27/03/2015
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Activités étrangères en Loduarie Communiste - Page 10

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Le Journal Quotidien de la République


Hauts-Plateaux: Faut-il l'aide de la Loduarie Communiste ?
Face à une invasion de scolytes dans les Hauts-Plateaux, la Loduarie pourrait nous venir en aide

Les Scolytes. Une espèce ravageuse de pas moins de cinq millimètres qui détruit activement les forêts des Hauts-Plateaux, à plusieurs kilomètres de la ville de Javellaux. Cette espèce de la famille des Curculionidae a explosé en nombre dans cette région à cause du taux d'humidité propice à leur développement. D'après les garde forestiers de la zone, ils ont observé une hausse du nombre de scolytes qui va de l'ordre de 400% par rapport à l'année 2010. C'est peut être le début d'une longue guerre qui ne va pas sans compromis: l'une des solutions sur la table serait de demander de l'aide à la Loduarie Communiste, pays frontalier à quelques kilomètres seulement des Hauts-Plateaux. Cependant, avec les tensions internationales qui viennent s'échouer sur le pays, il devient difficile de se dire qu'une trêve est possible au nom de la nature et du patrimoine, sans pour autant titiller la queue du dragon.

Pour en revenir à nos insectes, les scolytes représentent un danger immédiat pour la flore locale. Ces insectes, en particulier le scolyte typographe, creusent des galeries dans le cambium (une fine couche sous l’écorce) pour y déposer leurs œufs. Ainsi, les femelles scolytes condamnent des arbres par milliers. Ces arbres là perdent peu à peu de la résinent, perdent leurs feuilles et leurs aiguilles, leur bois devient ocre comme de la rouille... L'épidémie de scolytes menace l'écosystème entier, en détruisant ce que la nature a de plus cher. En effet, les des populations entières de rossignols ont migré vers des forêts plus à l'est à cause de l'état des arbres dans les Hauts-Plateaux. Le scolyte n'est pas qu'un simple danger pour le paysage, il menace la faune et fait trembler l'épée de l'extinction qui prône déjà au dessus de plusieurs espèces d'animaux.

Comme si cela ne représentait pas assez de soucis, l'épidémie de scolytes menace aussi et surtout l'économie locale. En effet, dans le village de Lambaux qui se situe en plein cœur de la zone touchée par l'épidémie, les propriétaires de menuiseries s'alarment sur la qualité du bois. D'après Gilles, un ouvrier d'une entreprise dans la filière bois, "Cette espèce rétrécit le rayon du tronc qui peut être exploité en menuiserie. Nous sommes obligés de jeter du bois troué et consommé par les scolytes, ce qui a un fort impact sur notre revenu." En effet, le bois a perdu près de la moitié de sa valeur comparé aux prix de 2009, une catastrophe pour certains qui, pour éviter le chômage, décident quand même de vendre le bois consommé par les scolytes dans un acte de désespoir. Cela vient aggraver la situation, car des tables, des structures, même des bâtiments entiers sont souvent érigés à partir du bois provenant de ces forêts des Hauts-Plateaux. Le bois "scolyté" est alors bien moins résistant, fissure très rapidement et représente un danger majeur pour ceux qui fréquentent les bâtisses. Pour résumer, cette épidémie de scolytes touche nos paysages, notre faune, notre flore et notre économie, voire même notre sécurité.

Récolte
Dernière récolte de bois vert en septembre dernier. Il y a juste cinq ans, ces piles de bois étaient deux fois plus hautes qu'à l'heure actuelle.

Mais alors, à quoi est dû cet incrément soudain en scolytes dans la zone des Hauts-Plateaux ? D'après l'expert entomologue David Tegel, la réponse est simple: Le taux d'humidité est monté en flèche depuis ces dernières années, en partie à cause d'un réchauffement climatique latent. Cela a grandement favorisé le dévelopement de l'espèce, jusqu'à ce jour minoritaire. Qui plus est, pour améliorer la transpiration, certains arbres ont évolué pour déveloper un bois plus léger et doux, beaucoup plus facile à percer pour l'espèce invasive. "Chaque femelle peut pondre des dizaines d'oeufs; nous dis David. On peut estimer qu'à chaque trou de Scolyte dans un arbre sont ressortit douze autres scolytes, qui vont eux même faire plus de trous et se reproduire à une vitesse alarmante." Il estime d'ailleurs que d'ici fin 2015, les scolytes auront conquis à peu près 70% des arbres de la région Hauts-Plateaux. Qui plus est, selon des constats récents, les scolytes emmènent avec eux certains champignons qui se développent dans les cavités délaissés par les insectes une fois les œufs pondus. Ces champignons, tout aussi invasifs, font bleuir le bois, et les dévitalise complètement. On atteint un stade où la structure de l'arbre devient si molle que les branches sont susceptibles de tomber, laissant des forêts complètement dénudés de verdure avec quelques pylônes en bois sortant du sol, comme si un terrible feu de forêt était advenu.

Quelles sont donc les solutions pour contrecarrer cette invasion ? Elles ne sont guère simples: il faudrait faire appel à un effectif de garde forestiers réduits pour appliquer sur les arbres un pesticide spécifique qui empêche la formation de cavités dans les arbres. De plus, une des solutions envisagées aurait été de replanter des arbres avec des mutations génétiques qui leur offrirait une écorce plus solide et une résistance accrue à l'humidité. Toutes ces solutions ne sont malheureusement pas à notre portée à l'instant, la région n'a pas assez de personnel pour effectuer les travaux de désinfestation.

C'est là que rentre en jeu l'idée de faire appel aux garde forestiers par delà la frontière, à quelques kilomètres seulement de là, en Loduarie Communiste. Joindre nos forces nous permettrai de couvrir une plus vaste zone et de protéger le plus d'arbres possible pour contenir et éradiquer l'épidémie. Celle-ci pourrait potentiellement passer la frontière dans un épisode où nous ne serons pas capables de la contenir nous mêmes avec nos effectifs et notre budget. La Loduarie Communiste a donc intérêt à mettre ses différents de côté pour la préservation de notre patrimoine commun.

Cependant, la stratégie s'avère être hasardeuse. Il y a seulement quelques jours, des avions Loduariens ont intercepté sans vraisemblable raison des avions venant du Saint-Empire de Karty. Le régime Lorenziste en général peut être très imprévisible, et une simple demande comme celle-ci pourrait venir titiller la queue du dragon par inadvertance. D'autres sont de l'avis que la Loduarie peut s'avérer compréhensive au sujet d'un désastre environnemental qui peut bientôt toucher son propre pays. Quoi qu'il en soit, l'intervention de la Loduarie Communiste dans cette mission pour éradiquer les scolytes pourrait être notre seule solution pour parier au désastre.

Cette affaire est naturellement remontée au sein du gouvernement, car la question de l'intervention Loduarienne sur notre territoire est un sujet à manipuler avec la plus grande des précaution. Sans être naïf à la situation actuelle autour du pays, le gouvernement est paradoxalement plutôt favorable à la coopération avec nos voisins, en espérant qu'un événement comme celui-ci pourra créer - ou même solidifier - des liens diplomatiques.

Que vous voyez la situation comme une opération chirurgicale ou un tremplin pour lancer une histoire d'amitié insolite, le gouvernement espère convaincre sa ministre des affaires étrangères Lexa Roos d'envoyer une missive invitant à la coopération sur ce sujet là. Devons nous nous attendre à de bonnes ou de mauvaises surprises ? Après tout, il s'agit seulement d'envoyer des équipes de garde forestiers loduariens au delà de la frontière pendant quelques semaines...
HRP a écrit :Ceci est un journal SATYRIQUE et INDEPENDANT de l'Etat d'Antares. Nulle offense est véritable et à peu près tout doit être pris au second degré.
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Lu et Désapprouvé !


Relations Charnelles entre l'Etat de Rimaurie et la Loduarie Communiste ?!
Une Semaine, Un Complot: Que se cache vraiment derrière ces missives menaçantes ?

Ah, la Rimaurie et la Loduarie Communiste... En superficie, ils se battent comme chien et chat. Cependant, si l'on creuse juste assez, on découvre un étonnant complexe de couvertures méticuleusement arrangés pour cacher une relation charnelle qui débute entre les deux chefs d'Etat. Certes, d'un côté on y trouve un führer ultra nationaliste et de l'autre un révolutionnaire communiste, avec un régime tout frais comme un pain sorti du four. Il semble complètement invraisemblable que ces deux là puissent partager leur vie. Et pourtant, c'est bien le cas.

Commençons par regarder la dernière missive de l'Etat de Rimaurie au cabinet des affaires étrangères loduariennes. Celle-ci est évidemment truffée de sous entendus et messages cachés. Déjà, on peut noter que les 4 premières lettres capitales de la missive sont dans l'ordre: F U L G. On y voit clairement un désir d'épeler le mot "fulgurance" qui caractériserait l'amour fou du chef d'état pour son homologue loduarien. Il a cependant été assez habile pour ne pas terminer ce message caché, par peur d'être trop facilement reconnaissable ou bien de brusquer les choses avec Lorenzo. Il faut rappeler au lecteur que nous sommes toujours en Août au moment de l'envoi de la missive rimaurienne, la relation était toujours à ses débuts et ce dernier prévoyait de déclarer sa flamme avant la fin des beaux jours. Justement, dans la catégorie des messages d'amour incomplets, on retrouve aussi la phrase "I love" (voir image ci-dessous) qui est épelée en diagonale. Celle ci est évidemment censée représenter la fameuse phrase d'amour par excellence traduite en anglais "I love you" qui encore une fois a été laissée inachevée pour éviter de paraître trop brusque dans l'initiation de la relation amoureuse. Intéressons nous maintenant aux messages cachés par homophonie dans le texte. Nous suspectons plusieurs messages cachés de ce type, mais le plus flagrant d'entre eux est dans le groupe nominal "vos vassaux" qui encore une fois montre clairement la connotation amoureuse de la missive. le mot "vos" est un homophone exact du mot "veau", ce qui fait référence au taureau: l'emblème de l'Etat de Rimaurie. Si l'on combine cela avec le mot "vassaux", on comprend donc un désir du chef d'Etat Rimaurien de se subordonner et de s'incliner devant le secrétaire général loduarien, dans le sens amoureux du terme.

La dernière phrase du bloc est tout aussi frappante, ce "vous êtes à vomir". Pour des lecteurs naïfs, cela représente une insulte de plus haut niveau, mais il suffit de réarranger les lettres et on trouve un anagramme presque parfait de la phrase "avouer soviets", ce qui est indubitablement une déclaration amoureuse de la part du chef d'Etat de la Rimaurie auprès de son homologue communiste. D'autres anagrammes sont présents dans le texte, certains sont même très sales: dans des groupes de mots comme "l'Union Libertaire" ou bien "rompre tout lien diplomatique", on peut réarranger quelques lettres pour donner "initie branler" ou bien "tripoter pendule"... de quoi se faire une idée des relations à venir.

Chef d'Etat Rimaurien a écrit :Missive Rimaurienne
Enfin, pour les sceptiques, il est vrai que la lettre elle même présente du vocabulaire très négatif comme les mots "illégale" ou "viol évident". Tout d'abord, il faut comprendre que ces deux chefs d'Etat sont des experts dans la manipulation, des génies du genre épistolaire. Il serait bien moins suspicieux d'envoyer une lettre d'amour déguisée en insulte qu'une simple missive administrative, ça éloigne bien mieux les soupçons. Puis, si on reprend les termes "illégale" et "viol évident", c'est en réalité le führer qui fait référence à l'adultère que commettrait Lorenzo en s'engageant dans cette relation homosexuelle tout en étant marié à sa femme Aube. C'est un signe chevaleresque que fait là notre Roméo, en mettant en garde à propos des sacrifices qu'il devra faire pour s'engager dans une relation charnelle à distance. Pour clôturer notre analyse un petit bonus: on voit qu'une phrase a échappé au chiffrage complexe du führer: "[...] transmettiez enfin une réponse positive". Si vous avez suivi notre explication, c'est le moment où le chef d'Etat rimaurien va demander à son homologue de lui écrire en retour si celui-ci venait à accepter la relation. Et en effet, le chef d'Etat loduarien va bel et bien lui écrire une lettre aussi insultante quelques jours seulement après, qui témoigne de la réussite de la déclaration amoureuse. Il n'y a rien de plus romantique que cette lettre, et on peut dire que le führer s'est vraiment donné à fond sur celle-ci.

Avançons donc de quelques mois. À ce stade, nous avons de fortes raisons de supposer que les deux chefs d'Etat entretiennent une relation charnelle à distance et que la lettre du führer a décidément conquis le chef du régime Lorenziste. Pour en être sûrs, nous avons demandé à la compagnie de services de visioconférences Zoume leurs chiffres concernant les appels vidéo entre la rimaurie et la loduarie. Le résultat était prévisible: après la fameuse missive, les deux ont à eux seuls fait monter le nombre de visios par jour de plus de 400% par rapport à la moyenne quotidienne. C'est un indicateur assez fiable que la relation se porte bien, et que l'adultère n'a pas encore été découvert. C'est l'une des raisons pour lesquelles les deux ne se sont presque pas envoyés de missives depuis le jour heureux de la déclaration, des visios via Zoume c'est bien plus discret et ça permet d'admirer le beau visage de son homologue.

Cependant, nous avons longtemps hésité sur la véracité d'une telle théorie. Peut être que c'est juste une immense coïncidence ? Heureusement, nous ne croyons pas aux coïncidences. Et c'est un événement très récent qui va venir confirmer nos soupçons: En effet, il y a tout juste quelques jours, l'armée loduarienne s'était crue dans space invaders et a paniqué en voyant des avions du Saint Empire de Karty voler à plusieures centaines de kilomètres de leur côte (ils devaient avoir de sacrément bonnes jumelles pour les voir). La seule alternative à cette découverte était d'ouvrir le feu, l'armée n'avait aucune autre solution pour gérer une telle situation. Après deux coups de baguette magique, les avions kartiens se transforment subitement en sous-marins, ce qui crée un choc particulier chez les eurysiens. Beaucoup se demandent encore les raisons d'une telle attaque, alors que la réponse est toute trouvée: l'Etat de Rimaurie n'appréciant pas nécessairement le Saint Empire de Karty, le secrétaire général loduarien a voulu flex ses muscles devant son petit ami en abattant lui même les avions avant qu'ils ne deviennent une menace pour le führer. On voit ainsi que le chef du régime Lorenziste peut lui aussi s'avérer être un homme charmant et beau gosse, qui n'hésite pas à faire des démonstrations pour impressionner son homologue.

Si nous réussissons à vous parler de cette affaire, c'est qu'elle a failli tomber en lambeaux. Nous avions reçu des nouvelles récentes comme quoi le chef d'Etat loduarien sortait de plus en plus tard de son bureau et multipliait les appels téléphoniques. Quelque chose devait être fait pour empêcher que la vérité sur l'adultère n'éclate à la grande surprise de tout le monde. Qui plus est, les deux hommes savaient pertinemment que nous étions en train de collecter des informations à leur sujet. C'est donc la raison pour laquelle le chef d'Etat rimaurien, par intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, décide de contacter le cabinet des affaires étrangères Antarien sans aucune raison préalable en nous invitant à rejoindre une alliance pour lutter contre le régime Lorenziste. Son explication, en plus d'être extrêmement lacunaire est clairement une tentative pour détourner notre regard des relation charnelles qui ont lieu entre les deux dirigeants.

