27/03/2015
08:28:42
Index du forum Continents Nazum Poëtoscovie

🗄️ Ministère de la Mémoire Nationale - Page 8

Voir fiche pays Voir sur la carte
1575
Lettre de Piotr Ă  FLora

Piotr a Ă©crit :Jeudi 07 novembre 2014
Jour 61
23h21

Cher objet de mes transports,

Cette nuit j’ai rêvé de toi, et sais que j’aurais dû écrire ce qui s’est passé bien plus tôt.
Je me souviens que tu m’attendais, le visage impassible, en haut des escaliers extérieurs d’un palais que je n’ai pas connu, mais qui me rappela en tout point et l’architecture arabe, et les métros moscovites. La roche dehors était beige, voire rouge, tandis que l’intérieur était blanc et possédait contre ses murs des représentations sculptées d’instants historiques et de personnages illustres dans l’or. Un homme, étranger à tout souvenir mais dont les traits et la barbe me rappelaient Lénine t’indiqua de me faire visiter, alors tu le fis. Nous apprîmes ainsi à nous parler, beaucoup, puis à nous tenir la main, fort. Je te revois heureuse. Je te revois aussi m’aimer. À la manière des adolescents du Comte de Montecristo, nous nous aimions après peu, mais ne vivions plus que pour cela. Alors, nous prîmes le parti de fuguer ensemble. La grande arche définissant les limites du domaine passée, les cris des chiens se firent entendre, puis les hommes à leur tour aboyèrent, si bien que l’on ne distinguait plus les uns des autres. Je me souviens courir en ressentant le contact puissant de ta main dans la mienne, puis l’abandon de ton corps qui plonge dans le sable, une tache rouge et grandissante se répandant sur toute ta poitrine. Alors, je me suis réveillé en sursaut. C’était extraordinairement et triste à la fois. J’étais euphorique de t’avoir vue, parlée, touchée, mais triste que là aussi tu m’aies abandonné.
Contrairement aux autres fois où lorsque je rêve je le fais plusieurs fois d’affilé dans la même nuit, ici je ne connus que ce désolant bonheur.

J’aimerais qu’un jour je puisse de nouveau te parler de mes rêves de vive-voix.

Ton Piotr.
1314
Lettre de Piotr Ă  Flora

Piotr a Ă©crit :Vendredi 08 novembre 2014
Jour 62
22h36

Ma lointaine Flora,

Aujourd’hui, je suis resté à la maison car j’étais malade. À vrai dire j’avais certes mal au crâne affreusement, mal à la gorge terriblement et des frissons qui me parcourraient le corps, je craignais surtout mon rendez-vous avec la psychologue. Que lui aurais-je dit si j’y étais allé ? Sans doute que rien ne va mieux mais que je m’y accoutume, ou alors qu’au fond j’espérais encore une divine bonté de ta personne qui, si elle me paraissait presque à déifier, n’a jamais œuvré de la sorte, empêchant le mal et possédant un attrait certain pour quelque vertu – bien-pensance que j’exècre sans doute autant que tu le fais toi-même. Et pourtant ! Je ne puis m’empêcher de repenser cette phrase face à laquelle l’homme s’incline, comme dette sociétale du passé : « J’ai toujours raison ! ».
Ma Flora, en vérité, j’approuve cela. Tu as toujours eu raison car dans notre couple même la vérité se pliait à tes exigences, et je m’efforçais en tout cas de faire mon maximum pour l’y contraindre. Après deux ans à n’écouter plus que ta voix prophétique dictant et mes gestes et jusque mon ressentiment, la Liberté m’est aujourd’hui une contrainte qui me pèse et me fait regretter ta présence comme son emprise sur le cœur innocent qui est mien.

Certain que de toutes mes lettres tu accepteras au moins celle-ci vantant ta gloire, j’y glisse aussi quelques étreintes dans l’Espoir que tu les veuilles bien également.

Ton Piotr.
830
Lettre de Piotr Ă  Flora

Piotr a Ă©crit :Samedi 09 novembre 2014
Jour 63
???

Mon adorée absolue,

Aujourd’hui j’ai beaucoup pensé à toi, bien plus qu’à l’ordinaire à vrai dire. Ma collègue s’est achetée un shampoing dans la même marque et de la même odeur que le tien, et j’ai eu l’impression de ne sentir que cela de la journée. Tes cheveux me manquent. Cela te paraîtra sans doute drôle ; en vérité ce manque trahit une détresse bien grande. Je t’aime de tout mon cœur, de toute mon âme. Tu me déchires le cœur. Pourquoi ne pas me répondre ? Si tu ne m’aimes pas alors cela ne devrait pas t’atteindre de le faire… Je crois encore trop en toi pour croire qu’il s’agirait de femme ou d’égoïsme. Je t’aime tellement ! C’est si difficile pourtant… Il est drôle de se dire que tu n’as peut-être pas pensé à moi de la semaine alors que l’inverse arrive constamment… Au moins si je suis l’allégorie du pitoyable je suis déjà quelque chose.

Je t’aime beaucoup.

