27/10/2017
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Activités étrangères à Carnavale - Page 6

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Les semelles pleines de cette huile collante, le Contrebandier arriva prêt du Boiteux. "Hé béh, ils ne vous ont pas manqué ici, tout est effondré.", dit le Contrebandier en regardant autour de lui. Le Quartier des Oranges était en ruine, certaines des voies d'accès étaient bloquées et il avait eu du mal à arriver. Ne voulant pas passer devant les contrôles de police, il était passé par la 101ᵉ avenue. La route alternait entre des collines de gravats et des trous, certains donnant sur ce qui semblait être des chambres magmatiques. C'était la première fois qu'il prenait ce chemin et il s'était blessé. En escaladant une pile de décombre, il a glissé et s'est lacéré la main contre du verre, la bandant avec un mouchoir plein de cette huile. Pour le Boiteux, c'était pire. La première fois qu'il avait pris cette avenue, son mollet s'était empalé dans un fer à béton et le pansement avait depuis fusionné avec la plaie, donnant une espèce de mèche de tissu qui pendait du muscle. Une autre fois, il s'était brisé le tibia et boitait depuis. L'atèle qu'il s'était improvisé en la clouant dans la chair était toujours là.

"C'est comme ça depuis longtemps.", répondit un autre mendiant couché à côté du Boiteux. "L'OND a empiré les choses par ci par là, mais c'était comme ça depuis longtemps." "Boucle là, Jacqualogue, c'est pas à toi qu'on causait.", lui dit alors le Boiteux avant de se tourner vers le Contrebandier :

– J't'ai fait venir parce que j'ai pogné des chandeliers en argent et une montre à gousset en or. C'est finement ouvragé, tu devrais pouvoir le vendre à bon prix.

– Tu l'as trouvé où ? Tu n'as pas racketté quelqu'un quand même ?

– Racketté de l'argenterie au Quartier des Oranges ? Ce n'était déjà pas possible avant que le Commissariat ne se ramène, parce que personne n'a ça ici. Non, je suis allé au quartier de l'Élysée, le propriétaire ne s'en plaindra pas.

– Je vois, soupira le Contrebandier. Je peux te filer quelques chèques carnavalais pour ça. Montre-moi un peu ?

Alors qu'il fit un geste en direction du Boiteux, les faméliques dégainèrent leurs armes : tesson de bouteille, barre de fer, chaîne, un peu tous les déchets qu'ils pouvaient récupérer en somme.

"Tout doux les gars, tout doux, je veux juste voir la marchandise pour la chiffrer. Et accessoirement...", il souleva sa veste, révélant un pistolet mitrailleur. "... je ne serais pas venu dans le Quartier des Oranges sans avoir de quoi me prémunir de ses gangs, Commissariat ou pas. Bon... on négocie ?"

Les pilleurs rangèrent leurs simulacres d'armes et déballèrent de baluchons leurs prises : ils n'avaient pas menti, c'était finement ouvragé bien que l'argenterie avait rouillé. Le gousset aussi, elle était plaquée or, mais l'argent en dessous n'avait pas supporté l'air vicié des quartiers. C'est ce qui expliquait cette odeur permanente de flatulence : le sulfure d'hydrogène ambiant qui sortait de partout et surtout des égouts. L'offre fut moins intéressante que le Boiteux ne l'espérait et après une vive négociation, le Contrebandier concéda une petite augmentation du prix. Cette générosité tenait plus de la pitié pour ces fameux faméliques affamés dans ces périphéries malfamées.

– Hé toi, tu m'as dit que c'était comme ça avant ? Vraiment ?

– Bah oui ducon ! T'es jamais venu au Quartier des Oranges ou quoi ?!

– Ma foi, non, jamais. Je connaissais la réputation, mais ne m'attendait pas à une telle catastrophe. Heureusement pour vous, le Commissariat Central va mettre un peu d'ordre dans ce boxon. Vous devez être content qu'Améthyste Castelagne soit là, elle a annoncé des trucs plutôt posi...

Il fut interrompu par un concert de rires à la fois gras et secs. Les clochards essayaient d'être le plus moqueurs que possible, mais ils étaient si desséchés que seul cet incongru spectacle en ressortait.

– Elle ne fera rien ! C'est qu'une parvenue qui maintient exactement pareille cette ville de merde ! Elle fait la grande dame devant les télévisions, dit ses beaux discours à la radio...

– Vous avez une radio ?

– Ta gueule, ouais on en a une mais c'pas le sujet. Améthyste va rien faire. Enfin, rien pour nous, comme ses parents de merde n'ont jamais rien fait pour nous. Seuls les Satanistes faisaient un semblant de trucs pour nous, et ils se sont barrés pour Cramoisie... Cramoisie... Un projet sorti de nulle part, une lubie de ceux d'en haut, racheté quand Carnavale s'est faite bombarder. Le Commissariat Central ne fera rien pour nous, il réprimera autant les honnêtes gens que les mafias. Ils veilleront juste à ce que l'on se bouge bien sagement pour le Quartier des Bourdons. Ce quartier de merde... j'y ai bossé vingt ans, dès l'âge de dix. Je ne sais pas comment j'ai survécu depuis. Je pense que j'aurais eu plus de chances de survie dans les zones bombardées que dans ces brumes de souffre.

– T'exagère, elle a déjà commencé à faire reconstruire. Les biens des nobles suicidés ont déjà été réinvestis.

– Et dans quoi ? Dans les armes et dans les beaux monuments des riches. Ne seront pas déblayés les la 101ᵉ pour autant, pas même une centrale géothermique dessus pour la forme... Regarde ça, le Museum Carnavalis a été financé en priorité avant le quartier des Oranges !

– Je suis sûr que t'as tort. Les choses s'arrangeront pour vous en temps et en heure. Vous aurez droits à une vie normale, ne soit pas pessimiste ! On aurait dit un tanskien !

– Pessimiste de quoi ? Qu'est-ce que je peux attendre de Castelagne de différent que ses prédécesseurs ? C'est la même veine qu'eux, le même sans, la même méthode, le même résultat. Ces gens nous chient à la gueule, quand l'OND a bombardé, ils se sont empressés de nous entasser sur les silos de missiles !

– C'est l'OND qui tirait, pas Carnavale. L'OND savait ce qu'elle faisait, elle nous a agressé.

– C'est la meilleure ! Si je te lance des couteaux, que tu me tires dessus pour te défendre et que je riposte en mettant une poussette devant moi, c'est moi qui ai foutu une poussette devant tes balles ! C'est trop facile de foutre des silos de missiles sous les putains d'habitations des gens, puis de pleurer quand ceux qu'on a bombardés avec ces silos viennent les détruire ! Ils ont fait ce que n'importe qui aurait fait !
Vraiment, la noblesse nous a foutu dans la merde bien avant l'OND. Elle nous a parqué dans un quartier miteux, envoyé bossé dans un quartier encore plus miteux pendant qu'eux ont leurs jolis Universités Princières, Musées et Autels ! Pour leurs délires de riches, ils ont frappé au Pays des Trois Lunes, puis ils ont frappé Estham en pensant qu'on leur foutrait la paix après ça. Ah bah quelle surprise, quand tu amputes un peuple de deux millions de personnes, il te tombe dessus. Les seules réactions de cette noblesse ont été de nous foutre devant les bombes, de nous gazer avec un putain de trucs chlorée qui fait fondre les muqueuses. Et maintenant ? Ils s'entendent avec l'OND pour arrêter ? Ils annoncent développer de nouvelles armes encore plus terrifiantes. Leurs délires dégénérés nous ont foutu dans cette merde catastrophique, ils n'ont rien assumé, puis ils persistent et signent ! Regarde ! Regarde je l'ai lu là !

– D'où tu tiens ça ?

– C'est un journal qu'on m'a passé ! Depuis le départ des Satanistes, c'est le bordel, y'a de nouvelles têtes, de nouvelles têtes qui te donnent des médocs, de la bouffe et des journaux. Je l'utilise quand je vais chier. Je le lis pendant puis m'essuie avec après.

– C'est pour ça que y'a des traces mar...

– Regarde ! Lis !

– C'est pas carnavalais ta merde. Ce n'est même pas eurysien.

– Et ce n'est pas faux ! C'est le plus important !

– Je peux le garder ? J'aimerais... le montrer à d'autres personnes.

– Faits donc ! Montre-le ! De toute manière, les carnavalais ne sont pas cons. On est drogué, on est fatigué, on est trop occupé à survivre pour faire autre chose, mais on n'est pas con et on a bien conscience de ce boxon ! Ce sont les Obéron et Castelagnes et toutes ces autres familles de dégénérés qui nous ont enfoncés dans cette merde et qui continuent !

– Tu en as d'autres des comme ça ?

– Nan, ils étaient trop crades après usage. Mais je pourrais t'en filer d'autres si tu repasse.

– Le gars qui t'a filé ça était lié au Lion de Dieu ?

– Aucune idée, il était couleur cuivre, c'tout ce que je peux te dire. Mais il faisait sombre, c'était dans les égouts.

Cuivre ? C'étaient des kah-tanais ? Des paltoterrans ? ... des sylvois ? Décidément, cela devenait très intéressant. S'ils étaient vraiment "cuivrés", alors ce n'étaient pas des afaréens, autrement le Boiteux aurait utilisé des termes plus... courant dans le langage carnavalais.

– Bon le Boiteux, je vais te laisser, faut que j'écoule ta caillasse. Essaye de rester en vie, j'aimerais que tu m'en rapportes d'autres. Ah et gardes les prochains journaux qu'on te donne, je te filerai du PQ à mon retour.

Après un échange "d'affectuosité" assez vocal, le Boiteux laissa partir le Contrebandier qui rebroussa chemin en sens inverse, toujours par la 101ᵉ pour ne pas se faire pogner avec sa marchandise. La prochaine fois, il passera par la 76ᵉ.
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L’alliance est ancienne à échelle d’une vie d’homme. Au regard de l’histoire, elle semble plus récente qu’aucun de ses deux protagonistes ne veut bien se l’avouer. Quatorzième siècle, Principauté de Carnavale, une ville taillée dans le marbre sur sa péninsule. La campagne n’est pas encore toxique, l’air de reflux aucune vapeur nauséabonde, le tout à l’égout fonctionne sans avoir besoin de s’infiltrer si loin dans le sol qu’il y réveille des choses endormies. Les jardins ne sont pas OGM, les fleurs sont de simples fleurs et embaument des parfums honnêtes. Carnavale est une cité étrange, un petit bout de terre un peu à part du reste du monde et qui jamais ne fit rien comme les autres.

Dans un grand salons où les boiseries dansent avec les tentures de soie, des aristocrates discutent à demi-mots de théologie. En Eurysie, les chasses aux sorcières battent leur plein, l’Eglise catholane est alors au sommet de sa puissance et comme toutes les apogées, elle se voit déjà déclinante et brutalise le monde. A Carnavale déjà se dressent des universités. Plus vieilles encore que celle de la vieille Albi, la Principauté a toujours dans son histoire été un lieu de science et de culture. Un jeune homme y étudie, il fait des études de philosophie naturelle. La Renaissance toussote. Secrètement, il espère que quand il reviendra en son pays, ce savoir étranger sauvera les siens.

En attendant, il est encore jeune. Pâle, maladif, blond comme le blé, beau comme un ange. Son accent amuse, l’aristocratie raffinée raffole des choses étrangères et à cette époque, la Polkême c’est encore très loin. Le jeune homme a mis son plus beau costume, quelque chose qu’il espère être à la mode mais déjà démodé, légèrement débraillé, il lui manque des manières. C’est un fils de la bourgeoisie, pas un aristocrate, il apprend par observation ce qui implique quelques ratés. Le valet de chambre le toise, le jeune homme dit son nom. Le valet hoche la tête et le laisse passer tout en annonçant d’une voix forte :

— Ion de Polkême !

De Blême, maronna la jeune homme. Ion de Blême, pas de Polkême. Jamais de Polkême. Il entre malgré tout, trop tard pour rectifier, déjà on l’accueille chaleureusement, comme s’il était un ami de longues dates.

— Monsieur de Polkême, j’ai beaucoup entendu parler de vous, minaude une grande dame au cou serti d’or et de pierres précieuses. Mon fils Charlequin ne me dit que du bien, il parait que vous majorez à l’Université Princière ?

— Je… suis ravi de susciter de telles louages dans la bouche de votre fils, balbutie-t-il. Charlésia est un ami, mais c’est vrai que j’ai de bonnes notes.

— Modeste avec ça. Venez, venez dont, vous trouverez dans nos salons quantité d’intellectuels, cela vous plaira.

La Baronne de Brûlepourpoint le pousse presque dans le salon où quantités de personnages discutent en petits groupes. On distingue aisément la grande noblesse de leurs invités, vêtus plus modestement, et aux perruques moins raffinées.

— Ion, mon petit, quel plaisir de vous voir ici !

Le Blême manque de s’étouffer, c’est Herculysse Briquette, son professeur de géométrie, discipline où, heureusement, il se défend.

— Vous faites bien de sortir le nez de vos livres, on n’y apprend pas tout vous savez et vous verrez à Carnavale des choses qui vous étonneront davantage que ce vous enseignera l’Université.

— J’y ai vu des choses merveilleuses c’est vrai.

Ion sent que son professeur veut lui dire quelque chose mais déjà on lui attrape la manche. C’est Charlequin. Un grand dadais rouquin qui ressemble beaucoup à sa maman, pense Ion. Malgré son air bêtasson, il n’est pas le plus idiot de la promotion, loin de là, et a été l’un des premiers à accueillir le petit Blême au sein de son cercle d’ami, quand Ion ne connaissait personne dans la Principauté. Pour cela, il lui était infiniment reconnaissant.

— Ion, ça va ? Pardon professeur, s’exclamme-t-il penaud en réalisant à qui il vient de couper la parole. Je venais saluer mon ami.

— Ne vous en faites pas, répond le sympathique enseignant, profitez. Ion, je vous parlerai tout à l’heure ?

Le jeune Blême hocha la tête en même temps qu’Herculysse s’éloignait, revenant vers son ami.

— Charlequin ! ça va et toi ? Merci pour ton invitation.

— Tu plaisantes ? J’ai parlé de toi à mes cousines et à ma mère, elles ont jamais vu de Blême, et un malin en plus c’est rare. La plupart des étrangers qu’on croise à Carnavale sont des crétins finis, on dirait qu’ils ont tous trois siècles de retard, eh, à croire qu’on ne vient pas de découvrir le Nouveau Monde ! Mais toi tu comprends ce qui se passe, hein.

Ion hocha silencieusement la tête. Charlequin de Brûlepourpoint ne rêvait que de ces grandes expéditions vers l’occident et passait la moitié du temps qu’il aurait pourtant dû consacrer à étudier à observer sur le port le retour des caravelles chargées de produits exotiques importés de l’autre côté de l’océan. Ion, lui, s’en fichait bien du Nouveau Monde. Son regard était résolument tourné vers l’est et la seule mer qu’il rêvait de traverser était la mer Blême, celle qui avait été son berceau. Chacun le regard tourné dans une direction différente, chacun étudiant pour un au-delà, ils étaient naturellement et rapidement devenus proches. Les notes de Ion, qui venaient de tomber la semaine dernière, l’avait fait passé aux yeux des parents de son ami de « camarade exotique » à « curiosité intrigante », car il n'était pas si commun qu’un étranger s’illustre dans les exigeantes études de philosophie naturelle que dispensait la Principauté. Encore plus lorsque cet étranger venait de l’est et avait, comme Ion, un accent à couper au couteau. Charlequin avait dû parler de ces notes au repas de famille car l’invitation au dîner de ce soir avait suivi dans la foulée.

— Tiens-toi droit mon vieux, le rabroua le rouquin. Comment veux-tu impressionner mes cousines si tu as la posture d’un petit vieux ? A deux doigt de te croire bossu.

Plus que parce qu’il se tenait tordu, l’effet disgracieux de la silhouette de Ion venait de ce que, par habitude, il rentrait sa tête dans ses épaules lorsqu’il se sentait gêné, ce qui lui donnait des airs de tortu. En expirant silencieusement, il relâcha les muscles de son dos et se laissa entraîner par Charlequin vers ces dames.


— La soirée vous plait ?

Ion sursauta. Il se trouvait, quelques heures plus tard, sur la terrasse de l’hôtel Brûlepourpoint, le nez penché par-dessus la balustrade. Herculysse Briquette venait de s’accouder à ses côté, une longue cigarette occidentale dans la bouche, dont le bout rougeoyant venait se confondre avec les feux de Carnavale qui brûlaient en contrebas d’eux.

— Oui, beaucoup, je prenais juste l’air.

— Je comprends, ça ne doit pas toujours être simple de suivre les conversations en français j’imagine. Étant donné vos notes j’ai toujours supposé que vous arriviez à suivre assez convenablement mes cours mais puis-je vous demander où vous avez appris si bien notre langue ?

— J’ai eu la chance d’avoir un précepteur Clovanien qui venait de Rême.

— Clovanien vous dites ? Fougueux empire, il s’étend partout sauf là où il faudrait. Enfin, une grande puissance à nos portes est pour ainsi dire stimulant. Mais pourquoi avoir choisi la Principauté de Carnavale si votre précepteur était Clovanien ?

— On m’a vanté la qualité de ses universités.

Briquette s’esclaffa.

— Une réponse appropriée à donner à votre professeur, c'est habile. Êtes-vous du genre lèche-cul ou juste un peu timide ?

Ion se sentit piquer un fard et ne trouva rien à répondre.

— Timide, donc, reprit le professeur Briquette. Parlons d’autre chose alors. Vous êtes Blême, j’ai lu quelques ouvrages sur la mer qui porte le nom de votre peuple. On la dit peuplée de fantômes, est-ce vrai ?

— En partie, professeur. La steppe est un territoire mystérieux c’est vrai mais la population est aisément impressionnable également. Il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte.

— Allons, ne me dites pas que vous êtes l’un de ces rationalistes ? Vous êtes quelqu’un d’intelligent, comment pouvez-vous imaginer que nos sens soient en capacité de saisir l’ensemble du spectre de l’existant ? Il doit bien y avoir des choses cachées.

— Je ne suis pas théologien…

— Je ne vous parle pas de ça, nous sommes des savants, des philosophes, nos champs de recherche poussent nécessairement jusqu’à la métaphysique.

— Est-ce au programme de l’année prochaine ?

Le professeur Briquette pouffa avant d’envoyer jeter le mégot de sa cigarette dans la nuit.

— Non. Pas avec cette chasse aux sorcières qui embrase l’Eurysie. Il faut être prudent avec ce qu’on enseigne et ce qu’on apprend.

Un silence s’était installé. Le professeur avait fini de fumer mais ne semblait pas prêt à retourner vers le salon d’où provenaient de grandes clameurs.

— Avez-vous entendu parler d’une science que l’on appelle alchimie, Ion de Polkême ?

— De Blême.

— Pardon ?

— Ion de Blême, la Polkême occupe la Pal ponantaise mais ce n’est pas mon pays. Les Polk sont catholans alors que les Blêmes sont orthodoxes et nous ne partageons pas la même langue.

— Ca alors, je l’ignorais. Mais maintenant que vous le dites c’est vrai que tout le pourtour de la mer Blême appartenait autrefois à Anapol. Excusez-moi je ne suis pas un très grand féru de géographie. Je devrai peut-être mais…

— Je connais l’alchimie. Les tatares appelaient cet art Simya.

— Oh merveilleux, et avez-vous eu déjà l’occasion de pratiquer ?

