenal balistique carnavalais, l'on ne doit pas s'arrêter, l'on a des choses à faire ici. L'on reprends la route dans ces lumières vacillantes. Ça ne s'arrête pas ! Il y avait combien de missile dedans ? L'on s'enfonce progressivement dans la rue, pendant que Lucrèce discute avec Yi par la CB. Et notamment, du pourquoi ces missiles ont été tirés ? Au nom de l'apocalypse qui doit être total ? Pour tuer Blaise Dalyoha ? Réduire en cendre les jardins botaniques ? Pour montrer la puissance des industries Obéron ? Tester un nouveau modèle ? Même quand on connaît un peu les grandes familles et ce qu'elles font, beaucoup d'hypothèses se bousculent. Entre la révolutionnaire de Hohhothaï et l'anarchiste qui a grandi à Carnavale, la seule chose sûre émerge : c'est le dernier souffle du capitalisme carnavalais qui essaye de se maintenir par ses dernières forces. Mais penser l'apocalypse comme la révolution tant attendue, c'est à la fois faux et accélérationniste. On souhaite le meilleur pour tout le monde, même si on ne sauvera pas la ville. Nous sommes désormais sous les gaz, et pas si loin du centre-ville. Ici, c'est un quartier industriel traversé de canaux, ce qui coule dedans, c'est de l'eau, et beaucoup d'autres choses. Nous tournons à gauche, le bus continue tout droit, vers le Sud, vers l'Ouest du centre-ville, pour sauver des gens. La sœur de Lucrèce n'est pas du centre, c'est aussi pour ça que c'est nous qui nous en occupons. Nous nous dirigeons vers en ancien quartier ouvrier en ruine. Le père de Lucrèce avait travaillé dans une usine de batteries maintenant en ruines, éventré, le quartier est imbibé de liquide de batterie. Quand on arrive, la route est craquelée, les immeubles d'ouvriers à moitié effondrés, le sol constellé de tas de briques. Maintenant, c'est Lucrèce qui me guide. On s'engage dans une rue étroite, qui monte un peu vers le Nord, une rue bordée d'immeubles mitoyens et de déchets. La collecte n'a pas été faite depuis longtemps. Ceci dit, les immeubles sont en meilleur état ici, pas étonnant que des gens y aient trouvé refuge. Lucrèce s'exclame "Arrête-toi !"

L'immeuble était à notre droite. Lucrèce sort la première, pendant que j'envoie un message : "nous sommes arrivé à l'immeuble des Hannequin, nous renvoyons un message sous trente minutes".

Lucrèce a déjà frappé à la porte, quand je sors, quelqu'un vient de lui ouvrir, sans masque. Attends, le gaz n'est pas mortel ? Seulement toxique, ou déployé dans un autre but ? On entend :
"Tu es qui ?"
"Lucrèce Hannequin, je peux voir ma sœur ?"
"Et je suis sensé te croire ?"
"Eva me reconnaîtra !"
"... Même dans l'hypothèse ou tu es Lucrèce, elle veut pas te voir"
"Regarde l'état de la ville ! Ça n'a pas à être une fatalité ! On peut l'emmener loin de là"
"Tu veux la détourner de Dieu, elle aussi ? Ça ne te suffisait pas de vénérer Satan ?"
"A elle de faire son choix, au pire, Dieu viendra la chercher plus tard comme n'importe quelle chrétienne du reste du monde"
"C'est hors de question, et c'est qui la personne à côté de toi ?"
"C'est la raison pour laquelle il reste un espoir de survie. Je comprends si tu choisis de rester, mais est-ce que tu te vois cacher la seule chance de survie à Eva ? Imagine que tu sois en train de lui annoncer ! Alors, Eva, oui, ta sœur est venue de chercher pour pas que tu meure ici, mais comme j'ai décidé sans te consulter une seconde qu'elle était mauvaise, je l'ai juste refoulé. Tu me comprends, c'était pour te protéger ! Soit pas con, ramène-là moi"
"... Bien joué, mais non"
"Si elle voit Satan, en moi, elle saura résister. C'est son épreuve, son choix. Si elle meure parce que tu lui as pas fait confiance, je te tiens pour responsable, personnellement"
"Bon, je vais la chercher. Mais je vais surveiller l'échange, étroitement"

L'homme qui nous faisait face part, alors que des avions passent au-dessus de la ville encore, et largue quelque chose dans un quartier voisin. L'une des zones du centre-ville. Je note d'aller voir par là. Eva arrive au pas de la porte, plutôt énervée.

"Même au jour de l'Apocalypse, tu viendras me faire chier ! Laisse-moi tranquille"
"Si tu veux survivre, c'est ta chance. Avec Checheyigen ici présente, nous formons une communauté à l'abri de Carnavale. Je suis venue t'emmener, ainsi que les deux enfants, si tu le souhaite"
"Non, discussion close"
"Tu devrais accepter. Moi je viens en tout cas" lance une autre voix, plus jeune, derrière elle
"Tu peux répéter ?" dit-elle d'une voix très sèche, destiné à montrer qu'elle prenait la phrase très mal, et qu'elle avait plutôt intérêt à prétendre ne pas avoir dit ce qu'elle avait dit
Mais l'adolescente derrière elle ne se décontenance pas
"Je pars avec tata, et tu devrais aussi, et Sam également"
Quelques secondes passent, Eva semble commencer à être parcourus de sentiments complexes qui s'entrechoquent, elle tranche dans le vif :
"Dégage !" lance t'elle, d'un ton très sec
"Maman !"
"Dégage !"
"Mais... Et Sam ?"
"Dégage !"
"Cinq minutes pour faire mes affaires ?"
"Dégage ! Je te le redirais pas !"

Et la voilà, en pleurs, devant la porte fermée. Lucrèce se tient derrière elle, lançant un :
"Je suis tellement désolée"
"Le soit pas, j'ai jamais autant eu besoin de toi ! Et tu es là, sois juste avec moi !"
Lucrèce tombe en pleurs à son tour. Les deux se serrent dans leurs bras de longues minutes. Elles ne sont dérangées que par un tir balistique raté qui explose un bidonville industriel quelques kilomètres au Nord.

"Les filles, il faut partir !"
Lucrèce comprends vite, elle amène l'adolescente vers le camion, je me dirige vers la cabine dans laquelle on a laissé trainer les combinaisons. La fille n'a même pas eu le temps de prendre son masque, donc la première chose que je fais une fois dans la cabine, sous la pluie de débris qui tapent sur le métal, c'est de lui montrer comment enfiler une combinaison. On y arrive tant bien que mal dans l'espace du camion, je vérifie tous les joints, que tout soit fonctionnel et étanche. Sous le masque, elle est toujours en train de pleurer.

Lucrèce demande alors :
"J'aurais préféré que ça ne se termine pas comme ça, mais il nous reste une combinaison d'adulte, et deux places, est-ce qu'on peut... Essayer de ramener un ou une de mes amies ? Je comprends les risques, tu as le droit de refuser..."
"Bien sûr, où on se rends ?"
"Euh, je vais te guider !"
Elle a été étonnée d'une acceptation aussi nette et aussi précise
Je sors la carte de Carnavale, je tourne les pages vers le début, prends le plan général des quartiers de surface.
"Où est le prochain ?"
"Plus profondément"
Je tourne une page, vers le premier cercle des égouts
"Plus profondément"
Second cercle
"Ici"
"C'est pas accessible par camion, il faudra marcher un peu"
"Si tu le souhaites..."
"On peut s'arrêter..." Je retourne quelques pages pour en revenir à la surface... "Là" J'indique un réservoir de produits chimiques pas très loin de la zone de bas-fonds
"Oh... Oui... Si on meure dans cette apocalypse, je suis contente que ce soit avec vous, je suivrais ma nièce et ma démone dans la mort s'il le faut. J'ai la chance de ne pas être seule ce soir, merci"
Alors que j'entre la clef dans le contact, c'est l'adolescente qui s'exprime :
"Je suis Sabine, et vous"
"Checheyigen, enchantée"
"Il va me falloir quelques fois pour retenir, j'espère que tu m'en voudras pas trop de redemander ! Et toi ?"
"Moi ?" Réponds Lucrèce
"Oui, toi. Désolée, mais j'ai que ton... Morinom"
"Oh, bien sûr ! Lucrèce, de l'Enclave verte, enchantée !"
"L'Enclave verte ?"
"Tu la verra dès demain"

Nous arrivons désormais dans le quartier récemment bombardé par les avions. Là, les rues sont emplies de gaz. Mais les cadavres qui nous entourent ne sont pas ceux des gazé-es. Non, ce sont des dizaines de millénaristes qui se sont jetées de haute tours. Des gens sont encore en train de marcher ou de circuler sur cette rue, beaucoup de véhicules sont garés en plein milieu de la route sans les conducteurs en vie. Quelques personnes sont en train de discuter dans un coin de la rue. Des gens sont aussi en train d'aligner les cadavres, de les fouiller. Iels ne les pillent pas, mais les identifient, les inscrivent patiemment sur une liste. Elle sera utile pour beaucoup de gens prochainement. Le gaz n'est pas mortel, c'est désormais une certitude. Et il ne vient pas non plus des avions, mais des égouts. Pas de cigares, pas de débris, pas de bombes dans les rues, les avions n'ont pas largué de gaz. ils ont largué des graines. Des centaines, des milliers de graines ! Des espèces reconnaissables en plus : les mêmes dont on retrouve les pollens dans les sédiments, mais modifiés. Lourdement modifiés par les Laboratoire Dalyoha. Soudainement, ça me frappe, et j'éclate de rire. Sabine est terrifiée, Lucrèce réponds simplement "Oui, bon, c'est une démone", comme si c'était une explication normale et rassurante. Elle continue : "Tu as vu quoi ?", alors que, patiemment, je retire les attaches mon masque facial pour sentir une odeur... D'engrais.

"C'est Blaise Dalyoha qui a fait larguer ça... Il veut faire grandir une forêt sur ces ruines. Comme une forêt primaire, mais sur la pollution, tu vois ?"
"Oui, je vois... Impressionnant !"
"Son plan est complètement foireux, et jamais personne n'a osé le lui dire ! Tout ça pour ça !" Je continue à rire ! La situation est tellement absurde
"Ils en seraient tout à fait capables, de faire des plantes résistantes à la pollution"
"Je n'en doute pas une seule seconde. Ce qu'ils avaient fait avec les bananiers "Arctiques" était déjà impressionnant !"
Et Lucrèce commence à saisir
"Mais... Il y a un problème"
"Exactement : l'énergie ! Et les nutriments"
"Oui, pour chaque défense, il faut de l'énergie !"
"De l'énergie qui ne peut pas être utilisé pour la croissance, pour la reproduction, ou même pour le métabolisme quotidien"
"Protéger une plante contre un polluant, c'est déjà très cher ! Et là, il y en a des dizaines. Il faut toujours penser que la plante prendra l'énergie ailleurs"
"Mais du coup, tu essaie de faire croitre les racines et les feuilles plus vite"
"Ça demande de l'énergie aussi ! Et des nutriments !"
"Il faut donc réussir a obtenir le surplus"
"Donc, plus de feuilles, plus de lumière"
"Ce qui demanderait des plantes vraiment massive, et plus ça pousse haut, plus il te faut de l'énergie et de la matière pour supporter le poids. Il y a aussi des limites à ce qu'un xylème peut transporter"
"Donc plus de racines"
"Des fois oui, la plupart du temps, non, on compte sur les mycorhizes ! Les champignons poussent plus vite et ont besoin de moins de matière pour absorber des nutriments. Ils ne font pas de photosynthèse ceci dit, et comptent donc sur les plantes pour avoir de l'énergie, je pense que c'est l'une des raisons pour lesquels ce gland est enrobé : l'enrobage contient non seulement de l'engrais, mais aussi les champignons"
"Énergie qui est déjà limitée par toutes les défenses que la plante doit mettre en place"
"Et il ne faut pas oublier que les champignons aussi ont besoin de ces défenses"
"Une cellule devient beaucoup trop chère à entretenir, la croissance est très lente, la reproduction, rare, donc... On a une forêt qui prend du temps à pousser !"
Je réponds avec, semble-t'il une expression assez effrayante pour Sabine, ou alors, c'est ce qu'elle voit la ville devenir. Elle est au milieu des cadavres, avec sa tante qui parle avec une étrangère tout aussi enthousiaste de biologie cellulaire. Je peux comprendre !
"C'est pire que ça ! Parce que même une fois que la forêt a poussé, il faut que les plantes continuent à trouver les nutriments et l'énergie !"
"Normalement, pour les nutriments, une forêt recycle ce qui tombe au sol"
"Ici, c'est chargé de polluants, il faut des champignons capables de s'étendre sur ces feuilles, et éventuellement, une faune du sol qui peut y survivre, qui aura donc du mal à se reproduire et à grandir"
"Ouah, ça va prendre trois plombes"
"... Trop longtemps pour nourrir les plantes..."
"La litière forestière s'accumule, si on apporte toujours assez de nutriments, on devrait arriver à un équilibre !"
"Il faut aussi compter sur la pluie, le vent, les exportations par les animaux, et même, par exemple, de potentielles tempêtes de poussières"
Sabine tente de suivre, et est complètement perdue. C'est quoi que ces histoires de tempêtes de poussières ? Bon, il y aura deux ou trois détails sur le futur à discuter sur le retour.
Lucrèce est emportée par la frénésie ! Elle commence à vraiment à être bonne en biologie cellulaire, à avoir une très bonne compréhension de ce que l'on peut faire avec du génie génétique, c'est une biohackeure, une vraie de vraie , c'est beau à voir
"Il faudrait protéger la forêt de tout ça en permanence pour réussir à accumuler en tout temps assez de matière organique en décomposition"
"Oui, c'est possible sous des serres, et j'imagine aussi que toutes les expériences ont été menées sous serre"
"Est-ce qu'ils ont même testé les écosystèmes entiers, ou juste les plantes une à une ?"
"Bonne question. En tout cas, la forêt n'est absolument pas autonome, il leur faudra une armée de jardiniers pour transformer les débris en engrais, sinon, la forêt est en déficit de nutriments. Je pense que Blaise va pas aimer quand il va se rendre compte qu'il devra maintenir la forêt à bout de bras"
"Après, il prévoit peut-être ça comme plan temporaire, une bioremédiation avant de planter la réelle forêt"
"Dans ce cas, tu enverrais des plantes qui poussent vite, pas les arbres pour faire une forêt primaire... Non, je pense pour le coup qu'il est vraiment déconnecté de la réalité. Et tu connais le pire ?"
"Personne ne peut y manger ce qui pousse ?"
"Oui, il y a ça, mais surtout : c'est le même plan pour Cramoisie !"
"C'est vrai... Le désert encore plus pollué qu'ici !"
"Transformer ce désert en jardin... Il faudra qu'iels trouvent des nutriments en permanence, ou recyclent les débris dans de grandes usines"
"C'est..."
"A la fois absurde et fascinant"
"Tellement un putain de connard de bourge ! J'ai envie de le défoncer, mais d'une force !"