À cette date, nous nous sommes permis de formuler quelques hypothèses sur le tracé que pourrait suivre le couple homosexuel dans les prochains mois à venir. Tout d'abord, nous savons que les deux cherchent activement une excuse pour pouvoir se rencontrer seuls dans le bureaux de l'un ou de l'autre sans pour autant paraître suspicieux ou faire de cette rencontre de deux hommes supposément ennemis une occasion insolite. En même temps, on les comprend: ça doit être diablement de pouvoir se voir uniquement via Zoume le soir après une journée de travail. Même dans les récents discours des deux individus, on remarque une augmentation moyenne de 1 Hz dans le ton de leur voix, ce qui d'après nos experts sexologues du journal Le Poulpe Bleu se traduit par un désir charnel refoulé mais pour le moins difficile à contenir au sein de soi même.

Si nous pouvons leur conseiller une stratégie à adopter, c'est de simuler un voyage d'affaires qui ferait escale dans l'un des deux pays pour refaire le plein. Sans l'intervention de trop de médias, l'événement serai perçu comme une occurrence de routine et n'éveillerait pas trop les soupçons, donnant le temps aux amoureux de se retrouver et de se faire plaisir pendant un peu plus d'une heure. Ce n'est pas grand chose, mais c'est important pour leur bien-être. Nous tenons vraiment à ce que ce couple dure le plus longtemps possible, et nous nous engageons à financer un mariage éventuel dans un futur proche !

C'était "Une Semaine, Un Complot" dans la revue Le Poulpe Bleu, et nous espérons vous retrouver en forme la semaine prochaine pour une nouvelle théorie expliquée en détail.

Vive les deux amoureux, et que leur relation puisse durer jusqu'à la fin de leurs jours !!!

Nous rappelons que Le Poulpe Bleu est un journal à caractère satyrique et agissant indépendamment de l'Etat d'Antares. Vous croyez vraiment qu'on se moquerai de notre propre pays si c'était une entreprise contrôlée ?

16910
Il est environ 8 heures du soir. Maxence sort du travail avec ses collègues, après une longue journée de travail dans une petite usine de menuiserie de Lyonnars. C'est une soirée comme les autres, rien de plus normal. Pourtant aujourd'hui, Maxence se sent terriblement fatigué. Après avoir salué ses camarades, il décide d'aller se détendre dans un bar a proximité. Après tout, il l'a bien mérité: cela fait maintenant un an que le gamin de 19 ans s'est engagé dans son travail actuel pour servir sa patrie. Il travaille avec assiduité, n'a jamais compté un seul retard et a fait preuve d'une rigueur exemplaire. Son chef de section lui a dit à maintes reprises qu'un caractère comme celui là, c'est parfait pour l'armée. Après tout, tout adolescent loduarien comme lui tressaillirait de joie à l'idée de pouvoir servir le régime en s'inscrivant dans l'armée loduarienne. La vérité, c'est que Maxence voulait passer un peu plus de temps auprès de sa famille.

Avant d'arriver à Lyonnars l'année dernière pour son travail, il vivait dans la ville de Doline avec sa famille. Il avait réalisé de bonnes études au lycée, mais des études poussées en ingénierie ne l'intéressait pas. Maxence était un homme qui aimait travailler avec ses mains, à produire quelque chose à travers un effort physique plutôt que cérébral. Sa mère a toujours été assez malade à cause d'une mauvaise grippe qui lui traîne dessus depuis maintenant plusieurs années. Son père s'occupait de sa mère autant qu'il pouvait.

Au tournant de ses 18 ans, le jeune homme réussit à se procurer une place dans un avion en direction de Lyonnars pour un travail qu'il a réussi à trouver dans la capitale. Il avait longtemps hésité à partir, son père allait forcément se fatiguer au fil du temps et l'état de santé de sa mère n'était pas en bonne voie pour s'améliorer. Il se souvient encore aujourd'hui de la dernière discussion qu'il a pu avoir en tête à tête avec son père: "Mon fils... il y a et il y aura toujours des choses qui échapperont à ton contrôle. Tu ne peux pas nous aider plus qu'un certain point. Ce qui nous aiderait le plus, c'est que tu nous rende fiers avant qu'on doive fermer les yeux". D'un pas décidé, il rangea ses affaires le jour suivant et partit pour Lyonnars. L'idée de prendre l'avion avait un peu perturbé le jeune homme, il n'avait encore jamais voyagé à bord de ces imposants engins et avait une peur bleue qu'un accident puisse advenir. Si il venait à mourir, ses parents seraient tellement rongés par la tristesse qu'ils en perdraient la vie. En même temps, le jeune homme avait ses raisons d'être angoissé: l'avion passerait au dessus du territoire d'Antares, et très proche de la Gallouèse: que se passerait-il si un conflit armé explosait alors qu'il était en plein vol ? Qui plus est, Maxence aurait largement préféré parcourir des centaines de bornes en autocar pendant des heures sur la route, il aurait au moins des paysages à observer par la fenêtre. Cependant, les autobus loduariens qui transitaient à travers Antares étaient rares. Bref, c'était bien plus simple de prendre l'avion. Heureusement pour lui, il était assis à côté d'un camarade qui avait l'habitude d'emprunter ce genre de transport, et l'a grandement rassuré durant tout le trajet. Une fois débarqué dans l'aéroport de Lyonnars, il était temps pour lui de commencer sa nouvelle vie et de rendre ses parents (ainsi que sa patrie) fiers de lui.

C'est ainsi que Maxence s'est retrouvé dans cette petite menuiserie contrôlée par le régime, faisant preuve d'une rigueur militaire et en s'attirant les louanges de ses supérieurs. Alors qu'il marchait vers le bar, il ne put s'empêcher de penser à l'éventualité de rejoindre les forces armées loduariennes. Cela faisait maintenant plusieurs jours qu'il y réfléchissait. Serait il assez fort physiquement ? Probablement, il ne devrait pas avoir de soucis pour se faire accepter et il se renforcera de toute façon durant sa formation. Ses parents s'inquièteront ils pour lui ? Certainement au début, mais l'armée loduarienne est probablement une des plus puissantes d'Eurysie. Il aura très peu de chances de mourir dans les rangs d'une puissance militaire aussi performante. Tout ce qu'il risque, c'est qu'il se blesse temporairement, durant un entraînement ou une manœuvre. Ses parents seront alors là pour le rassurer et l'encourager, en lui faisant remarquer à quel point ils étaient fiers de lui et qu'il faisait de son mieux. Il n'avait sensiblement rien à perdre. Mieux, il aurait pu demander des soins additionnels pour sa mère si il réussissait à monter en grade. Maxence esquissa un petit sourire: vraiment, il avait tout à gagner en se faisant recruter dans l'armée. Il avait passé un an sans ses parents, il ne craignait plus de plus pouvoir les voir.

Mais bon, peu importe. Il ne voulait pas penser à ça en ce moment. Tout ce qu'il voulait, c'est récolter les fruits de son travail acharné. Une fois arrivé devant la façade du bar, il regarda l'enseigne pendant un moment, avant de rentrer en se frottant les mains. Il faisait très froid durant cette période, et devrait peut-être demander à ses supérieurs ou ses camarades si ils avaient une paire de gants chauds à lui prêter. Il rentra dans le bar, qui était très silencieux et à moitié vide. Qui sait pourquoi il n'était pas bondé à cette heure ci ? D'habitude, les travailleurs d'une raffinerie à proximité venaient se détendre ici après leur travail. Peut-être qu'ils ont eût droit à des heures supplémentaires à cause des chiffres de productions trop bas par rapport à la moyenne quotidienne... En tout cas, Maxence était ravi de pouvoir avoir une place sur un des tabourets du bar. Il s'assit confortablement, admira pendant un instant l'étendue de bouteilles soigneusement rangés sur le mur devant lui, puis secoua la tête pour reprendre ses esprits. Il regarda légèrement à gauche, où le barman le regardait tout en nettoyant des verres. Le Barman prononça quelques paroles, avec un petit accent italien caractéristique d'Antares.

- "Alors camarade, tu veux quelque chose à boire ou tu es juste venu voir mes bouteilles ?"

- "Désolé, je me suis laissé distraire. C'est une belle collection que vous avez" Répondit Maxence.

- "Merci camarade. Je viens de tout ranger il y a quelques heures seulement, c'est normal que ça paraisse aussi en ordre."

- "En tout cas, vous avez fait un excellent travail, camarade. Je veux bien vous prendre un peu de gin."

- "Bien sûr. Je te fais ça tout de suite."

Maxence regardait le barman préparer sa délicieuse boisson. Il avait remarqué son accent, et était curieux de savoir comment il avait atterri là. Le jeune homme fréquentait souvent cette endroit, mais comme il était si souvent bondé il n'a jamais eu l'occasion d'avoir une vraie conversation avec le barman. Celui-ci avait justement fini de verser l'alcool dans un verre qui fit glisser sur le comptoir pour qu'il atterrisse sous le nez de Maxence. Il prit alors son verre de la main droite et commença a siroter, en jetant des regards au barman qui avait toujours les yeux rivés sur lui. Le jeune homme posa son verre et décida de commencer la discussion.
- "Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer votre accent, camarade. Venez vous d'Antares ?" Dit-il.

- "Ahh, je vois que tu es perspicace ! En effet, j'ai grandi là bas. Juste assez pour garder cet accent dont je ne peux pas me défaire, haha !" répondit le barman en rigolant.

- "Mais donc, comment en êtes vous arrivés ici, si je peux me permettre ?"

- "C'est touchant que quelqu'un ici pensent enfin à moi, dit le barman en esquissant un sourire. Vous savez sans doute que les Antariens sont très catholiques. Eh bien, figurez vous que je ne crois pas à toutes ces conneries. J'aurais très bien pu rester là bas, croyez moi. Mais il y avait quelque chose qui me fascinait à propos de la Loduarie. Je suis donc venu ici."

Maxence était fasciné par ce genre d'histoires. Il voulait en poser des centaines d'autres, être plus curieux qu'il ne l'est déjà. Mais ce n'était pas le moment. Il devait rapidement finir sa boisson et rentrer chez lui pour pouvoir se coucher tôt comme à son habitude. Pourtant, le barman voyait bien dans ses yeux qu'il avait beaucoup plus à lui demander. Maxence décidait donc de regarder ailleurs, et éviter son regard. Le barman de son côté avait arrêté d'observer le jeune homme et se préoccupait maintenant de ranger et nettoyer les vers en tout genres.

De longues minutes passèrent, Maxence continuait à siroter son gin jusqu'à ce qu'il n'ait d'autre goût que l'eau amère et métallique des glaçons fondus. Il continuait de regarder son entourage. Le bar était calme. Beaucoup plus calme que d'habitude. Peut être même trop calme. Les gens ne parlaient pas, même des groupes de deux ou trois personnes. Tous buvaient en silence. Il avait l'impression d'être le seul être vivant de la salle, les autres ressemblaient à des mannequins. Il était mal à l'aise. Après quelques minutes, il secoua sa tête et reprit ses esprits. Il devenait fou à force de travailler autant. Il devait se reposer immédiatement. Il se leva donc assez brusquement, laissa son verre et quelques pièces sur le comptoir et sortit du bar d'un pas déterminer, sans rien regarder à part la sortie. Le barman a probablement dû se demander qu'est-ce qu'il l'a pris de devenir aussi mystérieux subitement.

Une fois à l'extérieur, Maxence enfila ses mains au plus profond de ses poches de sa doudoune, en respirant une grande bouffée d'air frais. Il pensa un instant au fait qu'il devrait probablement traîner plus souvent avec ses camarades de la menuiserie, qu'il passait trop de temps tout seul. C'est pas bien grave, se dit il. Une fois dans l'armée, il aura des amis sur qui compter, c'est certain. En attendant, il devrait se reposer un peu plus.

Alors qu'il marchait tranquillement dans la rue, il aperçut un groupe de personnes droit devant lui, dans l'obscurité. Ils occupaient toute la place sur le trottoir. Maxence était donc obligé de passer par la rue pour les contourner. Alors qu'il passait à côté d'eux, il les regarda et les entendit murmurer entre eux, sans savoir vraiment de quoi il parlait. l'un d'entre eux se retourna d'un coup, et le jeune homme regarda rapidement du côté opposé par peur de paraître indiscret. Il ne savait pas pourquoi, mais il savait que cet homme le suivait du regard. Il allait donc agir comme si de rien était, s'attirer des ennuis était la dernière chose qu'il voulait à cette heure-ci de la soirée. Cela lui rappelait justement qu'il devait écrire à sa mère pour lui demander comment elle allait. Il avait oublié de le faire ce matin, elle allait probablement s'inquiéter d'ici peu. Maxence sortit donc son petit portable à 9 touches et commença a taper sur les boutons avec ses doigts glacés. Cela lui faisait un peu mal, mais peu importe: il se réchauffera chez lui, sous sa couette.

Alors qu'il tentait d'écrire un message sur son petit portable, il entendit des personnes marcher derrière lui. Serait-ce le groupe d'individus de tout-à-l'heure ? Peu importe, Maxence ne leur avait rien fait. Ils n'avaient pas de raisons de l'interpeler. Et pourtant, quelque secondes après, il entendit l'un d'entre eux dire fermement "attrapez-le".

Le sang de Maxence se glaça. Il demeura paralysé, tétanisé, incrédule face à cette situation. Qu'avait-il fait de mal ? Que voulaient ces personnes ? Peut être avaient-ils vu son téléphone, et désiraient le voler ? Deux hommes se ruèrent sur lui avant qu'il puisse se retourner, le prirent par les épaules et l'emmenèrent derrière un bâtiment adjacent. Une fois plaqué contre le mur, le jeune homme put distinguer certains visages malgré l'obscurité. Il essaya de se débattre, sans succès. À présent, il était collé contre le mur, avec une dizaine de personnes autour de lui. Un des hommes prit la parole.

- "C'est lui. J'en suis sûr."

- "Pitié, je ne cherche pas à vous ennuyer et je veux rentrer chez moi. Prenez mes affaires, mon téléphone si vous le voulez" répondit Maxence en balbutiant, visiblement sous le choc.

- "On s'en branle de ton portable, connard, rétorqua un autre homme juste en face de lui. On veut les infos. Fais pas comme si on ne t'avait pas reconnu."
Le jeune homme était sidéré par la situation. Il ne savait pas où donner de la tête, cela représentait trop d'information à prendre en compte pour lui. Peut être bien que l'armée n'était pas faite pour lui après tout... Il réussit quand même à prononcer quelques mots en bégayant, dans l'espoir de pouvoir rentrer chez lui sain et sauf.
- "V...vous... vous vous trompez, dit Maxence. Je... je suis pas celui que vous... que vous cherchez. Je travaille à la menuiserie juste à côté, j'ai rien à voir là dedans...!"

- "Putain... y'a moyen on s'est trompé de mec..." dit un des hommes.