Piotr.
2343
Lettre de Piotr Ă  Flora

Piotr a Ă©crit :Dimanche 10 novembre 2014
Jour 64
19h20

Toi Ă  qui je consacre une folle passion,

J’ai passé un bien triste dimanche qui m’a fait regretter ceux passés avec toi il y a quelques temps. Je me réveillais, généralement tes yeux étaient déjà ouverts, tu m’offrais une étreinte et la journée se déroulait dans ce même état d’esprit qu’aujourd’hui il m’est difficile de retrouver même en rêve.
Amoureusement je ne sais pas où tu en es. Je ne sais pas si tu blâmes le concept, si tu attends avec l’indifférence que je te connais, si tu souhaiterais retomber amoureuse prochainement, si tu l’es déjà ou même si quelqu’un d’autre partage ton bonheur voire ton lit à l’heure où je t’écris – auquel cas je serais, quoique nécessairement peiné, assurément heureux pour vous. En réalité je m’interroge, car je ne peux m’empêcher de penser à toi, à ce que tu dois ressentir, ou faire, ou vouloir, mais la vérité m’importe peu d’autant plus qu’elle m’est inaccessible.
Malheureusement, comme toi, comme le reste de la société adolescente en fait, il m’arrive de plus en plus régulièrement de passer des heures entières sur Instagram sans m’en rendre compte. Là où je faisais du piano ou écrivais mille Alexandrins, je consacre aujourd’hui ma jeunesse à l’inutile, et suis témoin de mon propre désespoir ainsi que de ses désastreuses conséquences. Il me résolument en changer, dans toutes les sphères de ma personnalité, et ne plus être craintif, timide, larmoyant en toute occasion, dont les seize ans me placeront en insuffisance pondérale et que les autres effraient, et que le noir effraie, et que ton cœur effraie.

23h20

Pardonne-moi, je n’aurai pas le courage de m’adresser à toi de manière pleine et entière, de te dire mon Amour dans une lettre que je sais inutile par nature puisqu’elle ne t’arrivera jamais. Cependant il me faut bien conclure, tu es bien placée pour savoir que je ne sais que mal le faire, et pourtant il s’agit là d’une nécessité à laquelle nul correspondant ne saurait se soustraire. Permets-moi alors l’expression de mes plus nobles sentiments dans les vers qui suivent et que j’écrivais tout à l’heure :

Oui, par te désirer, ma sublime Flora,
J’entends ce que tu veux, ou ce que tu voudras.
J’entends la caresse de ma main sur la tienne
Comme le doux baiser que ma bouche fera
À un front qui m’est loin et qui, durant ma peine,
Me fit me souvenir de nos promesses vaines.

Et, jamais satisfait, tout comme Ă  ton image,
J’irai même plus loin dans l’Amour – esclavage…
L’esclavage d’un cœur qui ne sait t’oublier !
Qui par mille moyens cherche à bannir ta rage !
Car c’est ainsi pour moi que je veux désirer :
Plus loin que t’adorer, je veux aimer t’aimer.


Piotr.
1835
Lettre de Piotr Ă  Flora

Piotr a Ă©crit :Lundi 30 septembre 2014
Jour 23
17h22

Toi que j’étreins en pensée,

[J'ai achevé hier soir la lecture d'un livre populaire de mon pays que tu dois sans doute connaître. J'aimerais te partager ce qu'il m'a fait ressentir.][...]
La courtisane, dans le même rôle qu’il m’est donné de jouer lorsque tu t’écris, est une femme qui, par besoin financier ou sentimental, se doit de charmer son audience, et ce de manière constante. Oui, tu esquisseras un sourire lorsque tu comprendras la comparaison faite entre mon cœur et une quasi-prostituée, et j’aurai au moins réussi cette tâche difficile. Cette femme peut tout être : ou la favorite d’un prince et elle papillonnera élégamment dans les riches réceptions en maîtresse s’inscrivant dans une infidélité à peine voilée, seul Amour véritable de ceux pour qui le mariage n’est point un choix ; ou celle sous les ponts, se nourrissant dans les charognes deux enfants non-désirés dans les bras, et qui hériteront de leur mère la maigreur anachroniquement auschwitzienne, témoins d’un monde où la gloire et la luxure ne bénéficient aux plus chanceuses et aux plus perfides. Mon cœur est l’une de ces courtisanes ni chanceuse, ni perfide, et s’il t’aime de manière sincère et innocente pour tout ce que tu es, forcé est de constater que son malheur est presque une conséquence logique de la vie, et cette douleur qui m’atteint n’est alors que la finalité de mon existence. Mon cœur, toujours lui, s’il ne se nourrit ni de chaire ni de sang, porte bien un enfant que l’on nomme Espoir et qui, bien que sans cesse différent de la veille, fait croire que l’on se rapproche du jour où nous nous verrons à mesure que le dernier où nous nous sommes vus s’éloigne. Oui, je me vois comme ces courtisanes que l’on aime un jour puis que l’on délaisse. Je m’identifie à elles. Ce livre est horrible tout à coup. Il n’y a pas d’intrigue et ne possède de dessein. Ce sont seulement des mots synonymes de souffrance et de chagrin mis bout à bout.
Cette vision est notre dernière œuvre commune. Je la savoure ainsi que je bénis ton absence.

Éploré par la constance de ta présence,

Ton dévoué Piotr.
Haut de page