Je prends tous les échantillons possibles. Là encore, les biohackers vont s'amuser. Tout ce qu'il faut pour faire une forêt, et un sous-bois - et pas forcément la maintenir - version résistante à la pollution. On en a pour des années de rétro-ingénierie, l'on pourrait même gagner quelques années d'avancée en terme de phytoremédiation, qui permettront, notamment, d'aider à la dépollution des zones les plus polluées, et de faire pousser des forêts réellement autonomes sur ce territoire un jour. Le plus gros problème qui nous attends en réalité, c'est la reconstruction d'un sol. Parce qu'un sol, ce n'est pas seulement de la terre. C'est un milieu abritant terre, pierres, eau, huile, gaz, et un écosystème entier. C'est un monde entier à reconstituer, et, c'est assez exaltant. Et non seulement le reconstituer, mais lui laisser la place et le temps de s'organiser, de s'auto-entretenir, sans que le vent n'aille le pulvériser dans l'air. Carnavale a tellement déséquilibré les écosystèmes de la région qu'ils ont depuis longtemps passé des points de bascule : si on ne les entretient plus, ils se désertifient. Et ce n'est pas le plan miraculeux de Dalyoha qui va rééquilibrer la balance. Il faudra donc reconstruire entièrement l'équilibre. Et pourquoi je me passionne autant pour la reconstruction écologique ? Quel niveau de destruction il faut pour que je me sente à ce point exaltée ? Je prospère donc sur la mort et le malheur ? Sale démone ! Et pourtant ! S'il y a un moment où l'on peut plus que jamais comprendre comment fonctionne un écosystème, c'est maintenant. Le jour ou il faut en reconstruire un de zéro, et s'assurer qu'il saura se maintenir et s'adapter.
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Peut-être pouvons-nous encore croire en cette forêt noire ?

L'on reprends la route dans ces rues encore plus habitées qu'on ne le croit. Des millénaristes sont encore en train de prêcher la fin du monde, et des agents municipaux prévoyants en train de faire la liste des réparations à faire. Des bandits veulent arrêter le camion, mais il n'y aura pas de combat épique cette fois-ci, je suis allé au plus simple : j'accélère ! Iels n'ont jamais pu viser correctement, le camion s'est pris quelques balles aléatoires, pas plus, on réparera quand on sera au hangar. L'on roule à toute vitesse sur une autoroute où encore quelques autres véhicules circulent. Et, Sabine est un peu paniquée. Et je ne sais pas quoi faire. Lucrèce non plus. Franchement, son état est complètement légitime.

"Promis, on te laisse pas seule" dit Lucrèce
Mais je pense que le fait de n'avoir comme seuls soutiens qu'une tante biohackeure sataniste qui parle de biologie au milieu des cadavres, et sa démone cendregivre, joue pas mal dans son état. Elle arrive dans un monde très différents de celui qu'elle a connu. Et, je n'en doute pas, au vu de la décision radicale qu'elle vient de prendre, elle saura non seulement s'adapter, mais apprécier ce nouveau monde, et en faire partie intégrante, mais ça prendra du temps. Ici aussi, des graines sont larguées, on les voit tomber sur le camion.

L'on arrive enfin près de notre destination. Le camion atteint le grand lac de boues rouges d'une usine sidérurgique proche. Quand on tourne la tête à gauche, on le voit : les lueurs de l'entrelacs de bidonvilles descendants dans les profondeurs de la ville, l'entrée vers les bas-fonds. Là, l'on y a oublié les lépreux, les parias, et... Les fols. L'on raconterait que l'année dernière, une Obéron y aurait été jetée, sacrifiée au déclassement au nom d'une famille saine. Ce lieu est encore vivant, et en réalité, grouillant de vie. Les mouvements de gens en contrebas paraissent presque... Normaux ! Ici, l'apocalypse ambiant n'est qu'une nouvelle comme une autre. L'information prend du temps à circuler, les échos du reste de la ville paraissent lointains. L'on sort, lentement, toutes les trois, du camion. Il pleut à peine, quelques gouttes. Si c'est de l'eau, pas garanti ici. L'on sort l'autre combinaison, quelques caisse de nourriture, et des médicaments. L'on commence à longer la piste d'accès au réservoir chimique, pour trouver une descente vers les bas-fonds. Il y a un escalier qui semble très peu utilisé. Nous le prenons, lampe-torches à la main, nous descendons lentement vers les lueurs. Des graines parsème les grilles de métal. La zone a également bien été arrosée. J'en récupère ici également. Savoir ce qui a été largué dans un trou pareil serait intéressant. L'on arrive aux premières maisons. A Lucrèce de nous guider désormais. Cet endroit lui est familier. Beaucoup de gens sont encore debout en cette nuit. Quelques personnes sont en train de discuter près d'un feu de camp. Cinq personnes passant nous font un léger "salut" de la main. Nous tournons à droite face à ce qui semble être les restes d'un effondrement. Quelques maisons ont été reconstruites en contrebas. Ça date d'il y a deux ans, nous explique brièvement Lucrèce. Nous passons dans un des grands tunnels souterrains qui a été creusé par les gens du coin au fil des besoins, puis un autre, pour arriver à un puits. Un étroit escalier descend vers le bas, les profondeurs de la ville. Et au centre, le monte-charge. Une vingtaine de personnes attendent son arrivée avec nous. Enfants, ouvriers, jeunes, familles... Un peu comme pour tout transport public. Autour de nous, des magasins, tout ce qu'il faut pour la surface. Du sandwich à la crème solaire en passant par les masques, médicaments, habits, chapeaux, chaussures, téléphones, cartes... Un écriteau dit à la sortie du puits : "ne regardez pas le Soleil dans les yeux. Vous pouvez finir aveugle en quelques secondes, ce n'est pas une blague, si le Soleil vous fait face, baissez le regard". Le monte-charge monte lentement : il est chargé, notamment de biens manufacturés. Vêtements, blocs de pierre, feux d'artifices. Plusieurs équipes s'affairent à décharger les affaires sur une plateforme. Les rails au sol du tunnel sont cassés en un point, pas encore réparés, la station de chargement n'est pas opérationnelle, il faut tout transporter à la main. "Crois-moi que ces rails vont être vites réparés" dit Lucrèce... "Mais ils sont cassés la moitié du temps, ça énerve tout le monde". Une fois la dernière caisse de feux d'artifice déposés, sans faire exploser tout le puits, une partie des équipes retournent sur le monte-charge, ainsi que les gens qui attendent. Et l'on est parties pour une descente de plusieurs dizaines de mètres, dans un environnement chargé de gaz, mais assez frais, isolé de l'extérieur. L'on sort avec quelques personnes, d'autres continuent encore plus bas. Ici, certaines personnes n'ont tellement pas vu le Soleil qu'elles sont complètement pâle. Des enfants n'ont d'ailleurs aucune idée d'à quoi il ressemble, et n'ont pas plus envie que ça d'aller voir. Des gens ici manquent de vitamine D au point de voir leurs os déformés, ils ne peuvent pas bouger, c'est la communauté qui s'occupe d'elleux. Nous faisons un court arrêt au centre communautaire pour déposer nos cagettes d'aliments et de médicaments. La personnes qui nous accueille nous remercie, et demande des nouvelles de la surface. C'est moi qui réponds :

"C'est l'apocalypse à Carnavale, la ville est sous les gaz (bon, ça, il avait constaté, ça a éclaté de partout et aussi inondé les bas-fonds), les grandes familles veulent détruire la ville, Bourg-Léon a été bombardé, Blaise Dalyoha fait lancer des graines pour transformer la ville en une forêt, ce qui signifie aussi que jardinier va devenir un poste qui recrute sous pas longtemps"
"Ils ont encore remis ça... Merci pour tout ! Ça aide toujours d'avoir de quoi faire vivre un jour de plus à quelques personnes"
Lucrèce demande des nouvelles de son ami, Amand. Elle apprends qu'il est malade. Il ne survivra pas longtemps ici.
"Merci"

Ici, l'espace pour vivre se mine, ce qui est aussi dur et dangereux que n'importe quel travail minier

Lucrèce, inquiétée, nous guide à travers des tunnels étroits, avec des entrées sur les côtés, souvent des rideaux qu'on a fabriqué avec que ce qu'on trouvait. L'on finit par déboucher sur une toute petite place éclairée, quelques personnes se détendent à une table, et au milieu, des cartes éparpillées montre que l'on y a joué il n'y a pas longtemps. Elle nous mène près d'une porte de l'autre coté de la place. Passant un rideau qui nous mène vers une petite pièce à coucher. Amand est en train de dormir, extrêmement fiévreux, délirant, un pot de chambre est posé à côté - il n'a plus la force de se rendre aux latrines - il déborde et il y a des mouches dans toute la pièce. Il est aussi déshydraté, il n'a pas de quoi manger, il n'est pas vraiment conscient de lui-même. Une grippe, toute simple, mais sans accès aux soins. Si on le laisse, il meure dans quelques jours. Pour le moment, il peut encore être soigné, donc on lui passe péniblement la combinaison, et, Lucrèce et moi, on le prends bras-dessus, bras-dessous, devant le regard silencieux de Sabine. L'on repart, lentement, silencieusement, Amand entre les bras. Les gens du coin nous laissent passer avec un infini respect : c'est pas souvent qu'une personne mourante à la chance de recevoir de l'aide, sincère, de personnes qui veulent leur bien. Pour certain-es, c'est le rêve de toute une vie : ne pas être seul-e en mourant. Tout le monde est très silencieux. Seul un "au-revoir Amand" rompt le silence quand on passe près du centre communautaire. Dans le monte-charge, tout le monde se tait. Et quand on sort, une lumière nous arrose. On lève la tête au ciel, pensant voir une nouvelle nuée de missiles balistiques, et nous avons la grande surprise de voir... La Lune. Je crois que je n'ai jamais été aussi contente de la voir depuis l'époque où l'on passait six mois sous la tempête hivernale et la nuit polaire.

Devant l'escalier, la fatigue se fait sentir. L'escalier est exigu, et on y passe nos dernières forces. Quand on arrive près du camion, je suis épuisée. L'on dépose Amand à l'arrière. Sabine prends l'autre place. Sur le téléphone crypté, alors que je commence à écrire le message "Nous ramenons une nouvelle personne, ami de Lucrèce, lourdement grippé, a besoin de soins rapidement, ne pas enlever sa combinaison avant isolement", je m'arrête : il s'est passé des choses. Quelqu'un est mort je crois. Ukie. Comment ? Il était chouette. J'entends un "désolée" étouffé au loin. Je crois que je n'ai aucune idée de mon état. Mais je crois que les pleurs sont les miens. Sa expliquerait l'humidité sur mon visage.


3. La forêt

Si vous cherchez à quoi ressemble un démon mongol d'ailleurs... Voilà ! Il existe même des démons dansants !

Pourquoi tu t'expose à ce point pour des humain-es ?

Si tu avais pris forme humaine, tu le saurais

Regarde cette ville, elle est à feu et à sang, par leur faute, et tu vient encore nettoyer derrière ?

C'est mes ami-es. C'est ma vie. C'est la société dans laquelle je vis. C'est grâce à elleux que je suis encore là

Tu sais que tu es en train de devenir folle ?

Je n'en doute pas une seule seconde ! Et je connais des gens qui aiment ça

Iels sont pas très sain-es non plus

Personne ne l'est. Surtout pas les marginauxes


Ici, ça a pris une nuit pour faire chuter, plus ou moins, l'une des plus grandes villes du monde. Partout ailleurs, c'est une nuit normale

"Checheyigen ! Checheyigen ! Tu m'entends ?"