- "C'est pas possible, dit un autre. Je l'ai vu dégainer son téléphone après nous avoir dévisagé. Il était en train d'appeler la police, je le voyais d'ici"

Maxence aurait voulu riposter, leur dire qu'il était seulement en train d'écrire à sa mère. Mais la seule pensée de ses parents face à cette situation était assez pour le paralyser. Tout ce qu'il put faire, c'était de trembler des lèvres. Il allait être impliqué dans des affaires de criminalité, il serait probablement torturé ou tué et ses parents se suicideraient en voyant leur fils mourir de cette manière. C'était trop à encaisser pour le jeune homme.
-"Bon, on a pas le temps. Si c'est vrai ce que tu dis, ils devraient être là bientôt. On l'emmène." dit un homme à sa gauche.
Tout à coup, Maxence reçut un coup sur la tempe. Sans cri ni son, sa vision commença à s'obscurcir, et il sombra dans un sommeil inconscient.

Quand il se réveilla, il était ligoté à une chaise en bois au milieu d'un antre obscur et froid. Ses ravisseurs lui avaient laissé sa doudoune, et tant mieux: il serait mort de froid sans. Il essaya de se débattre pendant un instant, mais voyant qu'il était complètement attaché il lâcha prise et commença à sangloter silencieusement. Il ne savait pas où il était. Il allait probablement se faire torturer. Sa vie était fichue. Alors que les larmes commençaient à couler sur ses joues puis son cou, il reçu une gifle puissante venant de l'obscurité. Il faillit tomber de sa chaise, mais se rattrapa juste à temps. Incapable de se frotter avec ses mains, il se frotta contre son épaule après un choc aussi douloureux, en essuyant au passage tout l'eau qu'il avait déversé par ses pleurs. L'homme qui l'avait vraisemblablement giflé se rapprocha de lui. Il était accompagné de deux autres personnes, mais les larmes combinés à l'obscurité de la salle rendaient difficile l'identification de personnes. C'est probablement la raison pour laquelle il n'a pas vu venir un tel coup.

- "Alors ducon, ça fait combien de temps que tu nous observe ?" dit l'homme qui l'avait giflé.

- "Je... qui êtes vous...?" répondit Maxence en bégayant.

- "T'en veux une autre, c'est ça ?!" Rétorqua l'homme en face de lui. Maxence se préparait déjà à encaisser le coup, mais un autre homme qui se tenait à coté l'arrêta.

- "Arrête, dit il. C'est inutile, tu le sais. Il ne va pas parler comme ça. Allume la lumière et va chercher le chalumeau."

Le sang de Maxence se glaça.

- "Je préfère ça, dit l'homme en face de lui."

L'homme se retourna, on l'entendit marcher quelques pas et tout d'un coup Maxence fut violement ébloui par des lumières de chantier positionnées juste derrière les hommes. Alors qu'il clignait des yeux, il n'arrivait pas à distinguer leur figure à cause de la puissante lumière derrière eux. Soudain, le troisième homme du groupe fit un pas en arrière et mis ses mains sur son front.
- "Putain, dit il. C'est qui ce con ??"

- "Quoi ? C'est pas notre homme ?" Rétorqua l'homme qui l'avait sauvé d'une deuxième gifle.

- "Tu te fous de ma gueule, dit il en fouillant ses poches et en sortant un papier mal plié. Tu vois un seul air de ressemblance ?!"

Le deuxième homme se couvrit le visage avec les mains et hurla

- "Putain Greg, c'est qui ce mec ?! Pourquoi tu l'a ramené ici ?!"

- "Tu crois que j'y voyais quelque chose là dehors ?! Je l'ai vu sortir son téléphone après nous avoir dévisagé, dis moi si c'est pas suspicieux ça !" retorqua l'homme qui l'avait giflé.

Alors que les trois étaient en train de se crier dessus, Maxence poussa un hurlement pour faire stopper la dispute.

- "Mais qui êtes vous bon sang ?!" hurla Maxence.

Les trois hommes s'arrêtèrent en pleine dispute. L'un d'entre eux se rapprocha du jeune homme et lui murmura:

- "On est des personnes qui luttons pour l'avenir de ce pays. Tu trouves vraiment qu'on va quelque part avec ce communisme à la con ?!"

- "Je vous en supplie... Je dirai rien... Je veux juste qu'on me rapporte chez moi..." Dit le jeune homme, à bout de souffle.

Les trois hommes se regardèrent entre eux pendant un instant, visiblement hésitants.

- "On le relâche du coup ?" Dit le troisième homme.

- "Bah non, dit le premier homme. Car devine quoi, il vient de lui dire qui on était. Si on voulait le relâcher, il fallait le faire avant. Maintenant, c'est trop tard. Je vous emmerde, vous êtes tous une bande d'incapables."

- "On va pas le tuer quand même ??" dit le troisième homme, en agitant ses bras.

Maxence était sidéré. C'était donc comme ça qu'il allait mourir ? Dans un endroit inconnu, sous les menaces de terroristes capitalistes qui l'avaient malencontreusement confondu avec un homme qu'ils recherchaient ?

- "T'a une meilleure idée peut être ?? On en a tué des gens, et on en tuera encore. La lutte s'arrête pas là. Si on veut remettre en ordre ce pays, il faut passer par la case victimes." Dit le premier homme.

Un long moment de silence régnait dans la salle. Maxence entendait déjà la lame froide de la faucheuse se frotter doucement sur son cou. Il entendait déjà ses parents pleurer à l'annonce de sa disparition. Il entendait déjà sa mère se donner la mort avec son père en sautant du balcon. C'était la fin d'un chapitre, un chapitre dont personne sera vivant pour en témoigner.
- "Bon, dit le deuxième homme, en sortant un revolver de sa poche. Qui s'en charge ?"

- "Donne moi ça" dit le premier homme.

Il pointait le revolver vers Maxence, paralysé par la peur.

- "Désolé, mon garçon. C'est pas contre toi. Tout le monde fait des erreurs. Tu mérites ta place au paradis" dit il.

Maxence n'eut même pas la force de demander pitié. Une dernière larme coula sur sa joue, et soudain tout devin noir. Le son du revolver retentit dans ses oreilles comme une décharge explosive. Il ne sentit même pas la douleur de l'impact. Il mourût sur le coup.
* * *

Le jeune Maxence fut victime d'une erreur de la part d'un groupe terroriste qui visait à instaurer le capitalisme en Loduarie. Ils cherchaient originellement un homme des services secrets loduariens qui était censé les infiltrer et les dénoncer. Leur erreur a coûté la vie à trois personnes. Comme il l'avait prévu, les parents du jeune homme ne purent supporter l'annonce de la disparition de leur fils. Les hauts placés de la menuiserie dans laquelle il travaillait les avait informés du fait qu'il avait disparu, et ce depuis maintenant plusieurs jours. Suite à cela, les autorités loduariennes ont pu retrouvé son corps caché dans une benne à ordure près du bar où il avait bu son dernier gin. Ses parents se jetèrent depuis le cinquième étage de leur appartement résidentiel, préférant rejoindre leur fils plutôt que vivre dans le désespoir. Ainsi, une famille unie dont un jeune homme avec un avenir brillant disparurent dans l'espace d'une soirée, à cause des violences causés par ces groupes terroristes de droite.

Des mois après cet incident, Maxence était considéré comme un martyr par ses camarades de travail. Il était mort en tant que défenseur du communisme aux mains sordides des capitalistes. Son chef de section avait fait un discours en son honneur, en jurant qu'il allait mettre fin aux jours de ces criminels avec tous les moyens qui lui étaient procurés et avec l'aide du régime.

Un innocent était mort. Ses assassins méritaient la mort aussi.
Entete
Le Journal Quotidien de la République


Pizzalopole refusée en Loduarie
La firme de restaurants célèbre en Antares s'est vue refuser son implantation en Loduarie Communiste

7 Heures du matin, 24 décelbre 2014. Le PDG de la firme Pizzalopole Pietro Bilancia va recevoir un mauvais cadeau de noël en avance par la poste. C'est une lettre de l'Etat de Loduarie, qui lui avait interdit de s'établir sur son territoire après qu'il en ait fait la demande spéciale. Pourtant, tout y était: Il avait accepté que les restaurants soient possédés par le régime, il avait accepté de virer toute référence au capitalisme dans son menu et en avait même aménagé un justement pour le régime. Plus encore, il avait prévu une réduction pour les fêtes de fin d'année, affin de faire découvrir à toute la population Loduarienne la saveur inimitable des Pizzas Antariennes. Rien à faire, le régime Lorenziste était catégorique à ce sujet. Pas d'entreprises étrangères sur le territoire Loduarien. Cela aurait pourtant été une première pour notre pays voisin: comme vous le savez, le système communiste ne permet pas l'établissement d'entreprises privées, tout doit être possédé par l'état. Cependant, avec toutes les mesures prises par Pietro Bilancia pour rester dans les cordes du gouvernement, il s'est quand même vu adressé un refus. Mais quelle est la genèse de ce projet en apparence loufoque qui mérite d'en discuter dans la presse ? Pourquoi ce refus aura-t-il un impact majeur sur la situation actuelle en Loduarie communiste, et quel est l'avenir pour cette firme ? Nous répondons aujourd'hui à ces questions dans un reportage inédit.

Tout d'abord, parlons un peu de l'entreprise Pizzalopole. Crée en 1979 dans l'espoir de revitaliser le secteur de la restauration et d'offrir aux Antariens une restauration plus rapide toute en restant de bonne qualité, Pizzalopole devient officiellement la première chaîne de fast food du pays. Son créateur, Giulio Agnelli, était expert dans l'art de la Pizza Antarienne, une des spécialités gastronomiques du pays, et voulait faire de ce met un héritage partagé à travers tout le pays. Il s'allie avec son frère Franco, diplômé à l'Université de Margaux en ingénierie mécanique pour créer ce qu'il appelle le "premier restaurant motorisé au monde". Autrement dit, l'ambition de ces deux frères est de lancer l'industrie de la restauration rapide en utilisant les nouvelles technologies et machines pour accélérer ou automatiser la production de pizzas. Leurs premiers tests avec un modèle de four giratoire marchait à la perfection: les pizzas étaient cuites uniformément et assez pour ne pas être brûlantes, mais pas être tièdes non plus. Puis, c'est au tour d'une machine qui vient pétrir la pâte et lui donner sa texture et sa forme caractéristique. Les cuisiniers n'auront plus qu'à y ajouter les ingrédients, faire cuire et le tour est joué. Les deux frères arrivent à recruter des amis et de la famille, et lancent en hiver 1979 le premier restaurant doté de ces machines. Autant dire que c'est un succès immédiat: le restaurant est forcé d'acheter deux étages supplémentaires et d'agrandir sa terrasse (pas facile en plein centre de Margaux), et pourtant il y a toujours des personnes qui forment une interminable queue à l'extérieur. Après un an seulement, les deux frères décident d'en faire une entreprise, et d'ouvrir deux nouveaux restaurants à Margaux ainsi qu'un à Henne. Leur croissance est exponentielle, ils deviennent rapidement une des entreprises les plus prometteuses du pays et mettent en place la Pizza Antarienne comme un véritable symbole du pays, comme ils l'avaient envisagé.

Les employés de la Pizzeria fêtant le premier anniversaire du restaurant.
es employés de la toute première Pizzeria de la chaîne fêtant le 1er anniversaire du restaurant.

Bien plus tard, en cette année 2014, Giulio et Franco nous ont déjà quittés depuis cinq et trois ans respectivement, tous les deux à cause d'un AVC. Les commandes de la chaîne furent attribués à Pietro Bilancia sans doute au pire moment possible. Dès le début de ses fonctions, il observe un problème majeur avec l'entreprise: Les ventes sont en train de stagner pour la première fois en 30 ans, les lobbys contre la nourriture dite "rapide" ne cessent de grandir, les restaurateurs de pizzas traditionnelles se plaignent du monopole et pour couronner le tout, la firme reçoit des dizaines de demandes de citoyens Antariens vivant à l'étranger pour établir leur firme chez eux. Pendand un moment, le PDG est sous l'eau. Il enchaine les appels téléphoniques, essaye de résoudre certaines situations, engage une équipe marketing pour convaincre le monde que leurs pizzas ne sont aucunement mauvaises pour la santé mais elles sont juste préparés avec une grande efficacité... C'est jusqu'au jour où Pietro va tomber sur une allocution du gouvernement qui annonce aux citoyens d'Antares que certaines mesures vont être considérés pour se rapprocher de nos voisins la Loduarie Communiste. Il pensait là avoir la solution à ses problèmes: Antares et la Loduarie allaient sympathiser, il pourrait profiter de ce rapprochement pour lancer certains magasins chez notre voisin. Alors, il se met cet objectif dans la tête: convaincre le pays communiste d'héberger une partie de sa chaîne chez eux.

Très rapidement, il se heurte à des problèmes. Aucune entreprise n'avait jamais tenté le coup, il allait devoir tout laisser sous le contrôle du régime et ne toucherait qu'une infirme fraction des revenus totaux encore si il réussissait à convaincre l'Etat de lui donner cet argent en premier lieu. Alors qu'il ne faisait que commencer, Pietro savait que ce serait une mauvaise idée. Qui sait, il allait peut être aggraver la situation politique dans le pire des scénarios. Mais il ne se laissa pas faire, il n'est pas du genre à laisser une tâche inachevée, tout comme la plupart des Antariens. Il passa donc tout le mois de novembre à essayer de monter la meilleure candidature qu'il puisse faire, avec des dizaines de compromis quitte à toucher moins de revenus, tout ça dans l'espoir de pouvoir potentiellement commencer sa conquête de l'internationale avec le pays le plus difficile à convaincre.

C'est donc plus tôt dans la journée d'aujourd'hui que le PDG va se voir sa lettre refusée. Le gouvernement Loduarien s'était presque moqué de lui, en lui disant qu'ils seraient fous d'accepter une entreprise capitaliste dans leur pays. Pietro en avait le cœur brisé. Cela parait ridicule, mais c'est le premier homme qui a tenté un exploit pareil. Et ça aurait bien pu s'arrêter là si il n'avait pas décidé de faire volte face et de postuler à l'inverse pour étendre sa chaine de restaurants dans le Saint-Empire de Karty. En effet, ce pays n'a presque aucune culture italienne, et Pietro prévoit de faire fortune avec un produit que la plupart des kartiens n'ont sans doute jamais goûté. L'annonce de cette décision à été faite ce matin à travers les réseaux sociaux, et est la raison pour laquelle une simple histoire de pizza est devenue une affaire politique.

Il faut savoir que le Saint-Empire de Karty et la Loduarie Communiste ne sont pas particulièrement amis. Ce dernier a même pris d'assaut un convoi aérien kartien au large de ses côtes sans vraie raison apparente, en faisant plusieurs morts et en allant jusqu'à détruire des chasseurs. Les deux pays, même si ils ne sont pas officiellement en Etat de guerre, sont pour le moins chacun ennemis de l'autre et n'ont pas manqué de s'envoyer des missiles suite à l'accident mentionné juste avant. Vous l'aurez compris, ce n'est pas le grand amour entre ces deux grandes puissances militaires, et un événement comme celui-ci peut vite devenir un prétexte pour mettre de l'huile sur le feu. En effet, le gouvernement vient d'annoncer la négociation d'accord avec la Loduarie Communiste en ce moment même, ils n'allaient certainement pas laisser une banale histoire de pizza pourrir leur tentative de trouver un terrain d'entente. C'est comme cela que les implications sont devenues aussi importantes.