— Non, mais je sais que certaines personnes le font dans mon pays.

Le professeur Briquette eut l’air à la fois déçu et curieux.

— Des sorciers ? Êtes-vous en proie à l’inquisition par chez vous également ?

— Non cette pratique n’a pas encore atteint le pourtour de la mer Blême. Les Polks sont trop occupés à tenter de nous rendre catholans pour pouvoir se permettre de se mettre à dos aussi nos traditions ancestrales.

— Quel dommage que nous aillons perdu ce savoir, ici à Carnavale, soupira le professeur Briquette. Nous sommes contraintes de tout reprendre à zéro. D’une certaine façon, cela nous évite sans doute de suivre des fausses pistes mais tout de même…

Il se redressa soudainement et porta sur Ion un regard enthousiaste.

— Mon cher ami, je serai ravis de poursuivre cette conversation plus tard, accepteriez-vous une nouvelle invitation ? Rassurez-vous, j’ai fait la même offre à votre ami Charlequin, j’aime m’entourer de jeunes gens prometteurs et vous deux semblez assez ouverts d’esprit pour ne pas défaillir devant quelques bizarreries. Vous en serez ?

Annecdote mineure aux yeux de ses contemporains, la rencontre à Carnavale entre le jeune Ion de Blême et le professeur Briquette à l’occasion d’un dîner mondain chez les Brûlepourpoint devait s’avérer un évènement d’une grande importance, rétrospectivement, dans l’histoire de la Principauté et de la Polkême, c’est à dire du monde.
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Le quartier des oranges est une ruche grouillante et informe. Les campements de clochards s'adaptent à l'évolution des gravats à mesure que s'effondrent et se déblaient les rues. C'est une masse abstraite où pullulent des âmes damnées, confuses, oubliées dans les limbes de Carnavale. Ces amas errants sont dans leur bulle, fermée, isolées. Même les routes sont bloquées et les convois ne peuvent passer que par un seul chemin. Tout le monde connait tout le monde et personne, il y a peu de meilleurs coins pour se cacher que le Quartier des Oranges. Enfin... il y en a des meilleurs en Carnavale, mais c'est à un degré de discrétion tel que ces changements ne font plus tant sens. Dissimulez-vous dans le Quartier des Oranges, le Quartier des Brumes ou les Égouts revient au même : vous êtes noyé dans un flot anonyme, aucune surveillance ne saurait émerger de ce chaos.

"Ils ont attrapé des gars qui dealaient des médocs on m'a dit. Tu les connaissais ?"

Derrière son masque réglementaire, nécessaire avec les brumes chlorhydriques qui embaument l'air, la personne leva imperceptiblement les yeux vers le Boiteux pour lui répondre.

"Non, ça ne me dit rien. Le Quartier des Oranges est vaste, nous ne sommes pas les seuls à distribuer des médicaments. Qui les a attrapés ?"

"Bah la techno-police."

"La techno-police ? Ce sont des gars du Commissariat Central ?"

"Pas vraiment, je ne suis pas sûr. Je crois qu'ils bossent spécifiquement pour Dalyoha."

La répression et la surveillance constante n'étaient pas favorables au développement de la loyauté. Rien ne l'était en Carnavale. L'individualisme régnait en maitre et les faibles étaient violemment empoignés dans l'emprise du plus fort, du quartier, de la ville ou du pays. La misère ambiante et le cadre paranoïaque de ce cadre créait inéluctablement un besoin de rattachement pour se rassurer. On expliquait ainsi le succès des Satanistes avant le départ, qui n'avaient eu aucun mal à rallier à leur cause les populations marginalisées du Quartier des Oranges. Mais maintenant, ils étaient partis et d'abord les mafias les remplacèrent puis le Commissariat Central.

"Je te l'avais dit, c'était écris."

"Quoi ?"

"Que le Commissariat Central n'allait pas venir régler vos soucis, mais uniquement vous opprimer davantage. Je me suis encore fait agresser par un connard de je ne sais quel gang. Pot de terre contre pot de fer, l'originalité de son baygon à gaz mortelle n'aura pas fait long feu contre mon 9 mm."

"Tu parles de ta bite ?"

Rire complice des deux. Ils devenaient franchement amis à force d'échanger et de parler sans filtre. Développer de la sympathie auprès de gens sans repères, perdu, à la recherche de fondation n'était pas difficile. Carnavale rendait très aisé de fidéliser des informateurs dignes de confiance parmi la foule. Les gens, aussi individualistes qu'ils étaient, n'hésitaient pas un seul instant à se rattacher à un cadre rassurant quand leur quotidien alternait entre gaz toxiques et bandits.

"Les commissaires ne vous aident pas. Ils viennent seulement arrêter ceux qui veulent vous aider. Bah ouais, ils s'en foutent de vous aider, ils veulent juste vous asservir, et les médocs sont un moyen pour ça. Nous faire vivre dans un coin toxique pour nous vendre des médocs vitaux. T'imagines la rogne dans laquelle ça doit les foutre quand quelqu'un nous file gratos les médocs ? Ils perdent le contrôle, du coup, ils aboient et mordent. Et voilà, on fait arrêter les gens qui distribuent des médocs. Par contre, les ordures qui viennent te trousser, là, y'a personne."

"Oh, oh ça oui... oui oui oui !! J'en ai parlé à un gars d'ailleurs. Tu aurais d'autres journaux ?"

Les campagnes médiatiques promouvant le racisme avaient peu d'éléments pour fonctionner. Pourquoi les gens auraient ils peur d'espions qui menaceraient la nation, quand il n'y avait ni nation ni raison d'aimer ce semblant de nation. La principauté n'avait aucune raison d'avoir la complicité de ses citoyens marginalisés pour avoir de l'aide. Ils n'avaient aucune raison de dénoncer ceux qui donnaient gratuitement de la bouffe de qualité. Au contraire, quand les gens auprès de qui dénoncer vous privaient de médocs si vous ne déboursiez pas une fortune et tabassent ceux qui vous en donnent, vous avez plutôt intérêt à défendre ceux qui vous aident.

"Ouais j'en ai d'autres. Tiens, on parle justement du Commissariat Central. C'était prévisible ce qu'ils feraient."

Journal a écrit :Les choses ont elles changées depuis que Castelagne est au pouvoir ? Non, on ne choisit toujours pas qui nous dirige, comment et pourquoi faire. Améthyste continue dans la même lignée des prédécesseurs dont elle a hérité sans mérite l'autorité. Une autorité écrasante, néfaste. Elle se moque toujours des négociations avec l'OND et s'enfonce dans les menaces avec ses nouveaux agents pathogènes.
Quant à nous, rien, on est moqué, méprisé, cloitré dans ce quartier fumant. Les commissaires descendent uniquement pour nous martyriser. Et quand ils arrêtent un délinquant, c'est parce qu'il concurrence les activités de Castelagne.
Rien n'a changé et rien ne changera comme ça. Castelagne continuera d'utiliser exactement les mêmes mécanismes de domination pour nous écraser. La sécurité est toujours un prétexte de l'autorité pour passer des règles constamment plus liberticides. Bientôt, nous ne pourrons plus parler ni échanger pour convenir à des principes de sécurité de la Principauté. Nous serons surveillés en permanence pour ces mêmes motifs. Nous serons battus quand il le faut. Mais notre vie ne s'arrangera pas et l'emprise de Castelagne ne sera que renforcée.

"Merci mec, je vais en passer à d'autres. Y'a un bon gars qui voulait que je lui montre tes journaux."

"Ce ne sont pas mes journaux, ce sont les nôtres, aux habitants du Quartier des Oranges."

"Ouais ouais nos journaux, ça l'intéresse."

"C'est un voisin de trottoir ?"

"Nan, un gars des autres quartiers avec qui je vends mes merdouilles. Je suis revenu du Quartier de l'Élysée l'autre jour avec des bricoles à lui vendre, ça l'intéressait."

"Ah ? C'est quoi son nom ? Il va partager à d'autres gars ce journal ?"

"Je pense, il avait l'air rudement intrigué. J'ai pas son nom, comme il n'a pas le mien. On l'appelle juste le Contrebandier, c'est fonctionnel. Ah bah tiens, je crois que c'est lui là bah ! Je lui fais signe qu'il te rencontre !"

"Non ! Ne fais rien. Il a remarqué que tu l'as vu ?"

"Ah bah oui trop tard, il s'approche de nous et..."

Flash, détonation et gaz urticants. Son sang ne fit qu'un tour et sans attendre, ce fut un départ précipité en agrippant le bras du Boiteux. Le Contrebandier avait ramené la techno-police et ils étaient à leurs trousses. À nouveau des détonations, un individu attrape son manteau large, de nouvelles détonations, ça crie dans tous les sens, des gens s'effondrent. La techno-police finit par saisir un individu : il est mort, le manteau dans les bras. On lui arrache son masque : il n'a pas l'air étranger.



"Putain c'était chaud !"

Successions de monceaux enchevêtrés dans les restes de bâtiments engloutis par une humanité défaillante, les issues étaient systématiquement nombreuses dans le Quartier des Oranges. Il est extrêmement difficile de suivre quelqu'un en filature, et surtout pas quand des centaines de personnes courent dans la rue sous la panique. Le Boiteux et le Masqué avaient dévalé un pan effondré de la route et sauté dans une fenêtre puis couru à travers les escaliers pour ressortir par un chemin de service. Ils avaient pris des échelles, puis accédés aux toitures inférieures, surplombées par des édifices encore debout, et continué vers les niveaux inférieurs dans les égouts. Impossible qu'ils aient été suivis jusque-là.

"Il a des liens avec la police ce salop ?"

"Je l'ignorais, c'est un contrebandier, ça n'a pas de lien avec la police normalement."

"Méfie-toi des étrangers. Je ne parle pas de ceux qui ne viennent pas de la principauté, mais de ceux qui ne viennent pas du Quartier des Oranges."

"Hein, toi non plus, tu n'en viens pas."

"Tu vois ce que je veux dire. T'es futé, distingues les intentions des gens qui s'intéressent à toi. Moi je veux vous aider, je vous file de la bouffe, des journaux et des médocs. D'ailleurs je vais surement devoir me calmer sur les médocs à cause de ça, je ne peux pas en risquer davantage. Mais bref, lui c'est un contrebandier, il veut juste que tu lui files des trucs à revendre, pas t'aider."

"Pourquoi tu veux nous aider ?"

Le Masquée regarda autour de lui. Il y avait beaucoup de monde encore, des badauds, des drogués, des mendiants. Aucune trace de poursuivant. Alors le fuyard tira par le bras le Boiteux pour discuter en marchant.

"Tu dois bien te douter pourquoi. Notre arrivée coïncide avec des évènements plutôt uniques en Carnavale."

"Putain de merde, t'es dans l'OND !"

"Bravo champion. Oui."

"Donc t'es là juste pour foutre la merde. Tu veux juste nous faire dégager Castelagne pour vous arranger et puis c'est tout."

Regardant droit dans les yeux à travers son masque, la réponse fut articulée.

"On veut tous les deux dégager Castelagne, n'est-ce pas ?"

Surprise du Boiteau : "Non ! Vous voulez ça ! Moi à la base je faisais ma vie !"

"Tu veux qu'elle reste ? Tu veux continuer à faire ta vie ?"

"Mais ! Non, je m'en foutais ! Tu m'as mêlé à tout ça !"

"Calmes toi poto, je suis avec toi, je suis là pour vous aider. S'en foutre, c'est choisir de laisser le plus fort rester le vainqueur, c'est se ranger du côté de Castelagne. Ce n'est pas dans ton intérêt, ni de continuer cette vie. Tout ça peut changer, mais ça devra venir de vous."

"Mais tu t'en fous toi, tu veux juste servir comme un chien l'OND ! T'es qu'un espion !"

"Je ne comprends pas pourquoi ça te choque d'un coup. Tu devais bien t'en douter dès le début, que je sois un espion venu d'au-delà la Principauté. Et pour ce que je veux, c'est la même chose que toi et pour les mêmes raisons. Faire tomber Castelagne pour rétablir la paix et améliorer votre condition. Est-ce que quelque chose te gêne là-dedans ?"

"Bah oui ! Je ne sais pas comment le dire mais... gnn... on ne peut pas... on ne veut pas juste être des pantins !"

"Vous êtes des pantins, ceux de Castelagne. Vous pouvez couper les ficelles, on peut vous les montrer et même vous donner les ciseaux pour y arriver. Mais seul, vous pourrez couper ces ficelles."

"Ne te moque pas de moi !"

"Je ne me moque pas, je te jure. Vous pourrez arrêter d'être des pantins, prendre vos décisions, mener votre vie de manière autonome. C'est ce que vous voulez, n'est-ce pas ? C'est ce que tu veux ?"

"Oui mais ça va au-delà de ça... comment pourrais-je te faire confiance ? Vous faire confiance ? Qu'on ne soit pas juste des pions ? Votre journal là, il dit que le Commissariat Central va juste nous oprimer sous des promesses. Et vous ? Comment savoir que vous ne ferez pas la même chose."

Le Masquée retira son attirail et révéla une longue chevelure brune et un visage basané.

Le Masquée

"Parce que c'est vous qui le ferez, comme vous le souhaiterez. Vous serez les acteurs et les décisionnaires de la Principauté."
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Pellicule

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Ça tourne.

— Monsieur Venbranle, vous regarderiez un peu par ici ? Voilà. Faites nous un beau sourire, s'il vous plaît !

— Tout ce que vous voudrez.

— Vous regardiez quelque chose en bas ?

— Oh, rien. Un trou dans le passé.

Sourire.

— Vous êtes d'humeur poétique !

— Si vous voulez.

Un silence. Cigarette, puis il reprend.

— C'est cette vue. Saint-Thomatthieu, la basilique, tout ça.

— Notre belle ville de Carnavale.

— C'est ça.

— Elle vous inspire ?

— Beaucoup.

— Dites-nous pourquoi.

— Je ne sais pas.

Il hausse les épaules.

— Qu'est-ce que vous aimez à Carnavale ?

Quelqu'un s'approche. On va reprendre avec un peu plus d'entrain.

— Monsieur Venbranle, merci de nous avoir accordé cet entretien. On le sait, vous avez été très occupé dernièrement. Mais l'annonce de votre candidature...

— Merci à vous c'est toujours un plaisir.

— ...

Cigarette. Regards échangés des journalistes. On reprend.

— Vous avez annoncé votre retour et votre lancée en politique. On se demande pourquoi ?

— C'est vrai. Mais enfin, me voici.

— Candidat à la municipalité.

— Candidat à la municipalité, effectivement.

— Carnavale vous manquait ?

— En un sens, oui. Et puis, je n'avais plus rien à faire au Nouveau-Monde. Naturellement, je me suis retrouvé ici.

— La nostalgie ?

— Non, c'est autre chose. Vous savez, j'ai vécu toute ma vie loin d'ici. Carnavale, c'est la terre de ma famille, mais j'ai vécu aux Pins pendant vingt ans.

— Les Pins, c'est la région de vos parents. Dites-nous, pourquoi avoir quitté le Makota ?

— Après la mort de ma mère, je n'avais plus rien à y faire. C'est comme si quelque chose s'était coupé. Comme votre pellicule, là, qui tourne ; d'un coup de ciseau, on la coupe, et tout s'arrête. Eh bien, la pellicule de ma vie était arrivée au bout du rouleau. Je veux dire ; le chapitre était terminé. Il était temps de passer à une autre scène, à une autre étape, et de reprendre la pellicule, comme un monteur noue deux séquences d'un film.

— N'avez-vous aucun regret ?

— Il est trop tard pour en avoir. Mais c'est chose faite. Non, je n'ai pas de regret. Les vaches, la vie solitaire, ce n'est pas pour moi. J'ai trop besoin de briller.

Ses dents scintillent.

— Vous voilà alors à Carnavale. La cité noire, est-ce le mieux pour briller ?

— Cela dépend de la saison.

Ils s'esclaffent.

— La brume bleue de cet hiver a occulté le soleil pendant plusieurs mois, c'est vrai.

— Ne m'en parlez pas. C'était une calamité pour mon teint.

— Nous sommes tous redevenus endives. Mais enfin, l'on a vu pire... une ville en guerre, sous les bombardements, c'est cela que vous avez trouvé à Carnavale. N'est-ce pas un choix incongru de timing pour un retour en ville ?

— Je n'avais pas anticipé les giboulées de mars. Par chance, je louai alors une chambre aux Hélicons, dans une partie de la ville qui n'a que peu été visée par les crottes de pigeon.

— Racontez-nous votre expérience dans Carnavale en flammes.

— Oh, nous en avons tous une version. C'était une expérience collective.

— Venant du monde extérieur, cela a pu vous perturber...

— Pas le moins du monde. Vous savez, dans mon ranch familial, j'ai appris à vivre sans brosse à dent.

— Le dentifrice a aussi manqué...

— Le white-spirit fait l'affaire. Avec une feuille de menthe.

— Vous étiez donc resté un vrai Carnavalais, malgré votre jeunesse au Makota.

Il acquiesce, entendu évidemment.

— Les chats ne font pas des chiens.

Oeil amusé.

— Ni des lions.

Bobine de pellicule tournant dans son manège.

— Parlons du présent. Améthyste Castelage a annoncé le renouvellement du Conseil Municipal. On attend un appel de l'OND à tout moment. N'est-il pas trop tard pour vous poser en sauveur ?

— Ce sera aux Carnavalais de le dire.

— Mademoiselle Castelage n'a-t-elle pas damé le pion à tout le monde en ville ? Casse Investigation a montré sa phénoménale ascension. Ni Dalyoha, ni personne ne semble pouvoir la remplacer.

— Je ne crois pas que Poupette se porte candidate à l'élection municipale.

— Vous l'appelez de son surnom de clone...

— Je n'ai pas vu paraître son dossier génétique. Pour l'instant, le doute sur son authenticité biologique est donc permis, excusez-moi.

— "Poupette" est cependant une référence à une théorie du complot, selon laquelle Améthyste Castelage aurait été enfantée lors de l'Armaggedon't pour servir de fantoche lors d'un coup d'Etat sur Carnavale... Vous relayez cette théorie ?

— Je ne relaie rien, je n'exclue aucune hypothèse.

— Vous pensez qu'Améthyste Castelage serait une humanoïde de quelques mois ?

— Les clones poussent vite.

— Ce ne sont que des suppositions.

— En effet. Mais vous savez, je connais bien Poupette, comme si je l'avais faite.

Un ange passe.

— Revenons à l'élection municipale.

— Puisque vous y tenez...

— Pourquoi vous être déclaré candidat ? Que pensez-vous apporter à notre ville, qu'elle n'aie déjà ?

Briquet au bout de cigarette ; mégot fume dans cendrier.

— La grandeur.

Il s'esclaffe.

— Nous ne comprenons pas votre rire. Est-ce une plaisanterie ramenée du Makota ? Le diriez-vous encore avec une casquette rouge sur la tête ?

— Ne vous méprenez pas, je le pensai vraiment.

— Sans vous, pas de grandeur ?

— Je n'ai pas dit cela.

— C'est que ce que les Carnavalais comprennent.

— Ne vous faites pas ventriloque des Carnavalais. Ils n'ont pas besoin de sous-titres.

— Moi, j'en ai besoin. Alors, vous trouvez que Carnavale fait dans la petitesse ?

Pas de réponse. Trois temps s'écoulent.

— Je crois que nous nous sommes perdus ces derniers temps, oui.

— Regrettez-vous que la cité ne se soit pas rendue à l'OND ?