Sous la lumière conjointe de la Lune et de la lampe de plafond, le visage de Lucrèce fait son jeu de lumière, mimant l'inquiétude en ombres chinoises.. Le visage de Lucrèce, inquiet, les mains posées sur mes épaules pour me remuer un peu. Il ne s'est pas passé deux minutes, mais j'ai l'impression qu'il pourrait s'être passé des heures, ou même qu'on pourrait avoir été téléportées à une autre époque. Mais le paysage est toujours le même. Quelque chose aurait dû se terminer à ce moment-là, mais je suis toujours là. Et Ukie toujours mort, les discussions sur le téléphone crypté continuent, entre la sidération, l'appel à continuer, les communications sur le rapatriement du corps.

Lucrèce prends le volant :
"Terminé, on rentre"
Et moi, je réponds :
"Le gaz n'est pas mortel, il reste une place, qui est la prochaine personne ?"
Lucrèce remue légèrement la tête, choquée d'entendre ça dans de telles circonstances
"Tu viens littéralement de craquer parce que quelqu'un est mort pour ramener des gens. On sait ce qu'il se passe ici, on a des graines, de bonnes informations, on a fait ce qu'on avait à faire, on rentre"
"On était aussi venues sauver les tiens, est-ce que tu souhaites continuer ?"
"Oui, mais..."
"Décidons à trois. Allons-nous chercher une personne de plus ?"
Le silence tombe dans la cabine.
Sabine un peu terrifiée, lève la main et dit "oui, je vote oui"
Lucrèce réponds
"Oui, bien sûr, je veux, mais..."
Je l’interrompt
"Je vote oui"
Lucrèce est toute silencieuse maintenant
"Là, tu me fais peur"
"Au besoin, j'y vais seule"
"Mais... Non, non ! Surtout pas !"
"J'ai pris ma décision, pas d'inquiétude, je sais ce que je fais"
Au bout d'une petite minute, Lucrèce murmure un :
"Merci à toi"
Lucrèce se force à reprendre ses esprits, elle pose la carte et cherche rapidement.
"Une personne qui m'a sauvé plus d'une fois. L'une des personnes les plus déterminées que je connaisse quand il s'agit de survivre"
Elle cherche frénétiquement, mais ne trouve pas, mais soudainement, quelque chose la frappe.
"Mais, qu'est-ce que je cherche sur la carte moi. C'est dans des souterrains non répertoriés. Attends que je trouve un point de repère..."
"Là !"
"Attends, mais c'est le marché des Épices ?" Marché qui ne vends pas que des épices dans les faits, il tire son nom d'une très ancienne époque où les épices étaient importées du Nazum et d'Afarée, et où ce marché concentrait les produits importés, dont les épices"
"Oui, exactement"
"C'est un quartier riche, et étroitement surveillé"
"C'est pour ça qu'aucun bus n'y est allé, tu es prête à faire ça ? Tu es sûre"
"Oui, aucun problème"
"Prend le volant, je prends le fusil"

Nous nous rapprochons des quartiers historiques de la ville. La foule est largement présente et ralentit notre progression. Un marché de nuit étale ses cuisines de rue, au cas où l'on souhaiterait encore quelques patates grillées ou une brochette de rat pour passer l'apocalypse avec le ventre plein, et ses étals de contrefaçon au cas-où l'on souhaiterait acheter un sac Paluma avant la fin du monde. Une bagarre éclate dans un coin de la rue, et ce qui semble être deux factions s'organisent pour se défendre des autres mutuellement. Un hélicoptère passe au-dessus de nous, et ne semble pas avoir distingué notre camion de n'importe quel autre camion qui viendrait livrer le marché, heureusement. Plusieurs personnes semblent s'interroger sur les graines tombées du ciel. Quelqu'un tape à la portière du camion.
"Eh, le niakoué ! Tu te planque dans ton camtar ? Vient donc qu'on parle !"
La bagarre a en effet tourné à l'émeute raciale, et c'est en effet des Nazuméen-nes qui sont visé-es (et les Shuh-es de l'Enclave volcanique ressemblent un peu, ce n'est pas le genre de nuance que font des racistes eurysiens).
L'homme qui attends à la portière est fortement musclé, il est là pour me tuer. Ceci dit, si on accélère, on risque d'écraser des gens. Lucrèce compte sortir du camion, fusil à la main, je l'en retiens
"Imagine, avec le fusil que tu portes, qu'il nous prenne pour, à tout hasard, les membres d'une Triade hohhohtaïenne, et qu'il en avertisse un gang du coin, ou alors, la police"
Lucrèce se ravise, mais l'homme envoie un gros coup de poing sur la vitre. Il est un peu en contrebas, il n'a pas réussi à briser la vitre, il s'est fait très mal à la main, c'est maintenant que j'ouvre la portière brusquement sur l'homme pour le faire tomber à la renverse. Je descend dans la rue au milieu des bagarres. L'homme s'écrie, à terre :
"La ville sera nettoyé des démons impies qui viennent ici fouler notre sol, Dieu m'en soit témoin !"
Il tente de se relever, je le projette à terre. Lucrèce est venue me rejoindre, poing serré, prête à en découdre. Elle l'approche, prête à le tabasser, il réponds
"Une telle agressivité ne sied pas à une belle femme comme toi... Tu ne vas pas faire de mal à un homme patriote qui souhaite protéger son pays ! On pourrait si bien s'entendre..."
Lucrèce n'accepte pas ces sous-entendus lubriques, et commence à prendre la tête de l'homme à deux mains pour la cogner contre l'asphalte, je réagis en prenant l'épaule de Lucrèce
"Tu vas le tuer !"
Lucrèce bloque un peu. L'homme est maintenant tremblant, la terreur gravée sur tout son corps. Lucrèce est toujours autant en colère, mais elle est figée, la tête de l'homme entre ses mains. Elle réalise qu'en effet, là, elle peut le tuer. Et je me rends compte qu'elle pourrait bien prendre la décision de le faire. Et je lui laisse ce choix. Elle relâche la tête finalement :
"Tu mérite pas l'enfer, tu as intérêt à dégager maintenant !"
Autour de nous, les émeutes commencent à se désorganiser. L'un des affrontements a endommagé la cuisinière d'un stand de nourriture, provoquant un incendie qui est en train de se répandre. Les tenancier-es se réunissent avec leurs extincteurs pour éteindre le feu, pendant que la foule commence à se disperser et que l'on rentre en urgence dans le camion. On profite de la dispersion de la foule pour reprendre notre route, Sabine est complètement silencieuse.

Il n'y a pas besoin d'une apocalypse pour que tout s'effondre, le manque de maintenance a aisément fait autant de dégâts que l'OND

L'on ne va pas directement au marché aux Épices. La police quadrille bien trop la zone. A la place, et à l'étonnement de Lucrèce, je fais un détour pour aller rencontrer une bande de "Shuh-es des villes", la communauté shuhe qui s'est organisée à Carnavale même. Nous sommes désormais dans un quartier voisin du marché, aussi un quartier historique, mais en ruines. Ici habitent les employés des familles riches alentour. Plusieurs bureaux locaux de détectives sont également présents, sur le terrain, enquêter sur les domestiques ou les ouvriers de telle ou telle famille, ou fournir des briseurs de grève au besoin. L'endroit est beaucoup plus calme, et parsemé de graines. Je tourne dans une ruelle pour m'arrêter près d'une arrière-cour. Je regarde autour de moi, arc à la main. L'endroit est très silencieux, à part le vrombissement lointain d'un hélicoptère. Je sonne à la porte ornée de riches décorations de la Renaissance. Pas de réponse. Quelqu'un n'était probablement pas très présent en cette heure. Je sonne à nouveau. Quelques secondes passe, et quelqu'un décroche.
"Bonjour, à qui ais-je l'honneur ?"
"Checheyigen du clan Hüryiee, vous"
"Takhulan aon Seihe"
Je continue dans la langue véhiculaire shuharrie
"J'arrive de l'Enclave verte, nous sommes venu-es pour rendre visite à une amie"
"Je vous prie de bien vouloir vous armer de patience, le temps que je puisse communiquer avec un membre de l'Enclave verte"

Tout le protocole que l'on utilise pour parler à des Shuh-es des villes sert à éviter que quelqu'un n'aille infiltrer des communautés shuhes en se faisant passer pour l'un-e des nôtres, on fournit donc des codes, renseignements vérifiables et schibboleths pour que la personne puisse confirmer rapidement qu'on est bien qui on prétend être. C'est assez efficace car les Carnavalais-es ne parlent en général ni Tamasheq, ni Cantonnais, ni Shuharri, et en maîtrisent encore moins le vocabulaire et la façon de parler des communautés shuhes locales, il faudrait des personnes entrainées pour ça, et là encore, la personne qui accueille va vérifier si elle est connue des autres groupes (ou du leur), et que la personne en question est bien sensée être là. C'est devenu au fil du temps un langage propre aux communautés shuharres citadines de Carnavale.

Sabine m'a rejoint à côté de la porte, interrogative.
"Vous avez des sociétés secrètes, et tout ?"
"Des communautés organisées, oui, des gens qui s'installent dans la ville pour apprendre à la connaître sans y mourir dans les premières semaines, on se soutient, on se fournit argent, nourriture, logement, soins, eau, éducation, bref, tu vois"
"Vous êtes beaucoup ?"
"Je ne sais pas. On est peut-être quelques centaines à venir de Shuharri, mais il y a aussi des gens d'ici qui nous rejoignent"
Lucrèce est sortie du camion, après avoir envoyé un message crypté. Takhulan réponds :

"Checheyigen, êtes-vous là ?"
"Oui, je suis là"
"Êtes-vous seule ?"
"Non, je suis accompagnée de Lucrèce Hannequin, et de sa nièce, Sabine Hannequin"
"Je vous remercie de cette réponse. Je m'en vais croiser les renseignement le temps de deux minutes, je vous reviens"

Une détonation se fait entendre au loin. Quelqu'un a tiré un coup de feu. Un seul, c'est tout. Le gaz fertilisant danse sous les quelques lumières ici présentes.

L'interphone ne grésille pas à nouveau, cette fois, c'est la porte qui s'ouvre
"Je vous souhaites la bienvenue, puissions-nous passer l'hiver ensemble"
"Il serait un honneur"
"Veuillez me suivre !"
Il nous fait traverser l'arrière-cour pour ouvrir une porte de l'autre côté, révélant une cage d'escalier striée de fissures bouchées, mais pas repeintes, ce qui donne des stries noire sur le vert olive de la pierre polie peinte. Il nous emmène vers un ancien appartement de bourgeois des années 1920 ap. J-C, qui a été autrement plus opulent en une autre époque. Il nous fait assoir sur un canapé, lui, sur un fauteuil en face, avant d'aller au point :
"Quel est donc l'objet de votre visite"
"Ça concerne l'amie de Lucrèce ici présente, si vous voulez bien échanger en Français"
"Oui, bien sûr"
"Donc, Lucrèce, vous recherchez une amie ?"
"Éléonore Bellegarde"
"Un nom très ancien que celui-ci. Une vielle famille évincée par les Castelage voilà plus d'un siècle, pour la plupart des gens ici, ce n'est plus qu'un nom parmi des milliers d'autres dans la ville, mais il y a quelques revanchards dans les rangs, qui savent s'unir, la plupart sont occupé-es à survivre. Et puis, quelques-un se sont attelé à refaire vivre leur héritage... Autrement"
"Normalement, elle est dans le coin. Elle a commencé à cultiver des champignons, dans mes souvenirs"
"Oh, je pense savoir de qui vous parlez : Lucie la Phosphorescente, oui, sa champignonnière est toujours là ! Elle l'a largement perfectionné depuis"
"On peut la voir ?"
"L'accès est dangereux"
Là, c'est moi qui répond
"C'est pourquoi on fait appel à vous ! Pensez-vous qu'il existe un passage un peu plus sûr que la grande porte ?"
"Oui. Elle est installée avec d'autres expérimentateurices sous le marché des Épices, dans ce qui était un ancien marché parallèle où se vendait la contrebande. Normalement, l'on y accédait par le canal, mais il existait d'autres sorties menant vers un complexe réseau de galerie au cas où les forces de l'ordre venaient à intervenir. Je vais appeler une personne qui les connaît bien, elle vous guidera"
"Je vous en remercie"

La personne désignée est Uygun. Il a l'habitude de délivrer des lettres et des colis à travers la ville. Il nous invite à le suivre, et il nous mène dans l'arrière-cour, puis près de notre camion
"Bon endroit où le mettre, il ne devrait pas être vu tant qu'on est à l'extérieur" dit-il, d'une voix très basse.
Ensuite, il longe la ruelle, part en oblique en traversant un bâtiment écroulé, regarde la rue à gauche, à droite, et nous invite d'un hochement de tête à la traverser avec lui. Pendant ce temps, les policiers dans le quartier voisin sont visiblement en train de combattre
"En ce moment, beaucoup de gens peuvent en vouloir à la police, iels ont tendance à tirer à vue, c'est pourquoi la stratégie là, c'est qu'on ne voie même pas nos ombres, on contourne par l'ancienne galerie d'art"
Il passe par d'autres ruelles, monte une échelle et parcoure un pâté de maisons par les toits, en-dessous de nous, des gardes sont en train de compter les salaires en cash
"Ça reste une zone d'activité criminelle, ce quartier est parfait pour importer du trafic, pareil, on ne préfère pas se faire voir"
Il descend par un balcon et l'on descend par l'escalier d'un immeuble abandonné. Au premier étage, se trouve, une ancienne galerie d'art, murs blancs défraichis, parquet depuis longtemps retiré, certaines œuvres d'art, datées et probablement pas très cotées déjà à l'époque, sont toujours présentes, des sculptures de style art nouveau, des peintures cubistes, des pièces de gramophone. L'on arrive à un pâté de maison du canal, mais à l'Ouest de notre destination. Il nous emmène dans un vieux pub de dockers, et descends dans la cave, où il déplace un tonneau et ouvre une trappe. Nous passons alors par un étroit tunnel de pierre, donnant sur un segment d'évacuation d'eau de tempête, il le longe quelques dizaines de mètres, puis s'engouffre dans un autre tunnel, pour remonter une échelle, et arriver, dans un placard. Il ouvre la porte, et l'on voit la grande arche de pierre de l'ancien marché de contrebande. La pièce est toujours en très bon état et a visiblement été entretenue. Dans la pièce, se trouve quelques œuvres d'art beaucoup plus récente, y compris une bibliothèque remplie de manuscrits, et quelques bureaux équipés d'ordinateurs reliés à une batterie.