En effet, le refus de la Loduarie Communiste met la firme Pizzalopole dans une situation d'échec et mat: En refusant l'implantation de l'entreprise, le régime la force a aller chercher d'autres connexions proches d'Antares, l'une d'entre elles étant le Saint-Empire de Karty. Mais une telle action pourrait aussi engendrer une frustration Loduarienne à cause du fait qu'ils aient refusé une entreprise qui s'installe maintenant chez son ennemi. Qui plus est, la marque est l'une des plus célèbres et rentables d'Antares, ce qui signifie que le régime Loduarien est probablement passé à côté d'une grande occasion de s'enrichir et doit observer ses ennemis s'enrichir à sa place. Et en bonne et due forme, les Loduariens ratent aussi l'occasion de goûter à la spécialité gastronomique de leur voisin.

Ce n'est cependant pas la fin pour la firme. Elle compte s'installer dans le reste de l'eurysie capitaliste, en disant "J'ai tenté ma chance avec le régime loduarien. On m'a rejeté alors que j'acceptais de faire des compromis. J'espère sincèrement qu'ils vont regretter de m'avoir refusé ce jour là." d'après une interview de Pietro réalisé aujourd'hui par l'un de nos rédacteurs.

Encore une fois, nous doutons fortement que le régime Lorenziste puisse regretter à ce point qu'une chaine de restauration rapide ne ce soit pas implantée chez eux mais chez ses adversaires. Mais cet événement survient en pleine négociation du gouvernement de la République d'Antares avec le secrétaire général de la Loduarie Communiste. C'est peu, mais c'est peut-être tout ce qu'il faut pour déstabiliser un équilibre dur à maintenir entre les deux pays voisins. Le gouvernement communiste n'a toujours pas réagit à un tel événement, et c'est peut être mieux comme ça: veut mieux pas se salir les doigts dans une affaire de pizzas diplomatiques.

Mais alors, quel est le futur de notre pizzeria préférée ? A-t-elle entendu nos requêtes sur le fait de s'étendre à l'internationale ? Il faut croire que oui: Après le Saint-Empire de Karty, le PDG souhaite s'étendre ensuite vers les autres connexions diplomatiques d'Antares comme le Saint-Empire Menkelt ou bien l'UC Sochacia. Suite à cela, son but est de participer aux rapprochement diplomatiques eux même en s'installant dans d'autres pays proches culturellement d'Antares mais sans connexion à ce jour. L'objectif de Pietro est clair. Il dit dans son interview " Le gouvernement répète sans cesse l'importance de nos valeurs de l'hospitalité, et c'est vrai. Je veux partager moi aussi ces valeurs à ma manière, à travers ce qu'il y a de plus iconique dans la gastronomie d'Antares. Un jour peut être, la pizza deviendra un symbole du rapprochement diplomatique Antarien."

Ce sont des ambitions assez impressionnantes pour une chaine de restauration rapide. Cependant, il nous a avertir sur le fait qu'il ne s'engagerait pas pour autant dans les affaires politiques, et qu'il resterait dans la périphérie des discussions seulement. Il marque bien la différence entre le politique et le diplomatique, en nous expliquant que l'implantation de ses pizzerias seront peut être un jour les liens officieux, précurseurs des liens officiels que seraient des ambassades entre Antares et une autre de ses connexions ou alliances.

Bref, vous l'aurez compris. Même cette simple histoire de pizza a fini par se muter en un objet de la diplomatie antarienne. Pour le moment, le gouvernement d'Antares n'a toujours pas réagi aux propos tenu par le PDG de la firme, mais certains ministres comme le ministre de l'éducation nationale Giovanni Lacroix nous ont confiés qu'ils trouvaient l'idée assez drôle, et réellement un bon moyen de représenter les valeurs fondatrices que promeut Antares.

Ces pizzas auront donc causé un peu de tourmentes, certes. Mais Pietro est certain que l'échec de sa demande en loduarie a été formateur pour lui, en l'aidant à se projeter dans une stratégie d'expansion à l'internationale qu'il aurait probablement mal réussie si il n'avait pas tenté de coup chez les gros poissons d'abord. Tout cela pour dire que la tentative en loduarie lui aura finalement servi de leçon pour mieux s'implanter ailleurs.

Nous attendons toujours une réponse du gouvernement Antarien et Loduarien à ce sujet, toujours si une réponse est prévue. Qui sait, peut être que dans une tournure d'évènements particuliers, la Loduarie va peut être finir par accepter la firme sous conditions et Pietro deviendra alors le premier homme a avoir installé une entreprise étrangère dans un pays communiste comme celui ci.
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Au revoir petit navire.

"J'ordonne, j'ordonne aux navires rosevoskiens présents dans la zone économique exclusive de la République de Pal ponantaise de rentrer en République populaire de Rosevosky."

Voici l'ordre donné par le ministre de l'armée rosevoskien aux navires militaires. Malgré une domination maritime totale face à son rival, les chars positionnés à la frontière ont reçu l’ordre de quitter leurs postes pour retourner à leur base, et le nombre de soldats présents à la frontière a été réduit à 30. Le gouvernement de la République populaire de Rosevosky continue à revendiquer une partie de la zone économique exclusive de la République de Pal ponantaise, mais n'envoie plus de navires. Klaus Annouil ne se prononce pas sur cette situation.
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Le Malheur a Couleur Ocre


La campagne antarienne, surtout la périphérie de la ville de Javellaux, étaient toujours très calme. La dernière fois qu'on eût entendu dire qu'une bagarre ou une dispute avait eu lieu, cela remontait à bien des décennies. La petite commune de Rattes, proche de la frontière avec la Loduarie Communiste, ne faisait pas exception à cette règle. Là gisaient des prairies, des vaches qui broutaient à longueur de journée, des agriculteurs investis qui prenaient leur tâche à cœur, ainsi que des forêts dispersés, comme un archipel d'îles au milieu de terres maraîchères. La commune avait aussi la chance de posséder une vue prenante sur le reste de la vallée, du fait de son altitude plus ou moins élevée. Cependant, le village lui même n'était pas assez en altitude pour être encastré dans une montagne, il reposait en haut de collines et de montagnes usés et arrondies au fil des millénaires. Dans le village lui même, les habitants se côtoyaient fraternellement. Il y avait l'iconique brasserie où se réunissaient les doyens de la commune, la place de la fontaine où les enfants en bas âge jouaient à longueur de journée et ces ruelles paisibles qui ne demandaient qu'à être explorés. Un petit paradis que nul n'aurait suspecté pouvoir trouver au nord d'une des grandes villes du pays. Que de beauté et de paix dans ce terroir.

Soudain, un jour aussi normal que les autres, on entendit l'impossible: une porte claquée violemment. Le son aurait resonné dans toute la vallée si les maisonnettes et les étroites ruelles n'avaient pas absorbé la majorité de l'onde sonore qu'a pu provoquer cet acte. Pour les habitants, c'était inconcevable: quel homme aurait pu être de si mauvaise humeur au point où il en déciderait de claquer sa porte, dans un endroit comme celui-ci ? Pour la commune qui n'était pas habituée aux bruits importants, ce son résonnait comme une mauvaise nouvelle. Rien de bon n'allait se profiler à l'horizon.

Leurs soupçons se confirmèrent rapidement. On entendit encore plus absurde venant de la partie basse du village, à quelques centaines de mètres du centre-ville si l'on peut le décrire ainsi. Des personnes, deux femmes et un homme, qui se disputaient. Les enfants sur la place arrêtèrent momentanément leur petite partie de football, pour regarder en direction de l'onde. Peu à peu, poussés par la curiosité, ils s'acheminèrent machinalement vers l'épicentre de cette catastrophe. Les personnes d'un certain âge aussi, tapis dans cette petite brasserie, avaient cessé leurs discussions sur le nouveau terrain de pétanque que prévoyait d'installer le maire d'ici quelques jours. Ils se regardaient l'espace d'un instant, alors que le bruit de la dispute commençait à fuser à travers les murs et jusque dans leurs oreilles. Qu'es-ce ? On en savait rien. Peut être un châtiment divin ? Même en haut des prairies, les vaches cessèrent de brouter pendant une seconde tournant leurs imposantes têtes vers le lieu de la dispute à des centaines de mètres de leur espace, avant de reprendre à brouter comme à leur habitude.

Alors que les enfants s'approchaient du lieu de turbulences, l'onde devenait de plus en plus forte. On commençait à distinguer des mots durs, des insultes aussi. On approchait pas à pas les portes de ce qui semblait être l'enfer. Arrivés à un coin de rue, ils se penchèrent tous sur le bord d'un mur, pensant pourvoir observer sans l'être. Derrière ce mur, c'est une tempête qu'ils purent apercevoir.

Marie en avait ras le bol. Depuis son enfance, ses parents l'avaient toujours poussée à devenir agricultrice comme eux et ainsi pouvoir prétendre aux nombreuses parcelles dont la famille disposait. Ils étaient assez connus dans la région pour leur assiduité et leur transmission intergénérationnelle. Une famille parfaite en apparence, et pourtant... Ce n'était pas le bon jour pour parler de cela. La fille unique de la famille avait certes participé un peu à ce mode de vie. C'était drôle quand on était enfant d'aller faire la cueillette et de pouvoir jouer dans les champs de blé. Cela l'était tout autant à l'adolescence, alors que le père de famille lui faisait découvrir les imposantes machines dont son tracteur, son arroseur tracté et le saint graal, roi de toutes les machines: l'immense moissonneuse-batteuse. Ces engins étaient assez récents, avec l'avènement de la nouvelle présidence certains partis avaient décidé de prendre de mire l'agriculture et subventionner ce marché. La famille a eu droit à de nouveaux jouets pour pouvoir produire encore plus qu'avant. Il n'y avait pas de meilleur moment pour récupérer un champ familial. Et pourtant, alors que Marie grandissait, toute cette histoire commençait à lui paraître de moins en moins palpitante. Elle s'était offerte un cahier de dessin et des crayons, et ne faisait que cela de toute sa journée. Elle dessinait des passants, des rues, des maisons. Enfin quelqu'un pour capturer la beauté pittoresque de la commune ! On aurait dit qu'elle attendait que cela, même certaines personnes pensaient que les rues étaient devenues plus lumineuses depuis que Marie avait commencé à les dessiner. Elle faisait souvent cadeau de ses croquis à de petits enfants, qui les gardaient comme un trésor. Elle s'était faite une très bonne réputation au sein du village, réputation que son père en particulier n'appréciait pas particulièrement.

Il était terriblement rongé par l'échec. Toute sa vie, son père lui avait inculqué la douleur de la faillite. Il avait eu une enfance difficile, et son caractère reflétait ses antécédents. C'était un homme bien bâti, mais qui manquait terriblement de compassion. Voir sa seule fille s'engager dans d'autres activités que celles promises par son destin lui fendait le cœur. Que dirait son père si il avait été là ? Il serrait déçu à un point inimaginable. Le père de Marie ne pouvait la laisser s'échapper de son emprise aussi facilement. Ainsi, alors qu'elle n'avait que 16 ans, commença une longue route de mauvaise entente et de relations familiales fracturés qui allait durer trois ans. Pendant ce temps, son père avait fait de tout. Il multipliait les sorties dans les champs, il lui offrait des cadeaux qui l'aurait motivée à prendre le relai, ou pire encore: il dissimulait son carnet de dessin pendant des jours entiers. Marie était loin d'être dupe, elle savait que quelque chose l'attendait ou bout de son enfance, quelque chose qu'elle ne pouvait éviter du moins si elle en croyait son entourage. Pour elle, son père n'aurait pas eu de mal a accepter que sa fille puisse envisager un autre chemin qui la rendrait heureuse. Elle se rendit vite compte de son erreur: les années passèrent, ses parents se trouvaient des excuses et se montraient hostile à leur fille quand celle-ci voulait se mettre à dessiner. Par reflexe, dessinait en cachette. Marie ne savait pas pourquoi elle le faisait, mais elle savait ce qui arriverait si elle ne le faisait pas. Pendant ces trois ans, un mur infranchissable s'était dressé entre les deux générations.

Vint alors l'anniversaire de ses 19 ans, d'habitude très célébré dans la vie de quiconque. Marie espérait pouvoir se remettre en bon terme avec ses parents, elle était plus une enfant et se voyait libre de prendre ses propres décisions. Mais elle savait que la décision qu'elle allait prendre allait être dure à avaler. Elle voulait prétendre à l'Institut Artistique de Margaux, le meilleur du pays, et y poursuive des études d'art. Un côté d'elle savait que ses parents seront réticents à l'idée, mais une autre espérait qu'ils puissent avoir un peu de fierté pour leur fille avec de si grandes ambitions. Mais bref, c'était son anniversaire: à elle de décider ce qu'elle voudra faire de son futur. Comme à leur habitude, le père et la mère de Marie lui avaient préparé un gâteau avec le plus grand amour, ainsi qu'une petite congrégation de cousins habitant dans les villages avoisinants qui était venus se joindre aux festivités. Le moment des cadeaux est celui que Marie redoutait le plus, elle savait déjà qu'a ses 18 ans son père lui avait fait comprendre qu'elle devra un jour être agricultrice en lui offrant une nouvelle paire de vêtements faits pour le travail fermier. Mais il faillait être optimiste: 19 ans, ce n'est pas rien. Cependant, comme prévu, ses parents lui offrirent de nouveaux des cadeaux de ce genre, comme une Encyclopédie de l'Agriculteur et plusieurs revues du même style. N'importe qui aurait pu deviner que Marie s'efforçait de sourire, de reconnaitre l'effort de ses parents sans montrer ce coté amer du fait d'être forcée vers un futur qu'elle n'appréciait pas. Mais ce n'était pas l'occasion de gâcher un tel moment pour des questions de principe. Les disputes et pourparlers seraient décalés à plus tard dans la soirée...

Et pourtant, tout allait basculer. Les cousins de Marie n'étaient pas sans savoir de son penchant - et son talent - pour le dessin. Elle même leur avait légué plusieurs de ses croquis pour éviter que ses parents ne les trouvent. Mais ils étaient innocents face à la situation familiale que leur cousine vivait, que ses parents exerçaient une certaine forme d'oppression en vers elle, et que son travail était le fruit de longues heures de cachoterie. C'est donc ainsi qu'ils décidèrent de lui offrir un nouveau carnet de dessin, et une gamme de crayons à papier flambants neufs. Dès lors que Marie ouvra le soigneux paquet cadeau, ses yeux s'illuminèrent à défaut de ceux de son père. Lui n'y revenait pas, sa fille lui semblait ingrate face à tous les sacrifice qu'il faisait pour elle (du moins c'était son point de vue). Alors que Marie était en train de câliner ses cousins et les remercier mille fois, son père monta à l'étage, fit irruption dans la chambre de sa fille, trouva son cahier de dessin dissimulé sous une pile de livres et redescendis au salon où il jeta l'ouvrage dans le foyer de la cheminée flambante. Il déclara: "Puisque t'en a un nouveau, celui-ci te sert plus à rien".

C'était le choc. Marie n'en revenait pas. Son propre père venait de brûler trois ans de travail d'un seul coup, par jalousie et arrogance, par le fait qu'il ne supportait pas l'avis de sa fille. Le salon devin muet. Tout le monde dévisagea Marie qui laissa couler une larme, avant de se lever et courir dans sa chambre avec ses cadeaux. Les minutes qui suivirent était un compte à rebours: Les cousins essayaient de raisonner son père qui ne voulait rien entendre, la mère de Marie essaya de calmer les tensions et toute la célébration vira au drame. C'est alors qu'on la vit descendre, une valise à la main, prête à partir. Elle traversa le salon sous les yeux ébahis de sa famille. Elle donna un coup de pied dans la porte pour l'ouvrir avant de sortir dans la rue. Son père était furieux, il tenta de la suivre et commença a hurler contre elle, qui a son tour insulta son père. La dispute avait attiré les petits enfants du quartier qui regardaient la scène effroyable avec horreur. C'était une triste première pour le village.