— Me prenez-vous pour un bouffon ?

— Les auditeurs doivent savoir.

— Qu'ils regardent plutôt du côté de la Citadelle.

Il désigne un coin de l'horizon.

— C'est ça, Carnavale ?

— Vous faites référence à la décision de Mademoiselle Castelage de solliciter l'intégration de la ville au sein de l'Union communaliste du Grand Kah.

— Oui.

— Et vous critiquez cette décision.

— Oui.

— Expliquez-nous alors pourquoi. Le Grand Kah n'est-il pas le camarade de Carnavale ?

— Sans doute.

— La lutte des classes n'a-t-elle pas pris fin à Carnavale ?

— Si, bien sûr. Cela va de soi.

— Alors quel est votre problème ?

— N'avions-nous pas mieux à faire que cela ?

Il écrase son tabac. Et reprend.

— Mettre fin à la lutte des classes, je suis désolé, mais ce n'est pas un programme. Et faire une révolution qui ne soit pas celle du Soleil, je trouve ça mesquin. Radin, même. Carnavale est l'astre de ce monde. Pas un fou en diagonale sur un tablier d'échecs !

— Monsieur Venbranle, ce que vous dénoncez-là, ce n'est hélas que le réalisme politique.

— Excusez-moi de ne pas être réaliste.

Puis, avec conviction.

— Excusez-moi d'être Carnavalais.

Il se lève. La caméra s'ajuste pour retrouver un bon angle de sa silhouette dans la lumière.

— C'est effectivement une belle journée que celle-ci. Malgré votre retour récent en ville, on vous sent tout imprégné de carnavalisme. Avec des idées pour notre capitale ?

— Tututut. Ne faites pas comme si cette élection était normale : tout le monde se fout des programmes. Ce qui compte, c'est la vision.

— Quelle vision avez-vous ?

— Pour le moment un panorama assez précis sur le dôme de la basilique, derrière les arbres.

Saint-Thomatthieu aux tuiles d'ardoise brille dans la lumière de juin. La caméra se rapproche. Angle intimiste. Focus sur son visage, qui regarde en contrebas.

— J'étais là, lors de l'Armaggedon't.

Silence chuchoté de la prise de vue. Ne pas perdre une miette de la spontanéité du candidat.

— C'était le soir du bombardement de la tour des Chiens écrasés. (Paix à leur âme.)

Il indique là-bas.

— Les foules avaient passé le parvis. L'heure était encore floue : Saint-Michel ou le Christ avaient signalé leur arrivée mais en-même temps la Bourse venait de disjoncter. Il y avait des centaines de personnes. Tiens, le mur porte encore les traces de l'incendie. Tous voulaient y arriver, arriver à la statue. Elle va se révéler, disait-on. Elle arrive. Qui ? Je ne sais pas si l'on parlait de la Vierge Marie ou d'un autre sein. Certains attendaient Saint-Michel, d'autres espéraient un certain "porteur de Lumière". Rien de tout cela ne s'est produit. Je crois que c'est de dépit, de rage que les messianistes ont ce soir-là choisi la résurrection immédiate au Royaume de Dieu ; comme si quelque chose avait été déréglé, comme si Carnavale valait mieux détruite qu'endommagée. Moi, je passai dans la foule, je n'étais pas là pour ça. Je cherchai quelqu'un. Je le cherchai, mais au milieu de visages défigurés par la frustration. Et puis, finalement, tout s'est résolu, comme un nœud de viscères qui en claquant se dénoue. Les anges et les démons ont fait un pacte : les premiers sont montés aux cieux, les seconds sont restés sur la Terre. Restait seulement à passer la serpillère. Après tout ce vacarme, un grand silence a régné. Oh, un silence de marbre. Je ne suis sorti de ma cachette qu'après être sûr de n'avoir pas rêvé. Et c'est là que je l'ai trouvé. Il se tenait cramponné à elle. La statue s'élevait au-dessus de moi. En fait, elle est assez petite. Je l'ai aperçue fugacement. Entre deux de ses masques. Et derrière les faces de la Lune, derrière ses figures, ses signes, sa comédie, j'ai vu - ce qu'il y avait à voir.

Il marque un silence. Ses lèvres se scellent. Puis à nouveau se décollent.

— C'était lui. Il avait tracé sur la tête lisse de la statue sans visage l'expression d'une énigme. Et avec le même sourire simple et sans fond, il me regardait. Je le décrochai, lui parlai, touchai sa nuque et ses cheveux, mais c'était trop tard. Il était mort.

Derrière lui, Carnavale, et le soleil.

— C'était mon frère. Je l'avais retrouvé, ici, en ville. Si je suis revenu, c'est bien par amour.

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Happy Lucky Chappy
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« Poupette » : la théorie folle
qui agite le Tout-Carnavale




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Réplique dissimulée, reliquat de clonage, copie frauduleuse : la sincérité du patrimoine génétique de Mademoiselle Améthyste Castelage, cheffe du clan et du régime provisoire, est remise en question par de folles rumeurs qui circulent dans les tuyaux des égouts comme dans les bouches d'aération du centre-ville. En cause : une entreprise de clonage entreprise sur sa fille par Arthur Castelage, il y a trente-cinq ans. Une expérience qui aurait connu des « ratés », selon une source indiscrète de Grand Hôpital : un ogre chauve cuistot à Velsna, des naines nonnes au Makota, une ectogenèse maladive dans une piaule du Drovolski : la sororité de la princesse dépasserait de loin les frontières de Carnavale, comme le rapportent des journalistes internationaux... A tel point qu'on interroge à présent l'actuelle dirigeante de la Principauté : est-elle vraiment la fille naturelle d'Arthur Castelage, ou bien un duplicat frelaté ? La rumeur, relancée par la candidature du complotiste, conspirationniste, antisémite et anticaricaturiste Julonin Venbranle, se répand comme une traînée. De poudre... blanche ? « Poupette » serait le nom d'un clone sécrété à partir du sang de la véritable Améthyste Castelage, réputée morte et ensevelie par les boues toxiques lors de l'Armaggedon't... « Poupette », un personnage fictif et purement théorique selon la presse généraliste, aurait été conçue par une « entité malveillante » qui en ferait son pantin pour gouverner Carnavale ! ... La rumeur enfle du côté des soutiens de l'ancien régime, amplifiée par des boucles numériques associées à des comptes Echo tels que @BringBackObéron ou @PervencheFanboiiis. bonjour
Une théorie subversive ?

L'application Wasl'App basée en Azur hébergerait « des milliers » de comptes anonymes « antipoupettistes », ce qui fait craindre, selon une source à Commissariat Central, des « tentatives de déstabilisation » et « d'ingérence électorale ». Les cyberpirates jashuriens suffiront-ils à endiguer la Poupette Theory ? Rien n'est moins sûr. Selon une étude de l'institut Doimouyé, 40 % des Carnavalais se déclarent hostiles à l'accès des clones aux droits civiques ; un terreau propice à un renouveau de clonophobie, selon des toutologues. « La rumeur se nourrit des incertitudes sur le dossier génétique de Mademoiselle Castelage », indique Anabette Glocule, de Casse Investigation ; « plusieurs versions fausses circulent d'ailleurs dans des revues hystérographiques », alimentant fantasmes et doutes alors que la campagne électorale a été lancée par les pouvoirs publics en vue du renouvellement du Conseil Municipal. Le vrai danger, selon Glocule ? « Que les Carnavalais se tournent vers des populistes extrémistes antiscientificistes » plutôt que vers les candidats post-armaggedontiens. « Les Carnavalais sont sensibles à l'idée d'une mainmise sur leur souveraineté », explique l'analyste, « même s'il y entre un peu de paranoïa. » D'où le succès de la Poupette Theory. Mais de qui Améthyste Castelage serait alors l'instrument ? Les vues divergent dans le marigot des fantaisies. Cousinade transblême, opération luciférienne, potentat kahiste : toutes les hypothèses existent. Dont l'une, et pas la moindre, ferait tout simplement d'Améthyste « Poupette » Castelage une fabrication des... Jardins Botaniques ! Délirant, vraiment ! ...
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Alianță

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Qui a déjà vu un agent Transblême ? Certainement pas les Carnavalais : ce genre d’individus ne courent pas les rues. Petit pays bien lointain, aux antipodes des vertigineuses ambitions civilisationnelles de la Principauté, la Transblêmie faisait figure d’anecdote. On se souvenait de son existence lorsqu’on regardait une carte, on se rappelait qu’elle existait lorsque, une fois de temps en temps, les informations daignaient s’intéresser à la situation géopolitique internationale. Et encore. Ces dernières années, le Grand-Duché faisait moins parler de lui. Sa présence éclipsée par des dictatures plus flamboyantes, ses crimes bien modestes en comparaison du bombardement de CRAMOISIE© ou de la catastrophe d’Estham. La Transblêmie existait recluse dans les montagnes brumeuses du Nazum, autant dire, un continent dont les Carnavalais n’avaient rien à foutre.

Qui se souvenait que Ion de Blême avait un jour foulé ce sol ? Qui se souvenait seulement de Ion de Blême ? Il faut être bien féru de géographie pour retenir les noms des dirigeants des pays qui ne sont pas le vôtre. Alors les Carnavalais oublièrent, et jamais ils ne virent un agent Transblême.

Pourtant, dans les labos profonds, dans les salons tamisés, tout toussotant de fumée de cigarette, derrière les rideaux poussiéreux, certains n’avaient pas oublié le lien ancien unissant la Transblêmie à Carnavale. Ion de Blême n’avait rien oublié de ses années passées à fouler le sol de la Principauté de Val, avant qu’elle ne devienne Carnavale, la cité noire, monstruosité gargantuesque perchée sur sa péninsule. Haute en couleur, forte en saveurs, les sens aiguisés, écharpés au couteau. Avant tout cela, Carnavale avait été un lieu où Ion de Blême s’était plu et où il avait appris. Tout ce qu’il savait, il le devait aux alchimistes de Carnavale, à ses cabalistes, ses chimistes et ses ingénieurs. Ceux-là qui avaient un jour contribué à libérer le peuple de Blême et à traverser la mer. Ceux-là qui étaient mort, mais Ion n’était pas mort, et il payerait sa dette à leurs enfants.

Agent Transblême. Ombre dans la cité noire. Des hommes pâles qui ressemblent à tous les autres. Votre voisin. Votre oncle. Vénérant dans la solitude des antichambres secrètes le nom du Grand-Duc. Impérissable soit sa chair. Dressant dans des placards scellés des autels à sa noire présence, dans la cité noire. La Transblêmie fait ton sur ton et les Blêmes ont l’habitude des secrets. Ils ont l’habitude de la résistance et du petit peuple qui râle et se plaint. Ils savent reconnaitre les ruelles et les passages souterrains. Ils sont faits d’un bois plus oriental, plus traditionnel et pourtant si semble aux Carnavalais. Les voilà, ils sont là parmi la foule, ils parlent la langue. Cela fait six-cents ans qu’ils attendent ce moment.

Un père de famille, dans le quartier des oranges, rentré tard, sa fille est déjà couchée. Sa femme, fatiguée, l’embrasse, lui demande comment ça va, s’il a passé une bonne journée. La journée est mauvaise, c’est Carnavale, mais il y a d’autres moyens de tenir. Dehors, un chien hurle, des coups de feu. Soirée banale. Sa femme lui dit qu’elle a trouvé un objet étrange glissé sous la porte de la maison en rentrant, qu’elle l’a posé sur la commode de l’entrée. Elle retourne à son livre, c’est un polar très sombre, presque comique.

L’objet en question ressemble à n’importe quel babiole. Peu importe ce qu’il est, peu importe à quoi il ressemble, différent pour chacun ou identique pour tous. C’est le geste qui compte.

— Je te rejoins dans un petit moment, dit l’homme à sa femme.

Sa femme fait hm hm pour lui dire qu’elle l’a bien entendu, et lui se glisse dans la salle de bain. Il garde la lumière éteinte, normale, pour les économies, ils ont déjà de la chance d’être rattachés à l’électricité, merci au syndicat du pâté de maison qui a fait le nécessaire. L’homme craque une allumette, seul son visage est éclairé par-dessous.

— Sinistre Sire ? Voyez-vous par mes yeux ?

Pas de réponse, jamais de réponse. Le signe glissé sous sa porte doit suffire à sa foi.

— Sinistre Sire, je ne vous ferai pas défaut, indiquez moi seulement vos desseins.

L’allumette s’éteint, elle a fini de se consumer et l’homme se brûle le bout des doigts en la lâchant. Dans le miroir qui disparait dans le noir, il lui a semblé voir un autre visage que le sien. Le Grand-Duc : il voit par ses yeux.

Les instructions viendront le surlendemain. Sachant que le Grand-Duc partage son regard, l’homme fait preuve d’une hyper acuité. Attentif à tout son environnement, il a presque tout de suite remarqué que la fiche d’instruction placardée dans le hall d’entrée de l’immeuble formait un acrostiche. Un lieu, une date, un horaire. L’homme s’y rend à la date convenue. C’est une rue banale, quoique étroite. Comme presque tout le quartier des oranges, l’éclairage est défaillant. Une ombre se détache de l’obscurité. Ami ou ennemi ? Les guet-apens sont nombreux et malgré ses précautions, il n’est pas à l’abri de se faire détrousser. Mais non, il n’a pas peur, le Grand-Duc est là. Il voit par ses yeux.

— Ami ? demande-t-il.

C’est le même mot en français et en langue secrète.

Ami.

L’homme souffle silencieusement, soulagé. Celui qui se présente à lui a parlé avec un accent léger, mais audible. Un Blême. Non ! Un Transblême !

Le Grand-Duc voit par mes yeux ! s’exclame le père de famille.
Ainsi que par les miens, répond l’autre en langue secrète. Il est temps de payer l’ancienne dette.

L’ancienne dette. Le pacte noir, celui qui a offert aux Transblême la technologie, qui a permis l’exode et l’immortalité au Grand-Duc. Mythique, légendaire, tous les fils de Blême à Carnavale savent que ce jour viendrait, l’espérant et le redoutant. Ainsi le Grand-Duché vient-il en aide à la Principauté. Les deux pôles de l’Eurysie, chacun depuis son bout du monde, se reconnectent enfin.

Que dois-je faire, demande le père de famille dans un blême balbutiant.
M’héberger. Le temps qu’il faudra, et me guider dans la ville.

L’espace d’un instant, le père de famille pense à sa femme et sa fille. Que diront-elles ? Mais déjà une ombre imperceptible passe dans le ciel et il sait que le Grand-Duc vole là-haut quelque part. Qu’il sera bientôt là. Qu’il faudra l’accueillir.

Je ferai ce que je peux.
Alors amenez moi chez vous.

Parcourant le quartier, anonymes comme les rats, Transblême et Blême, parfaitement semblables à quelques générations près.
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L'ancienne alliance

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Opération clandestine visant Carnavale

Pays infiltrant: Grand-Duché de Transblêmie
Pays infiltré: Principauté de Carnavale
Prévisionnel de la date (RP) de l'action clandestine : 10/07/2017 + 21
Prévisionnel de la date (HRP) de l'action clandestine : 07/09/2025 + 7
Type d’opération : Récolte d'informations sensibles. Opération à 10 000 points.


Province cible : #21349

RECONTEXTUALISATION / FRISE CHRONOLOGIQUE DES EVENEMENTS PRE-OPERATION :

Depuis bien longtemps la Transblêmie et Carnavale entretiennent des liens étroits. C'est Carnavale qui a fournit au Grand-Duché la technologie noire, l'art de l'usage des clones et de l'emploi des produits chimiques hallucinogènes qu'il utilise contre ses ennemis. Le fondateur du Grand-Duché, Ion de Blême en personne, aurait un jour été étudiant à Carnavale et c'est Carnavale qui aurait fourni, dans la mythologie transblême, certains des pouvoirs employés pour faciliter l'exode historique de la Pal. Que cela vrai ou faux, fabulé ou réaliste importe peu : seul compte le mythe et la présence bien réelle, elle, de populations descendantes des Blêmes en Carnavale. Intégrés, invisibles, ils passent de générations en générations les traditions familiales : l'autel, le miroir et la prophétie. Un jour viendra où le Grand-Duché paiera sa dette à la Principauté. Ce jour est venu.


Cette opération se repose sur plusieurs forces et éléments concrets :
  • Les liens anciens unissant la Principauté de Carnavale et le Grand-Duché de Transblêmie, ancrés dans le roman national transblême et partie intégrante de la mythologie entourant la figure du Grand-Duc.
  • La place qu'occupe la mythologie transblême dans l'imaginaire des Blêmes, surtout exilés, pour tenir loin de chez eux et en particulier dans une ville comme Carnavale.
  • L'habilité transblême à mener la guerre psychologique et user d'armes non conventionnelles telles que la terreur pour soumettre leurs cibles.
  • L'art du secret et de la conspiration, omniprésent dans l'imaginaire culturel blême.
  • Les proximités culturelles et linguistiques entre le français (Carnavale) et le roumain (Blême).
  • Le Grand-Duché est habitué aux opérations ambitieuses hors de ses frontières et à infiltrer des agents loin de son territoire en s'appuyant sur la mystique entourant la figure du Grand-Duc.
  • Certains agitateurs (comme ceux de Sylva) sont assez peu discrets : couleur de peau, accent remarquable, etc. comme souligné dans ce post.
  • Les agitateurs socio-démocrates sont prévisibles : croyant aux vertus de la démocratie, ils ont également tendance à cibler les quartiers pauvres pour toucher les masses, ce qui limite le périmètre de surveillance.

Beaucoup de voyants sont donc au vert pour agir à Carnavale.


OBJECTIFS DE L’OPÉRATION
Mobiliser la vieille diaspora blême à Carnavale pour guider les agents du Grand-Duc dans la ville et mettre à jour les projets d'ingérence étrangère qui pourraient passer sous les radars de la police.


Réussite majeure :
  • La Transblêmie établit une veille d'espionnage à Carnavale qui lui permet désormais d'être informé des manœuvres d'agitprop menées par des puissances étrangères. Cela ne concerne que les complots visant à agiter les masses ou des groupes sociaux larges, pas les conspirations visant des individus en particulier. La Principauté de Carnavale aura désormais le champ libre pour procéder à l'arrestation des agitateurs ou en faire ce qu'elle veut.


Réussite mineure :
  • La Transblêmie établit une veille d'espionnage à Carnavale qui lui permet désormais d'être informé des manœuvres d'agitprop menées par des puissances étrangères. Cela ne concerne que les complots visant à agiter les masses ou des groupes sociaux larges, pas les conspirations visant des individus en particulier. Les informations récoltées ne permettent toutefois pas l'arrestation des agitateurs, seulement d'être informé de leurs intentions.


Echec mineur :
  • La manœuvre est annulée faute de garanties de sécurités suffisantes pour les agents du Grand-Duc.


Echec majeur :
  • Carnavale est trop bouillonnante pour permettre la collecte d'informations pertinentes. Tout ce que le Grand-Duché récolte, c'est du bruit qui risque de lancer les Carnavalais sur de fausses pistes et les pousser à se disperser.


LIMITES ET CONTRAINTES DE L’OPERATION
(ne pas hésiter à demander aux concernés l’ajout d’éventuelles contraintes supplémentaires)

Plusieurs limites et contraintes sont à prendre en compte dans l’arbitrage de l’opération :
  • Carnavale est une mégalopole tentaculaire de plus de cinquante millions d'âmes, insaisissable par nature, faire remonter des informations fiables est assez complexe, même pour des services secrets expérimentés comme ceux du Grand-Duché.
  • L'accès à certaines zones est dangereux voire impossible, même pour des natifs. Il est donc compliqué d'avoir une vision globale de la ville.
  • Le temps, cruel, peut distendre certains liens, et même si la Transblêmie a tâté le terrain auprès de ses fidèles en amont, tous les fils de Blême ne sont pas disposés à servir le Sinistre Sire.