Sous la ville, les cercles des égouts réservent déjà des surprises, je vous laisse imaginer toute la partie "non répertoriée"

"Nous faisons... De l'éducation populaire ici... Au piratage"
Il montre un groupe de shuh-es assis-es à une table en train de faire un jeu de rôle
Il nous emmène vers une porte sur l'un des murs, et frappe.
"Qui est-ce ?"
"Uygun, quelqu'un est venu vous chercher"
Elle prends bien cinq minutes où personne n'ose rien dire, mais elle finit par ouvrir la porte., qui ouvre sur une vielle cave à vin faiblement illuminé. Son visage est parcouru de lignes phosphorescente
"Pardon ?"
Elle comprend vite quand elle voit Lucrèce.
"Tu es toujours là toi ? Ça fait plaisir !"
"Toujours, je ne meure pas facilement. Ici, ma nièce Sabine" En retour, Sabine fait un coucou de la main
Lucrèce continue
"Ici, ma... Mon amie, Checheyigen"
"Venez, entrez donc"
L'intérieur de la cave comporte de quoi dormir, et des bacs de terre où pousse une forêt de champignons, certains phosphorescents. Elle a également fait pousser des lichens sur le mur, et même quelques champignons de souche sur une buche.
"A Carnavale, la flore fongique est fascinante. Elle s'est adaptée à tellement de conditions différentes que la plupart des espèces ici sont endémiques... Oh, et, je vous sers à boire"
Lucrèce prends une inspiration, et se lance :
"On est venues te chercher, si tu le souhaites, nous t'emmenons à l'Enclave verte"
"L'Enclave verte ? Te connaissant, c'est une secte satanique"
"Non, c'est les Shuhs des campagnes, on s'est installé dans les collines, on est à l'écart de la ville"
"Je pensais passer l'apocalypse avec mes champignons"
"Parce que tu ne pensais pas en réchapper. Maintenant, tu as une chance, vient"
Des coups de feu se font entendre de l'autre côté de la porte
"Des millénaristes sont là pour sauver nos âmes, nous devons fuir maintenant" souffle Uygun
Éléonore tranche dans le tas
"Allons-y"


4. On met les bouts
Nous avons fait ce que nous avons pu, écoutons de la musique pendant que se joue la fin

L'on entends également les coups de feux de la police en haut. Les millénaristes attaquent vraiment en nombre, et souhaitent être tué-es pour avoir les meilleures chances d'atteindre le paradis. Uygun entrebâille la porte, jette un œil, répond :
"C'est bon, nos adelphes nous couvrent. Nous pouvons y aller"
Nous traversons la pièce pendant que les Shuh-es tirent pour passer vers la porte dérobée, et parcourent le tunnel en sens inverse, replace le tonneau, et passe dans le pub. Maintenant, il faut traverser la rue, pour atteindre la galerie d'art. Mais des millénaristes sont en train de passer. Une équipe armée, pas professionnelle, mais une bonne milice, prête à attaquer les pauvres âme en quête de salvation. L'un d'entre eux a l'idée de vérifier le pub. Il arrive, fusil à pompe à la main. Nous retournons dans la cave, l'on se cache derrière un stock bouteilles de vodka, et j'ai une idée : je me terre plus loin, derrière un tonneau, dans une zone d'ombre, Uygun encore plus loin, vers le fond. Quand l'homme arrive, il communique sa position, annonce être dans la cave, il vérifie rapidement les rangées de tonneaux, ne s'attendant pas nécessairement à trouver quelqu'un dans un pub abandonné, il est consciencieux, mais pas à ce point. Je me dis qu'il va se retourner, et qu'on sera tranquille, et... Non, il est intrigué par la pile de vodka. J'imagine à peine à quel point les trois personnes qui se terrent derrière doivent être paniquées. Uygun pointe son fusil, je lui fais signe de ne pas faire un bruit. Alors qu'il commence à prudemment contourner la pile, je le vise de mon arc, je bande. Il m'a visiblement vu, il se retourne brusquement, j'ai déjà décoché, il s'effondre, la flèche s'est planté dans le cou. C'est moche à voir. Des cris viennent de Sabine, complètement paniquée. C'est Lucrèce qui la prends avec elle. L'on ressort dans le pub. Les millénaristes attendent que leur collègue sorte. L'un d'entre eux parle dans un talkie-walkie.
Uygun dit :
"Lucrèce, tu traverse, je te couvre, après, on couvre le reste des filles, puis tu me couvre, Checheyigen, tu guide les autres, on est bons ?"
"Oui"
Uygun s'approche du mur du pub, et tire à travers une lucarne, fauchant trois millénaristes, Lucrèce profite de la désorientation pour traverser la rue. Quand Lucrèce est en position, je donne le go, l'on sort en groupe alors que Lucrèce tire tire à son tour, elle abat une personne, Uygun la relaie. Cela n'empêche pas qu’Éléonore se prenne une balle. Quelqu'un l'a pris dans son viseur. Je lui décoche une flèche, la personne s'effondre. Désormais, je suis prise pour cible, je me met à couvert avec Lucrèce, qui vide un nouveau chargeur. Éléonore est toujours à terre, pas de choix, il va falloir combattre, ou alors... Je tire une flèche dans le lampadaire qui éclairait la rue, Lucrèce comprends, et tire une balle dans deux lampadaires adjacents. La couverture est plus efficace, je viens récupérer Éléonore, que je traine. Uygun finit par faire la traversée et la première chose qu'il demande est "Lucie peut-elle marcher ?"
"A inspecter"
"Entrons dans la galerie d'abord"
Il ouvre la porte, et m'aide à porter la blessée derrière un mur d'exposition. Uygun sort sa trousse médicale, et lui extrait la balle de son bras pour la bander.
"C'est la douleur qui l'a immobilisé, je lui injecte de la morphine. Pas l'idéal dans la plupart des cas, mais là, il faut qu'elle marche". Pendent ce temps, Lucrèce échange des tirs avec les millénaristes restant-es. Et finalement, le calme revient : ils sont toustes mort-es. Logique, iels étaient aussi venu-es pour se suicider. L'on reprend notre marche. Quand on passe l'immeuble des bandit, iels sont en train de déplacer des cadavres au milieu de chèques carnavalais éparpillés dans toute la cour. Il y a eu un gros affrontement par ici.

Dans la ruelle, l'odeur de poudre et de sang se fait sentir. Des millénaristes sont mort-es ici. L'immeuble et le camion ont été défendus.
Merci.
Amand est toujours là, à peine mouvant.
Uygun fait un signe du poing typique du Sud de l'Enclave volcanique, que Thuranni, Arpenteureuses des glaces, Ozbegs et bien d'autres comprennent. On reste ensemble, on ne se sépare pas. Puis, il dit.
"Bonne chance à l'Enclave verte. Carnavale n'est pas morte, on se revoit bientôt"

Je manœuvre lentement pour sortir le camion de la ruelle. Eléonore est en train de regarder frénétiquement son corps de partout, des fois qu'il n'y aurait pas de blessures. Elle est en train de réaliser à quel point elle est passée proche de la mort, elle tremble de partout.

La mort des millions de gens qui composaient cette ville n'a pas eu lieu, mais la ville en a beaucoup souffert. Les bâtiments effondrés sont fréquents, les traces d'affrontements, de suicides, et de dysfonctions parsèment la ville. L'on passe dans une autre zone d'affaires, je pense que la bourse de Carnavale n'était pas loin. Cette fois-ci, le camion dépasse une bande de milliers de rats qui longe toute une partie de la rue, probablement cherchant un refuge après l'effondrement d'un égout. Certaines rues sont inondées par 10 ou 20 cm d'eau. Des distributions de soins, de nourriture, d'eau, d'abris sont organisé à la hâte à même la rue. Quelques personnes tentent de cuisiner les graines nouvellement envoyées. Un missile dysfonctionnel a provoqué l'effondrement d'un gratte-ciel, couvrant plusieurs rues. L'on s'arrête à un des centres communautaires qui tentent de gérer la crise avec les gens du coin, et on dépose ce qu'il nous reste de vivres et de médicaments, on se souhaite mutuellement bonne chance avec la personne qui les reçoit. Puis, nous continuons la route. L'on voit des équipes d'agent-es des services publics, former des équipes entières pour réparer des lignes électriques, des conduites de gaz, les canalisations, les égouts, le plus vite possible. Même un quartier est illuminé au loin. Iels savent que la compagnie qui les emploie ne les paieront probablement jamais. Les dernières personnes de la ville à croire aux services publics sont celles qui les tiennent à bout de bras, quitte à ce que tout se finisse là, puisse un respirateur quelque part tenir plus longtemps. Puisse de l'eau propre couler d'un robinet. Puissent les déchets être ramassés d'une rue de plus avant que des gens n'en tombent malades. Puisse même simplement quelqu'un allumer une lampe et lire quelques heures de plus. Puisse la nourriture arriver de quelque part.

Quand nous arrivons près de la casse, l'électricité a été rétablie dans le quartier, des usines prêtes à être remises en fonctionnement pour couvrir à nouveau les besoin des habitant-es. Les électricien-nes sont d'une détermination à toute épreuve, ça force l'admiration. Des bus et un autre camion sont déjà arrivés. L'on est vraiment vers la fin, l'on aura fait ce qu'on a pu. Quand je gare le camion, je fais un signe de la tête. Terminus ! Le sommeil finit par m'emporter, je pose ma tête sur le volant et...

Cette-nuit a-t'elle été une levée de voile ? L'on a toujours pas de réponse à quoi que ce soit maintenant. L'on s'est affronté pour savoir si la ville devait perdurer, si les gens devraient mourir, si l'on devait prendre soin les un-es des autres, ou même si la campagne avait un avenir, et l'on a toujours pas de réponse.

Je m'extirpe lentement de mon sommeil. Le ciel commence à s'éclaircir, le Soleil n'est pas loin de se lever. Cette fois, c'est très animé. On est facilement 100 ou 200 personnes à s'affairer autour. Un village entier à construire dans l'Enclave verte. Amand est immobile, dormant sans un son derrière moi. La fumée est plus présente que jamais, elle monte de la ville haut dans le ciel. Je commence à bouger lentement. A me redresser. Ma combinaison me pèse, et je tente de m'extraire de la cabine. J'ouvre la porte, je sors maladroitement du camion, et tombe à terre. Je suis encore engourdie par le sommeil, la fatigue, la tristesse. J'ai aussi faim et soif, une douche ne me fera pas de mal, un passage aux toilettes aussi. Mes muscles sont encore engourdis de l'effort de portage et de marche de la nuit. Et ma tête ! C'est comme si beaucoup trop de pensées s'étaient entrechoquées trop longtemps. J'ai l'impression que mes pensées tendent à partir au vent. Je n'ai pourtant pas l'air d'avoir reçu une drogue, ni un médicament. Je me relève lentement dans l'air frais, voir froid, de ce début de matin. Je pose un pied devant l'autre, je m'avance vers l'arrière du camion. J'ouvre la remorque, et j’entreprends de retirer la combinaison. Je retire mon chapeau, puis commence à enlever ma capuche, qui recouvre ma tête pour la protéger des mauvais contacts. Je reste plantée là, cinq minutes, puis je reprends. Les gants, on retire les gants. Les bottes également, pareil, on relâche les sceaux, et on fait tomber les bottes. On défait les attaches entre le haut et le bas...