Le silence redescendit alors que le père de Marie claqua la porte d'entrée à son nez. Si elle ne voulait pas suivre la tradition, qu'elle quitte la famille. Elle était morte à ses yeux. Mais marie ne se laissa pas faire. D'un coup de pied, elle détruisit la partie vitrée de la porte, avant de partir d'un pas décidé vers les champs. Les enfants qui ont assisté à la scène seront les seuls à pouvoir témoigner de cette tragédie.

J'en ai que faire des conneries de mon père, se disait elle en marchant. Il pouvait aller se faire foutre. Marie voulait juste une chose, c'était la liberté. Cette liberté qu'elle n'avait pas touché depuis des années. Et elle savait comment s'en emparer à présent. Une fois à la ferme de son père, elle monta dans une petite voiture qu'il utilisait régulièrement pour aller en ville et acheter certains outils. Comme il n'y avait pas de risque de vol dans la zone, il était assez confiant et laissait ses clés dans le contact, ce que sa fille savait pertinemment. Une des rares choses qu'elle avait tiré de son père ces dernières années était d'apprendre à conduire, et c'est ce qui allait l'amener à la liberté.

C'est ainsi qu'elle prit la route. Dans quelle direction ? Qui sait. Pour aller où ? Dieu seul nous le dira. En tout cas, le plus loin possible de son accablant fardeau qu'était son père et son histoire d'héritage. Marie n'avait pas l'habitude de conduire sur l'autoroute, elle suivait à l'aveugle certains panneaux de signalisation et essayait d'éviter la ville. Si son père tenterait de la retrouver, la ville de Javellaux serait le premier endroit où il chercherait. Elle réalisa à l'instant: son père n'allait pas la laisser s'enfuir avec sa voiture. Elle ne pourra pas aller très loin avant de se faire intercepter par les autorités. C'est dans cette angoisse qu'elle roula sur l'autoroute, en gardant profil bas dès qu'elle apercevait un véhicule policier, et en cherchant désespérément des solutions. Cette solution, elle l'aperçut du coin de son œil alors qu'elle filait à toute allure: "Loduarie". C'était peut être sa seule chance de trouver réellement la liberté, s'enfuir dans le pays voisin. La frontière n'était qu'a quelques kilomètres. Elle pourrait y arriver avant la tombée de la nuit et trouver un endroit où dormir. Cela ne devrait pas représenter de soucis pour elle, après tout elle sait se débrouiller. Elle a 19 ans.

Alors qu'elle s'approchait de la frontière, de moins en moins de voitures commençaient à suivre sa route. C'était progressivement désert, et même les réverbères se faisaient de plus en plus rares. Marie avait déjà entendu parler de la Loduarie et son état quelque peut décrépit, notamment à cause de son système communiste et sa subvention de l'armée. Mais elle n'avait jamais imaginé pouvoir trouver des nids de poule sur l'autoroute non plus. Elle voyait déjà la frontière d'ici, cachée dans l'obscurité, comme si le réseau électrique antarien s'arrêtait juste là. Des gouttes de sueur commençaient à ruisseler sur le front de Marie, ses yeux grands ouverts pis de panique, ainsi qu'une appréhension latente qui faisait trembler sa main droite. C'était ça ou rien. Arrivée devant le guichet, un officier Loduarien d'un air peu sympathique dévisagea là jeune fille du coin de l'œil. Il initia la discussion directement, comme si il ne voulait pas perdre de temps. À vrai dire, Marie était la seule voiture dans les environs...

- "Que vient faire une jeune fille comme vous en Loduarie ?"

Promptement, avec une voix quelque peu tremblante et ses yeux qui cherchaient à éviter ceux de l'officier, elle déclara:

- "Pour le travail."

C'était bien évidemment surréaliste comme raison. Elle n'avait jamais passé la frontière ou visité quelconque pays au delà d'Antares, mais elle se doutait bien que des mesures de sécurité accrues seraient présentes au moment de franchir le seuil du pays ocre. Et pourtant, en regardant devant elle, l'entrée d'un si grand pays n'était gardée que par quelques officiers assis à une table et un cône de circulation au milieu de la route, sans parler de son interrogateur dans une cabine sur la gauche.
- "Bien, dit l'officier, présentez moi une pièce d'identité."

Par chance, Marie avait ramené la sienne qu'elle avait faite il y a tout juste quelques mois. Elle la sortit de son sac et la passa à l'officier qui, après une rapide vérification, lui redonna en marmonnant quelques mots qu'elle ne put comprendre. Il se leva péniblement de son siège, sortit de son antre qu'était cette petite cabine et s'avança devant la voiture. Il ramassa le cône de circulation, en gardant ses yeux sur la plaque d'immatriculation de Marie et son air condescendant.
- "Allez-y" lâcha l'officier d'un ton sec.

Marie ne se fit pas prier. Elle accéléra et s'éloigna à toute vitesse du point de contrôle comme d'une maison hantée où elle aurait vu un fantôme. Les prochains kilomètres étaient sombres, il n'y avait pas un seul réverbère qui fonctionnait correctement. Durant son enfance, certains villageois lui avait raconté des légendes sur le fait que des êtres surnaturels et des monstres se cachaient par delà les montagnes, et que s'y aventurer lui couterait la vie. Elle n'y avait jamais cru, mais elle voyait d'où un tel mythe pouvait émerger: pour l'instant, le territoire Loduarien lui donnait des frissons. Au bout de quelques bornes, elle était convaincue qu'elle roulait vers la civilisation du fait que certains lampadaires s'étaient enfin décidés à éclairer l'autoroute. Elle était toujours aussi craquelée et déserte, hormis quelques voitures qui roulaient dans l'obscurité. C'était déjà cela, elle pouvait au moins voir où elle allait. Mais elle ne put s'empêcher de ressentir comme une présence qui l'observait. La police ? Son père ? Elle ne savait pas...

Vers minuit dix, elle était déjà loin dans le pays communiste. Elle ne captait plus la radio antarienne, remplacée par des chants et discours propagandistes du régime. Cela ne lui déplaisait pas, mais ne la rassurait pas non plus. Et si elle avait fait une erreur ? Si elle n'était pas la bienvenue ? Dans ce cas, l'officier l'aurait simplement empêché de passer... Alors qu'elle roulait, elle aperçut au loin un village d'une assez grande taille. Elle pourrait sûrement trouver un lieu où se reposer: Marie n'avait pas en tête le nombre de kilomètres qu'elle avait parcouru, mais c'était bien plus que ce qu'elle avait l'habitude de faire en tout cas. Elle avait terriblement besoin de dormir.

Arrivée dans le village, elle navigua à l'aveugle avant de trouver une espèce d'auberge qui ne payait certainement pas de mine, mais c'était la seule solution à ce stade. Elle réussit à trouver une place juste devant la bâtisse, arrêta la voiture et souffla enfin, après plusieurs heures de tensions. C'est fini, elle était loin désormais.

Marie sortit de la voiture avec les clés, son sac à main et sa petite valise. Elle marcha doucement vers l'entrée de l'auberge, posa les pieds dans le hall d'entrée et regarda les environs. L'endroit avait un aspect peu engageant, mais la petite lumière tamisée et le plafond bas donnaient au lieu un côté presque pittoresque. Qui sait, ce même hall pourrait être le premier sujet qui allait inaugurer son nouveau cahier de dessin. Alors que Marie commença à repenser au moment de l'incident et la vision de son ancien carnet qui craquelait sous les braises de leur foyer, elle se fit interpeler par un aubergiste assis au comptoir de la réception.

- "On sert pas après onze heures" dit l'homme d'un ton grave.

- "Bonsoir Monsieur. C'est pour une chambre" dit Marie, un peu agacée du manque de courtoisie de l'aubergiste, sans parler de sa condescendance.

- "Nombre de nuits ?" Dit l'homme du même ton grave.

- "Je ne sais pas, dit Marie. Voyez si vous avez une chambre. J'ai besoin de sommeil."

L'échange était court, mais une certaine tension s'était dressée entre les deux personnages. L'homme ouvra un tiroir et le fouilla, sans ôter son regard de la jeune femme. Il en tira une clef rouillée, avec un petit porte-clé qui indiquait sûrement le numéro de chambre, la tendant à Marie. Elle l'arracha des mains et tourna les talons vers le petit escalier en colimaçon qui occupait l'angle gauche du hall. Avant même qu'elle puisse poser un soulier sur la première marche, elle entendit la voix rauque de l'aubergiste qui la mettait en garde:
- "Faites attention, les antariens ne sont pas les plus appréciés dans ce village. Ne vous hasardez pas à faire quoi que ce soit de suspicieux, nous serons sur le qui-vive."

Marie s'arrêta pour méditer sur ces paroles, sans même se retourner. Les mises en garde d'un vieil homme malpoli ne l'intéressait pas. Elle reprit la marche et monta les escaliers pour arriver au premier étage. Après un tour du couloir, elle aperçut la chambre qui correspondait au numéro sur sa clé et s'empressa d'aller l'ouvrir. Une fois à l'intérieur, sans même allumer la lumière, elle y rentra toutes ses affaires et verrouilla la porte à double tour. La jeune fille ne savait pas ce qu'il lui arrivait, mais elle savait que l'effet de la fatigue n'aidait pas son appréhension latente. Une fois la porte complètement scellée, elle tâtonna sur les murs pour y chercher l'interrupteur et l'enclencha. Pendant une seconde, rien ne se passa, puis l'ampoule se décida enfin à éclairer la salle. Une seule minuscule ampoule. Cela ne dérangeait pas Marie, elle n'était pas non plus en quête de luxe surtout dans un village Loduarien comme celui-ci. Le lit avait l'air confortable, il y avait une petite fenêtre ainsi qu'un bureau en face. Près de l'entrée, une petite salle de bain et une sorte de douche-capsule pas plus large qu'un hula-hoop en terme de diamètre. La jeune fille était debout au milieu de son nouveau foyer, contemplant tous les recoins. Elle se décida enfin à bouger, ouvrir sa valise et de déshabiller. Elle n'avait envie que d'une chose, c'était de dormir. Marie fit sa toilette en express, enfila des vêtements pour la nuit et se jeta sous les couvertures. Elle ne dut pas attendre longtemps avant de trouver le sommeil...

Le lendemain, elle fut réveillée par des enfants qui jouaient sous sa fenêtre. Il était dix heures passés, mais Marie avait eut l'impression d'avoir somnolé pendant des siècles. Elle sortit de son lit, s'étira pendant quelques instants, puis se dirigea vers la fenêtre. L'obscurité d'hier soir ne lui permettait pas de se rendre compte de la vue, mais à présent, elle était agréablement surprise par le panorama de ruelles et de montagnes en arrière plan auquel elle avait droit. Ses dessins n'allaient pas manquer de paysage, c'est certain. Elle osa ouvrir la fenêtre pour aérer la chambre et respirer un peu d'air frais. Cependant, elle eut l'impression de sentir cet air qu'elle aurait pu trouver dans une grande ville comme Javellaux par exemple, cet air un peu métallique caractéristiques de ces lieux. Dans un village comme celui-ci, c'était un peu déroutant.

Elle n'avait pas de plans pour la journée, autres qu'explorer et dessiner ce qu'elle pouvait trouver. C'était tout ce qu'elle avait désiré depuis trois ans, et c'est ce qu'elle allait pouvoir faire à présent. Elle s'habilla rapidement avec une tenue qui lui donnait un air de paysanne: un tee-shirt blanc manches longues avec des rayures horizontales bleu marine, une salopette jean et un grand chapeau en osier. Une fois prête à partir, elle prit un large sac a main et y enfila toutes ses affaires à dessin. Elle sortit de sa chambre, dévala les escaliers, donna un rapide coup d'œil à l'aubergiste qui semblait ne pas avoir bougé d'un poil et sortit à l'extérieur. Le village durant la journée avait un aspect beaucoup plus pittoresque, mais Marie comprit très rapidement d'où venait cette odeur industrielle: non loin de son auberge, une collection d'usines en tout genre était en train de travailler à plein gaz. Marie ne les voyait pas de sa fenêtre, et ne les avait pas aperçues dans l'obscurité d'hier soir. Il faut dire que leur aspect menaçant, noir comme du charbon, n'aurait pas aidé quiconque à trouver leur emplacement de nuit. Elle se dit qu'un petit tour vers cette zone serait justement riche en sujets de dessin. Mais à l'instant, le plus important pour elle était de trouver autre chose de plus simple dans le village, histoire de s'échauffer.

Après quelques minutes de marche seulement, Marie arriva là où semblait être le centre-ville. Une grande statue du dirigeant Loduarien occupait le centre de cette petite place et des petits groupes d'enfants jouaient comme des satellites autour de celui-ci. Les échoppes étaient désertes, toutes fermés, comme si aujourd'hui était un jour férié. La seule chose qui lui semblait d'intérêt à dessiner étaient ces enfants. Alors elle trouva une petite chaise d'un bar lui aussi fermé, se positionna dans un coin de la petite place et commença à dessiner. Pour elle, c'était une libération: elle associait ce pouvoir de dessiner à la liberté, à la lutte contre l'oppression de ses parents. Ceux-ci doivent être morts d'inquiétude à ce point là, mais qu'importe. Marie, elle, pouvait librement s'adosser à sa passion de dessiner.

Pendant les prochaines heures, certains enfants commencèrent à l'observer dans son coin. Qui était cette étrangère ? Que faisait elle là ? Faisait elle partie de ces capitalistes dont leur parents ont toujours recommandé de se méfier ? Peu à peu, certains d'entre eux arrêtèrent leur activités pour se rapprocher de plus en plus de Marie, jusqu'au point où une petite congrégation de jeunes s'était formée autour d'elle. Marie était si investie dans son dessin qu'elle ne les avait même pas remarqués. Elle continuait à faire son croquis sous les yeux émerveillés des petits enfants. Au bout d'un moment, elle décida de lever la tête et eut un sursaut en voyant tous les enfants autour d'elle. Elle avait compris qu'ils voulaient la voir dessiner, elle décida alors de leur proposer de faire leur portraits. Pendant au moins deux heures, tous les enfants se succédèrent joyeusement et obtinrent un portrait de la jeune femme. Ils étaient tous très ressemblants à la réalité, avec une petite touche mignonne qui les rendaient encore plus beaux qu'ils ne l'étaient déjà. Les petits enfants remercièrent Marie pour ses dessins et filèrent dans les ruelles à l'appel de leurs parents qui annonçaient que le déjeuner était servi. Marie n'avait pas spécialement faim, mais s'était faite inviter par plusieurs des gamins qui l'invitaient à partager leur repas. C'était chou de leur part, et la jeune fille eu déjà de bonnes impressions du village. Il y avait un petit air de famille, de ressemblance avec le sien. Qui sait, peut être un jour elle déciderait de vivre ici, en Loduarie Communiste ?