Moyens engagés :
De l'huile de coude et une puissante et ancienne cosmogonie.
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Carnavale, une ville défavorable à la loyauté et au sentiment d'appartenance.

Ruche tentaculaire et étouffante, jungle urbaine où règne un capitalisme sauvage, domination d'une oligarchie ploutocratique, peu de chose font envier la vie en Carnavale. La Principauté est un impitoyable enfer pour les classes laborieuses contraintes de vivres dans les ruines du Quartier des Oranges, de travailler dans les gaz toxiques du Quartier des Brumes et de se réfugier dans les fétides profondeurs des égouts. Ces conditions de vie touchent une bonne partie de la population, et ce ne sont pas que les plus pauvres qui sont contraints de vivre dans cette hasardeuse promiscuité. Mais au-delà d'être une infrastructure fondamentalement inconfortable, Carnavale est simplement incapable de générer la moindre notion d'appartenance. Les spectacles déjantés, les activités décadentes accessibles et les produits impensables çà et là en font peut-être un objet de fascination, mais une fascination purement consumériste. Aucun patriotisme ne saurait émerger d'un tel milieu qui assume à ce point être un dépotoir à ciel ouvert. La Rubrique des Chiens écrasés de son temps partageait avec cynisme l'horreur constante de la vie sur place, un monde sans loi si ce n'est celle de ceux qui peuvent se financer une milice.

Comment les habitants peuvent-ils définir la Principauté ? Quels mots peuvent-ils employer ? Maison ? Probablement. Patrie ? Moins probable. Paradis ? Hormis pour une minorité de nantis, personne ne pourrait comparer Carnavale à un véritable paradis du moment que l'on sort de ses quartiers de débauche. Les élites carnavalaises elles-mêmes la voient comme une propriété privée, leur terrain personnel plus qu'un pays à part entière. Ce semblant de nation est l'antre du stupre au mieux. Les petites mains qui errent dans les rues dominées par les buildings cyclopéens n'ont rien pour s'accrocher à ces monolithes de béton, ni pour s'identifier à l'image d'un "citoyen de Carnavale". Non, ce sont simplement des âmes écrasées et le peu qui leur est accessible dans la société de loisir carnavalaise ne suffirait pas à créer la moindre attache ou motivation. On ne se met pas au labeur pour faire la Grandeur de Carnavale ou se garantir un bon confort de vie, non, on travaille uniquement pour survivre, et ce, dans les pires conditions.

Aucun mécanisme en Carnavale ne permet d'intégrer ses propres citoyens. Ce sont des engrenages à qui l'on n'offre même pas l'illusion d'un plaisir matériel abordable comme on pourrait le retrouver dans d'autres enfers capitalistes. Non, les quartiers sont à l'abandon et ne comptent que sur eux même. L'autorité centrale les a abandonnés et ils doivent compter sur leurs propres syndicats de police et le bénévolat des sectes satanistes (auparavant du moins) pour avoir une prétendue sécurité et un minime accès aux services vitaux. Ils forment leurs propres fragments de communauté, éparpillés dans une communauté fracturée. Ils ne sont pas un tout, ils sont des morceaux à l'abandon balayé par le vent et les gesticulations d'oligarques ultrariches vivant dans leur monde à part, élevé au-dessus de la plèbe carnavalaise.

La classe moyenne apte à profiter d'une certaine stabilité, que ce soit dans la sécurité, la consommation et les services publics, peut quant à elle au moins se réfugier dans une vision apartisane désintéressée de la politique du moment qu'elle peut encore baigner dans cet ilot illusoire de petit confort, dans un coquet appartement à trois arrêts de monorails des principales rues de service de la ville. Mais comment cela pourrait-il aller plus loin ? Comment ces gens qu'on laisse pourrir dans une mare paradoxalement aussi stérile que grouillante pourrait prétendre que cet étang d'acide où flottent des nénuphars morbides pourrait être leur patrie et qu'ils devraient se battre pour la défendre ? On a construit des silos de missiles et des aéroports sous leurs pieds, on les a entassés dessus quand l'OND est arrivé. La principauté a fait davantage d'efforts pour maximiser le carnage de ses administrés (peuple serait assez inapproprié comme terme) de manière à se positionner en victime avec les successifs carnages de Kabalie et d'Estham. Les gens poussés au sifflet à se parquer sur les bouches des silos quand fusent les bombes de l'OND devraient-ils se sentir concernés à défendre cette ruine fumante pour s'opposer d'une unique voix au nom de ceux qui cherchent à les faire crever la gueule ouverte pour une campagne médiatique ?

Les frappes de l'OND et la crise post-Armageddon't, catalyseur de mouvements populaire.

Or, si cette classe moyenne pouvait encore feindre l'ignorance sur sa situation pour se complaire dans un superficiel confort matériel, elle ne peut présentement qu'être submergé par l'écrasant retour à la réalité. Bombardement de l'OND, suicide collectif de l'oligarchie aristocratique, anéantissement de l'administration. Cet équilibre précaire est ébranlé et tout ce qui assurait le bon fonctionnement de la ville a été balayé par les conséquences des actions de l'oligarchie carnavalaise. On ne sait plus à qui appartiennent les moyens de production, à qui sont les coffres, qui payera les salaires. Le dispositif administratif est effondré sous le bombardement et la réaction d'urgence est de nationaliser dans la confusion pour financer les reconstructions. Mais les choses ne se réparent pas aussi rapidement, il faut tout réorganiser, faire l'inventaire de ce qu'il reste, déterminer les besoins, rétablir les nœuds logistiques et administratifs, entreprendre une supervision globale. Certaines usines produisent à nouveau, mais ne distribuent plus, des stocks pourrissent dans des entrepôts où sont détournés, d'autres industries tournent à vide faute de composants importants.

L'économie n'est plus qu'un chaos tonitruant dont les fleurons ont été balayés. Le prestige de Carnavale n'est plus après qu'ait été rappelé sa profonde limite. Et ce seront encore les citoyens qui en payeront le prix. Les étales de marchés sont vidés, les camions se perdent et les efforts de l'administration se focalisent à relancer la production militaire et réparer quelques espaces culturels réservés aux nantis. Les immeubles sont maintenant envahis de squatteurs une fois que se sont suicidés leurs propriétaires, il est impossible pour l'administration de se rétablir suffisamment vite en des délais aussi court après que l'unique métropole fut décapitée de l'intégralité de sa classe dirigeante. Cette hasardeuse machinerie qui confortait la classe moyenne dans un confort relatif est enraillée et expose brutalement à la réalité de Carnavale, plongeant la tête dans le cambouis puant de ses rues.

Cette classe moyenne jusque-là désintéressée de la politique depuis son petit plateau de confort s'est fait attraper par les pieds et trainer dans les rues boueuses parsemées de débris. Ces cadres et ingénieurs n'ont plus d'essence pour leur berline, ni de magret OGM pour le diner et encore moins de piles pour la télécommande de leur télévision holographique. On les a privés de ce pourquoi ils avaient travaillé si dur à l'école et en entreprise. Pourquoi ? Qui ? Comment rétablir Cela ?

Élections municipales, des candidats et élites plus déconnectés les uns des autres de la réalité et des besoins des citoyens.

L'OND, l'OND et encore l'OND, c'est la réponse apportée par les trois quarts des candidats à la principauté, issus de l'élite carnavalaise qui a façonné la métropole au gré du temps et la plonger dans le nœud d'évènements qui ont provoqué cette crise. Cette même élite qui a provoqué le génocide de Kabalie pour on ne sait quelle lubie ou frappé une chapelle nordiste, annonce maintenant qu'il faut poursuivre sur la même voie que Carnavale l'avait toujours fait et qui l'a plongé dans cette spirale d'abyme. Encore une fois, cette élite hors sol se lance dans l'adoration des causes dont elle déplore aujourd'hui les symptômes. Après avoir assassiné deux millions supplémentaires d'innocents, Carnavale s'est vu à nouveau imposer une condition : renoncer définitivement à ses armes de destruction massive, responsable d'un tel crime. Sa réponse fut inchangée et elle se précipita de déclarer développer de nouvelles armes encore plus terrifiantes, et les candidats à la mairie surenchérirent. On s'accrochait désespérément à ces causes en espérant que "cette fois-ci, c'est la bonne, ça vaincra définitivement l'OND !".

Très peu de ces aspirants à la mairie ont fourni une analyse qui toucherait plus que cinq pour cent des administrés de Carnavale. Toujours plus d'armes de destruction massive, un empire spatiale, un paradis artificiel et c'est tout. L'idée de réellement se pencher sur la source de ces problèmes n'est parvenu à l'esprit de quasiment aucun d'entre eux. La misère ambiante, l'oppression des travailleurs, la gestion catastrophique du pays, la politique et diplomatie désastreuse qui l'a ainsi isolé sont de véritables tabous. C'est là encore une conséquence logique de ce qu'est Carnavale : une jungle urbaine sauvage ou règne la loi du capitalisme débridé, dirigée par une caste vivant dans son petit nuage d'air conditionné au plus loin des brumes viciées où baigne le commun des morts. La politique n'est qu'un jeu pour les gens de cette espèce, la supervision de la ville est un petit plaisir pour se faire mousser, un vecteur d'accession à ses fantasmes spatiaux ou de dictateur en herbe. La drogue et les excès physiques ne suffisent plus à cette espèce dégénérée qui a besoin de plus, des plaisirs plus approfondis : le pouvoir et rien d'autre.

Est-ce dans cela que doivent croire les gens qui ont perdu leur écran plat ? Les gens qui ont vu disparaitre leur qualité de vie, ou qui ne l'ont jamais vu du tout, devraient-ils s'y retrouver dans ces promesses de démesures qui vont toujours plus loin... des problèmes des administrés ? Difficile de voir dans cette parade politique davantage qu'une mascarade par et pour les mêmes vampires, qui sucent jusqu'à la moelle les habitants des quartiers défavorisés pour assurer leur propre surconsommation sanglante.

Les moyens de communication établis par les services sylvois.

Entre la structure profondément défavorable à un sentiment d'appartenance nationale, la crise qui a ébranlé le peu de repère des administrés et l'absence de réponse fournie par l'aristocratie politique, le terrain est favorable à la récupération politique et l'établissement d'un réseau souterrain de communication et subversion. Les agents sylvois, profitant du chaos ambiant et de la déstabilisation profonde des services carnavalais déjà sur-mobilisés, disposent ainsi de nombreux axes d'infiltration dans ce milieu ultra-capitaliste. En premier lieu, c'est une subversion dans les points les plus critiques qui est opérée, via des journaux aux écrits simples et clairs que l'on peut aisément propager, même avec du bouche-à-oreille. Là, les sylvois développe un lien de proximité avec des populations isolées et marginalisées, en quête de repère dans un monde qui les assène quotidiennement d'une violence systémique écrasante.
Le vide laissé par le départ des cultes satanistes du Quartier des Orange peut rapidement être investie pour développer un petit tissu associatif au milieu de ces communautés morcelées, qui s'organisent péniblement. L'objectif est triple : mettre des mots sur les problèmes des habitants pour qu'ils sachent vers quoi se tourner et se politisent, les organiser en petits groupes soudés pour qu'ils puissent se soutenir mutuellement et établir des noyaux idéologiques durs, puis propager ces idées.

Une fois constitués ces petites cellules, la communication peut s'accentuer en multipliant les axes de circulation. C'est également l'occasion pour les agents sylvois de prendre du recul. En effet, l'étau se resserre sur eux et ils doivent multiplier les changements de planques. Maintenant, les cellules partisanes constituées peuvent commencer à se pencher sur leurs problèmes de manière autonomes et à propager leurs conclusions pour constituer davantage de cellules. Cette communication jusque-là assurée par des journaux imprimés clandestinement peut présentement passer par des médias plus traditionnels carnavalais, que ce soient les réseaux sociaux ou forum accessible mondialement (s'il le faut avec des VPN et proxy pour passer les éventuels pare-feu), des radios amateurs, des tracts manuscrits partagés entre individus de confiance ou dans les boites aux lettres.

La répression contre ces médiums devrait à ce stade les alimenter : la ville a été bousculée, les habitants sont en perte de repère et ils ont besoin de réponses introuvables auprès de la classe politique. Les mots qui arrivent enfin à mettre sur leurs malheurs ne seraient que confirmés si la seule réponse qui leur serait finalement apportée serait de les faire taire par la force. Cela conforterait un narratif opposé à cette lignée de politiciens aristocrates bien à part dans leur petit monde.

La constitution d'un réseau organique et décentralisé de militant.

Ainsi constitué, les cellules militantes pourront opérer en toute autonomie de manière autonome et organique. Fondamentalement décentralisées, elles seront malgré tout capables d'établir des nœuds avec les cellules voisines pour établir un réseau semblable à des neurones. Cette configuration apporte un nombre très important d'avantages. Le premier est qu'il est autonome et alimenté par l'environnement carnavalais lui-même plutôt que par une subversion sylvoise. Passé un certain stade, qu'il reste ou non des sylvois sur le terrain, les argumentaires sont déjà acquis et réappropriés par les cellules partisanes. Le deuxième grand avantage de cette configuration en neurone est son efficacité qui permet de se réapproprier localement le discours auprès de figures de proximité, impliquant de le modifier si nécessaire pour correspondre davantage à la situation d'un quartier. Les classes prolétaires du Quartier des Oranges et les classes moyennes du Quartier des Mirabelles auront ainsi un narratif qu'elles pourront décortiquer et ajuster à leur guise pour exprimer leurs problèmes et malaises bien trop ignorés. Ce fonctionnement organique en neurone démontre aussi son efficacité avec la capacité des cellules de faire preuve d'initiative sans devoir répondre à une chaine organisationnelle complexe, tout en étant capable d'actions collectives ordonnées en se mettant en relation pour définir des objectifs communs, répartir des missions et les appliquer localement avec une certaine autonomie. Et enfin, ultime avantage de ce réseau de neurones : il est résistant et profondément intégré dans le tissu social. Le défaire demande de vaincre suffisamment de cellules diluées dans la foule pour que leurs voix ne portent plus assez pour maintenir une inertie constante. Il ne suffit plus de traquer un réseau pour retracer sa hiérarchie, il faut maintenant s'attaquer à une infinité de groupes et sous-groupes qui se reforment en permanence.

Création d'un nouveau narratif mettant à profit la situation actuelle pour mettre en évidence le décalage entre la politique carnavalaise et les besoins du peuple.

L'objectif finale est d'établir, ancrer et consolider un discours ne cherchant non pas à être favorable à l'OND, mais à mobiliser les foules contre les sources de leur misère : le modèle aristocratique et radicalement ultra-militariste carnavalais. Considérant le manque flagrant d'efforts dans l'amélioration de la qualité de vie des citoyens au profit d'un complexe militaro-industriel boursouflé pour nourrir un fantasme de destruction totale de l'adversaire, il est clair que la direction politique actuellement adoptée par Carnavale ne saura répondre aux besoins de ses citoyens. Le narratif qui s'imposera devra alors permettre à l'ensemble des administrés de pouvoir mettre des mots sur la situation et la cause de leurs malheurs en allant au-delà du discours victimaire entretenue par la Principauté. L'objectif final est surtout d'amener à des mouvements exigeants un réajustement de la politique et diplomatie pour résoudre les causes mêmes de tous ces problèmes. Cela implique un rejet des armes de destruction massive qui sont non seulement incapables de prémunir des menaces, mais qui en plus provoque une hostilité massive à l'encontre de Carnavale tout en étant systématiquement utilisés de manière inappropriée (si tant est qu'une ADM puisse être utilisé de manière appropriée).

À la place, les moyens normalement alloués à ce démesuré complexe militaro-industriel et dans ces laboratoires visant à développer des pathogènes contre-productifs doivent être réorientés dans des infrastructures répondant aux besoins de la population. Reconstruire des logements et des routes, embaucher du personnel pour assurer la reprise de la production et distribution, financer des mesures sociales approfondies, les administrés ont suffisamment contribué à la société carnavalaise pour en profiter des fruits plutôt que de les laisser dilapidés par une élite aristocratique qui se contente d'aboutir des fantasmes dégénérés de conquêtes et génocides. Pareillement, ce narratif se désintéresse d'une victoire militaire de Carnavale contre l'OND et se focalise davantage sur la survie des carnavalais, bien trop utilisés comme des boucliers humains par la principauté qui cherche tout le contraire de les défendre.
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Adieu ADM !
Journée ensoleillée

Opération d'influence politique et culturelle visant Carnavale

Pays infiltrant : Duché de Sylva
Pays infiltré : Principauté de Carnavale
Prévisionnel de la date (RP) de l'action clandestine : 08/08/17
Prévisionnel de la date (HRP) de l'action clandestine : 16/09/25
Type d’opération : Propagande idéologique (10 000 pts)


Province cible : #21349

RECONTEXTUALISATION / FRISE CHRONOLOGIQUE DES ÉVÉNEMENTS PRE-OPÉRATION :

Suite à la frappe contre une chapelle nordiste, puis au génocide de Kabalie et à l'holocauste d'Estham, la principauté s'est positionné en menace toujours plus importante et dégénérée incapable de modérer ses réponses. La chose s'est faite sous la supervision d'une aristocratie hors sol focalisée sur des ambitions dénuées de sens concret au détriment de la population carnavalaise, réduite à l'état de bouclier humain par l'administration. Même après les frappes de l'OND en réponse à l’ignominieuse frappe contre la capitale nordiste, le gouvernement de transition de Carnavale s'est empressé par la voix d'Améthyste Castelage de lancer le développement de nouvelles armes bactériologiques et de concentrer davantage d'effort dans la reconstitution de l'arsenal militaire plutôt que dans l'amélioration de la condition de vie des administrés.

Considérant l'entêtement du gouvernement carnavalais à s'appuyer sur ces pathogènes en refusant de s'engager à renoncer concrètement à leur usage et considérant que Carnavale est une menace avérée à qui on ne peut autoriser l'accès à un tel arsenal, le Duché de Sylva entreprend de mettre à profit l'instabilité carnavalaise pour déclencher une réaction de mécontentement chez la population. Considérant l'état déplorable dans lequel vivaient les classes prolétaires et la baisse de qualité de vie des classes moyennes suite aux bouleversements opérés par les frappes de l'OND, on se retrouve avec une population privée de ses repères et n'ayant aucune accroche ou loyauté particulière envers la structure carnavalaise qui leur est explicitement hostile.

Cette opération s'appuie sur l'infiltration d'agents de proximité pour développer une sympathie auprès des habitants pour les aider à identifier la cause de leurs malheurs, mettre des mots dessus et construire de manière autonome un discours sur la question. Ces cellules militantes formées devront ensuite se réapproprier les moyens de communication habituels de Carnavale pour amener à la constitution de davantage de cellules partisanes indépendantes et fonctionnant en réseau. En développant un tissu associatif, il est possible de développer un réseau de proximité qui saura offrir aux habitants des réponses à leurs problèmes pour leur permettre de l'exprimer.