"Laisse-moi donc, je te retire le haut"
C'est... Sabine ?
"Merci"
"Je sais pas ce qu'il s'est passé entre vous, mais quand j'ai osé dire à tata qu'il y avait... Un problème dans votre relation, elle l'a pas bien pris"
"On se connait depuis pas mal de temps, j'imagine qu'elle ne se voyait pas avoir une discussion avec moi sur ce qu'elle veut..."
"Eh bien... Pas vraiment... En fait, j'ai... Euh, dit que tu étais pas vraiment saine, et que tu déteignais sur elle"
"Oh, elle a peur de devenir comme moi !"
"Quoi, non ! Au contraire ! Putain, là, ça lui irait très bien. Elle est complètement fanatique ! Genre, elle te vénère. Et de ce que j'ai compris, c'est surtout depuis cette nuit. Et... Je peux pas lui en vouloir. Je pense que les risques que tu as pris pour moi et ses potes, ça l'a vraiment remué"
"C'est... Étrange. J'ai fait ce que tout le monde a fait ici. Rien d'anormal"
"Je te jure que ça l'est pas. Tu as craqué hier parce que quelqu'un est mort, et tu était encore prête à te replonger dedans pour une personne de plus. Genre, pour le coup, là, j'ai flippé, je voudrais vraiment pas t'avoir comme ennemie. En vrai, je suis désolée d'avoir dit ça de toi à Lucrèce. Cette nuit m'amène à revoir... Quelques positions, je vais devoir réfléchir à des trucs. Des gens sains, j'en connais, mais ils me jettent dehors. T'es pas saine, mais t'es là pour moi. Juste, s'il te plait, parle avec elle. Raisonne-là un peu, d'accord ?"
"Oui, promis"

Le convoi repart, plus grand que jamais. Même le tenant de la casse part avec nous, avec sa camionnette, il emporte Armand avec lui, sous antiviraux et sous perfusion, il est stabilisé. Face à l'aurore, les champs commence à apparaître, à perte de vue, comme hier. L'apocalypse n'a pas encore atteint les campagnes. C'est désormais Lucrèce qui prend le volant. Je ne suis pas loin de somnoler, mais ne trouve pas le sommeil. Donc, tant qu'à être là, je réuni ce qu'il me reste de forces, je trouve l'angle d'attaque pour évoquer le sujet :
"Tu sais, j'ai parfois vraiment fait de la merde, excuse-moi pour ça. Je sais pas toujours comment être avec toi"
"Comme tu es, c'est très bien. Je ne te demande pas d'être parfaite"
"Tu m'as sauvée de nombreuses fois, y compris cette nuit. Heureusement que tu étais là !"
"Sachant que tu aurais pu choisir de rester au village, voire dans les volcans, que tu n'aurais jamais eu besoin d'être sauvée, et que j'aurais parfaitement compris... Tous les jours je te protège !"
Elle a dit ça avec une détermination pratiquement surhumaine.
"Merci, mais ta vie te reviens, ne l'oublie pas"
"J'imagine que cette nuit ta remuée, et la discussion avec Sabine... Je vais te dire un truc... Oui, ma vie me revient. Et non, on a pas une relation saine, et non, on en aura jamais une, et je le sais, mais elle vaut le coup. Je ne cherche pas une relation saine, je veux être avec toi. Nous vivons dans les nuances de gris, tu es très bien placée pour le savoir, acceuille-les donc, petite démone !"
"On peut au moins rechercher l'équilibre"
"Aucun équilibre n'est absolu. C'est toujours des choix et des frontières qu'on essaie de tracer quelque part, en général, c'est bancal. Outre que je pourrais te retourner la remarque. Tu te rends compte de ce que tu es prête à faire pour moi ? Tu trouve ça sain ?"
"Honnêtement, je n'en sais rien"
"Exactement ! Jamais, je ne t'ai entendue décréter ce qui était bien ou mal, sain ou pas, comme si c'était une vérité éternelle et immuable. C'est un truc que je respecte énormément chez les Cendrés d'ailleurs. Bon... Il n'y a pas que les frontières nationales qu'il faudrait abolir"
"Abolissons les frontières, mais je ne te demande pas plus d'être parfaite, de vivre pour moi, ou de me satisfaire"
"Je n'en doute pas un seul instant. Tout pour ma démone, même mes défauts !"

Le convoi arrive enfin au hangar de l'Enclave verte, une file de véhicules remontent la piste de terre sèche. L'après-midi est déjà bien avancé. Lucrèce réveille Sabine et Éléonore à son tour, pendant que je gare le camion. Sabine, c'est la première fois qu'elle vient ici, et même qu'elle voit la campagne. Ça lui fait un sentiment étrange. Même pour Éléonore, elle ne s'attendais pas à ce que des gens n'aillent peupler des collines loin de Carnavale. Cette fois, c'est Éléonore et Sabine qui portent Armand. Plus de chemin à parcourir, mais avec une civière, on se répartira la charge au pire. Des dizaines et des dizaines de gens sortent des véhicules garés.

"Je te préviens qu'Armand, il est schizophrène, et parfois parano. Ça nous aurait compliqué la tâche s'il était conscient de lui, et il aurait pu refuser de venir, et on l'aurait laissé. Il ne va pas nous simplifier la vie, mais pour le connaître, ça vaut le coup"
"Hâte de faire sa connaissance"
Une grande trainée de gens qui pourraient rappeler une file de fourmis franchit désormais la dizaine de kilomètres de collines qui nous sépare de notre destination. Paysage étrange pour les nouveaux arrivés. On fait tourner le port de la civière près du robinier qui se dresse toujours au milieu de ces collines désolées. Il est difficile de maintenir tranquille autant de gens aussi déboussolés. Attendez donc de voir la forêt ! Le moment où ça arrive, lorsque l'on atteint enfin la crête et ses forêts encore jeunes, les effets sont divers. Certains continuent la marche d'autres s'arrêtent net. Certaines personnes accourent vers la forêt, en pleure, ou même, on juste du mal à traiter ça. Sabine s'est juste arrêté là, bouche bée. Quand on l'incite à continuer, elle réponds, simplement :
"C'est ça que vous appelez l'Enclave verte ?"
"Oui, c'est ça"
"Comment vous l'avez trouvé ?"
"On l'a fabriqué, dans une des zones les moins polluées du pays"
"C'est très beau, pas ce que j'imaginais"
"On a beaucoup de choses à te dire quand on arrive, énormément"
Éléonore est exaltée. Non pas seulement de voire une forêt, mais de voir aussi les gens qui l'on fait pousser.

Par ailleurs, quand j'écris ces lignes, il y a de la fumée sur le Canada en ce moment, j'ai vu un Soleil rouge hier, à Rouyn-Noranda

Quand l'on arrive à station de draisine, c'est des gens qui sont restés dans l'Enclave qui viennent nous chercher. L'on voit des gens embarquer au fil du temps sur une draisine, puis l'autre. On laisse Armand sur l'une des premières : il a besoin d'un médecin, il passe en priorité. Puis on attends. Aujourd'hui, le Soleil est rendu rouge par la pollution, de simples particules dans l'air. Il commence à se coucher. Les feuilles bruissent, et... Les oiseaux chantent ! Sabine, en entendant ça, se tourne brusquement vers la source du champs, un peu paniquée. Non, ce n'est pas un joint défectueux qui couine sur un filtre à gaz. L'oiseau qui chante est vivant. Elle est un peu en pleurs. Elle vient de passer une dure nuit, et tout ce qu'elle a maintenant est un futur incertain. Je lui souhaite réellement le meilleur avec nous.

L'imam est en train de réciter les dernières prières pour Ablã. Elle, c'était une souffleuse de verre pèlèe qui a simplement voulu aider. Elle est criblée de balles, et beaucoup de gens sont là pour lui faire ses adieux. Certains groupes ont dû combattre la nuit dernière, ce qui devait arriver arriva. Certaines personnes qui sont venues ici pour l'enterrer sont parmi les Carnavalais-es qu'ils étaient venus chercher avec le bus. Des gens qui ont survécu même à l'apocalypse de Carnavale, et qui devront se préparer dans les prochains mois à l'apocalypse des campagnes carnavalaises. Quand on voit Ukie, posé sur le bucher, à la mode shue, le corps a clairement été ouvert pour récupérer des os pour les sculpter, ce qui choque Sabine, bienvenue chez les Cendregivres ! Pour lui, l'histoire est un peu différente : il est morts de plusieurs traumas contondants et dégâts de pression : un bâtiment lui est tombé dessus, on a pas pu le sauver à temps. Une mort moins spectaculaire qui fait moins de bruit qu'un impact de balle, mais c'est une personne que j'ai aimée qui s'est éteinte dans la nuit. Il reste que sa communauté est présente, c'est une de ses amies de longue date qui tire la flèche enflammée, le bûcher prend feu.

Et ensuite, on est allé dormir.


5. Une fin, des limbes, un début

L'altération humaine du monde entier a ouvert la voie à des écosystèmes nouveaux, fonctionnant selon de nouvelles logiques. Un monde étrange, mais légitime

Comment on forge la vie ?

Ce n'est pas exactement un outil, ou une machine. La vie se forge d'elle-même, on peut à peine la guider

Équilibres et points de bascule : les faibles changements qu'on fait peuvent transformer un écosystème, et la façon dont on y vit.

Il parait que des zones sont sans vie. Comment on amène la vie avec nous ?

Qui n'a pas joué avec des tardigrades pour s'amuser ? Qui rate à ce point quelque chose ?

Ce n'est pas un esprit ou un dieu unique qui permet à un écosystème d'émerger, c'est toujours un travail collectif.

L'ère des champs Dalyoha touche à sa fin, viendra le temps des déserts poussiéreux et de l'Enclave verte.

Qui suis-je pour considérer une forêt plus légitime qu'un désert. Pourquoi on choisi de "restaurer" un écosystème plutôt que de laisser tranquille celui qui est en place ?

Parce que l'on en a le pouvoir ? C'est pas une si mauvaise raison après tout

Ou perce qu'on est trop curieuxes ? Parce que c'est pour ça que je suis là peut-être ?

Ou parce que... Peu importe. Il n'y a plus de règles en cette fin du monde. Tout est permis

Sauf que... On est toujours là. Tout ne s'est pas terminé


Quand je m'installe près du foyer, à faire chauffer ce qu'il reste de soupe de lentilles, la nuit dehors est encore noire. Sabine est là, elle tente de lire. C'est laborieux. Elle sait qu'elle va devoir apprendre, et qu'il y aura des gens ici pour l'y aider.

"Vous êtes là depuis longtemps ?"

"Presque dix ans, moi, deux seulement"

"Et vous avez installé un village en dix ans ?"

"Oui, du moins, iels l'ont fait"

"Tu sais, je reconnais rien ici. Ni ces forêts, ni ces villages, ni... Tata... Elle a tellement changé"

"La connaissant, ce qu'elle est aujourd'hui se voyait déjà à son arrivée. Tu a vu chez elles quelque chose que vous refusiez de voir auparavant"

"Tu sais quoi : oui carrément ! Genre, je me souviens d'une époque où elle a fait son coming out trans, littéralement, habillée en robe, et le lendemain, c'était comme si rien ne s'était passé, même pour moi. Il a fallu plus d'un an pour que je calque, et encore, je crois que j'ai été la plus vive de la famille. On peut vraiment être aveugles"

"Quand elle est arrivée, j'ai aussi été aveugle. J'y ai vu une carnavalaise de plus. Il a bien fallu plusieurs mois avant que je comprenne qu'elle ne voulait pas seulement mon aide aux champs une journée de plus, mais aussi que l'on prenne contact ensemble"

"Les relations, c'est compliqué"

"Exactement"

"Vous pensez qu'il va se passer quoi pour ma mère, et mon frère... Je regrette d'avoir laissé mon frère"

"Je ne sais pas. Et tu as bien fait ce que tu as pu. Je suis désolée pour toi"

"J'arrive rien à penser. Je suis sûre de rien. Je comprends pas ce que je ressens, ce que je vois, ce que je pense. Je suis paumée, mais à un point !"

"C'est normal. Moi aussi, très souvent"

"Pourquoi je suis là ? Pourquoi je suis encore là ?"

"Parce que tu as été prête à prendre une décision difficile"

"Je me sens... J'ai envie de casser mon corps, de sortir de là. Je ne me supporte plus"

"Et tu est loin d'être seule dans ces condition. C'est un sentiment que je connais trop bien"

"C'est effrayant à dire, mais, vous deux, vous êtes à peu près ce qu'il me reste"

"Il y a tout un monde ici, tu auras l'occasion de l'explorer"

Le nouveau monde sera aussi celui des petits villages paumés
Oberon est incapable de me payer ? Je n'attends plus et je la laisse tomber !



*Clic, un générique musical se lance*





*Clic, la tête de Mandeville Titania dit "Doc Ballistique" apparaît progressivement à l'écran alors qu'en arrière plan se révèle le panorama de la planète vue de l'espace et qu'une fusée passe à toute vitesse*



Doc Ballistique voit plus loin que la stratosphère


BONJOUR A TOUS ! VOUS ÊTES VOUS DEJA DIS QUE L'ON N'APPRECIAIT PAS VOS TALENTS A LEUR JUSTE VALEUR ? QUE VOUS POURRIEZ TROUVER MIEUX AILLEURS ? JE SUIS MANDEVILLE TITANIA ET JE VAIS VOUS AIDER A LE COMPRENDRE !


Carnavale, la ville noire, ses buildings, ses égoûts, ses drogues et ainsi de suite. Cela vous semble familier ? Evidemment, vous avez toujours vécu là bas. Ou peut être pas. Peut être êtes vous de ceux qui ont été attiré par son autre facette ? Car après tout, Carnavale a les meilleurs scientifiques du monde, c'est un fait.

Dalyoha et Obéron crachent chaque année des milliards afin de maintenir à flot leurs entreprises gargantuesques de recherches et leurs projets démentiels visant à envoyer le genre humain dans le futur à grand coup de progrès. Et pourtant...