Une fois les enfants partis, Marie décida de s'approcher des usines. Les travailleurs aussi avait droit à leurs portraits, ce n'était pas un privilège réservé aux enfants. Elle y trouverait surement des adultes avec qui parler, leur demander à propos du village, en essayant de s'intégrer le plus possible. Elle pensait déjà à la possibilité de s'installer, de comment elle pourrait se réveiller tous les matins pour aller dessiner... le rêve. Pourtant, en s'approchant des bâtisses elle commença a frissonner: les arbres étaient morts, l'herbe était jaunie, les dalles étaient craquelées. C'était comme si elle n'était pas la bienvenue. Certes, elle ne l'était pas, mais son but était de le devenir. Ils ne pouvaient pas tous être comme cet aubergiste d'hier soir, pas vrai ?

Elle arriva enfin devant l'usine. Certains travailleurs, pleins de crasse et de noirceur, fumaient sur le parvis. D'autres ouvriers, visiblement plus hauts dans la hiérarchie, vinrent les verbaliser et leur demander de retourner à leur poste. Ces rotations fréquentes allaient faire un parfait sujet pour un croquis. Cette fois, Marie voulait essayer de représenter la tristesse et le désarroi des travailleurs, face à la charge de travail. Cette petite caricature serait sûrement bien reçue par les ouvriers, ils auraient bien rigolé et cela aurait refait leur journée. Pendant les prochaines heures, Marie commença à effectuer plusieurs dessins, dont des portraits, des croquis plus larges et des jeux d'ombres. Elle s'attirait au fur et a mesure l'attention des travailleurs qui la regardait d'un mauvais air: que faisait une jeune fille toute seule ici ? Attendait elle quelqu'un ? Pourquoi dessinait-elle sur un carnet ?

Après une session de dessin, Marie se présenta fièrement devant eux avec les dessins. Ils étaient travaillés, avec beaucoup de détail. Elle avait fait preuve de passion, de prouesse et d'habileté, ce qui laissa les ouvriers ébahis. La plupart d'entre eux la félicitèrent, applaudirent, et lui en demandèrent plus. Marie était très orgueilleuse de sa petite réussite, si bien qu'elle discuta et plaisanta avec les hommes. Cependant, sa petite aventure ne manqua pas d'attirer les regards des supérieurs, non contents de voir tous leurs employés être distraits de leur travail par une jeune fille. Deux d'entre eux arrivèrent d'un pas assuré, hurlant des insultes et sermonnant les travailleurs qui ne faisaient que se détendre. La plupart d'entre eux furent menacés à maintes reprises avant que tous les hommes ne pénètrent à nouveau dans la bâtisse noire. Suivant cette scène à laquelle avait assisté Marie, l'un des supérieurs fit volte face et s'approcha de Marie en la fixant du regard.

- "Ici, nous avons du travail à faire, Dégagez." dit l'homme.

- "Je suis désolée... je voulais simplement..." répondit Marie.

L'homme coupa la jeune femme et porta son regard sur le carnet de dessins qu'elle tenait entre les mains.

- "Si vous êtes venus ici pour dévaloriser nos travailleurs à travers vos croquis, je vous invite à foutre le camp" lâcha l'homme, furieux.

Marie n'en revenait pas. Ces hommes savaient très bien dans quelles conditions leurs employés travaillaient, et n'acceptaient pas le fait qu'une femme vienne les déranger pour leur montrer la réalité. C'était offensant, c'était de la dictature. Mais elle ne put rien faire, car déjà elle apercevait certains agents de sécurité s'approcher de la scène. Après avoir lâché un grognement, elle tourna les talons et marcha en direction de la sortie. La jeune fille ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Elle n'avait fait que dessiner ce qu'elle voyait, certes une triste vérité mais une vérité tout de même. Les supérieurs de ces travailleurs étaient des monstres, alimentant des machines à sous pour fournir au régime tout ce dont il avait besoin. Marie était de l'opinion que la Loduarie était un pays de personnes accueillantes, que les personnes étaient traités comme dans une démocratie. Mais elle comprenait peu à peu les vrais effets du communisme non médiatisé sur les populations. Cependant, elle ne pouvait pas simplement changer d'avis juste parce qu'un homme soucieux de la sécurité de son usine l'avait verbalisé. Elle voulait en savoir plus sur ce régime. Le communisme avait-il vraiment un impact négatif sur les populations ? C'était à elle de découvrir ce que les médias antariens n'étaient jamais venus chercher, pour éviter d'attiser les relations diplomatiques.

Dans les dernières heures de la journée, elle décida de faire un tour dans ce qui semblait être une partie plus basse du village, avec des ruelles plus étroites et des maisons moins bien entretenues. Alors qu'elle marchait sur les pavés parfois déchaussés, elle ne put s'empêcher de remarquer à quel point tout le monde la fixait du regard dès qu'elle passait. Elle avait sûrement l'air d'une étrangère, mais il y avait quelque chose de différent dans leur regard, comme de la pitié. Ces personnes semblaient espérer trouver de la consolation où ils auraient pu. C'est ainsi que Marie trouva une mère et ses deux enfants au fin fond d'une impasse. La mère, visiblement malade, somnolait sur une petite chaise en bois, ses yeux entrouverts. Les enfants jouaient sur les pavés crasseux de l'allée, avec des bâtons qu'ils ont dû trouver quelque part en forêt. C'était une de ces visions qui demandaient seulement à être représentés sur le papier. Alors, discrètement, Marie commença à les dessiner sous plusieurs angles depuis le début de l'impasse.

Lorsque son croquis fut terminé, elle décida enfin de s'approcher de cette petite famille. Marie avait gardé deux petits bonbons dans sa poche après sa fête d'anniversaire, et comptait bien les donner à ceux qui semblaient être dans le besoin. Alors que la jeune femme approchait, le mère ouvrit les yeux complètement, murmura quelques paroles et les deux enfants levèrent soudainement la tête. Marie agitait sa main pour les saluer et se montrer pacifiste envers ces villageois, puis sortit d'un geste lent les deux bonbons qu'elle avait dans la poche en les tendant aux enfants. Après quelques secondes d'hésitation et plusieurs regards adressés à leur mère, les enfants prirent les deux bonbons et les déballèrent. Une fois dans leur bouche c'était un spectacle à regarder: ils n'avaient visiblement jamais mangé un tel aliment, cela leur paraissait surréaliste. Avec leur mère, ils remercièrent mille fois Marie pour son cadeau. Et pourtant, elle n'en avait pas fini là. Elle tenait vraiment à discuter avec cette famille, ainsi que leur montrer les croquis qu'elle a réalisé. Ainsi, durant les deux prochaines heures jusqu'au coucher du soleil, la mère s'entretint avec Marie à propos de ces sujets là. Elle leur avait confessé qu'elle venait d'Antares, et la mère lui avait fait comprendre que ce village de manière générale n'appréciait pas les touristes capitalistes. De son côté, elle avait pu lui expliquer comment elle vivait sous ce régime communiste, le nombre de contraintes auxquelles elle devait faire face et la criminalité incessante. Des dizaines de personnes affamés par le système faisaient recours à la violence pour se procurer à manger là où il n'y en avait déjà que très peu. C'était dur à entendre pour Marie, elle qui avait foi en ce système et qui était persuadée que l'accident survenu devant l'usine n'était qu'un cas à part. Mais non, la vérité était là: depuis les entrailles de la Loduarie Communiste, d'après une famille qui souffrait directement de ce gouvernement, le système anticapitaliste détruisait la vie de plusieurs individus.

Sur ces pensés, Marie salua la mère et ses enfants: il était tard, le soleil s'était couché, elle devrait rentrer avant de se perdre dans l'obscurité. Sur le chemin du retour, la jeune fille pensa et repensa à tout ce qu'elle avait découvert aujourd'hui. Même dans son minuscule village en Antares, ils avaient accès aux médias et une éducation au sens critique. Ici, tout n'était que façade, ruse et propagande. C'était terriblement décevant, mais aussi effrayant. La mère avait même confessé qu'elle aurait voulu avoir un être supérieur pour la protéger, auprès duquel elle aurait pu se confier... un Dieu. Mais encore une fois, la religion était très mal vue et elle n'a pas pu avoir accès au simple fait de prier. C'était une véritable dictature pour Marie.

Alors qu'elle s'approchait de l'auberge, elle entendit soudain crier à quelques rues de là. Il faisait déjà sombre, deux tiers des réverbères ne fonctionnaient pas et il était dur de naviguer dans la ville. Que se passait il ? Serait il plus judicieux de rentrer et ne pas s'en mêler ?

Naturellement, Marie décida d'aller jeter un œil. Elle avait entendu parler d'une bande organisée locale qui prenait de mire des villageois innocents. Peut être aura-t-elle pu obtenir un rapide croquis de la scène... même si cette passion commençait légèrement à devenir dangereuse. Elle dévala les rues à toute vitesse, en essayant de se repérer dans les ténèbres pour ne pas trébucher sur les pavés jonchés. Après une course rapide et à mesure que les cris s'intensifiaient, elle ralentit la cadence pour devenir plus discrète. Arrivée sur les lieux, elle se cacha derrière un mur, sortit son carnet et commença à observer la scène.

Ce qu'elle avait devant ses yeux était digne d'un film Glacier. Des hommes cagoulés brandissaient des machettes et des lanternes, menaçant une veille dame et en essayant de lui arracher des mains un panier de vivres en osier. La dame était en pleurs, elle suppliait ses assaillants de la laisser partir, en soulignant le fait qu'elle avait plusieurs personnes à nourrir et que ses enfants n'avaient pas touché à de la nourriture depuis plusieurs douzaines d'heures. Mais ceux-ci n'en avait rien à faire. Ils continuèrent de tirer sur son panier, sans réussir à l'arracher complètement des mains désespérés de la vielle femme. Au final, l'un des hommes perdit patience: il brandit sa machette et d'un coup sec il vint trancher le mollet gauche de celle-ci. Après ce terrible geste, la femme hurla de douleur et lâcha prise en s'écroulant à terre. Déjà son sang commençait à remplir les écarts entre les dalles et les pavés de la rue, et les hommes avaient arraché son panier de vivres avec succès. Sans se soucier nullement de l'état de santé de leur victime, ils en inspectèrent l'intérieur pour y trouver... pas grand chose. Quelques fruits, des légumes, de l'eau potable dans des bouteilles de verre jauni. Rien de quoi satisfaire une envie de banquet. C'était cependant ça de gagné, s'exclama l'un des membres, avant que l'un de ses collègues leur fit remarquer que la vielle dame était décédée. Pendant un instant, ils regardèrent tous le cadavre inanimé: elle devait avoir facilement quatre-vingt ans, elle s'était vidée de son sang et avait arrêté de crier d'agonie depuis quelques secondes. Tout montrait qu'elle était bel et bien morte. Marie essuya ses larmes avant qu'elles ne coulent sur les croquis qu'elle a pu faire de la scène, les derniers moment de la vie d'une femme qui ne cherchait qu'à aider ses enfants et le reste de sa famille. Elle était horrifiée par ce qu'elle venait de voir, et se retenait d'éclater en sanglots ou de vomir de dégoût. Sur le sol, la flaque de sang avait envahi l'entièreté de la largeur de la rue. Sa couleur rouge ocre, rouge comme la couleur du système responsable de sa mort tragique. C'était la fin d'une vie innocente.

Après avoir constaté l'ampleur de leur dégâts, les hommes décidèrent de cacher le corps en bonne mesure, même si le laisser là n'aurait fait aucune différence: même dans l'obscurité la plus totale, il était facile de distinguer la tâche morbide qu'avait laissé l'altercation. Le petit groupe disparut donc dans la nuit, trainant derrière eux le sac d'os et de chair qu'était devenue cette femme.

Marie resta longtemps dans le noir, à méditer sur ce qui s'était passé. Les cris étaient puissants, tout le monde aurait du réagir. Et pourtant, personne ne le fit. Tous turent les malheurs qui leur arrivaient quotidiennement par peur d'être les prochains. Dans l'italien Antarien, cette action se nommait l'omertà. Ce silence face à la violence, au crime, au décès causé par l'homme. Omertà.

Dans ces instants aussi, Marie repensa a ses parents. Certes, elle se sentait opprimée chez elle et ses parents lui imposaient des règles telle une dictature. Mais rien ne pouvait se rapprocher autant d'une dictature que ce qu'elle venait de voir. Tout de suite, sa vie d'avant lui paraissait plus envisageable. Pour la première fois en trois ans, elle avait hâte de rentrer.

Marie revint vers l'auberge, monta dans sa chambre sans même regarder ou adresser la parole à l'aubergiste, et s'enferma à nouveau à double tour comme la veille. Cette journée avait commencé si bien... mais elle fit vite connaissance de la réalité des choses. Fatiguée et perdue dans ses pensée, elle se laissa tomber dans son lit et ferma les yeux.

Le lendemain, elle fut réveillé en sursaut. Quelqu'un toquait violemment à sa porte. Pendant un instant, elle se leva et cherchait à réorganiser ses pensés: qui cela pouvait il être ?

Lentement, en se frottant les yeux, elle s'approcha de la porte et l'ouvrir. Derrière, un officier Loduarien similaire à ceux qu'elle avait rencontré à la frontière la regardait d'un air hautain et menaçant. Le premier réflexe de Marie était naturellement la peur, mais elle se ressaisit vite et fit face à l'homme avec assurance.

- "Que voulez vous" lâcha Marie.

- "C'est très simple, dit l'officier. Nous avons eu des plaintes à propos d'une femme qui parcourait la ville pour dessiner ce qui ne la regarde pas. Je suppose que vous n'êtes pas d'ici ?"

- "Je viens d'Antares. Vous n'avez aucun droit sur moi. Je dessine ce que bon me chante" dit Marie d'un ton sec.

L'officier, visiblement contrarié, pris une mine plus sombre.

- "Vous explorez un territoire dangereux madame, dit l'officier. Vous n'êtes pas la bienvenue si c'est pour dessiner une version pessimiste de la réalité de notre pays. Si vous avez droit de dessiner, nous avons droit d'intervenir."

- "C'est n'importe quoi ! s'exclama Marie. Vous entretenez une dictateur et un régime de la terreur, vous supprimez quiconque cherche à montrer la vérité et les faits !"

- "Si c'est comme ça que vous le voyez... vous ne nous laissez pas le choix"

Marie réagit à la seconde où l'officier prononça cette phrase. Elle claqua la porte à une vitesse lumière et tourna le verrou avant que l'homme ne puisse opposer une résistance. Pourtant, il ne semblait pas essayer de forcer la barrière.

- "C'est donc votre choix... Je vous conseille de profiter de cette chambre tant que vous le pouvez." Dit l'officier.

Ayant dit cela, Marie l'entendit marcher en direction de l'escalier et sortir de l'auberge. Elle savait à ce moment là qu'elle était en grave danger. Heureusement, sa valise était encore assez rangée, elle put donc y mettre toute ses affaires rapidement et se préparait à quitter sa chambre. Avant de déverrouiller la porte, elle tendit l'oreille pour être sûre que personne ne l'attendait derrière. Après quelques secondes, elle retint son souffle et décida d'ouvrir. Personne. Elle put souffler pendant un instant, mais le temps pressait. Alors, elle couru vers le fond du couloir, dévala les escaliers et se retrouva nez à nez avec l'aubergiste qui occupait le seuil de la porte d'entrée. Elle ne l'avait jamais vu debout, il était bien plus petit qu'elle pensait et bien plus gros aussi. Avec ses mains étendue, il fit comprendre à la jeune femme qu'elle ne pouvait pas sortir.
- "Je vous ai mis en garde. Maintenant, vous restez" dit l'aubergiste d'une voix rauque.

