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Lettre de Piotr Ă Flora
Piotr a Ă©crit :Dimanche 24 novembre 2014
Jour 78
23h17
Mon estimée dulcinée,
J’ai failli, aujourd’hui, t’envoyer un messager. Je ne sais même pas pourquoi, mais j’étais poussé à le faire par une force intérieure dont je ne connais l’origine. Je crois que je voulais seulement souffler un peu, t’envoyer tout ce que je pense comme pour m’en débarrasser, alors que tu ne liras jamais ce que je t’écris, et nous le savons aussi bien l’un que l’autre. Je ne souhaite le blâmer : c’est là tout ton droit, et si je tends à me questionner quant aux raisons de ta soudaine indifférence, je la respecte comme je te respecte toi, soit autant que je t’aime.
Il est peu probable que tu dormes déjà , presque autant que tu penses à moi. Peut-être ne le fais-tu jamais. Ta cohérence m’a toujours intriguée, et me donne aujourd’hui encore quelques frissons. Tout chez toi a de tout temps été rationnel, ou du moins a semblé l’être ; tu n’as jamais recherché la poésie dans ton rapport aux autres. Moi je le fais avec un constance désespérante. S’il t’arrive d’imaginer le futur, tu as le don de ne rien idéaliser. Tu es cohérente dans tout ce que tu es. Ta pensée est froide, ton comportement est froid, tout est froid. Pourtant, tu entretiens avec les autres des relations « normales », et ne m’as jamais paru associable en réalité. Certes parfois tu ne voyais personne, par choix, mais avec ceux que tu souhaitais voir cela se passait généralement avec une stupéfiante banalité. Je t’admire en particulier pour cela. J’ai pensé un temps que nous nous ressemblions beaucoup, et moi qui avais du mal avec tous me suis ouvert à toi. Je n’ai compris que tard le fait que tout le monde s’identifie en permanence à ton être, et que je n’étais en réalité que l’une de ces personnes convaincues d’une illusion. Je t’ai beaucoup aimée, chaque jour davantage, et arrive aujourd’hui à cet amertume sentimentale qui caractérise l’Amour n’étant plus partagé des deux parties.
Une voix dans ma tête me hurle que tout cela était une erreur. Je ne le pense pas. Je ne regrette pas. Cette petite voix c’est toi, que je transporte partout, qui me transporte tout le temps, et que j’aime et aime croire m’aimer. Tu me connais, je n’ai que peu de doute là -dessus, alors tu dois savoir, ou du moins soupçonner, que ce qu’il se passe – là où tu emploierais le passé – entre nous m’obsède et constitue le drame actuel – que je crois infini et éternel – de ma vie. Si l’on me demandait ma plus grande peine, je répondrais ton départ. Toi, à l’inverse, même si tu m’aimais, même si ton cœur avait été calciné du silence de celui que tu avais alors aimé soixante-dix-huit jours après, tu n’en serais pas là . Tu aurais répondu la note – pourtant tout à fait correcte – de ton dernier devoir ou ta fatigue presque chronique. Tu es au romantique ce que Musset est au classique. Ce n’est pas grave. Ce qui est grave, c’est que je continue de t’aimer pour cela.
MĂ©lancoliquement,
Piotr.