Tout travail mérite salaire, mais vous mes chers homologues êtes vous payés à la hauteur de votre mérite ? Bien sur que non car après tout l'argent Carnavalais ne vaut rien en dehors de la Cité noire !

Des milliards de chèques Carnavalais qui valent à peine la vie d'un Wanmirien moyen, c'est dire le comble !

Et maintenant les Onédiens sonnent à votre porte tel un usurier réclamant son dû ? Tout ça pour faire payer à tous les "coupables" les lubies d'une Harpie qui ne cesse de s'engraisser sur le dos des plus brillants en volant leurs idées et leur génie ?

Les pots cassés, c'est vous qui allez les payés, désolé de vous le dire mais vous vous êtes fait enfler. Des milliards de Salaire ? Rien que des tonnes d'air. Carnavale s'effondre et votre rêve de gloire et de fortune avec, tout droit vers le cinquième cercle des égouts.

A moins que... Vous preniez une décision qui changera votre vie.

Si votre génie n'est pas apprécié à sa juste valeur, pourquoi donc le gâcher à se faire payer en prunes en continuant à bosser pour Pervanche la brigande ? Prenez vous en main et dites NON à l'exploitation ! Et OUI à la rémunération !

Les Onédiens veulent vous réclamer des comptes ? Vous envoyer derrière les barreaux ? Ou voler à leur tour vos idées ? Dites NON à la culpabilité ! Dites OUI à la flexibilité !

Un peu de changement d'air vous fera du bien, de même que de nouveaux projets grassement payés ! Les chaînes de montagnes des plateaux de Mirine n'attendent que vous et votre intellect, elles vous offriront un air vivifiant très agréable à la sortie de l'hiver, et un poste au chaud dans la société de Fuséologie Titania où cette fois vous serez payé en monnaie sonnante et trébuchante avec une VRAIE valeur !

N'attendez plus, car ceux qui viennent vous chercher ne vont pas se gêner eux ! A esprit vif et jambes en forme point de barreaux comme on dit.

L'OND me bombarde ? Je n'attends plus je file fissa à Mirinegarde !
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Le Petit Continent
Revue de géopolitique en ligne - rédaction basée à Ny-Norja, Tanska.



FAIRE LA GUERRE JUSTE A CARNAVALE
avec Madeleine Skolgund, ancienne première Secrétaire Générale de l'Organisation des Nations Démocratiques

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Madeleine Skolgund, ancienne Secrétaire Générale de l'Organisation des Nations Démocratiques, première femme et première personne a occuper ce poste, a octroyé au Petit Continent un long entretien à la suite du déclenchement, par l'OND, de l'opération Dreamland à l'encontre de Carnavale. Cette opération militaire de très grande ampleur entreprise collectivement par l'OND survient quelques semaines après le tir de centaines de missiles balistiques carnavalais contre Estham, ayant fait deux millions de victimes. Frappe faisant elle-même suite à une confrontation aérienne entre Sylva, l'Empire du Nord et Carnavale sur fond de tentative d'arrêter le génocide carnavalais en Kabalie. A l'heure où nous nous parlons, plusieurs centaines d'appareils sont vraisemblablement toujours dans l'espace aérien carnavalais quelques heures seulement après ce qui a été décrit comme la plus grande bataille aérienne de l'histoire et une journée de bombardements intensifs contre Carnavale. L'enregistrement de cette émission, prévue longtemps en avance, est évidemment bouleversée par cette intervention et le lecteur nous excusera ainsi de la teneur de certaine questions qui ont du être préparées plus rapidement que prévu. La guerre à Carnavale est donc ouvertement déclarée mais se pose désormais d'importantes questions, dans quel but, et quelle fin est envisageable pour cela. En Tanska, les populations civiles se demandent sans doute si il faut craindre la guerre sur notre sol, et les populations d'ailleurs si la guerre généralisée est à craindre. Actuelle maire d'arrondissement de Norja et proche de la Première ministre Jaka Lakkas, Madeleine Skolgund répondra ici à nos questions.


Le Petit Continent : Madame Skolgund, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions dans cette édition malgré un agenda très restreint et un timing mal choisi. Vous avez été la première personne à la tête du Secrétariat Général de l'OND qui vient aujourd'hui d'entamer une campagne aérienne d'ampleur contre Carnavale, quel est le but de cette opération et pourquoi est-elle déclenchée ?

Madeleine Skolgund : Merci à vous. Le déclenchement de l'opération militaire contre Carnavale a été jugé nécessaire afin de mettre un terme aux menaces balistico-chimiques que fait peser Carnavale sur le monde en détruisant son appareil industriel et son arsenal de destruction. L'OND agit ici dans un état de légitime défense après le bombardement d'Estham. Il faut le rappeler mais avant ce bombardement, c'est bien Carnavale qui avait tiré en premier sur l'Empire du Nord, suivi d'une réponse mesurée. L'Empire et Sylva ont ensuite agit sans mandat de l'OND et de leur propre chef pour tenter de mettre un terme au génocide en Kabalie en envoyant un message fort à Carnavale. Etait-ce là la bonne solution ? Certains diront que non et que la diplomatie devait encore faire son œuvre ou que la voie militaire ne devrait pas être entreprise, certes. Mais Carnavale était-elle à l'écoute de ces fameuses autres voies et des diplomates d'autres pays ? Beaucoup se sont publiquement mobilisés contre le génocide en Kabalie et cela n'a aucunement empêché Carnavale de poursuivre son action de destruction systématique des populations sur place. Carnavale a intercepté le convoi aérien avec succès et aucune bombe n'a touché le sol Carnavalais. Je me demande alors ce qui justifie de tuer deux millions de civils ?

Le Petit Continent : mais Sylva et l'Empire du Nord n'ont ils pas déclenchés eux-même cette destruction en intervenant contre Carnavale ?

Madeleine Skolgund : Je ne sais pas. Fallait-il laisser sans agir un génocide avoir court sans que personne ne fasse rien ? Il faut être honnête, l'action afaréenne en construction prend du temps, ce qui est normal, mais connait aussi des difficultés internes. Antegrad, Churyann, Trois Nations, Karty, tout autant d'éléments qui empêchent un mouvement unifié et pendant ce temps là des gens meurent. Et les autres ne bougeaient pas non plus. Alors nous aurions du attendre ? Attendre quoi ? Qu'il n'existe plus de Kabaliens ou que par miracle Carnavale décide de désarmer d'elle-même ? L'Empire et Sylva ont voulu bien faire, peut être à tort, peut être à raison. Carnavale en réponse a tué deux millions de civils supplémentaires, nous n'avions plus d'autres choix que celui d'agir. C'est la une décision qui fut bien difficile à prendre, j'en sais quelque chose. Au travers de cela, des milliers de vies de soldats ont été mis en danger immédiat et nous perdront de nombreux fils et filles de nos nations respectives. Des millions de civils sont aussi pour le moment en danger mais, si tout se passe correctement et j'ai la une confiance absolue envers nos appareils militaires, cette situation ne devrait pas durer très longtemps.

Le Petit Continent : L'action militaire était-elle la seule voie possible à ce titre là ?

Madeleine Skolgund : La seule je ne sais pas. Mais elle en était une oui. L'idée est de couper court à tout autre bombardement. Les autres pays ne peuvent pas comprendre ce que c'est que de voir un pays qui vient de tuer deux millions de civils lancer une grande loterie pour savoir quelle capitale il massacrera ensuite. Je ne leur en veux pas, mais ils ne comprennent pas la peur et l'urgence que cela amène. Etait-ce la seule ? Je l'ai dit je ne sais pas, mais c'était la seule qui répondait à l'urgence.

Le Petit Continent : Dans son intervention au congrès, Jaka Lakkas, a précisé vouloir ne faire aucun mal aux populations civiles carnavalaises. Des informations rapportent déjà potentiellement des centaines de victimes sinon plus en seulement quelques heures, est-ce déjà un échec sur cet aspect là ?

Madeleine Skolgund : Oui l'OND cherche à éviter au maximum les pertes civiles et il n'y a aucune raison de croire le contraire. J'ai travaillé pour et dans cette organisation et j'en connais les rouages et les fondements. Même l'Empire du Nord meurtrit au plus profond de sa société ne souhaiterai pas aux Carnavalais le même sort. Cependant, cela me semble inévitable qu'il y en est pour une seule bonne raison : Carnavale utilise les civils comme boucliers humains. Vous savez cet état terroriste ne fonctionne pas comme les nôtres. La vie humaine n'a pour eux aucune valeur, y compris celle de leur population. Alors il faut faire des choix, des choix compliqués et immensément difficiles moralement que je ne souhaite à personne d'avoir à faire. Mais un missile tiré peut tuer plusieurs milliers d'individus, plusieurs centaines des millions. L'opération aérienne vise à empêcher cela en faisant le moins de victimes possibles, mais ça n'est pas possible. Le plus petit nombre sera le mieux, il serait de zéro dans un monde parfait mais il n'existe pas. Les civils Carnavalais ont un fort risque d'être pris entre les feux d'en haut et d'en bas, j'en suis consciente et je suis convaincu que nos dirigeant aussi et que les mesures nécessaires et justes seront prises pour protéger autant de vies humaines que posible, en Tanska, dans l'OND, mais aussi évidemment en Carnavale.

Le Petit Continent : Et après? Une fois l'arsenal détruit ?

Madeleine Skolgund : Après et bien il faudra s'assurer que Carnavale ne reconstruise pas à nouveau d'arsenal balistique et que son industrie chimique soit démantelée. Cela peut prendre du temps, mais cela est nécessaire.

Le Petit Continent : Est ce que cela veut dire qu'il faut préparer nos populations et les populations civiles pour une guerre de longue durée ?

Madeleine Skolgund : Je ne peux pas le savoir. Est ce que cela ne durera qu'une seule journée ? Non. Carnavale est un labyrinthe qui cache ses silos aux milieux des habitants, ses usines militaires près de rues ou de lieux publics. Identifier chaque cible correctement va prendre du temps, je le pense, surtout par voie aérienne.

Le Petit Continent : Par voie aérienne, mais qu'en est-il de la voie terrestre ? La Première ministre a indiqué dans son discours ne pas vouloir envahir Carnavale. Soutenez vous cette idée ?

Madeleine Skolgund : Personne ne veut envahir Carnavale, du moins personne au sein de l'administration que je connaisse. La vraie question n'est pas de vouloir ou pas mais de devoir effectuer une opération terrestre. Non pas une invasion, mais une opération pour démilitariser Carnavale si la campagne aérienne ne suffit pas malgré tous les espoirs que je porte. Il faut attendre pour cela que les résultats préliminaires soient disponibles et de voir si les commandements des nations tanskiennes jugent cette étape nécessaire mais elle est difficile, elle met en jeu davantage de vies humaines. D'autant que je le sais à juste titre, un accord commun entre les nations onédiennes sur ce sujet peut être particulièrement difficile à trouver. Entre l'Empire du Nord meurtrit de deux millions de civils massacrés à la recherche de la justice et Sylva hors de portée ou Teyla aux premières logiques de possibles frappes, les situations nationales ne sont pas les même quand il convient d'apprécier la pertinence d'une opération terrestre. S'ajoute à cela les vies humaines, militaires et civiles. L'équation est impossible, rien de tout cela n'est un jeu mais pourtant il faudra y proposer une solution. Et il faut à ce titre noter plusieurs choses à propos de Carnavale. D'une part la ville elle-même regroupe l'écrasante majorité de la population civile mais aussi des industries militaires ainsi que plusieurs sites de lancement. Je l'ai dit, Etat terroriste par nature Carnavale ne se souci pas du sort des civils d'ici ou d'ailleurs. Ensuite il y a Bourg-Léon avec Grand Hôpital et la base kah-tanaise, puis la campagne toxique et depeuplée et enfin les îles qui accueillent aussi des silos. La ville elle même est un dédale de plus de 35 millions d'habitants, plus pollué que le centre de l'usine la plus polluante de Tanska. Un enfer sur Terre avant tout pour ses habitants.


Le Petit Continent : Cela veut-il dire qu'une opération aurait lieu sur les îles, à Grand Hôpital ?

Madeleine Skolgund : Je ne sais pas, je ne suis pas une militaire. Néanmoins je ne vois pas pourquoi se rendre sur les îles, le Grand-Kah est juste à côté et personne ne leur fait réellement confiance, ils sont restés inactifs sur Estham et la Kabalie mais pas quand on touche à Carnavale mais je ne commenterais pas plus. Grand Hôpital, le nom est mal choisi, c'est un centre d'expérimentation, parmi ce qu'il se fait de pire en ce bas monde, même pour Carnavale. Un centre d'exploitation, peut être même d'extermination à certains égards. Et accessoirement une base kah-tanaise.

Le Petit Continent : Il reste la campagne alors ?

Madeleine Skolgund : Visiblement, mais pour quoi faire ? Je n'ai pas toute la réponse.

Le Petit Continent : Il est raconté que plusieurs pays envisagent de lancer une initiative visant à bannir les armes chimiques, bactériologiques ou autre de la surface du monde, qu'en pensez vous ?