La finalité de ce réseau est de développer une contestation solide envers cette lubie des armes de destruction massive et cette politique étrangère agressive en identifiant ces éléments comme l'une des causes des malheurs des habitants. Les autres causes identifiées sont évidemment les politiques menées par les élites aristocratiques visant à une oppression assumée des citoyens (cf. un peu toutes les Rubriques des chiens écrasés). S'ajoute à ces revendications un refus de se battre pour une minorité aristocratique ou de servir à nouveau de bouclier humain.
Il convient d'appuyer que ce mouvement s'organiserait en cellules décentralisées et autonomes pour maximiser les initiatives locales et une organisation organique apte à évaluer et répondre rapidement aux problèmes, tout en pouvant se mettre en relation (comme un réseau de neurone) pour conjointement prendre des décisions globales et répartir des missions accomplies localement.


Cette opération se repose sur plusieurs forces et éléments concrets :
  • Fondamentalement, rien ne permet à la majorité des carnavalais de développer un sentiment d'appartenance, de loyauté ou de patriotisme envers la Principauté, tant elle est écrasante et les intègre comme de simples engrenages déshumanisés.
  • Les bouleversements provoqués par les frappes de l'OND (suicides collectifs des propriétaires boursiers, effondrement de l'organisation, destructions d'usines importantes, déstabilisation des dispositifs de supervision et distribution) ont ébranlé le mode de vie des classes moyennes carnavalaises et les ont sorties de leur confort.
  • Alors qu'Améthyste Castelage avait déjà annoncé se focaliser sur la reconstitution de l'arsenal en priorité, les candidatures aux élections municipales confirment la déconnexion totale des élites dirigeantes qui insistent pour faire Carnavale s'enfoncer dans les dérives qui l'ont plongé dans cette crise plutôt que de se pencher sur le bien-être des citoyens.
  • Le départ des sectes satanistes a laissé un vide dans le tissu associatif permettant aux agents infiltrés sylvois de développer un réseau de proximité.
  • L'infiltration et la dissimulation des agents sylvois ainsi que le développement des réseaux d'influence est facilité par l'absence générale d'ordre en Carnavale (en particulier dans les quartiers défavorisés), phénomène accentué par les bouleversements provoqués par l'Armageddon't.
  • L'opération met soigneusement à profit l'ensemble de ces éléments pour catalyser une réaction subversive
  • Les réseaux médiatiques de Carnavale ont été ébranlés et l'ensemble de l'appareil assurant son soft power est grandement diminué, contraignant la fascination qui pouvait entretenir un semblant d'emprise sur les administrés.
  • Le caractère chaotique et complexe des strates sociales enchevêtrées en Carnavale favorise le développement de courants contestataires et militants alimentés par une communication subversive.
  • La Principauté répondant déjà par la répression, s'ajoute au sentiment d'abandon un autre d’oppression qui alimentera la critique populaire.
  • Les administrés de Carnavale sont utilisés comme des boucliers humains, chose qui s'ajoute à la déshumanisation globale qu'ils subissent et empêche au développement d'un sentiment d'appartenance ou de loyauté envers la Principauté. La ville cherche littéralement à maximiser les morts plutôt que protéger, positionnant son administration davantage comme une menace contre laquelle les habitants doivent se protéger que contre un foyer réconfortant inspirant au patriotisme et sacrifice.
  • Les Égouts de Carnavale sont un environnement redoutablement favorable à la dissimulation et aux opérations souterraines (badam tss).

Beaucoup de voyants sont donc au vert pour agir à Carnavale.


OBJECTIFS DE L’OPÉRATION

Réussite majeure :
  • Un réseau contestataire d'envergure, composé de cellules indépendantes et décentralisées, mais aptes à se coordonner s'organise. Leurs objectifs sont de s'opposer à la politique d'ensemble actuellement adoptée par Carnavale, plus précisément la détermination de la principauté à maintenir ce qui s'apparente de prêt ou de loin à des armes de destruction massive, le maintient d'une politique étrangère agressive, l'obsession pour le développement d'un complexe militaro-industriel boursouflé. Inversement, ces mouvements militent pour l'organisation d'une véritable politique sociale allant au-delà des annonces superficielles, avec des investissements concrets, quitte à abandonner les projets militaires.


Réussite mineure :
  • Un réseau de cellules militantes contestataires s'organise localement, bien que les capacités d'interaction et d'organisation pour des opérations plus globales restent plus limitées. Ce réseau permet malgré tout de véhiculer médiatiquement une opposition aux politiques et décisions hostiles de la principauté. Si ces cellules sont aptes à émettre de manière autonome leur propre argumentaire et appréhender les enjeux et problématiques pour proposer des solutions, on peut toujours identifier une implication sylvoise dans l'organisation de ces réseaux.


Échec mineur :
  • Trop peu de cellules parviennent à se former pour générer une inertie médiatique suffisante à l'entretien du mouvement et à une perpétuation pérenne des revendications. Leur impact local est négligeable et une implication sylvoise est très clairement identifiée.


Échec majeur :
  • Non seulement les réseaux ne prennent pas, mais les agents sylvois ne parviennent pas à rester dissimulés parmi la population qui se montre trop peu réceptive. Les axes d'opération sont identifiés et permettent à la Principauté de réorganiser ses services de renseignement pour réduire les vulnérabilités à ce niveau.


LIMITES ET CONTRAINTES DE L’OPERATION

Plusieurs limites et contraintes sont à prendre en compte dans l’arbitrage de l’opération :
  • La population carnavalaise semble apartisane et complètement désintéressée des enjeux, principalement concentrée à assurer sa survie que se pencher sur la politique.
  • Les résultats préalables de l'opération de la Transblémie seront à prendre en compte et pourront amener une contrainte supplémentaire.
  • Les réseaux associatifs devront être développés de zéro.
  • Le milieu reste dans l'ensemble hostile aux étrangers.


Moyens engagés :
  • Les services de renseignement et espionnage sylvois, disposant de moyens conséquents et bien supérieurs au contre-espionnage carnavalais déstabilisé par la situation actuelle. Cela inclut un personnel compétent et loyal, bien encadré et bénéficiant de structure stable et d'un accompagnement encourageant avec des moyens matériels importants.
  • Le dispositif médiatique et promotionnel de Sylva qui permet l'établissement d'un certain soft power, d'associer les sylvois à des individus amicaux venant d'un pays luxuriant où la vie est douce. Cette fascination devrait partiellement contrebalancer l'image « hostile » renvoyée par l'OND.
  • Un réseau de communication décentralisé en accédant à divers serveurs via des VPN et proxy pour passer outre les éventuels pare-feu carnavalais et permettre un accès aux réseaux sociaux et forum pour assurer un relais supplémentaire à la circulation des idées.
  • 195
    Pendant que le monde s'agitait pour des viles questions "géopolitiques", "économiques" et "politiques", dans l'ombre, des forces qui dépassaient l'entendement s'agitait dans la lutte pour le VERITABLE pouvoir !
    9042
    NOTE DE REACTION RELATIVE A L'EMERGENCE D'UN LIEN CARNAVALE-NEMEDIE EN AFAREE LE DOCUMENT EST DISPONIBLE AUX PROCÉDURES DE DECLASSIFICATION A PARTIR DU 14/11/2116



    Ministère du Renseignement d'État (MRE)




    CLASSIFICATION : CONFINEE
    DIFFUSION : RESTREINTE OND


    SOUTIEN FARAVANIEN AUX OPERATIONS DE GUERRE PSYCHOLOGIQUE SYLVOISES EN PRINCIPAUTE DE CARNAVALE


    NUMÉRO : 0912-2017
    MRE-3SD-POPS
    SAF-AIR-CAP
    le 22/07/2017
    à Bandarhan


    Le document est issu d'une note interne au Ministère du Renseignement d'État (MRE), sa diffusion à l'Organisation des Nations Démocratiques a été autorisée par le pôle partenariats. Cette note reste propriété intégrale de son créateur, ne pas diffuser sans autorisation préalable du MRE.



    Dans le cadre du conflit qui oppose l'Organisation des Nations Démocratiques à la Principauté de Carnavale, le sujet du désarmement carnavalais est central. Un des objectifs affichés des opérations conjointes de l'alliance onédienne est de prévenir toute capacité carnavalaise qui lui permettrait de reproduire l'holocauste d'Estham. Dans ce but, l'OND a décidée de la destruction systématique des armes de destruction massives de la principauté et de leurs vecteurs. Ces objectifs ont été au moins partiellement atteints a la suite des différentes opérations aériennes de la coalition. Néanmoins, l'effet final recherché reste de priver de manière définitive Carnavale de ces technologies et d'empêcher leur acquisition ou redéveloppement futur. Si la destruction des moyens techniques et industriels carnavalais liés à ces programmes est centrale à l'accomplissement de ces objectifs, ils ne représentent qu'une solution partielle. Saper la volonté par les populations et la classe politique de poursuivre des projets d'armes de destruction massive reste la clé afin de prévenir un nouvel Estham ou une prolifération de ces technologies. Or, les déclarations portées par Améthyste Castelage et la nouvelle administration carnavalaise sur le sujet laissent présager non seulement la poursuite des efforts de la principauté dans ce sens mais également leur intensification. Il va de soit qu'un tel développement est contraire aux objectifs que se sont fixés les nations de l'OND et se trouve de fait inacceptable dans le cadre de la poursuite des efforts coalisés de désarmement. En parallèle des dispositifs conventionnels prévus par l'alliance pour entraver les actions de la principauté, il convient d'adopter toutes les dispositions qui permettraient de faire avancer la cause onédienne. C'est dans ce but que le Duché de Sylva a initié une série d'opérations d'influence visant à développer les cercles pacifistes au sein même de Carnavale et ainsi assister l'émergence d'une opposition interne. Il est souhaitable qu'un mouvement populaire soit en mesure de stopper de l'intérieur les ambitions en armes de destruction massive de la principauté.

    Dans le cadre de l'engagement conjoint des nations de l'OND face a cette menace et de la coopération interalliée, l'agence de renseignement onédienne One Eye est en mesure d'assister l'opération sylvoise. C'est dans ce contexte que le Faravan apporte le concours de ses moyens afin de renforcer le dispositif sylvois. Le Ministère du Renseignement d'Etat a été appelé à diriger la mission d'assistance avec le concours de moyens des forces armées faravaniennes. Le cadre d'engagement des armées de l'air onédiennes dans l'espace aérien carnavalais permet entre autre de déployer des moyens aériens sans attirer une attention indésirable.

    Dans la planification et la conduite de la mission, les agents du renseignement sylvois auront ainsi accès complet aux moyens faravaniens. Cela inclut du renseignement en imagerie stratégique et tactique. Les satellites d'observation Rasad faravaniens sont en mesure de fournir des informations permettant l'appréciation autonome de situation sur le terrain. Les données topographiques, cartographiques et autres qui sont issues de ces collectes de renseignements peuvent être utilisées lors de l'opération sylvoise pour faciliter l'insertion et l'action des agents sylvois. Lors de la conduite de leurs opérations, de l'imagerie leur sera fournie par les nombreux drones faravaniens Shahed qui parcourent régulièrement l'espace aérien de la principauté. Cette capacité de renseignement persistante permet d'observer avec le plus grand détail l'évolution en continue de la situation au sol. La possibilité de transmettre le flux vidéo de la caméra optronique du drone permet en outre d'orienter en direct les actions au sol et ainsi de maximiser leur effet. Les opérations et les déplacements des agents peut ainsi bénéficier d'un suivi aérien lors de leurs missions.

    drone shahed boule optronique

    Egalement au bénéfice de la planification et de la conduite de la mission, les systèmes de communication faravaniens seront rendus disponibles pour les besoins de cette opération. Les satellites de télécommunications Mesbah-A permettront aux agents sylvois de disposer de communications cryptées et discrètes. Des terminaux portatifs leurs seront ainsi fournis et les stations sol à la disposition de l'OND seront utilisées pour coordonner les transmissions. L'armée de l'air faravanienne met également à disposition de l'opération un avion de ligne modifié en poste de relai de communications volant. Ce nœud de communication aérien permet de rediriger les transmissions radios depuis le sol vers les postes de commandement appropriés. La capacité de cet aéronef d'agir en tant que poste de commandement volant fluidifie le trafic des communications et raccourcis les délais entre les agents et leurs hiérarchie. Cette unité spécialisée peut également convertir différents flux de communications différents pour tous les diffuser sur un même terminal. Concrètement, c'est la plateforme qui permet de synchroniser les données en provenance de l'ensemble des capteurs, dont les drones, pour les renvoyer vers les acteurs au sol. C'est une capacité critique au bon déroulé des opérations qui agit en tant que démultiplicateur de forces pour la compréhension de la situation tactique par les acteurs impliqués dans l'opération.

    relai communications

    En plus du moyen aérien précédemment mentionné, l'armée de l'air faravanienne mobilise également ses moyens de guerre électronique. C'est les avions Simorgh qui détiennent cette spécialité au sein des forces armées faravaniennes. Il s'agit par ailleurs d'avions qui ont déjà été en mesure de démontrer leurs capacités contre carnavale lors d'opérations aériennes précédentes. Ces aéronefs sont en mesure d'intercepter les transmissions adverses et permet ainsi d'anticiper les mouvements ennemis. En plus de la valeur tactique des avions de guerre électronique, ils sont capables d'effectuer deux actions supplémentaires propres a la guerre psychologique. La première est l'interception des communications de manière générale à Carnavale. L'opportunité d'écouter le trafic hertzien dans la principauté aide les planificateurs de guerre psychologique a comprendre la mentalité, jauger les sentiments ainsi qu'analyser les comportements. Un travail d'étude approfondi permis par cette capacité peut conduire a un meilleur ciblage du matériel de guerre psychologique en adaptant les stratégies aux réalités de la population carnavalaise. Un narratif optimal peut ainsi être élaboré pour être diffusé vers une population qui sera aussi réceptive au message envoyé que possible. Enfin, la deuxième capacité offerte par les avions de guerre électronique dans un contexte d'influence psychologique repose sur le brouillage. En effet, en utilisant ses instruments de brouillage, l'aéronef est en mesure de bloquer les signaux adverses et y compris les moyens de communication du régime vers sa population. La propagande du gouvernement diffusée peut ainsi être interceptée et brouillée afin de la encore contrôler les informations qui parviennent au public cible. Radios, télévisions et autres sont alors bloquées d'utilisation pour l'adversaire, tandis que les réseaux sociaux peuvent être contrôlés grâce aux divisions cyber des services de renseignements onédiens. Le hacking des comptes gouvernementaux officiels et de leurs sites réduit la encore le champ d'action de l'administration carnavalaise. Dans le même temps, des bot peuvent être employés pour diffuser le narratif qui aura été élaboré par les officiers de guerre psychologique.

    Avion de guerre électronique IAF <i>« Simorgh »</i> (سيمرغ , un oiseau mythique)

    La diffusion du narratif de guerre psychologique représente la dernière étape du soutien faravanien dans l'opération sylvoise. Il s'agit ici d'utiliser des moyens utilisés pour répandre la contre-propagande pro-onédienne en anti-armes de destruction massive. Pour ce faire, et en plus des moyens déjà cités précédemment, deux procédés seront principalement mis en œuvre. Le premier consiste à impliquer un aéronef modifié spécialement pour la mission de diffusion d'ondes variées, dont de télévision et de radio. Le but de cet avion spécialisé est de profiter du vide créer par les actions de guerre électronique pour diffuser les programmes élaborés dans le cadre de la mission. Des émissions peuvent ainsi être diffusées a la place de la programmation carnavalaise et ainsi prendre le contrôle des moyens d'information de la principauté. L'avion agit ainsi comme une antenne de radio-diffusion volante, ce qui permet une couverture optimale du territoire cible. Le deuxième moyen particulier employé dans le cadre de cette opération est d'avantage rudimentaire mais garanti un impact certain de par sa simplicité. Il s'agit ici de larguer via des moyens aériens des tracts, posters et flyers a destination de la population afin d'informer et de convoyer le message diffusé dans le cadre de la guerre psychologique. Un extrait des tracts largués est fournis ci-dessous pour illustration.

    Avion de guerre électronique IAF <i>« Simorgh »</i> (سيمرغ , un oiseau mythique)
    Avion de guerre électronique IAF <i>« Simorgh »</i> (سيمرغ , un oiseau mythique)

    L'ensemble des moyens évoqués ci-avant seront déployés concomitamment à l'opération sylvoise afin de maximiser son impact et d'assurer son efficacité. En parallèle, et comme évoqué dans le paragraphe introductif de cette note, cette opération spéciale est adjointe des moyens dores et déjà déployés afin de neutraliser cinétiquement les capacités de destruction massive carnavalaise. Ce double effort sera maintenu afin de garantir que l'effet final recherché soit atteint.


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    En fait, la seule véritable anarchie est celle du pouvoir.

    Sept minutes. C’est le temps de trajet entre son bureau et le quai de la Citadelle. Rai n’est pas du genre à tout quantifier, mais ce chiffre-là est resté, gravé par la répétition. Elle l'a confirmé plus tard, montre en main, comme par défi, ou pour exorciser une obsession. Chronométrer la suite tenait de la logique : une fois sur les quais il faut environ trois minutes aux lamaneurs pour désamarrer l’une des corvettes, puis c’est un quart d’heure pour rejoindre les rives de la principauté – un trajet d’environs 12 kilomètres qui peut s’effectuer à pleine vitesse. Les navires marchands et de plaisance évitent de frayer autour de la base.

    En moyenne, sans préparation ou précipitation particulière, Rai Itzel Sukaretto peut ainsi quitter sa cabine et atteindre la Cité Noire en moins d’une demi-heure. Une pensée qu’elle trouvait déjà rassurante avant même de penser les prémices de son plan. Avant qu’elle ne ressente, intimement, la conviction de sa nécessité. Avant que les événements – et les bombes de l’OND – ne précipitent son exécution.

    Car Rai n’avait qu’une certitude : sa famille allait mourir sous les bombes. Or, elle seule avait le droit de les éliminer. C’était son droit de naissance, l’un des rares privilèges qu’elle avait gardés de son ascendance.

    Un certain goût pour le sang.

    Et il y avait le reste, aussi. L’enfant.

    L'alarme de la citadelle la réveilla en sursaut. Elle bondit dans ses draps moites, brusquée par ce son de corne, distant et froid. Le même ici que dans les autres bases de l’Union. D’une familiarité qui la rassura. Elle se redressa à moitié, la peau couverte de sueur tiède, un goût de fer dans la bouche, épais, tapissant sa langue et ses dents. Il se dissipa avec les restes d’un rêve confus. Elle se passa une main sur le visage. De grosses traces salées noircissaient sa vision, se dissipant à mesure qu'elle réalisait où elle se trouvait. Elle orienta son visage vers la persienne et l’ouvrit d’un geste sec.

    Le ciel était rouge et bleu. Des couleurs chimiques Dehors, la voix du commandant Presley (vice-amiral, en fait) se mêla aux hurlements de l'alarme. Ce n’était pas la base qui était attaquée : les bombes tombaient sur Carnavale.

    Rai su quoi faire. Cela faisait des jours qu’elle redoutait ce moment, et maintenant l’évidence la frappait de plein fouet : elle avait trop attendu. Chaque heure passé à peaufiner son plan, chaque heure volée à l’horloge, avait été une concession faite au désastre. Et le temps avait manqué. Le temps manquait toujours. Elle était arrivée avant-hier, au plus vite, convaincue de pouvoir encore préparer son incursion dans le Joyau Noir.

    Petite imbécile.