Marie était furieuse. L'officier allait revenir avec des renforts, tout cela à cause d'un aubergiste obèse qui lui barrait la route. Alors, elle tenta le tout pour le tout. Elle prit un extincteur à coté du comptoir de la réception et assomma l'homme d'un seul coup, avant même qu'il ne puisse réagir. L'homme tomba a ses pieds, complètement inconscient.

Marie ne perdit pas de temps. Elle courra vers sa voiture, mis la clef dans le contact et mit toute la force de ses jambes sur l'accélérateur. À présent, seule la vitesse de sa voiture pouvait déterminer ses chances de survie.

Pendant des heures, la route était au moins deux fois plus angoissante qu'à l'aller. Certes, il faisait grand jour et la visuelle était claire. Mais chaque petit détail de l'horizon suscitait en elle une forme d'appréhension par rapport à son escapade. Peut être que l'officier était déjà au courant ? Il avait surement alerté la police locale, voire nationale, où même l'armée elle même. Elle pouvait sentir en elle à mesure qu'elle se rapprocha de la frontière un curieux mélange entre de l'angoisse d'être arrêtée et le soulagement d'être chez elle.

Il était maintenant midi. Il ne restait que quelques centaines de mètres à la frontière. Elle voyait déjà le péage, toujours aussi désert, qu'elle avait emprunté à l'aller. Le soleil était haut dans le ciel, et malgré le climat assez frais, il faisait chaud dans la voiture. Marie transpirait à grosses goutes. Sa voiture ralentit peu à peu à mesure que le point de contrôle se rapprochait. Alors qu'elle n'était qu'à une dizaine de mètres de la petite cabine par laquelle elle était passée il y a deux jours, l'officier sortit et lui hurla de s'arrêter et de descendre de son véhicule. La police était au courant. Elle allait se faire arrêter à la frontière, pourtant si proche du but...

Non. Elle ne pouvait pas renoncer à sa liberté maintenant. Elle avait fugué de sa maison, découvert la vérité du système communiste, assisté à un assassinat, assommé un aubergiste et conduit à 150 km/h pour échapper à ce même problème. La frontière n'était gardé que par un cône de circulation. Le douanier s'approchait dangereusement de sa voiture. Il faillait tenter le tout pour le tout.

Alors, la jeune femme accéléra. Le douanier n'eut même pas le temps de réagir qu'elle défonça le plot et accéléra à toute vitesse de l'autre côté de la frontière. Voyant cette scène, il se mit à hurler jusqu'au point de sortir son arme et de tirer des coups. Dans la voiture, Marie qui se croyait sauvée eu la plus grande peur de sa vie. Elle se baissa à mesure qu'elle accélérait sur l'autoroute. Les balles fusaient à côté de sa fenêtre, certaines touchaient même son pare choc arrière. Et puis, plus rien. Elle avait réussi. Elle avait passé la frontière dans un retournement de situation insolite. Une histoire qui semblait loufoque, mais qui était pourtant vraie.

Pendant les prochaines heures de route, Marie en profita pour reprendre son souffle. Elle recommença à penser à ses parents, à son pays, à tout ce qu'elle avait laissé derrière. Après son escapade, la comparaison entre les deux pays était flagrante. Elle n'aurait plus jamais remis les pieds dans le pays ocre.

* * *

Il était midi dans la capitale. Aujourd'hui, c'était un grand jour. Il y a un mois de cela, Marie revenait enfin chez elle après deux jours d'absence. Ses parents, terrorisés, ont fondu en larmes en voyant leur fille revenir. C'était le moment de réconciliation que tout le monde attendait. Suite à cet évènement, le père de Marie lui présenta ses excuses. Il reconnaissait enfin le talent de sa fille, et qu'importe pour l'agriculture: tant que cela rendait sa fille heureuse et en bonnes relations.

Marie avait produit au total une collection de 59 croquis et dessins pendant son escapade en Loduarie. On y voyait clairement les sentiments et l'évolution d'un point de vue qui chavira en cours de route alors qu'il se heurta brutalement à la réalité. Certes, ce n'était pas représentatif de la Loduarie dans son entièreté, mais c'était la seule information véritable sur les méfaits de ce système qui nous cachait des choses.

Elle décida ainsi de se déplacer à Margaux, la capitale d'Antares, pour trouver des investisseurs qui seraient assez enthousiastes pour financer une exposition regroupant ses croquis. C'était du jamais vu: des images sorties d'un film d'horreur et pourtant bien réelle. Elle n'eut aucun mal à trouver quelqu'un pour l'aider.

Ainsi, elle se trouvait à présent devant une galerie d'art qui avait accepté de financer et héberger son exposition. La galerie allait inaugurer l'exposition dans quelques minutes encore, mais déjà une foule de personnes occupaient tout le trottoir autour de la galerie. Une exposition comme celle-ci, c'était inédit...

Quand les portes s'ouvrirent, les esprits firent de même. Enfin, les Antariens pouvaient voir à quoi ressemblait ce que cachait leur voisin des médias. Sous la couverture de qualités, certainement légitimes, se cachaient cependant des énormes défauts qu'ils voilaient avec honte. Ce fut un véritable choc, et un succès immédiat.

Les parents de la jeune femme étaient eux aussi présents. Eux aussi voyaient ces croquis pour la première fois. Son père n'avait jamais été aussi fier de sa fille et de ce qu'elle avait accomplit pour la vérité.

Vers la fin de la journée, la galerie décida de fermer ses portes à l'heure habituelle, ayant effectué l'une des meilleures journées de son existence. Ceux qui avaient eu la chance de voir les croquis étaient ébahis, et ceux qui avaient dû attendre dehors rentrèrent quelque peu déçus, mais se consolant du fait que l'exposition allait durer plusieurs semaines.

Marie était restée à l'intérieur, avec ses parents et les propriétaires de la galerie qui la félicitaient chaleureusement. Pendant que ces deux derniers discutaient entre eux, la jeune femme décida de s'isoler et de regarder à nouveau ces croquis par elle même. Elle s'arrêta sur la plus poignante de ses œuvres, celle du cadavre de la femme âgée. Cette nuit là, elle l'avait vu. Elle avait l'impression de soulever le couvercle d'un bocal. Elle avait compris. Elle savait.

Le malheur de ses personnes avait une couleur ocre.
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Entete
Le Journal Quotidien de la République


Chants Loduariens sur l'antenne de KAT Radio
Une décision scandaleuse de la part de la station radio qui touche la région de Camille et de Javellaux

Avant-hier matin, les habitants de la ville de Camille se réveillèrent comme à leurs habitudes. Tous allaient au travail et empruntaient leur véhicule. Un petit hic pourtant allait complètement changer la routine de ces habitants. Dès le réveil, les stations radio locales de l'antenne KAT radio décidèrent de jouer sur leurs canaux des chants et musiques originaires de Loduarie Communiste. Les présentateurs eux-mêmes ne s'en cachaient pas: ils annonçaient clairement avant chacune de ces titres les origines et l'histoire de celui-ci. Personne n'aurait pu dire qu'il s'agissait d'une erreur, sinon que les présentateurs étaient de mèche. La plupart des Antariens de la zone étaient incrédules face à cet événement. Soit l'entreprise et ses gérants étaient devenus complètement fous, soit c'était eux-mêmes qui déliraient. Après de longues heures où la plupart des habitants de Camille partageaient le fait que cela s'agissait d'un canular, ils commencèrent à douter de cette hypothèse en voyant même les plus blagueurs des présentateurs être complètement sérieux sur leurs discours. Il ne s'agissait pas d'un canular. Ce choix avait été fait et acté par la direction de KAT de la région de Camille et de Javellaux.

Rapidement, ce choix commença a faire des insurgés. De plus en plus de personnes criaient au scandale et à l'hérésie, certains parlaient même de corruption ou d'invasion. Pour les Antariens de la zone, c'était inacceptable: ils connaissaient bien la douane loduarienne, il était connu parmi les habitants de ces régions frontalières que les douaniers de ce pays n'étaient pas les plus accueillants. Qui plus est, ils seraient probablement les premiers touchés en cas d'invasion, ainsi que les villes de Laxande et de Riaux au sud. Pourtant, eux n'avaient pas eu ce problème. KAT radio avait justement partagé tout récemment son catalogue des musiques les plus écoutés ainsi que des tubes préférés des antariens au cours du mois de janvier. Tout le reste du pays diffusait de la musique "normale" qui collait avec la routine de la station radio. La seule exception était celle des régions frontalières avec la Loduarie du nord. Très vite, la nouvelle fut répandue à travers les réseaux sociaux et tout le territoire se vit rapidement informée par ce scandale. L'impact était inévitable, les écoutes de KAT ce jour-ci chutèrent d'au moins 30% dans tout le pays, et les mécontentements retentirent tel un gong à travers la nation. Mais alors, quelle est l'origine d'une décision aussi loufoque ? Pourquoi est-ce que la direction de l'entreprise aurait approuvé ces décisions ? La Loduarie elle-même est-elle impliquée dans ce scandale ? Nous vous révélons tout cela dans notre reportage XL sur l'une des plus grandes controverses que la firme ait jamais connu.

Revenons quelques semaines en arrière. C'est le matin du 17 janvier 2015 et le PDG de la firme KAT Maurice Debarre se dirige vers le Quartier Général de l'entreprise, situé dans la ville de Henne. C'était un matin comme un autre, rien de bien spécial ni de spécifique. À l'entrée, on le salua comme à son habitude, son assistant lui prépara un café comme à son habitude et il commença à travailler sur ses dossiers comme à son habitude. Tout était normal, rien ne déviait de sa routine habituelle. Cependant, ce calme et cette normalité allaient être interrompues par un e-mail particulier qu'il recevait depuis ses chefs de sections de la région de Camille et de Javellaux. C'était étrange de recevoir un message par courriel de deux de ses subordonnés conjointement, il était d'autant plus étrange de découvrir son contenu. Tous deux avaient un langage assez brumeux, ils parlaient d'une sorte de marché et surtout de l'argent à gagner. Au total, une somme de cinq-cents mille florins seraient déboursés aux supérieurs de l'entreprise en retour d'une "simple faveur". L'individu ou l'entreprise à l'origine de ce contrat n'était pas mentionné, les termes étaient vaguement mentionnés et rien ne paraissait officiel. Il aurait pu croire à une arnaque, si la communication n'était pas aussi sécurisée. Pour lui, c'était plus de l'ordre de la blague. Ces deux représentants n'étaient pas du genre à se comporter ainsi, de mentionner des espèces de "marchés" (le terme "marché" avait été utilisé à la place du mot "contrat") sans parler de détails et ayant un langage très peu soutenu. Maurice Debarre, non content d'être sorti de sa routine, répondit simplement que les termes de ce marché qu'ils mentionnaient n'étaient pas clairs, et qu'ils devraient lui envoyer un e-mail un peu plus concret si ils voulaient espérer attirer l'attention de leur supérieur. Bref, monsieur Debarre traita ce courriel avec une sorte de négligence... Presque de l'ignorance, si l'on savait ce qui allait suivre. Le PDG de KAT Radio venait de faire une terrible erreur.

Les origines de cet e-mail sont à ce jour inconnues. Mais ses motivations et ses conséquences le sont bien moins. En effet, il ne s'agissait pas d'une arnaque. Les représentants des régions de Camille et de Javellaux se sont mis d'accord pour l'envoyer conjointement. D'après nos sources, ils s'étaient rencontrés plusieurs fois dans les bureaux de l'un et l'autre pour discuter de ce marché. Un individu leur avait tout deux proposé une somme colossale pour un petit service, en les mentionnant eux en particulier. Soucieux d'être considérés comme des fraudeurs, ils décidèrent donc de contacter leur PDG pour lui en parler. Le problème, c'était qu'ils ne savaient pas non plus dans quoi ils s'engageaient. Ce mystérieux individu avait l'air légitime, ce n'était pas un canular, mais les dispositions autour de ce marché étaient tout aussi floues que ce qu'ils avaient écrit à Maurice Debarre. C'est ainsi donc l'origine de cet e-mail brumeux: les représentants non plus ne savaient pas de quoi il s'agissait, et l'expliquait s'avérait être une tâche tortueuse.

Le PDG de la firme avait donc réagi de manière plus pragmatique que les deux autres, en comprenant bien que les termes de ce marché lui paraissaient suspectes et dépourvues de sens. Son refus de s'engager dans une telle entreprise avait réellement contrarié les deux représentants, au point d'en être frustrés qu'il puisse refuser la somme de 500 000 Florins. On aurait pu se dire que le PDG n'en aurait pas eu besoin, il gagnait déjà très bien sa vie... Mais les deux hommes ne s'arrêtèrent pas là, face au refus. Ils voulurent continuer dans ce projet qui leur avait l'air alléchant. Après tout, qu'est-ce qui pourrait bien advenir suite à un marché avec une entité inconnue et des termes qui l'étaient tout autant ? Même à ce jour, personne ne sait vraiment l'identité de cet individu qui a conclu le marché. Les 500 000 Florins ont bien été attribués, mais aucune personne en vue.

Mais en quoi consistait donc ce marché ? Les termes devinrent vite très clairs pour les deux hommes. L'individu avait envoyé une liste de chants et musiques d'origine Loduarienne qu'il voulait que les stations diffusent dans ces deux régions pendant une durée de trois jours. Rien de plus discret, personne n'aurait remarqué. Normalement, des représentants comme eux auraient tout bonnement refusé, cela allait à l'encontre de plusieurs articles du règlement de l'entreprise. Mais encore une fois, la somme à la clé était assez conséquente, surtout pour quelque chose d'aussi simple. Quel impact aurait la diffusion de ces chansons ? Durant les prochaines semaines, quelques discussions et pourparlers furent échangés entre les deux parties. Les représentants voulaient négocier le temps qu'ils diffuseraient ces chansons, mais l'individu était catégorique sur ses trois jours.

Nous sommes donc le Jour J. Les deux hommes avaient mis leurs équipes au courant du projet. Ils allaient faire passer le coup pour un espèce d'accord diplomatique avec la Loduarie pour éviter que certains employés aient des suspicions. Pourtant, tout le monde en avait des suspicions. Comment ce faisait il qu'il n'avaient pas été mis au courant plus tôt ? Que venait faire la diplomatie dans leurs antennes ? Que des questions, pas de réponses.

Comme discuté au début de l'article, ceci fut un véritable scandale. Plusieurs personnes criaient à la trahison et à l'incitation au séparatisme. C'était un désastre sans nom. Bien évidemment, le PDG de la firme fut mis au courant de ce problème. Après tout, il l'aurait fini par comprendre en voyant ses chiffres baisser de presque un tiers. Comme tout le monde, il était tout aussi perdu. Pourquoi ces deux représentants ont-ils décidé de faire un coup pareil ? Il se rappela de l'e-mail suspicieux qu'il avait reçu il y a à peine quelques semaines. Après relecture, il était évident qu'il y avait un lien: ces deux hommes avaient cédé à la corruption.