Madeleine Skolgund : Il faut soutenir ces initiatives. Peut être la plus pertinente si plusieurs venaient à émerger mais il faut les soutenir. Il faut que les armes chimiques ou bactériologiques disparaissent du monde. A Carnavale cela doit passer par l'intervention mais il faut que cela vienne volontairement des dirigeants du monde entier. Il faut aussi que cela implique de pouvoir tolérer des contrôles indépendants pour s'en assurer. Pour beaucoup, et je le comprend, ce serait une atteinte directe à leur Etat, mais c'est une chose nécessaire. Aucun dirigeant ne peut se regarder dans un miroir si il conserve ou développe de telles armes après avoir vu les morts à Estham. Chacun de nos dirigeants politiques devrait observer certains de ces clichés, lire des récits ou écouter des témoignages. C'est choquant, effrayant même, il est facile de ne plus en dormir quelques temps mais je pense cela nécessaire. Tanska devrait suivre l'une de ces initiatives et c'est une excellente chose.

Le Petit Continent : La République faravienne a pour autant annoncer qu'elle entreprendrait elle-même un vaste programme balistique et un programme chimique.

Madeleine Skolgund : Deux choses. le programme balistique d'une part. Faravan a pleinement le droit de constituer un programme balistique classique. Ce n'est, en somme, qu'une bombe qui va très loin sans avion. Tanska en a un bien que limité, Sylva a annoncé un programme balistique d'importance et plusieurs dizaines d'Etats en ont eux aussi un. Le programme chimique ou bactériologique peu importe est en revanche une grave erreur et je pense qu'il est du devoir d'un Etat de l'OND de ne pas tomber dans cette erreur que de constituer un tel programme. C'est effectivement dissuasif en théorie, mais il me semble que constituer un programme dont le seul et unique but serait la mort de populations civiles, même pas la destruction d'infrastructures militaires, de centres politiques ou de commandement, est ici une très grave erreur et il serait logique que le gouvernement tanskien le formule au gouvernement faravien d'une manière ou d'une autre. Ce sont des temps extrêmement durs pour tous. Les gouvernements ont peur, un peu, et c'est normal. Deux millions de civils sont morts et nous entrons maintenant dans une nouvelle phase de l'inconnu qu'est la guerre, mais elle doit être juste. Carnavale a massacré des civils, nous ne tomberons pas là-dedans, nous valons mieux que ça, nous valons mieux que le gouvernement carnavalais.

Le Petit Continent : Vous êtes maire d'arrondissement dans Norja, élue peu après votre départ de l'OND, que pouvez vous nous dire de la vie là-bas.

Madeleine Skolgund : Elle est triste, elle est dure, elle n'est pas sereine, mais les habitants sont courageux et ils font face. Des milliers d'enfants et d'étudiants mais aussi des personnages âgées ou des femmes enceintes ont été évacués dans les campagnes. Les parcs, les écoles, les aires de jeux sont vides. Les rues sont aussi moins peuplées, on s'attarde moins en terrasse, les gens trainent moins, prennent plus le métro qu'auparavant. Je pense que ce sera encore pire après l'annonce du début des opérations aujourd'hui. Mais Norja, Tanska en général, et l'ensemble de l'OND s'en sortira. Mais nous ne sommes pas seuls dans cette affaire. Qu'ils le veulent ou non, les autres Etats du mondes sont aussi concernés par cette affaire, qu'ils se joignent aux opérations ou non. Evidemment nous ne souhaitons pas que tout le monde prenne part à la campagne aérienne pour bombarder les forces de destruction carnavalaise. Ca n'est ni souhaitable ni à faire. Mais plus largement, la question de l'arsenal balistico-chimique carnavalais, de son industrie militaire est une véritable menace sérieuse et approuvée pour le monde entier, et ce n'est pas l'Afarée qui pourra en dire le contraire. Alors peut être que pour certains l'OND commet la l'irréparable en menant cette opération, mais la réalité est que nous faisons le travail que de nombreux Etats souhaitaient faire depuis longtemps mais n'osaient pas faire. Et pour cela, les habitants de Norja dorment moins bien que ceux de Fortuna, Aserjuco ou Lac-Rouge. Nous ne demandons rien en retour, mais je doute qu'ils le reconnaissent même entre eux.

Le Petit Continent : Et la paix dans tout cela ?

Madeleine Skolgund : Je la souhaite plus que jamais. Mais il ne faut pas se leurrer, il ne peut y avoir de paix tant que Carnavale est encore une menace pour le monde, et tant que Carnavale disposera d'un unique missile, alors ce sera une menace pour des civils de l'OND ou d'ailleurs. La paix ne pourra se construire qu'après mais elle peut être pensée dès maintenant. Peut être est-il venu le temps des grandes idées, des idées novatrices et des changements de paradigmes à l'international ? Je ne le sais pas. Mais il est en tout cas certain qu'une paix sans arme chimique ou bactériologique, bref sans arme de destruction massive voit le jour. A Carnavale cela passe aujourd'hui par la guerre, il n'est qu'à espérer que ce ne soit plus jamais le cas. Je pense qu'il est aussi peut être temps de reconnaître qu'il ne peut être laissé à certain états la liberté de jouir de toutes les idées folles qui les animent comme bon leur sied. La Loduarie et l'OND sont intervenus en Translavie après les folies du régime Translave, le Grand-Kah est un intervenu dans les Communes du Paltoterra pour ces raisons là, nous intervenons aujourd'hui pour les même raison que le Grand-Kah ou la Loduarie. Rappelons toutefois que dans les deux cas précédents, cela s'est transformé par une division de la translavie d'une part en deux républiques désormais indépendantes, et pour le Grand-Kah par une occupation qui court toujours. Cela n'est pas souhaitable pour Carnavale, notamment quand on voit l'état de délitement des communes orientales après des années d'occupation là où les deux translavies, une fois leurs indépendances rendues, ont retrouvés une véritable économie bien que séparée en deux pays. Sans surprise, la République Translavique réussie mieux que son penchant sous influence estalienne, mais cela est un autre sujet. Tout cela pour dire que si une intervention terrestre venait à avoir lieu en Carnavale, elle ne devrait pas chercher l'occupation, ou alors seulement que de certains centres militaires tels que les silos mais qu'il revient aux Carnavalais de décider eux-mêmes des suites de leur propre gouvernance. Du moins c'est la mon avis. Je doute fortement qu'à l'heure actuelle la paix soit au cœur des préoccupations des forces armées des pays de l'OND, et c'est bien normal l'intervention vient de débuter. Mais tôt ou tard, la question se posera et à ce moment-là il faut espérer qu'elle ait été bien pensée pour que les populations de l'OND mais aussi de Carnavale retrouvent la paix. Seulement, comme je l'ai dit, la paix en Carnavale ne se fera que par la suppression complète et intégrale de son programme balistico-chimique et de tout ce qui en découle.

86
Jamais le soleil

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ne voit l'ombre
319
Lion de Dieu

Echec mineur (défini par les joueurs)
100 000 à 200 000 personnes sont converties à l'idéologie du Lion de Dieu et prêtes à exécuter ses volontés. Elles ne s'emparent que d'un nombre d'armes limité et pas de véhicules. Ce sont essentiellement des pauvres en déshérence. Certains vont rester à Carnavale, d'autres partir. La secte du Lion de Dieu est née et va s'exporter.
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All Eyes on Carnavale - Opération de reconnaissance militaire.


Depuis plusieurs dizaines d'heures déjà, l'aviation onédienne tourne autour et au dessus de Carnavale dans son ensemble. Plusieurs centaines avions ont, de part et d'autres, été abattus, mais il en reste encore beaucoup. Par rotation constante ils arrivent, veillent, et noie l'aviation carnavalaise dont le nombre réduit d'avion et la perte de ses trois uniques ravitailleurs ne permet plus d'importantes vagues. Les dizaines d'appareils ne peuvent pas tous décoller en même temps, et même si ils le peuvent, ils sont noyés sous la masse, séparés aussi par les quelques 1 200 kilomètres entre les forces de l'archipel et celles de la métropole. Tout autour, l'OND rôde en permanence, des drones et avions de détection avancée, des chasseurs et des avions multirôles.

Et au milieu de cela, une mission singulière des services de renseignements tanskiens. Si l'aviation carnavalaise et ses aérodromes et silos avaient pu être connus après les tirs de 700 missiles, les satellites, drones et autres interventions aériennes permettant de localiser leurs lieux de décollage, il en était tout autrement de l'armée carnavalaise. Une force méconnue, discrète, peu armée mais très nombreuse. 90 000 hommes environ, autant que les forces armées tanskiennes. Pour la plupart, dans les sous-sols de Carnavale même en train de s'adonner aux pires pratiques de l'Humanité, en train de se droguer, torturer et plus récemment d'inciter aussi à quelques suicides collectifs, sans doute. Une force nombreuse mais discrète donc. Loin du fast des missiles balistiques ou de la technologie des avions à réaction.

C'est dans ce cadre qu'opère plus particulièrement les renseignements tanskiens. Au-dessus de Fort-Marin en particulier, un ancien bastion militaire devenu lieu de plaisance et avant-poste de Carnavale. 93% de la population vit en ville, dont quelques centaines de milliers loin de l'enfer carnavalais, cela ne représente guère plus d'1% de la population urbaine, et moins d'1% de la population totale. Un unique pourcentage, loin de l'enfer. Détenues par les Obérons "seigneurs de Saint-Marin", la ville accueille un ancien fort comme son nom l'indique.

Loin des dédales, des étages dans les profondeurs, des ascenseurs des abymes, Fort-Marin n'est qu'une ville moyenne dont le ciel marin, fort des courants du milieu de l'océan, est bien plus libre de toute pollution, gaz mais aussi d'avions carnavalais. Pour Tanska, c'est l'endroit parfait pour estimer les forces terrestres carnavalaises de l'archipel. Chaque soldat présent ici, par l'absence de navires cargos et la perte du contrôle aérien, est un soldat qui ne pourra défendre ni Carnavale, ni Bourg-Léon, ou plus simplement, ni les campagnes des abords même de Carnavale. Qu'ils soit 500 ou 50 000, aucun des hommes présent ici ne pourra participer à la suite.


Détails de l'opération a écrit :
Pays infiltrant/réalisant l'opération : Service Permanent d'Intelligence Extérieure et Forces Armées Tanskiennes (Tanska)

Pays infiltré/cible : Fort-Marin, Océan d'Espérance, Carnavale (#16618)

Prévisionnel de la date (RP) de l'action clandestine/de déclenchement: 18/01/2017 (PS : l'opération a lieu plus tôt parce qu'elle se déroule dans la continuité de Dreamland et Downpour). IRL avec les 7 jours de délais obligatoire, cela donne un déclenchement le 21/08/2025.

Objectifs :
Réussite majeure : Les Forces armées tanskiennes obtiennent une idée précise du dispositif des forces carnavalaises sur place (dispositif fixé après opération car Carnavale ne dispose d'aucun navire cargo ni que d'un nombre d'avion de transports réduits qui, si ils s'envolaient depuis la métropole ou autre, seraient identifiés et abattus par les forces aériennes de l'OND. Le montant est définit par le joueur).

Réussite mineure : Les Forces armées tanskiennes n'obtiennent qu'un ordre idée vague (au modérateur ou joueur de décider de la fourchette d'estimation) des forces carnavalaises prépositionnées sur Fort-Marin.

Échec mineur : Aucune donnée probante ne peut être établie.

Échec majeur : Carnavale parvient à leurrer les renseignements tanskiens et ces derniers développent une fausse idée du nombre de troupes présentes sur place (au joueur de Carnavale de décider ce que Tanska récolte).

Enjeu :
  • L'enjeux principal est de déterminer les forces Carnavalaises sur l'île de Fort-Marin. L'idée étant qu'en parvenant à identifier le dispositif sur cette île, une extrapolation pourra être faite sur les autres îles de l'archipel permettant de déduire ses forces du total des forces Carnavalaises situées en métropole. Cela permettra de mieux s'adapter pour la suite.
  • la finalité derrière cette mission est donc d'éviter une opération de renseignements directement au dessus de la métropole carnavalaise pour déterminer le nombre de soldats carnavalais en métropole de façon indirecte, et donc mieux planifier la suite des opérations concernant ladite métropole.
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Moyens engagés:

Les moyens engagés sont d'abord humains et relèvent du Service Permanent d'Intelligence Extérieure, le service de renseignement extérieur de la République Fédérale de Tanska. Ce seront eux, ainsi que des militaires du Commandement opérationnel tanskien, qui seront chargés d'analyser les informations recueillies par les moyens plus opérationnels.

Les moyens en eux-même sont constitués d'une part de l'aviation de guerre électronique tanskienne employée dans le cadre de l'opération Dreamland. Un avion de guerre électronique, bien plus qu'un simple brouilleur, est surtout un excellent système de reconnaissance ISR capable de récolter une donnée importante d'information tout en pouvant se maintenir à plusieurs dizaines voir centaines de kilomètres d'une cible car profitant de l'altitude.

S'ajoute ensuite, l'emploi d'un bombardier furtif level 3 qui, en l'absence de radar au sol carnavalais, de la majorité des infrastructures carnavalaises, et de la mise en place d'un contrôle aérien au dessus de Carnavale, survolera à plusieurs reprises, de nuit et en début de matinée, Fort-Marin afin de prendre des clichés infrarouges et optiques de la ville. (voir l'appareil comme si employé comme un U2 américain en plus moderne).