    Son rapport au temps a toujours été en cause, déjà à l’époque, avant sa seconde enfance, son baptême rouge. Comme cette fois où elle avait fait attendre un précepteur, trop occupée à…

    C’est sans importance, à vrai dire¹. Mais ce jour-là elle avait appris que certaines blessures ne laissaient pas de marques.

    Rai jeta le drap devant elle et bondit de sa couchette. En un instant elle était prête. Elle attrapa sa radio et envoya le signal convenu à ses hommes. Une confirmation, puis une seconde pour indiquer le quai où ils attendraient. Elle ouvrit la porte de la cabine et goûta à l’air froid de la nuit. Tout, autour d’elle, respirait la panique, et les sangles du gilet pare-balles sciaient doucement sa peau, sous sa combinaison. Le harnais était lourd, et sans doute mal ajusté. Mais la proximité tangible du kevlar avait quelque chose d’intime. Le poids de sa propre survie sur les épaules, dans le creux des reins.

    Un officier s'approcha. Il était comme tous les autres, ici. Un masque à gaz en guise de face, ganté, chaque parcelle de peau cachée à l’atmosphère toxique.

    « Citoyenne, vous avez votre masque ? »

    Elle posa une main à sa ceinture, où reposait l’accessoire. En principe elle devait le mettre dès qu’elle sortait, mais qui pouvait le lui imposer ? Elle salua l’homme d’un signe de tête. Il s’arrêta, droit, talons collés et pieds orientés de part et d’autre, comme un acteur sur scène. Exactement comme un acteur sur scène.

    « On amène tout les VIP dans le bunjer, si vous voulez bien… »

    Il fut interrompue par un grondement sourd, bientôt suivit d’un grincement sinistre qui fit trembler toute la citadelle. Ça venait de la ville. Une lumière orange fut brièvement projetée sur la surface mate de son casque.

    « L’OND », dit-il enfin, comme pour commenter la déflagration. « Carnavale a fait quelque chose, et apparemment ils sont là pour les finir.
    – C’est sûr. »

    Rai fixait l’officier. Sa tête restait inclinée vers sa hanche droite, là où était accroché son masque. Elle le saisit et, d’un geste souple, l’enfila. Elle n’avait jamais oublié le geste, depuis les premiers bombardements du Palais impérial, ou bien était-ce son temps dans la Protection Civile. L’odeur de poussière et de sueur lui assaillit les narines, et l’homme en face d’elle se détendit légèrement. Les soldats et leurs petites règles…

    « J’y vais », dit enfin Rai. Elle fit un geste vers le passage menant aux quais. « Si vous voyez Presley, dites-lui salut de ma part. Et merci bien pour la cabine.
    – Le citoyen Vice-amiral ? »

    Elle s’éloignait déjà. Elle leva une main et haussa le ton pour couvrir le vacarme.

    « En fait, ne dites rien pour la chambre ! Je vais revenir, pas besoin de la vider ! »

    Il répondit en plaquant son poing contre son cœur, avant de le lever dans sa direction. Rai descendit une une volée de marches, entament son chemin vers le niveau de la mer.

    Parce qu’elle avait incarné l’empire dans sa chair, c’était peut-être l’une des dernières kah-tanaises pour qui le rapport à la révolution s’était construit sur les bases mais de l’action armée. Elle n’avait jamais réussi à se concentrer sur ce que voyaient les autres. La libération, fût-elle celle de la parole ou celle, autrement plus matérielle, des camps de concentration, lui échappait totalement. Un concept théorique, qu’elle n’avait jamais senti dans sa chair. Et au fond tout le monde le savait. De nombreux ouvrages traitaient d’elle, spécifiquement, et de son rapport à la Révolution. Des générations d’étudiant décortiquaient son intimité, la moindre de ses sorties, pour tenter de créer – encore aujourd’hui – une architecture tangible et crédible de sa pensée, de son rapport aux choses².

    Trois ingénieurs arrivèrent de front, elle se colla au mur pour les laisser passer. L’un d’eux la remercia d’un ton pressé. Ils disparurent au tournant de la cage d’escalier. Leurs tenues oranges avaient le même aspect chimique que le ciel. Que les incendies de palais, que les feux de joie. Rai reprit sa marche. Un palier, deux paliers…

    Fut un temps où ils ne se souciaient pas du tout de mademoiselle Sukaretto, les révolutionnaires. Quand sa seule expérience du Kah était une arme volée fonçant vers ses proches dans un couloir de marbre. Il fut un temps où tout ce qu’elle savait du Kah, c’était qu’il tuait les hommes de son père, et approchait d’Axis Mundis. Le Kah n’était rien, pour elle, qu’une force armée, nébuleuse, dangereuse. Elle était en son cœur et, comme les guerriers de l’époque, n’était jamais que ça : une femme courant dans des couloirs. Seulement l’acier avait remplacé le marbre.

    Arrivée sur le dernier palier, Rai poussa deux portes battentes. Le couloir qui menait aux quais était large. Des soldats avaient peints des fresques sur ses murs. Une carte du Golfe, des drapeaux et étendards. Rai souffla et ralentit le pas. Elle avait toujours trouvé que ce lieu avait un aspect sacré, comme l’antichambre d’un temple. Elle ne pouvait pas courir, ici.

    La sueur s’accumulait déjà sous son masque et sa combinaison. Un dépôt de buée commençait à se former sur les lunettes de son masque. Même sans ça elle pouvait observer les fresques. Elle les avait vu des dizaines et fois, sans jamais prendre le temps de s’y arrêter. C’était inutile. Son cerveau avait capté assez de détails, d’impression. Elle savait ce qui l’entourait ce que cela signifiait. Le savait à un niveau inconscient, profond. Les soldats peints au mur ne suaient pas, eux.

    Elle repensa à l’armée. Même ce qui était arrivé après – l’éducation populaire, les fêtes communales, les amourettes et débats politiques, une vie à l’opposé polaire de celle qu’on lui destinait, au moins pour un temps. Même son expérience d’adolescente et de jeune adulte, même son passage à la direction des instances confédérales, rien, en fait, n’avait jamais réussi à changer cette première impression de l’Union.

    Des soldats.

    C’était peut-être pour ça qu’elle n’avait jamais trouvé la citadelle particulièrement dangereuse. Une opinion rare, à bien y réfléchir. Mais l’extrémisme des soldats déployés dans ses boyaux, s’il était notoire et craint, lui semblait normal. Ces gens vivaient au cœur de l’Eurysie, continent des oppressions. Ils savaient, à un niveau instinctif, qu’ils seraient la première vague. Celles et ceux qui perceraient les flancs des empires, tueraient jusqu’au dernier autocrate. Ces gens n’avaient pas le temps pour la modération. Une lance n’est pas modérée. Une lance tue le dragon, traverse son corps de part en part, découpe poumons, cœur et trachée. Une lance se baigne dans le jet chaud de son sang.

    Ces gens se réclamaient d’une forme de pureté.

    C’était de l’ordre des choses : le fanatisme ne se comprend jamais autrement. Pur. Des corps purs, hygiène impeccable et irréprochable, des esprits formés, des édifices de littérature politique en marchepieds d’une volonté de puissance instrumentalisée par la Révolution. Ils s’imaginaient purs, oui.

    Elle passa la porte. Le vent frais de la mer l’accueilli, filtré par son masque. Restait de l’iode et de l’acier une vague odeur de poussière. Devant elle, des dizaines de petits navires amarrés et au loin, maintenant nimbée d’une brume bleue, une ville dont elle ne devinait que les contours. Des silhouettes noires apparaissant à chaque détonation. Le nuage chimique léchait l’eau et s’étendait déjà sur la mer.

    On ne pouvait rester aussi près de Carnavale et éviter la contamination, bien sûr. Et les masques à gaz n’y empêchaient rien.

    C’était comme dormir dans un hôtel bas de gamme. Au premier abord tout semble normal. Il y a une literie propre, une salle de bain, du savon, un miroir. Puis on remarque tout le reste. L’agencement bizarre des meubles, ce ventilateur posé sur le frigo, l’étonnant placement d’un radiateur, la peinture qui s’écaillait sous le robinet, les taches de peintures au-dessus des lits, la moisissure noire et grise qui s’étend sous les meubles. Tout est pourri, au cœur.

    On peut tout de même y dormir.

    Elle avait dormi dans pire.

    Pourquoi faire attention aux détails ? Est-ce que ça a seulement du sens ? Pourquoi prend-on une chambre d’hôtel, sinon pour dormir. Et on pouvait dormir huit heures, une nuit complète, réparatrice, en ignorant tout de la peinture écaillée, des taches de moisissures. On pouvait faire beaucoup de choses dans un hôtel sans en subir les insuffisances. Cette idée même qu’une chambre pouvait être imparfaite était absurde. Les lieux servaient un rôle. Ils ne respiraient pas, n’étaient pas animés. Tout ça était au fond très binaire.

    Son escouade était déjà à bord de la vedette, sauf une femme qui devait faire sa taille. Elle attendait sur les quais, et leva une main dans sa direction pour lui faire signe d’approcher. Elle avait une combinaison intégrale, on ne devinait pas un centimètre de peau qui ne soit caché par sa tenue. Alors qu’elle approchait, Rai distingua le patch cousu à son épaule. Un cœur, large et noueux comme celui d’un bœuf.

    « Rai ?
    – Bonsoir, Matchmaker. »

    Elle se tenait très droite. Son fusil mitrailleur en bandoulières. Atour d’elle, deux lamaneurs retiraient les aussières des bittes d’amarrages. Matchmaker avait l’une des plus belles voix qu’elle avait jamais entendues, décréta Rai. Un peu grave, et douce, et mélodieuse. Qui coulait comme un liquide chaud. Elle avait envie de mordre cette voix. De l’avaler comme une liqueur forte. Matchmaker donna un petit coup de talon sur le béton du quai.

    « Dragon n’a pas pu venir, il s’est fait remplacer par Clue.
    – C’est un des tiens ?
    – C’est ça. »

    Rai lui sourit.

    « Très bien ! »

    L’un des soldats lui tendit la main. Très grand, large, un lion cousu sur l’épaule et des pins souriant couvrant sa veste, comme une acné multicolore. Shinzo. Elle saisit sa main, il l’aida à monter à bord. Derrière lui, l’équipage. Clara, petite femme blonde qui avait posé ses gants et retroussée ses manches pour bricoler un poste radio, Diurne, un afro-kah-tanais qui avait détaché son casque pour observer l’incendie chimique de la plus grande ville du monde, Clue, qui se tenait immobile contre le bord et comptait ses munitions. Rai le reconnu parce qu’elle ne l’avait jamais vu avant.

    Matchmaker salua les lamaneurs et sauta à son tour sur sur le pont de la vedette. Elle frappa ses mains l’une contre l’autre et Diurne, l’afro-kah-tanais se dirigea vers la barre du navire, s’arrêtant à peine pour saluer Rai. Trois minutes. Désamarrés en trois minutes. Rai sourit et s’installa contre le bastingage. Elle ramena ses jambes vers elle et résista à la tentation de détacher son gilet pare-balles.

    « Alors. » Matchmaker se posa à sa droite. « Qu’est-ce qu’on fait là, du coup ? »

    Au même titre que le reste de l’équipage, Matchmaker était une membre du Panopticon Eurysien Ouest. Rai le savait, si elle avait la fidélité individuelle d’un grand nombre d’hommes et femmes de la garde, rien n’aurait pu avoir lieu sans la bienveillance des services secrets. Styx lui en devait une. Ou plutôt le contraire. La princesse rouge sourit à Clue, plaça une main sur son épaule, et ne répondit pas. Clara posa la radio et donna un petit coup dedans. L’appareil se mit à crachoter de la musique. Matchmaker repoussa Rai et posa les mains contre ses côtes, sur les sangles de son équipement.

    « Je peux ? »

    Elle avait déjà commencé à les réajuster. Rai acquiesça pour le principe. La douleur sourde qui lui sciait la chair laissa place à autre chose. Ce soulagement brut des nerfs lorsqu’on soustrait à la violence. Quelque chose de délicieux, qui n’existe que dans l’espace succédant à la violence. Maintenant, le gilet épousait mieux ses formes. Matchmaker se redressa, satisfaite.

    « Qu’est-ce que ça change », dit-elle enfin, « qu’on arrive avant les bombes ou les commandos des grandes familles ?
    – Je ne savais pas pour les commandos », répondit Rai.

    Matchmaker la regarda sans bouger. Elle ramena ses mains contre elle. Clue donna quelques coups secs contre le bastingage avant de tendre une main dans sa direction.

    « C’est nouveau », dit-il sans la regarder. « Nos gars sur le terrain disent qu’ils font le tour de la petite noblesse, puis... »

    Il leva les mains, mimant la prise d’un fusil. Son doigt se referma sur la gâchette imaginaire. Silence. Rai imagina sans mal la balla traverser un corps, trancher sa carotide, le sang se déverser par gros paquet sur la moquette à motif. Ses lèvres s’étirèrent pour former un sourire charmant.

    « Alors ma famille n’a rien à craindre. »

    Elle pencha la tête en arrière pour regarder le ciel. Les nuages formaient comme des châteaux impossibles. Diurne, à l’arrière de la vedette, eut un petit ricanement. Il haussa le ton.

    « Clara ! Clara, monte le son ! J’entends rien avec le moteur ! »

    La petite blonde attrapa sa radio et l’approcha du pilote. La guitare d’un homme mort depuis dix ans continuait ses accords psychédéliques, ou bien c’était un piano, un accord des quatre vallée. Oriental, lent. Un son ancien, arraché aux guerres afaréennes, contre les colons. Diurne rit à nouveau. Clara vint s’asseoir à côté de Clue, et commença à fouiller un sac qu’elle avait laissé au sol. Matchmaker insista.

    « C’est dangereux.
    – J’ai fait l’armée », lui dit Rai.
    – Tu vas mourir.
    – Non. »

    Shinzo, le type au patch lion, pointa le duo du menton. Il se tenait d’une main au garde-fou. Sa voix porta sans effort.

    « Qu’est-ce qui se passe ?
    – Elle dit que je vais mourir », répondit Rai.
    – C’est vrai ? »

    Il regarda Matchmaker, qui haussa la voix pour couvrir le cri du moteur.

    « La ville ressemble à un cimetière !
    – Avec les bombes qui tombent », répondit-il, « la ville est un cimetière ! »

    Elle s’esclafa. Devant eux s’approchait le nuage bleu dont Carnavale s’était parée. Une masse polymorphe, impensable, cachant comme un voile de marié les immenses structures de pierre et de brique. C’était à peine possible de comprendre son immensité, constata Rai. Le cerveau humain était fait pour les petits nombres. La cellule familiale, les drames individuels. C’est à peine s’il arrivait à faire la différence entre quelques centaines et quelques milliers. Au-delà de deux dizaines, tout devenait abstrait. Affaire de morale. Combien de morts, durant la Junte ? Papa. Et des milliers d’autres. Carnavale elle-même était abstraite. L’ampleur de ce qui s’y passait, depuis toujours mais ce soir spécifiquement, était abstrait.

    La radio continuait de cracher sa musique, le riff imperturbable d’un homme mort, pensé pour d’autres saisons. Diurne avait retiré soin masque, il fumait. Clara avait sorti plusieurs boîtes en carton du sac, et les avait étalées devant elle. Les secousses du navire menaçait de les envoyer voler à chaque vague. Clue la regardait. Il avait lui aussi retiré son masque et abaissé le col de sa tenue. Il se pencha vers elle pour lui dire quelque chose. Elle répondit bas, très bas. Après un bref échange, la jeune femme lui tendit un patch qu’il enfonça contre sa peau, sous son menton. Une aiguille microscopique perça sa peau, déversa un cocktail de nicotine et de caféine dans son système. Quelque chose qui remonterait vite jusqu’au cerveau. Quelque chose de chimique. Quelque chose pour rester éveillé. Clara se retourna vers eux.

    « Ils vont mourir », insista Matchmaker. « Et toi avec, Rai. »

    Rai pointa Clara du doigt.

    « J'ai déjà pris du modafinil en me levant. Caféine et L-théanine s'il te plaît.
    – Méthylphénidate avec ?
    – Pardon ? »

    Elle se leva et traversa le pont d’un pas, puis se mit à genoux devant elle. Elle haussa le ton.

    « Du méthylphénidate ?
    – Sacré virelangue. Qu’est-ce que ça fait ?
    – T’es pas enceinte ? »

    Matchmaker insista.

    « Tu le sais. Ce sont déjà des morts. Des fantômes.
    – Non », répondit Rai. 
    – T’es pas mineure ? », continua Clara.
    – Non-plus. »

    Rai souleva son masque d’une main. L’air froid lui frappa aussitôt le visage. Lourd, plein de particules de sel. Rai se passa la langue sur les lèvres. Le goût de sa sueur la dégoûta. Clara sourit. Elle lui posa deux comprimés dans les mains.

    « Bon ben aucun risque de mort subite. Tiens. Méthy’, l-théanine, tutti quanti.
    – Merci. » Elle les avala puis se tourna vers Matchmaker. « C’est juste que si je ne vois pas les corps, je ne vais pas pouvoir arrêter d’y penser. »

    Clara acquiesça et se tourna à son tour vers la femme au cœur.

    « Nicotine, amphétamines. Dix ou vingt grammes ?
    – Quelle gamme ?
    – Adellram.
    – Vingt grammes. »

    Une gomme, deux pillules. Elles disparurent dans une poche pectorale de sa tenue. Clara se releva en s’appuyant sur les genoux de Matchmaker, puis remonta la vedette en direction de Diurne. Elle tanguait un peu, semblait moins marcher que se projeter en avant. Rai poussa un soupir à peine audible.

    « Je dois appeler quelqu’un.
    – Donc », dit Matchmaker, « tu fais moins ça pour des raisons pratiques que pour te soulager.
    – Tu sais ce que c’est.
    – Je sais que les morts gouvernent les vivants³.
    – Les morts se taisent, quand on fait ça bien. Donne ton téléphone. »

    Le signal fut envoyé jusqu’à un satellite de l’Union, qui le décrypta et l’envoya ailleurs. Quelque part en Eurysie. Vers Velsna. Tout était crypté, sécurisé et, de toute façon, quiconque se serait amusé à surveiller les conversations privées d’une des femmes les plus influentes de l’Union n’y aurait sans doute pas trouvée grand-chose d’intéressant. Parfois, les mots étaient hors d’atteinte, sans les actes.

    Rai déplia les jambes et se redressa.

    « Actée ? Oui, c’est moi. Comment vas-tu ?

    Je vois. Oui. J’y suis. » Elle fronça les sourcils. « Non pas encore. On arrivera bientôt en ville. Non. Personne n’a tenté de m’arrêter. Tu avais donné des instructions ?

    Ne t’en fais pas je suis avec des gardes. Et des gens du Suppléant à la Sûreté.

    Je sais.

    Ce que tu fais est plus important que moi. Tu ne devrais vraiment pas t’en faire.

    Tu sais tu n’es pas la première à me le dire aujourd’hui, à force ça devient très chiant. Non. J’ai une bonne étoile. Tu le sais très bien. »

    Rai rit. Bien entendu c’est vrai, et elle le sait. Elle est promise à un destin hors normes. C’est le principe des héritages. Quand on né princesse, on le reste. Même notre anonymat est notable. Même disparaissant de l’Histoire, elle resterait une disparue essentielle. Elle rit encore, plus fort. Quelqu’un a fait une blague, à l’autre bout de la ligne. Après un temps elle se tait, et son regard se porte vers la ville. Elle approche. Le mur de nuage occupe tout l’horizon. Rai le fixe. Elle a de très grands yeux.