En plus de cela, 2 drones de reconnaissance de niveau 7 (non employés par Tanska dans Dreamland), survoleront Carnavale en décollant depuis Caratrad. Ce vol (environ 7 000 kilomètres au total plus plusieurs heures sur place. Ca peut paraitre long mais un drone de reconnaissance RQ-4B, existant depuis les années 2000 soit un niveau 6 ou 7, peut voler pendant 20 000 kilomètres et plus de 30 heures). Les drones effectueront des rotations permanentes, de jour comme de nuit, pendant toute la durée de l'opération à haute altitude.

Aucun des vecteurs aériens précédemment cités ne s'engage dans une mission en cas de sortie aérienne carnavalaise. Une situation permise par l'opération militaire onédienne.

Enfin, s'ajoutent les informations satellites pouvant être collectés par Tanska. En particulier, Tanska dispose de satellites d'observation classique fournissant une reconnaissance assez large (permettant des grandes prises sur la province) ainsi que du satellite militaire d'observation SPEAR-1, à la résolution bien plus petite permettant des clichés rapprochés notamment du fort militaire.

Cumulés, tous ces vecteurs permettront la constitution d'une vision d'ensemble de Fort-Marin et de la province sur tous les spectres des renseignements (optiques, émissions électromagnétiques, radars, interception des communications).

Au total, les deux drones, le bombardier furtif ou les avions de guerre électronique volent, en simultanée, avec des dizaines sinon potentiellement centaine(s) d'appareils onédiens dans le ciel carnavalais. Cette situation de saturation aérienne qui vient s'ajouter à la déstructuration des forces armées et de la société carnavalaise rend difficile le fait de mettre en cohérence l'existence d'une opération tanskienne de renseignement au sein de la campagne aérienne en elle-même. Plus d'une centaine de drones sont employés dans dreamland ou encore des dizaines de bombardiers furtifs.

Identification des cibles :
Province #16618 - Principauté de Carnavale (archipel des îles Marins).
  • Une province de 7183 km^2, en majorité de la campagne avec une ville moyenne de 300 000 habitants, qui, selon la densité urbaine, n'occupe sans doute qu'une infime partie de la province.
  • La ville en elle-même est très peu détaillée dans l'encyclopédie et dans les RPs de Carnavale contrairement à la métropole. Sa description d'ancien fort et de lieu de plaisance laisse entrevoir une ville assez classique, sans sous-sol ni complexe sous terrain à l'exception peut être du bastion militaire.


Autres facteurs favorisant la mission :
  • Territoire éloigné de Carnavale même,
  • territoire peu peuplé et théoriquement peu dense rendant difficile le fait de cacher des éléments militaires (contrairement à Carnavale même),
  • contrôle du ciel permit par l'aviation onédienne;
  • densité et variété des systèmes de renseignements tanskiens employés pour l'opération
  • les bombardements ont, au moins partiellement, désorganisé une partie de l'appareil militaire carnavalais facilitant les failles sécuritaires,
  • la perte de 3/4 (15 sur 20) des usines culturelles peu aussi représenter une déstructuration du renseignement carnavalais, qui est donc extrêmement dégradé (75%), facilitant les opérations tanskiennes;
  • [*]Dans la nuée des opérations, difficile de distinguer la mission précise des renseignements tanskiens qui se confond parmi les centaines d'autres appareils en vol
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Blason du secrétariat royal des affaires étrangères

Manticore, le 17 janvier 2017
CG-CO.... .... .. . . .. ... .. . . .. ...
CONCL....... ... ... . . ... ... .. .....


COMMUNIQUÉ
Origine : ............ Secrétariat général du Conseil
Destinataire : .....Principauté de Carnavale; Délégations ; Presse
Objet : ............... Communiqué - Rappel des conditions d'un cessez-le-feu


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Le Conseil Général de l'Organisation des Nations Démocratiques indique que les conditions précédemment transmises à la Principauté de Carnavale sous la forme des résolutions 2003 et 2121 sont les seuls qui permettront l'interruption des combats en cours. .


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Le Conseil Général de l'Organisation des Nations Démocratiques,
Rappelant et réaffirmant son engagement en faveur des droits humains, de la démocratie et de la paix,
Rappelant la résolution 2003 du 17 mai 2016,
Rappelant également la résolution 2121 du 16 janvier 2017,
Réaffirmant sa détermination à poursuivre les coupables du génocide perpétré contre Estham,
Conscient de son devoir de protection envers les populations des États-membres,
Résolu à mettre un terme à la menace représentée par la Principauté de Carnavale,
Déterminé à trouver une solution au conflit et à épargner un maximum de vies humaines,

1.Rappelle ses conditions préalables à toute négociation avec la Principauté de Carnavale :
-Le démantèlement immédiat et intégral de son arsenal balistique
-Le démantèlement immédiat de ses armes de destruction massives et des infrastructures de recherche, de production et de stockage associées
-La fin immédiate et complète de l'occupation illégale de la Kabalie
-Le retrait immédiat et intégral par la Principauté de Carnavale de toutes ses forces et moyens militaires des îles situées dans l’Océan d’Espérance,
-La mise à disposition par Carnavale de l'ensemble des ressources nécessaires au travail d'une commission d'enquête plénipotentiaire sur les crimes contre l'humanité perpétrés notamment contre la Kabalie et l'Empire du Nord, ainsi que la reconnaissance de l'autorité cette commission par Carnavale
-La cessation de toute action hostile à l'encontre des membres de la communauté internationale


2.Affirme sa volonté de poursuivre les opérations militaires jusqu'à ce que la Principauté de Carnavale se soit conformée à ces conditions ou qu'elle y ait été contrainte par l'usage de la force.

3.Établit enfin que de telles négociations ne pourront avoir lieu en bonne et due forme que si lesdites mesures sont appliquées pleinement et entièrement, une fois leur application constatée par le Conseil Général de l'Organisation des Nations Démocratiques
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Les parfums acides de l'air donnaient une migraine infernale à quiconque le humait, senteur d'un mal enraciné, putréfié puis calcifié en un fossile sédimenté qui servait de fondation à cette société. Ce n'était plus l'odeur violente d'une charogne infestée de larves mais celle plus insidieuse de la moisissure imprégnée dans les meubles. Acre, persistance et inconfortable bien que supportable aux premiers abords. Regardant autour de lui, il ne vit que décombres et trainés d'huiles. Il souleva son pied pour observer cette huile qui collait aux semelles. Ce n'était pas juste un flot d'excréments et urines dissouts ensemble qui coulaient dans ces égouts, c'était le sang de Carnavale : des cadavres décomposés, acides industriels, flots de biofilms liquides et microorganismes encore inconnus, mais autre chose encore. Cette pollution humaine et industrielle n'était que le plasma dans lequel coulait l'hémoglobine de Carnavale, une substance viciée indicible, l'essence cristallisée de cette plus-que-ville, une incarnation matérielle de ce qui allait au-delà de ces bâtiments. Hormis cette huile qui dégoulinait de partout en filets collants, il n'y avait pas grand-chose d'autre à observer dans ces égouts. Ici des débris, là des cadavres, et de ce côté des restes de cadavres plus anciens recouverts d'une espèce de muqueuse semblable à un blob. Cela datait des bombardements ou d'avant ? Les carnavalais avaient-ils simplement conscience qu'ils étaient bombardés ? Cela avait-il impacté leur vie d'errance entre l'industrie et le dortoir d'un bâtiment mal insonorisé ? Ces frappes risquaient au final de faire moins de morts qu'une journée normale dans cette cité puante. Cela restait un scandale humanitaire, évidemment, mais un scandale qui allait bien au-delà d'un bombardement.

Les carnavalais arrivent ils à passer outre la dépression de la vie dans une ruine grouillante ? Les quantités astronomiques de drogues, émissions dégénérées, bordels spécialisés et spectacles stimulent-elles suffisamment leur sens pour avoir une illusion de bonheur ? L'extase perpétuelle d'un paradis artificiel comble-t-elle le vide d'une existence déshumanisée dans un engrenage rouillé ? Il continue de marcher et passe la porte des égouts. Pas de lumière, il consulte sa montre à gousset : 32 h 71. L'aube est déjà largement passée et la matinée bien entamée. Le voile qui couvre le ciel est légèrement moins obscur après une seconde observation, il y a peut-être quelques rayons de soleil au-dessus. En tout cas, l'air est chaud, étouffant, lourd et humide. Empoignant son manteau, il l'ouvre et le ferme pour s'aérer un peu. Il est moite et collant dans son uniforme, les vêtements synthétiques frottent de manière fort inconfortable sur un épiderme irrité, perpétuellement agressé par l'atmosphère acide. Ou basique ? Non, acide, jamais Carnavale ne sera juste "basique".

Les grondements permanents retentissent dans les rues, comment distinguer un immeuble qui s'effondre à cause d'une bombe d'un autre qui tombe pour des causes naturelles ? Une nouvelle trainée de sang sur le carrefour, parsemé d'entrailles et de carcasses métalliques. Une poussette rouge rouille, ou sang, gît renversée sur le passage piéton. C'est une bombe, ou un énième chauffard enragé sous cocaïne ? Plus loin, un énorme trou dans le sol, encore embrasé. Accident de gaz ou bombe larguée par l'OND ? Il entend depuis plusieurs jours les affres de cette organisation qui pilonne sans interruption la ville, provoquant une catastrophe humanitaire, mais il ne la voit pas. Ni les bombes, ni la catastrophe humanitaire. Cette image désastreuse a été si longtemps plantée devant ses yeux qu'elle s'est gravée sur sa rétine inhibée. Il trébuche sur quelque chose et manque de tomber. Se rattrapant, il s'excuse : c'était quelqu'un qui jonchait à terre, un bambin dans des langes, celui de la poussette ? Non, c'est un homme tronc.

"Excusez-moi monsieur..."

"Je n'ai pas de montre, laissez-moi !"

A-t-il vendu ses membres à Grand Hôpital ? Il croise plus loin une siamoise, un homme boursouflé, un autre avec plusieurs kystes sur le visage et la nuque qui le défigure. Ah ? Il croit avoir vu une fermeture Éclair sur l'un des kystes, c'est peut-être juste une poche utilitaire. Un enfant picole plus loin avec sa petite amie, trois clopes au bec. Ce sont les fruits de Carnavale, les fruits pourris d'un arbre contaminé jusqu'au cœur. Toujours cette huile qui dégouline de partout, déborde des égouts, suinte des murs, tombe des nuages, et toujours cette chaleur étouffante. Il transpire de plus en plus, a soif. Il a oublié de prendre de l'eau, il n'en avait plus chez lui, il n'a plus d'eau courante depuis longtemps, seulement cette huile dégueulasse. Il s'essuie le nez : encore cette odeur viciée de sébum. Putain, il a de l'huile sur les mains, il se les était pourtant lavés. La pluie, l'échelle des égouts, il a oublié ses gants. Non, il ne les a pas oubliés, ils se sont juste dissout sous cette huile omniprésente qui ronge tout. Un homme devant lui vient de vomir. Du sang ? De l'huile ?
Cette catastrophe vivante grouille devant ses yeux, tout aussi banale qu'elle l'a toujours été. Il est né, a grandi, vieillit, et travaillé au milieu de ce dépotoir d'espoir, ponctuant ses nuits dans les bars nécrophiles entre deux journées de travail à l'usine de conditionnement des organes. Le jour, il dépeçait des corps de vieillards, d'adultes et d'enfant pour trier les organes selon leur état, et la nuit et revoyait parfois les gens qu'il avait croisés au travail. Les poupées gonflables en peau humaine étaient définitivement plus réalistes que les prostituées, plus conciliantes aussi.

Il continue de marcher vers le travail, prend quelques pilules pour se requinquer après une telle nuit. Qu'est-ce qu'il a pris ? Des vitamines de Grand Hôpital ? Du viagra ? Du nécromélange concentré ? Et...

Le monde a basculé.

Le sol s'est jeté sur lui.

Le ciel lui est tombé sur la tête.

Cette huile, toujours, partout, elle lui colle au visage. Il se l'essuie : de l'huile noire aux reflets violacés, verts, jaunes, et du rouge, vif, luisant, hétérogène à cette huile. Du sang. Il a tournevis enfoncé dans le crane et une large entaille. Il est au milieu d'un échafaudage effondré, c'est ce qui lui est tombé dessus et l'a assommé. Il ne fait qu'un avec la structure d'aluminium, qui s'entrelace sensuellement dans son corps, au plus profond de sa chair. Il appelle son chef d'atelier : "Je ne pourrais pas être là aujourd'hui... non... oui... je me suis pris un échafaudage... comment ? ... Oui, je suis gravement blessé... sur la ligne huit ? Ok j'arrive."

Il rampe péniblement, il va avoir droit à une journée de soin au travail. "Pouvez-vous m'aider, mon brave ? Je dois me rendre au 38 Avenue des Ananas périmés, dans l'usine d'organes. Si je peux me débattre ? Surement pas, je peux à peine marcher."

Il se prend un coup de pieds puis se fait dépouiller. Argent, drogue, manteau, téléphone, on ne lui laisse rien. Il ne peut même pas prévenir son N+1 pour prévenir qu'il ne pourra pas être absent à l'heure. Bon, sa fille le remplacera, elle est mature pour son âge, elle sait déjà compter sur ses doigts et découper des melons synthétiques, elle s'entendra bien avec les gars de l'usine. De toute manière, son contrat l'engage pour trois siècles, encore 256 ans de labeur que sa lignée devra assumer.
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