    « C’est pour l’enfant.

    Je ne peux pas leur laisser. J’aurai dû aller le chercher il y a bien longtemps. Bien longtemps, oui.

    Non, pas question d’être la seule hértière. Mais je ne peux pas leur laisser.

    C’est ça. Tu comprends ? Dis-moi que oui. J’ai besoin qu’au moins une personne comprenne. »

    Elle ferme les yeux et rabat la tête en arrière. Son premier réflexe est de se donner un coup, violent, contre le bastingage. Voir si elle peut s’assommer, ou saigner. Elle ne fait rien. Elle sait qu’elle peut saigner. Évidemment qu’elle peut saigner. Tout le monde le peut.

    « Tu as le droit de me mentir, s’il faut. S’il te plaît.

    Tu me comprends, donc. Et pour de vrai.

    C’est bien. C’est important. »

    Elle hésite à ajouter quelque chose, finalement les mots s’arrêtent entre ses lèvres. Ils ne veulent pas sortir. Alors elle dit autre chose.

    « Bon courage à toi. »

    Le téléphone est rendu à Matchmaker, laquelle se tient parfaitement immobile. Tout le monde s’est tu durant l’appel, pas par respect, mais parce que les cocktails chimiques commencent à agir. Chacun a eu droit au sien. Chacun est pris de tremblements, de tics, de pulsions légèrement différentes. Les cœurs battent vite, la peau se hérisse, se constelle de sueur, et les yeux désormais grands ouverts fixent un horizon bouché. Il n’y a plus rien dans l’univers. Plus rien et tout en même temps. Et la musique de la radio continue, dérisoire, triste, ailleurs. Ils sont ailleurs. Carnavale n’est pas sur Terre mais dans les esprits. C’est un ensemble de lignes, de fonctions, un texte sans fin, comme une spirale qui se recoupe sans cesse. Et eux sont là, sur cette vedette, au service d’une femme pour qui ils sont prêts à tout doner. Parce qu’elle est la Princesse Rouge. Qu’elle est radicale. Qu’elle est comme eux. Parce qu’elle peut faire des miracles, si on la laisse faire.

    Rai a envie de vomir. C’est la mer, peut-être. Ses embruns de corps mort, de poisson. D’algues et de déjections jetées à même l’eau. C’est la quantité, la somme de tout les maux. Le plus grand furoncle de la civilisation humaine. Le creuset des craintes religieuses, scientifiques, concrètes et imaginaires. Ou bien ce sont les amphétamines, la théine , et plus avant, la cocaïne, l’ecstasy, le taz, les joints, tout ce que son système a accumulé pendant des générations. Elle a envie de tout recracher d’un coup.

    Elle se retourne vers l’eau, brusquement, et a un haut le cœur. Insomnie, nervosité, nausées, maux de tête, sécheresse de la bouche. Les vagues sont secouées, agitées ; et le bruit des gratte-ciel est comme la chute de mille géants. Une fois elle s'était piquée avec du méthylphénidate. Elle connaissait très bien le produit. Mais pas sous forme de pilules. C’était ça, qu’elle n’avait pas compris. Elle se cabre, et crache dans l’eau. Le filet de bave reste collé à ses lèvres, emporté par le vent il se disperse dans l’air. Pas de glaires. Rien.

    Se piquer sur une vedette c'est chercher à rater sa veine. Rai le sait, elle ne mourra pas comme ça, parce que c'est une mort de toxico et que tout ce qui la détruit participe à sa légende noire. Ce ne serait pas celle d'une femme morte une seringue dans le bras, de s'être injectée par erreur une bulle d'air dans les veines. Ce ne serait pas non-plus celle d’une femme morte à Carnavale dans une croisade personnelle et, certains le diront sincèrement, folle. Diurne hurle.

    « On y est presque ! »

    Et Rai se redresse. Elle une main posée sur son fusil. L’autre tient le garde-fou. L’ombre du nuage cache la lune. La citadelle, c’est amusant, elle ne l’avait jamais regardée avait, n’est plus qu’un point lumineux. Les bombes et les jets hurlent, crient, un concert de vociférations sourdes et débiles. Désormais debout, Rai lâche son arme pour faire un geste à l’adresse de tout ses hommes. Ils la fixent. Ils connaissent la suite, mais l’attendent. Tout le monde a pu jeter un coup d’œil au fil-rouge. Et c’est bien connu, avant de tourner une scène, les acteurs lisent les épisodes autour d’une table. Sauf improvisation, le dialogue est déjà familier. Rai, si elle ne fait qu’improviser, le fait dans un cadre prédictible. Elle est prophète. Elle voit l’avenir et le dit. Elle a déjà prévu, entièrement, la nature de son improvisation. L’imprévue peut-il seulement exister quand il a déjà été pensé, formulé, exprimé ? Peut-être. Il existe comme une réalité binaire. Une surprise pour personne, une surprise pour tout le monde.

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    « Quelqu’un qui m’était cher m’a dit, ou me dira un jour, que la guerre ne se termine pas au même moment pour chacun d’entre nous. Je m’en souviens encore. Son corps avait été brisé par un raid aérien. C’était un cul de jatte, ou bien un ange à qui on a brisé les ailes. Je tenais énormément à lui. Il m’a dit que pour lui, la guerre s’était terminée au moment du crash. Quand il avait compris qu’il ne pourrait plus, physiquement plus, mener de combat. Son esprit a abandonné la lutte à d’autre. C’est encore un sympathisant, bien sûr, mais il n’agira plus.
    Un jour, une amie a prétendu que je ne savais pas aimer. Comme si le sentiment m’était étranger. Que j’aimais mal, au moins. C’était faux, évidemment. J’aimais. J’aimais plus fort qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Car c’était elle, elle qui était incapable d’aimer. De ressentir. Cette espèce de monolithe de gloires passées, comme si être insensible la protégeait du monde. Ça n'a jamais protégé du monde. Ni de ses jugements, ni de ses attaques. Il faut ressentir pour connaître l’ennemi, car lui nous hait, et que la haine est une passion. Elle ne comprend pas, évidemment. Elle n’a pas de passion.

    Elle prétend le contraire. Il faut de la passion pour écrire. Je ne sais pas. Elle n’a jamais aimé. Impossible de lui en vouloir.

    Je lui ai dit. Je lui ai dit « j’aurai aimé mieux te connaître pour pouvoir te détruire. » Je lui ai dit « donne-moi le temps, avec assez de temps nous serons des ennemis ». Le temps manque toujours. Quand ça sera terminé, nous serons encore amies. Je ne l’ai jamais revue.

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    La guerre c’est ça. Cette sensation de besoin. Cette envie de détruire. Il faut mener le combat. Pas parce qu’il est juste, mais parce qu’on ressent sa justesse. Pas parce qu’il doit être mené, mais parce qu’il nous habite. Nous habite jusqu’à en pleurer. Personnellement, ma guerre a commencée quand j’étais enfant. C’est vrai ! J’étais l’une des premières enfants soldats de notre histoire moderne. J’ai vu ce qui allait suivre la révolution, et je l’ai célébré. Mais je sais aussi que rien, rien de tout ça n’a aucun sens si nous n’effaçons pas le passé pour de bon.

    Le passé habite mes veines. Je suis le fruit de leur amour et mon nom porte les racines du mal. J’aurais pu en finir. Tout changer. Renverser la table. Mais je suis habité. La guerre m’a convaincue que le combat est juste, qu’il doit être mené, et j’en pleurerai s’il le faut.

    Il y a quarante ans, le Grand Kah entrait dans la guerre par la force des choses. Les coupables sont là, bien vivant, cachés dans Carnavale. Je veux terminer la guerre. Je veux que ça cesse. Ce soir, le Grand Kah tuera ses vieux démons. Deux siècles, deux siècles d’empire s’effaceront sous nos bottes. »

    « Hey Rai ? À ton avis, que devient une maison quand on l’abandonne ?
    – C’est-à-dire ?
    – À quoi est-ce qu’elle pense ?
    – Elle doit nous en vouloir.
    – Tu penses ?
    – Qu’est-ce qu’il reste d’autre à une maison, quand elle est seule ? Je lui souhaite de nous en vouloir. »



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    La vedette ralentit. Les rives de Carnavale apparaissaient désormais, en ombres chinoises, à travers l’épais brouillard bleu que la ville avait déversé pour se défendre. Une plage irrégulière qui semblait ronger la mer. Une structure artificielle, récif flottant de détritus et de masses inertes. L’odeur qui s’en dégageait était pestilentielle, et Rai se félicita de porter un masque. Occasionnellement, pensa-t-elle, il arrivait aux militaires d’avoir raison.

    Diurne avait la main droite posée sur le gouvernail. L’autre était serrée autour d’une cigarette – sa deuxième du trajet, il les consommait à la vitesse d’un alcoolique chronique commençant sa journée. Tout dans sa posture exprimait une décontraction déplacée, qui pouvait aussi bien traduire un grand degré de compétence qu’un état d’esprit parfaitement inadapté à la situation. Sans doute un doux mélange des deux. Une tête brûlée. Au fond, ils étaient tous des têtes brûlées. Il dressait la sienne, regardant par dessus le bastingage, essayant de distinguer les rives, le béton derrière les ordures, où arrêter la navette pour faire descendre les hommes. Ce n’était pas tâche aisée. Le choc régulier des monceaux de déchets formait une partition de bruits durs et mous. Meubles, viande, tissus, gros agglomérats indéterminés, putrides, tous couverts d’une fine pellicules organique, entre la mycose et le vomis. Une puanteur chimique d’acétone. Quelqu’un avait couvert l’ensemble d’un produit chimique agressif, espérant sans doute neutraliser la puanteur, ou la pourriture. Sans effet.

    « Là », indiqua Clue.

    Il s’était muni d’une barre avec laquelle il sondait l’eau. Il avait déjà repoussé deux corps, l’un en uniforme, l’autre en haillons, et des ensembles indéterminés, comme de grosses méduses vertes. Le bruit qu’émettait sa barre était maintenant solide. Clac. Clac.

    « Ici », dit-il encore. « Du béton. C’est praticable. »

    Diurne coupa le moteur pour de bon. La radio résonnait seule dans une atmosphère viciée. Entre le clapotis des eaux usées et le grondement de la fin des choses. Clara et Shinzo se dressèrent dès que le moteur se tut. Ils avaient vissé des lampes à leurs fusils, et balayaient l’air à la recherche de silhouettes ennemies. Les carnavalais s’attendaient sans doute à des incursions. Que l’OND tente de s’infiltrer, sinon par la grande porte, au moins en petits comités. C’eut été logique, après tout. Prendre la ville était nécessaire à l’accomplissement de leurs objectifs, et la ville ne se laisserait pas prendre sans poser le pied au sol.

    Rien. Peut-être que Carnavale était trop absorbée par ses propres affaires. La grande dévoration prendrait du temps et des hommes, évidemment. Et l’OND, elle, était ailleurs. Ou déjà passé. Rai avait pour sa part la conviction qu’elle était déjà passée. Au moins en esprit. Tout ce qui existait en esprit existait en fait, et ce qui allait avoir lieu était aussi bon que ce qui était déjà produit. Elle émit un grognement sourd.

    « Sale temps. »

    Clara sauta sur le quai. Elle était un peu courbée, ramassée sur elle-même pour limiter les zones exposée de son corps. Shinzo la suivit. La vedette tangua dangereusement lorsqu’il prit son élan. Leurs pas sur le quai produisaient un craquement de bois et de verre brisé. Des générations de seringues usagées, de canettes, de meubles abandonnés. Il n’y avait pas de bitte d’amarrage, seulement un lampadaire sans ampoule. Il était vieux, si rouillé qu’il pouvait tout aussi bien rompre comme un tronc pourri si on tentait d’y passer une corde. Clara balaya une dernière fois le quai.

    « Clear ! »
    Elle fit signe à Shinzo, qui tendit une main vers le navire. Clue suivit, puis Matchmaker, Rai passa en dernière. Malgré l’épaisseur de ses semelles elle sentait instinctivement le verre craquer sous ses bottes. Crac, crac. Constellations d’éclats sous ses pas, comme des milliers de petits os. Des os d’animaux. De rongeur, ou d’oiseau. Elle frissonna. Diurne écrasa sa cigarette contre le bastingage.

    « Hey cheffe ! Des instructions ? »

    Elle hésita. Clue lui avait fait un signe. Il indiquait quelque chose, là où les quais laissaient place aux rues. Entre les silhouettes des immeubles, leurs briques pourries, suant comme une peau épaisse, les fenêtres et les éclats de vieux coups comme de gros mélanomes, des cancers fossilisés.

    Il y avait des formes.

    Elles n’étaient pas beaucoup plus haute que le mobilier urbain, et l’accumulation d’ordure. Elles , seraient ou furent sans doute celle des habitants. Indiscernable dans la brume, leur multitude leur donnait corps. Un ensemble de masses dressées sur elles-mêmes. Cachées sous du tissu épais. Cachées comme des grands brûles, ou des tueurs dans la nuit. Une chaîne de petites montagnes, dont la forme noire grouillant et s’amassait, silencieuse, de plus en plus présente. Clue murmura.

    « Hostile ? »

    Rai écarquilla les yeux.

    « Les mendiants. Ils viennent voir la chair qu’on leur amène. »

    Le faisceau de sa propre lampe passa sur le rang. Certains se redressèrent, comme des chiens de prairie devant leur nid, comme pour capter un peu de cette lumière. Était elle sacrilège ? Avaient-ils déjà vu le jour ? D’ici on pouvait croire que la nuit était leur seul monde. Et pourquoi pas ? Le temps existait-il seulement ? La brume bleue couvrait tout, est-ce qu’il en avait jamais été autrement ? Pourquoi pas, pourquoi pas imaginer qu’ils étaient d’un autre genre. Né dans celle-là, ils y grandiraient, y vieilliraient, y mourraient. Passeraient toute une vie sans jamais connaître leur visage, ou celui de leur pair. Ils se cachaient sous ces manteaux, ces capuches, ces peaux épaisses et gras. Tu tissus trouvé, imbibé d’huiles, qui les serrait comme les bras d’une mère. Ils s’y cacheraient, car c’était leur seul confort. Dans un utérus, même malade, même malformé, on ne sait pas que le monde est horrible. Tout est chaleur.

    Rai fit un pas dans leur direction. Les fusils de ses hommes se levèrent d’un coup. Les mendiants étaient à la fois le mur, et le les condamnés. Rai leur sourit.

    « Carnavale, je n’ai rien à t’apporter ! Je viens prendre, et je prendrai jusqu’à plus faim ! Je n’ai pas de nourriture pour toi, pas de chair fraîche. Je viens en chasse. Tu n’auras rien à prendre, à manger, aucun sang à sucer, aucun os à ronger. Part, maintenant, ou disparaît. »

    Elle avait levéeles bras, présentant une position christique, comme pour s’offrir ou s’abandonner à leurs corps. Elle imaginait leur peau comme une écorce, s’écorchant an gros lambeaux. Elle se retourna, les chassant de sa vision d’un geste de main, et traversa le quai jusqu’au bord de l’eau. Diurne s’était allumé une troisième cigarette.

    « Diurne, mes avis que rester à quai ne serait pas l’idée du siècle.
    – J’y pensais.
    – Mes avis que si on te laisse ici on ne retrouvera ni le bateau, ni ton corps. »

    Il ricana et planta sa cigarette entre ses lèvres, pour toucher le pistolet mitrailleur qui pendait à ses hanches. Il avait un grand sourire. Un sourire abruti. Ses paupières droites semblaient hésiter entre se fermer pour de bon et s’ouvrir au point de laisser tomber l’œil.

    « Dégage de là, attends-nous à cent mètres dans l’eau, au moins.
    – Cent mètres du quai ou de l’archipel de merde qui l’entoure ? »

    Rai haussa les épaules. Elle était au dessus de ces questions bassement terriennes. La prophétesse voyait les faits et la trame, pas les détails de ce genre. Il était écrit que Diurne survivrait, et serait là pour l’accueillir à son retour. Elle se moquait parfaitement de savoir si le char qui porterait son triomphe rejoindrait Rhème depuis les rives de déchets ou l’eau claire de l’océan. Diurne grogna. Rai soupira.

    « Honnêtement mec, j’en ai rien à foutre. Je sais pas. Prends une décision, mais je ne veux pas te voir à porter des habitants, et je te veux ici quand je te ferai signe de me récupérer.
    – Et les autres ?
    – De nous récupérer. »

    Il leva un pouce approbateur puis tira sur sa cigarette. Le petit nuage gris se perdit dans le brouilla, s’y dissipa, disparu. Le tabac était sans doute plus sain que les merdes pas possibles qui composait le bleu. Diurne relança le moteur d’un geste sec et se mit à humer un air, quelque chose, qui n’avait rien à voir avec ce que jouait la radio. La vedette se cabra et, lentement, commença à pivoter pour tourner le dos à la ville, s’éloigner des quais. Poc ; poc ; crac ; crac, le bruit dur et mou des déchets repoussés par la coque. Le bruit de la merde, de la peau morte de la ville, laissant passer ce corps étranger. On posa un main sur Rai. Elle se retourna vers Matchmaker. L’espace d’un instant elle s’imagina là, au milieu des débris, dans le froid, et se demander qui viendrait à bout de l’autre. Les coupures du verre, de générations de seringues usées, les rats morts, les infections, ou leurs doigts plantés dans leur chair, se griffant, s’aimant. Elle se demanda, un instant, si le sang chaud qui coulerait de leur peau suffirait à les réchauffer. Il faisait si froid, au bord de l’eau.

    La soldate lui indiqua la rangée de sans-abris.

    « Ils se sont approchés », murmura-t-elle d’un ton parfaitement neutre.

    Rai sentit quelque chose de froid couler dans son dos. Ils se sont approchés. Elle les chercha du regard. Il fallut un instant pour les retrouver. Plus proche, peut-être, de dix mètres. Encore caché par la brume. Plus nombreux, non ? Ils semblaient plus nombreux. Et ils étaient sortit des rues, de l’ombre des grands immeubles. Avaient posé le pied sur le quai.

    Ce n’est pas du jeu, pensa Rai. Le quai c’était leur terrain de jeu. Ou peut-être, simplement, leur partie du plateau. Et c’était le jeu, non, d’entrer dans celle de l’autre. Elle tira Matchmaker vers elle et haussa la voix, juste assez haut pour être entendue par toute l’équipe.

    « Les balles sont précieuses. Ne tirez qu’en dernier recours. Suivez-moi, par là. On remonte les quais. Ils ne peuvent pas contrôler tout le quartier. »

    Ils finiraient bien par atteindre une avenue, une rue épaisse. Une de ces artères où les anticorps de la ville ne s’aventuraient pas. Un de ces lieux que les bombes interdisaient aux miséreux. Où le jeu des grands se jouait. Rai connaissait cette ville. La connaissait bien. Aussi bien qu’une étrangère puisse la connaître. Elle avait longuement hantée ses veines et son cœur, passé quelques jours dans son cerveau. Ses tripes avaient le même plan que ses rues. Parcourir Carnavale c’était comme parcourir son corps. La peau. Elle avait déjà pénétrée sa peau à de nombreuses reprises. Elle savait s’y faire.

    « On y va. »

    Ils suivirent, longeant les quais à la recherche d’une artère, d’un point d’entrée vers la ville. Les monticules de gravas que chacun de leur pas soulevait posait autant de questions sur l’origine et le temps qu’il avait fallu pour les accumuler. Ils laissaient derrière eux un sillon de matières mortes, fécale ou brisée. C’était difficile de croire que qui que ce soit ait jamais pratiqué ces lieux, faute d’autres traces visibles. Derrière eux, les autochtones suivaient sans doute, encore qu’ils ne faisaient aucun bruit et que Clue, qui servait d’arrière garde, déclara très rapidement les avoir perdu de vue.

    « Peut-être qu’ils nous suivent depuis les rues adjacentes », proposa-t-il.

    Peut-être qu’ils avaient abandonné l’idée de les suivre. Peut-être, enfin, qu’ils rampaient dans leurs pas. Que leurs corps, parfaitement acclimatés, se camouflaient dans le paysage.

    Rai heurta quelque chose de moue. Un examen rapide lui appris que c’était une moitié, ou un quart de bœuf. Elle bondit au dessus de la masse inerte. Matchmaker la suivait de près. Clue la rattrapa en contournant le corps.

    « Tout à l’heure tu parlais d’un enfant.
    – Ah ?
    – Au téléphone. »

    Rai fit un geste vers une ouverture dans la muraille d’immeubles. La lumière semblait mieux y pénétrer, et on devinait un prolongement dans la brume, et l’écho, plus clair, de cris et d’explosions.

    « Là-bas. Une avenue. »

    Clue continua.

    « Tu as un enfant ?
    – Non.
    – Tu parlais de ne pas être la seule héritière. Tu n’as pas de frères, ou de cousins ? »

    Elle s’arrêta, posant une main sur le sommet de son fusil d’assaut. Son regard fixait encore l’horizon. Elle s’immobilisa. C’était une sensation bizarre, parce que son sang, lui, n’avait pas reçu le message. Il battait encore dans sa cage, et elle sentait la silhouette de son corps continuer son chemin. La voyait s’éloigner devant elle, auréolée de chaleur et de sang. Elle voulait la rattraper en courant. Se contrôla. La tension qui constellait sa peau lui hérissait les poils. Son corps comme une pile électrique, déversant une énergie brute sur le monde.

    Son masque aidant, personne ne vit le regard franchement agressif qu’elle lança à Clue. Sa réponse fut formulée avec la plus totale des politesse.

    « Non. Je suis seule. Ou bien tout le monde est mort. Je ne sais pas. Je m’en fous. Toi ça t’intéresse ?
    – J’étais simplement curieux.
    – Simplement curieux. Non. Je suis seule.
    – Mais il y a bien un enfant », intervint Matchmaker.

    Rai ne comprenait pas l’utilité de cet échange. Elle balaya l’horizon de son fusil. Ils perdaient du temps. La forme de son sang s’était dissipée, éclaboussant les immeubles et les passants. Il n’y en avait pas un seul. Elle se mordit la lèvre inférieure. Oui il y avait un enfant. Ils étaient membres du Suppléant à la Sûreté et tout le monde, dans les renseignements, savait pour l’enfant.

    « Le clone », dit-elle enfin.

    Matchmaker opina du chef.

    « Je tiens à récupérer le Clone. Mais je préfère dire l’enfant. Dire le clone c’est comme dire "la chose". Quel enfant voudrait être comparé à un objet ?
    – Tu sais qui ils ont cloné », demanda Matchmaker ?

    Rai se remis en marche. Elle sentait le verre s’enfoncer dans ses bottes comme dans ses propres pieds. Percer la chair délicate, inoculer mille maladies. Des maux secrets/gardé ailleurs/dont la nature même échappait aux fondements de sa logique. Des maux défendus, sous copyright, aux noms colorés et ironiques. Des maux créés en cuve ; Comme l’enfant.

    « C’est bien une avenue », fit Clara en indiquant l’ouverture entre les immeubles. La marrée de déchets subissait un dénivelé, se clairsemait comme la peau d’un âne galeux. On pouvait maintenant marcher sur le bitume, le trottoir, ou dans le caniveau. Clara sourit.

    « On va se prendre une bombe, vous pensez ? »

    Rai se tapa la tempe. Deux fois.

    « D’accord, je compte enlever l’enfant pour éviter que les blancs ne puissent en faire leur prochain dictateur. Je ne pense pas qu’ils puissent effectivement y arriver, mais ma famille a repris le pouvoir deux fois. C’est déjà étonnant. Et la loi du scénario nous apprend qu’ils tenteront une troisième fois, et que ce sera la bonne.
    – Pas si nous les tuons tous jusqu’au dernier », commenta Shinzo. Rai acquiesça.
    – L’enfant n’a rien fait pour mériter une balle.
    – Enlever un enfant », dit simplement Clue. Il n’ajouta rien. Son ton était pensif.
    – D’un autre côté », repris Shinzo, « nous pourrions être dans un cas type tragédie antique. En cherchant à empêcher un désastre nous rendons possible son accomplissement. Par exemple, nous allons peut-être sauver un enfant cloné qui serait mort sous les bombes, et donnant à ce dernier le temps et les moyens d’accomplir la vengence séculaire de sa famille.
    – Ne parles pas de malheur.
    – De la victoire des blancs ?
    – De la mort d’un gosse, connard. »

    Ils se turent, mais personne ne doutait un seul instant qu’il ne serait, dans ce cas là, pas le seul enfant à mourir sous les bombes. Les explosions formaient un bruit de fond continuel, la toile de fond d’un univers tout entièrement soumis aux lois de la guerre.

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    Enfin, ils avaient pénétré l’avenue à proprement dite. L’aspect le plus étonnant de Carnavale, ou en tout cas celui qui obsédait Rai au point qu’elle ne pouvait s’empêcher d’y penser à chaque fois qu’elle posait le pied dans ses rues, était la nature absolument cohérente de son plan urbain. C’est vrai, une ville telle que celle-là aurait dû croître dans toutes les directions sans se soucier de l’agencement de ses rues, aux mains des riches et des fous, et donner une structure labyrinthe, à peine compréhensible.

    Comme un être vivant, avait un jour pensé Rai. La première fois qu’elle avait posé les pieds dans ces artères bouchées. A l’époque elle pouvait en observer l’immensité. Il n’y avait pas de brume noire pour boucher l’horizon. Elle avait vu, alors, la forme parfaite des immeubles, des gargouilles, les passerelles et dirigeables, tout ce que la noblesse avait mis en place pour s’assurer de ne plus, jamais, toucher le sol. Et le sol, ces routes noires de monde, de véhicules, de violence et de crasse. Ce buffet à volonté pour Satan et Lucifer. Tout ce que tu peux prendre, mon vieux. Tout ce que tu peux prendre… Et il avait pris, à pleines poignées. Parfois, quand il faisait beau, on pouvait lever les yeux vers le ciel et les voir. Les premiers départs de cette Fin du Monde promise, une Rapture inverse, les corps continuaient leur route du sol au ciel, du ciel au sol, s’étalaient, cerveaux, os, confettis.

    La ville, avait réalisé Rai, était plus proche du cancer. La réalisation lui était venue bien plus tard, évidemment. En parlant à une femme qu’elle avait cru aimer. C’était toujours comme ça. Elle croyait aimer jusqu’à la conquête, après quoi l’intérêt mourrait comme une fleur, et le corps de l’autre dégoûtait. Celle-là lui avait appris que les cancers détournaient les fonctions vitales du corps. Ils s’assuraient par exemple de pouvoir croître en provoquant le développement de capillarités sanguines. Les plus grosses tumeurs étaient pleines de veines, un système parfaitement fonctionnel, un parasitisme accidentel.

    La différence tenait au fait que Carnavale faisait exprès.
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    « Là-bas. Tu les vois ?
    – Encore des mendiants ?
    – Ils ont ton regard, Rai.
    – Uniformes. Miliciens. »

    Ceux-là approchent au pas de course. Ils sont une petite dizaine, et escortent une batterie anti-aérienne. Vétuste, montée sur roue. Bientôt l’OND la réduirait en cendre.

    Rai le sait, et ne tient pas à rester là pour le grand moment.

    « Continuons. »

    Les miliciens les ont vu. Ils pointent leurs fusils, approchent, crient. Tout le monde ici parle français.

    « Vous êtes qui ? Qu’est-ce que vous foutez ici ?
    – On passe !
    – Obérons ?
    – Hein ?
    – Vous êtes à quelle famille ?
    – Sukaretto ! »

    Il y a un moment de flottement. Ils approchent. La brume est épaisse comme la confusion, mais ils peuvent enfin se voir. Les miliciens n’ont pas de masque. Ils ont une peu blême comme celle d’un corps, et des yeux écarquillé dans une expression de surprise. La vie, ici, est surprenante. C’est vrai. Peut-être qu’ils attendent aussi le moment de leur mort avec anxiété. Rai leur trouve des traits fatigués.

    Ils insistent. Leurs fusils sont comme leurs regard. Ils pointent toutes les directions, semblent incapable de choisir une cible.

    « Vous êtes qui ?!
    – Kah-tanaise », dit Rai.

    Il y a un moment de flottement. Les miliciens se regardent entre eux. Une détonation, tout proche, fait bondir tout le monde. La façade d’un building part en morceau puis, comme la neige sur le flanc d’une montagne, s’effrite et tombe. Avalanche de verre et de brique. L’avion est passé à pleine vitesse. Rai n’entends rien à ce que dit le type quand il se redresse. Elle sait que l’avion reviendra.

    Il insiste.

    « Quoi ?!
    – Kah-tanais ! On est kah-tanais !
    – Ah ! »

    Il les regarde. Ses yeux s’écarquillent encore un peu plus. Gauche, droite, Clara, Matchmaker. Comme s’il cherche une preuve de ce que Rai annonce. Finalement il leur fait signe de passer.

    « Bon courage ! »

    Rai le salut et commence à courir. Ses hommes suivent. Les carnavalais disparaissent dans la brume. Elle entend des ordres criés, ils se mettent aussi à courir à la suite du canon.

    Visiblement, les kah-tanais sont bienvenues.

    Après tout, je suis ici chez moi.


    ¹Bien entendu, la nature de la faute, réelle ou imputée, de la jeune princesse impériale a nécessairement une importance. Il est indéniable – toutes les études à ce sujet tendant à s’accorder sur ce point – qu’un événement, aussi « superficiel » que puisse être un énième cas de brutalité dans un foyer violent, revêt une importance certaine à partir du moment où il revient à la mémoire des victimes ou participe à la construction plus générale d’un complexe mémoriel traumatique. Naturellement, il est impossible de déterminer le caractère exceptionnel de cet éventuel acte de violence. Rai était-elle une enfant battue ? Par qui ? Dans quel contexte ? Peut-être cet acte de violence était-il, effectivement, de nature proprement exceptionnelle, soit parce que l’enfant fut suffisamment habile pour éviter d’en subir d’autres, soit pour des raisons qui nous échappent.

    Ce qui compte, en tout cas, comme l’a très bien illustré John Standor dans son ouvrage Enfances et héritages d’Axis Mundis (Éditions de la Presse Universitaire de Lac-Rouge), c’est que la cause de cette violence a évidemment une importance. Dans ce cas, on peut donc estimer que Rai Sukaretto ment, soit à elle-même, soit à son interlocuteur.

    ²Ce qui est bien entendu faux. Il n’existe pas de littérature, scientifique ou fictionnelle, à propos de Rai Itzel Sukaretto.

    ³À noter qu’Auguste Comte n’a jamais écrit ces mots à proprement dit. Il s’agit plutôt d’un condensé de ce qu’il a exprimé différemment :

    « Ainsi, la vraie sociabilité consiste davantage dans la continuité successive que dans la solidarité actuelle. Les vivants sont toujours, et de plus en plus, gouvernés nécessaire­ment par les morts : telle est la loi fondamentale de l'ordre humain.

    [...]

    D'après cette haute notion, la vraie population humaine se compose donc de deux masses toujours indispensables, dont la proportion varie sans cesse, en tendant à faire davantage prévaloir les morts sur les vivants dans chaque opération réelle.
    »

    Selon une estimation, environ 106 milliards d'êtres humains ont vécu sur Terre. Bien qu'il s'agisse d'une approximation, elle est calculée en extrapolant à partir de seuils démographiques historiques connus (comme le milliard d'individus atteint en 1800). Ce calcul met en évidence que la population actuelle ne constitue que 6 % du total des humains ayant jamais existé, soulignant le poids démographique considérable des générations passées malgré la récente explosion démographique.

    Pour le reste on peut noter qu’Auguste Comte décriait justement la tendance des révolutionnaires à s’arracher à la gouvernance des morts. Il pourrait être intéressant de se poser la question du lien entre les Blancs en Exil et la philosophie positivisite. La prétendue rationalité de la dernière itération de leur régime était l’une de ses composantes les plus notables et ayant justifié le plus d’exactions par ses membres.

    Bien entendu « l’enfant » n’aurait pas été le seul à mourir, ce funeste soir de bombardement. Il est désormais notoire que l’une des composantes majeure de la politique princière de Carnavale était justement le massacre d’enfants. La destruction de l’innocence était, après tout, l’un des éléments clefs de la stratégie du Joyau Noir sans sa quête millénariste. La différence tenait cependant au fait que la plupart des enfants victimes du massacre institutionnalisé étaient par ailleurs conçus à cette fin. Cloné, en sommes, et développé afin de développer des caractères hermaphrodites.

    Viens ensuite la question des enfants dont le massacre n’était pas systématisé et/ou l’origine même de la naissance. Les fils et filles de la petite noblesse furent, comme le reste de cette classe, massacrés durant les trois nuits de l’Apocalypse carnavalesque. Si on peut évidemment s’imaginer que certains miliciens trouvèrent assez de force ou d’humanité pour épargner certains enfants, il ne fait aucun doute que laissé à eux-mêmes, ces rescapés subirent un sort pas moi tragique dans les jours qui suivirent la grande extermination de leurs aïeux.

    Rai Itzl Sukaretto ne l’ignore évidemment pas. Dans Bêtes, Hommes et Princes (Éditions NoRain), Juliette Fausse propose l’idée selon laquelle le sauvetage de l’enfant s’inscrit dans la continuité d’une éducation catholique ayant indéniablement laissée des traces. Sauver une vie reviendrait alors à toutes les sauver. Ou plus spécifiquement, il s’agirait d’un contre sacrifice. Sacrifier toute l’humanité au service d’une vie unique.

    Le citoyen Aqua Veracruz proposes une interprétation très différente selon laquelle Rai choisi volontairement d’ignorer le sort des autres enfants clonés, du fait même qu’ils n’ont jamais eu d’autres destin que l’élimination. Plus généralement il semble envisager que toute la situation pourrait être résumée à une histoire de famille. Dès-lors, il deviendrait essentiel de sauver « l’enfant » à partir du moment ou ce dernier a, sur le plan génétique au moins, le même sang que Rai. (Libre Facteur (N°5, p12 à 16).

    Espèce d’énorme fils de pute injurieux, est-ce que moi je te demandes si tu pisse debout ou assis ? A quel moment ça devient ton putain de problème ? Non mais j’ai juste besoin de savoir. A quel moment le fait de chercher à sauver quelqu’un devient polémique ? Et quel est le sens de cette polémique de merde ? Peut-être que j’aurai dû sauver tout les gosses de Carnavale ? Peut-être que j’aurai dû sauver tout les putains de gosse du monde ? Tout ce qui vie sur cette Terre ? Oh oui, oui, oui ç’aurait été un vrai miracle, ça je te l’accorde. Mais oui, le miracle INCROYABLE que tout le monde attend. Chrétiens, bouddhistes, communistes et consorts. Et c’est vrai, j’ai le pouvoir. Alors pourquoi pas le pouvoir de faire ça, aussi ? Amen mes biens chers frères et bien chères sœurs, amen et HALLELUJAH, voyez tout ce qu’on peut sauver ! C’est une question de quelques lignes. Un peu de texte. Je m’entends avec les autres, j’écris à chaque dirigeant, je joue sur mon charisme personnel. Cas on a tous un rôle à jouer, et tous une responsabilité immense dans ce qui se trame. Et tout le monde aime prétendre qu’il n’y sont pour rien, qu’ils ne savaient pas. Ils ne voient pas plus loin que le petit bout de leur nez parce que si leur cerveau faisait l’effort de voir plus loin, si leur cerveau formulait une pensée crédible et complète, alors qu’est-ce qu’il leur resterait pour leur épargner la folie ? Le cynisme. La sociopathe. L’absence totale et absolue d’empathie. C’est ça le plus drôle. Ils simulent l’absence d’empathie pour éviter d’en crever. D’en crever. Parce que tout est fiction. Fiction légale, culturelle, administrative. Des milliers de fictions, une à la fois, pour grignoter notre libre-arbitre. Demandez à un gosse ce qu’il ferait avec le pouvoir. Même pas le plein pouvoir. Juste le pouvoir. Celui que j’ai. Celui qu’ils ont. Il ne ferait pas ce que nous faisons, croyez moi. Non. Ils feraient autre chose avec. Des choses biens. Il n’y a que les enfants pour croire aux miracles et, donc, que les enfants pour les réaliser. Et on veut me le reprocher. Encore et encore et encore. On veut me reprocher de me lever, tout les putains de matin, et de me voir sans une glace. Chaque jour plus vieille, plus cassée. Les cicatrices s’accumulent et ne disparaissent pas. Mon visage est un aveux d’échec. Je ne suis pas morte assez jeune pour être une icône. Et je travaille tout le jours, comme une chienne, comme une putain de chienne, pour réaliser le rêve d’autres. Un rêve modéré. Modéré ! Réaliste même ! Adulte, responsable, sans ampleur ! Et. Les. Enfants ; Meurent. Sous. Les Bombes. Alors quoi ? Tuer les tireurs ? Mettre un terme au massacre. Mettre un terme aux conditions du massacre ? Je suis socialiste, je vois les causes profondes. Mettons, un miracle matériel, alors. Sociologique. Je veux tout détruire sous le poids de l’Histoire. Pourquoi suis-je de la génération entre deux ? Pas celle qui se dit « La révolution doit venir ! » et pas celle qui en récolte les fruits, mais celle qui protège le verger ? Je veux brûler les arbres et tuer la vermine, je me retrouve seulement à pleurer les mots d’hier et de demain. La vérité c’est que vous êtes toutes et tous hypocrites, et au moins aussi pathétiques que moi. Je ne remplie pas mon rôle. Je le sais. Mon rôle et de tout régler. Et vous, votre rôle et de pointer du doigt mes manquements. Vous êtes des parasites. Si j’étais parfaite vous n’aurez pas à exister. Vous n’en avez même pas conscience. Vous croyez sincèrement à votre utilité. Je vous hais. Bon sang je vous hais tellement. Il n’y a plus rien à sauver chez vous. Vos remarques imbéciles n’apportent rien à personne. Je pourrais vomir. A chaque fois que vous ouvrez la bouche pour ajouter quelque chose c’est comme si vous me poignardez, que ça cesse, je veux que ça cesse, il faut que ça cesse, demain je prendrai des mesures pour ne plus avoir à y penser, ne plus avoir à regarder hier ou aujourd’hui et tous les aujourd’hui possibles, et constater tous les matins que nous vivons dans la pire version du monde, et que ceux qui ont le pouvoir de faire changer les choses n’y voient rien, n’y croient pas, n’ont aucun espoir, aucune volonté, aucun rêve, que leur réalisme est cinglant, sans impact, froid, dégueulasse, meurt de faim, qu’ils fétichisent la misère, oui, en fétichisant le pouvoir ils fétichisent sa réponse, et sa réponse c’est la nécessité de la misère, allez tous vous faire foutre,

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