Nous avons réussi à avoir une interview avec Maurice Debarre concernant la situation. Voici une retranscription de notre échange avec lui:

Interview Exclusive avec Maurice Debarre, PDG de la firme KAT Radio a écrit :Cet événement va au delà de ce que vous auriez pu prévoir, cela doit représenter un choc pour vous de voir vos fidèles représentants succomber à la corruption de cette manière. Qu'avez vous à dire à ce sujet ?

"C'est absolument terrifiant. À eux seuls, ils ont entaché la réputation de notre entreprise. J'en ai vraiment les larmes aux yeux que des personnes à qui je faisait confiance et que J'ai nommé puissent prendre une telle décision. Ce qui me choque surtout, c'est le manque de raisonnement dont ils ont fait part. Ils m'avaient mis au courant de ce marché et ses conditions assez brumeuses pour tout dire, mais je leur avait fait comprendre du manque de professionnalisme d'un tel échange et d'un danger de corruption. Ils n'ont pas attendu mon aval pour agir visiblement, et je me sent partiellement responsable de ce scandale. J'aurai du remarquer la nature dangereuse de cet e-mail et en discutant avec les deux représentants pour les dissuader d'agir. C'est une terrible erreur que je veillerai à ne pas reproduire."

À ce propos, qui pensez vous désigner comme coupable, soit au sein de l'entreprise ou à l'extérieur ?

"Il est certains que mes deux représentants sont quasiment entièrement coupable au sein de l'entreprise. Encore une fois, il est vrai que j'aurai du être un peu plus vigilant, mais au delà de ça c'est évidemment eux qui ont succombé à la corruption. Beaucoup de personnes m'ont déjà interrogé sur leur nominations, en essayant de trouver des excuses pour me rendre plus coupable que je ne le suis déjà. Si je me souviens bien, ces deux représentants sont en poste depuis maintenant au delà d'une décennie, il serait malhabile de m'accuser d'avoir fait erreur en les nommant à ces postes. C'est justement cela qui m'attriste le plus, ces deux hommes étaient tout à fait respectables et avaient des qualités que nul autre possédait. C'est une véritable tragédie de les voir lâchement se rabattre dans le crime et la fraude, vous comme moi savez à quel point je tiens à la valeur du travail autant que le reste des antariens. Cet incident va directement à l'encore de cette valeur, c'est surtout la raison pour laquelle je n'ai pas de doutes sur leur culpabilité. D'un autre côté, retrouver l'identité de l'homme qui a initié ce marché pourrait s'avérer décisif. C'est de prime abord lui qui est responsable de ce fiasco. Mes représentants n'auraient jamais cédé à un tel coup si quelqu'un ne leur avait pas fait une telle offre. Il est impératif de retrouver la ou les personnes en charge de cet opération et diriger un procès le plus rapidement possible pour ne pas altérer le mode de vie des antariens qui ont l'habitude de nous écouter et qui ont été chamboulés par l'incident."

Nous savons bien que vous n'aimez pas vous mêler à la politique, mais pensez vous que la Loduarie est coupable d'un tel coup ?

"Absolument pas. Certes, la Loduarie n'est pas la plus clémente des nations, mais je ne la crois pas capable de nuire à nos institutions à ce point. Ils n'auraient aucun intérêt à chambouler notre mode de vie comme cela, si ils voulaient vraiment nous affliger des coups ils prendraient de mire d'autres institutions. Un pays aussi professionnel que notre voisin ne se contenterait pas de diffuser des musiques loduariennes sur nos antennes radios, c'est ridicule. Qui plus est, nous avons de bonnes relations diplomatiques avec eux, il me semble qu'ils sont enclins à la coopération et ne cherchent pas à nous sous-planter. Si vous voulez mon avis, je crois qu'il s'agit de groupes anarchistes ou potentiellement terroristes de la zone. Un événement comme celui-ci parait insignifiant, mais l'auteur à clairement voulu attiser les relations entre nos deux pays pour nous déstabiliser et déstabiliser Antares en premier lieu. Cependant, je suis convaincu que nous pouvons travailler avec les autorités Loduariennes pour nous aider à traquer ces criminels. Pour tout vous dire, coopérer après un événement comme ça montrerait au monde entier notre volonté à entretenir des fortes relations diplomatiques que même des incidents comme celui-ci ne peuvent pas dégrader. Si nous cédons à la panique et nous accusons la Loduarie, nous donnerons à ces criminels ce qu'ils veulent. C'est à mon avis l'hypothèse la plus plausible concernant les origines de cette tentative de corruption."

Nous comprenons bien. Cependant, pensez vous que le Gouvernement doive intervenir dans cette affaire ?

"Il est certain que nous avons besoin de l'aide du gouvernement, même simplement pour réparer les dommages causés par le scandale. L'entreprise a pris un grand coup de couteau dans la poitrine, je suis certain qu'une allocution de la part de la Porte Parole du Gouvernement Ella de Flandres aiderait beaucoup notre entreprise à se remettre sur pied. C'est une grande requête, mais nous savons que le Gouvernement tient assez à ses entreprises pour les aider en cas de soucis comme ceux-ci, surtout vu que ce n'est pas directement de la faute de l'entreprise. Calmer les tensions et rétablir l'ordre et la vérité sont selon moi des priorités pour mettre en sécurité le public antarien et ne pas chambouler les routines. Pour ce qui est du reste, il faut évidemment mobiliser des équipes de police et ouvrir une enquête sur le sujet. Comme je l'ai dit avant, la Loduarie Communiste et ses autorités sont peut être notre meilleur atout vu que l'incident s'est produit dans des régions frontalières. Il est important de montrer notre coopération envers eux pour incarcérer les personnes qui tenteraient de déstabiliser nos relations diplomatiques. Si des groupes d'insurgés sont présents à la frontière, ils pourraient très bien toucher la Loduarie en attribuant à Antares des attaques ou des incidents dans le but de faire crouler nos liens diplomatiques. C'est capital de neutraliser le danger avant qu'il devienne de grande envergure et fasse sombrer nos deux pays dans une guerre sans raison véritable. C'est pour cela que je crois aussi que l'intervention du Grand Tribunal serait raisonnable vu le danger que ces individus représentent pour notre patrie et l'intégrité de notre pays. Je suis certain que nous mettrons un terme à ces instabilités et que nous pourrons par la même occasion nous rapprocher de la Loduarie Communiste."

Que pensez vous faire au sein de votre entreprise pour parier à cet incident ?

"Comme je l'ai dit, il sera difficile pour nous de nous relever d'un tel coup sans support extérieur. Nous pouvons présenter nos excuses via la radio, mais nous ne pouvons rien faire vis à vis des personnes qui ne l'écoutent plus à cause de l'incident. Heureusement, nous disposons de soutient extérieur, notamment votre journal Antares Invicta avec qui il me semble que nous ayons conclu quelques accords pour publiciser le fait que cela s'agissait d'un accident. Je compte notamment sur les lecteurs de cette interview pour qu'ils fassent comprendre que notre service reste de très bonne qualité hormis ce petit pépin. Nous vous assurons que nous ferons en sorte que cela ne se reproduise plus. J'espère encore une fois que le gouvernement sera à notre écoute pour nous aider à contrer ce danger qui pourrait frapper à nouveau."

Les opinions de Maurice Debarre ne sont pas impopulaires, ses théories sont elles-mêmes parmi les hypothèses les plus importantes formulés par les autorités antariennes à propos de l'incident. En effet, la théorie d'une intervention ou d'une opération clandestine loduarienne est fortement improbable, le pays ocre n'aurait aucune vraie raison de nous infliger des dégâts et surtout pas de cette manière. Il est possible que le coup soit l'origine d'un canular, mais la somme de 500 000 florins rend cette explication très improbable. Il est important de noter que toute la somme n'a pas été déversée aux deux représentants, seulement 10% de celle-ci. Pourtant, même avec une dizaine de cette somme, le canular est très débattu comme explication. La plus portante est bien évidemment l'intervention d'un groupe de séparatistes ou plus plausiblement d'anarchistes qui cherchent à casser les relations diplomatiques entre la Loduarie Communiste et Antares.

Cette hypothèse n'est pas infondée. Les autorités savent pertinemment que les régions de Javellaux et de Camille abritent des anarchistes qui sont violemment réticents aux rapprochements diplomatiques entre la République et le pays ocre, et se sont manifestés dans les rues aux moyens de manifestations et protestations assez mal vues par les citoyens locaux. C'est presque un danger néo-patriarche pour ceux qui se souviennent des évènements de 1920, et l'état est très inquiet des enjeux et conséquences de tels mouvements. Quoi qu'il en soit, ce qui est en réalité qu'un petit scandale s'avère peut être une nouvelle période de lutte civile contre des mouvements extrémistes en Antares, quelque chose qui avait disparu depuis presque un siècle.

Le gouvernement antarien à annoncé vouloir se prononcer à ce sujet, et la coopération avec la Loduarie est sur la table. Nous assisteront peut être à des montés de mouvements extrémistes, mais nous ne serons pas seuls face à cette menace, en plus de renforcer nos liens avec le pays communiste. Pour l'instant, le ministère des affaires étrangères s'est montré très ouvert à une coopération dans le but de faire progresser la diplomatie et cimenter une base assez puissante pour résister à ces scandales.

Quoi qu'il en soit, la Loduarie Communiste n'est à priori pas à l'origine de cet incident, c'est en réalité notre meilleur allié pour le combattre.
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C'était la fin des vacances. La fin des vacances, mais aussi le début d'une nouvelle vie - meilleure.

Voilà ce à quoi pensait tout l'équipage de Tandiono Qianfan, le capitaine compris. Avec une certaine nostalgie évidemment. Ah ! Comme il était doux le souvenir des mois passés au Taqui-Quichu à se détendre... et les voyages tranquilles dans l'Océan des Perles, sans contraintes... Mais toute bonne chose avait une fin, et celle des vacances des contrebandiers (et pirates à leurs heures perdues) s'était finie en même temps que leurs crédits.

Si certains des membres de l'équipage avaient encore des sous en poche (certains ayant été plus malins que d'autres et ayant économisé plutôt que dépensé leur argent par les fenêtres), la plupart n'avaient plus un rond. Depuis leur départ du Diambée, après leur dernière mission pour le compte du régime dictatorial, les affaires n'étaient pas allées bon train. Les meilleurs membres d'équipages - comprendre par là, les plus intelligents - avaient déserté avec leur pactole, délaissant leurs camarades. Pire encore : certains les avaient vendus aux autorités, précipitant les pirates dans des geôles contre quelques piécettes ou une bouteille de gnôle. Ainsi, l'équipage avait peu à peu perdu ses anciens membres, passant en quelques mois dans une demi-douzaine de prisons différentes. Tandiono avait, heureusement, réussi à s'évader à chaque fois avec quelques comparses et à reconstituer un équipage, mais il restait profondément marqué par ces trahisons successives.

Il en était arrivé à la conclusion que, si la recherche des biens matériels pouvait apporter une certaine forme de bonheur, elle amenait surtout aux pires vices humains - comme il en avait fait les frais. Ayant du temps en prison entre deux tentatives d'évasion, il en avait profité pour se renseigner un peu sur la sociologie et, par extension, la politique, et avait fini par découvrir l'idéologie communiste. Il en avait déjà entendu des bribes, n'y avait jamais cru sérieusement ("qui voudrait partager toutes ses possessions avec les autres ?", pensait-il autrefois, mais ce raisonnement s'était effondré en même temps que sa richesse), et l'avait autrefois rejetée. Mais, aujourd'hui, il y croyait un peu plus. Il voulait y croire, en tout cas. On ne savait jamais : croire, ça ne coûtait rien, et si l'on faisait attention, ça n'apportait pas d'ennuis.

Il avait voulu y croire donc. Et il avait regroupé des gens qui, eux aussi, voulaient y croire, et il les avaient recrutés. Puis il avait contacté le secrétaire général de la Loduarie communiste, Lorenzo Geraert-Wojtkowiak, pour lui proposer une offre : lui et ses amoureux tant de la mer que d'égalité allaient se mettre au service de son gouvernement, en échange de certaines garanties, à l'image d'un toit, de repas, et d'une retraite lorsque viendrait l'heure. Tandiono se garantissait ses arrières : il n'allait plus tout dépenser bêtement ; il ne serait pas riche, loin de là (et encore qu'au regard des critères du pays où il était né, l'on pourrait le qualifier ainsi), mais il aurait largement de quoi vivre et ne mendierait plus. Ce que le prétendu "tyran" avait accepté, preuve qu'il fallait y croire. Et ne pas croire les rumeurs mensongères à son égard, ça allait de pair.

Ainsi, le nouvel équipage du capitaine Qianfan se dirigea vers ce nouveau pays, si loin de tout ce qu'ils connaissaient, mais qui leur avait promis monts et merveilles. Ils furent accueillis le deux décembre 2014, et prirent leurs quartiers le trois, dans les quelques bâtiments qui leur avaient été alloués.

"Et bien, voilà qui marque un nouveau départ, songea le capitaine. Ce ne sera pas de tout repos, mais ici, normalement, personne ne risquera de me planter un couteau dans le dos. Une balle peut-être, mais ils auront l'honneur de tirer de face. (Son estomac gargouilla bruyamment.) Et j'aurais à manger à tous les repas. Très important ça, on ne s'en préoccupe jamais assez."
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Les péripéties d'Odonel et de Sandra Roussa en terre loduarienne

TI-TI-TI-TI... TI-TI-TI-TI... TI-TI-TI-TI...
Le réveil sonna bruyamment, emplissant la petite pièce d'une stridente alarme, et Odonel le fit taire d'un geste fort et maîtrisé. On pouvait sentir dans ce geste une certaine habitude de faire taire les choses, d’imposer le silence, parfois éternellement, sans remors ni tremblement. Odonel était un homme aguerri, il fallait en convenir. Mais n'en parlons pas maintenant, ce serait griller les étapes.

En vérité, Odonel était éveillé depuis quelques heures. Il aimait régler son réveil à six heures, pour la forme, même s'il n'avait plus aucune obligation de le faire à l'endroit où il se trouvait. Cela lui inspirait une sorte de discipline, un signe que la journée qui lui était offerte n'était pas là par magie et qu'il se devait d'en profiter comme il se devait. Peut-être était-ce un reste de la doctrine clovanienne qui lui restait en tête. Ce genre de doctrine ne vous quitte jamais vraiment. Cela se ressent dans des petites habitudes du quotidien. Toujours regarder derrière soi dans la rue. Faire scrupuleusement attention à laisser une pièce dans le même état où vous y êtes entré, toucher le moins d'objets possible sur son passage. Toujours dormir avec une arme sous l'oreiller. En l’absence d’arme, dormir le moins possible.

Après avoir passé les précédentes heures à chercher le sommeil, Odonel s'accorda enfin le plaisir de se mettre en position assise sur le bord de son lit. Son visage était sombre. Il pensait. Il pensait à son passé, il pensait à ce qu'il avait à faire à l'avenir. Avait-il réellement des choses à faire en Loduarie ? Il avait accompagné Sandra Roussa, certes, mais maintenant ? Il n'avait plus qu'à attendre des nouvelles de ses correspondants clovaniens. Avant de poser ses pieds au sol, il glissa un regard prudent au dessous du lit. Encore une vilaine habitude, mais qui pouvait s'avérer très utile, il en avait fait les frais. Ceci fait, il parcourut la pièce dans laquelle il se trouvait d'un regard oblique. C'était une petite chambre sombre et malpropre, pourvue d'un lit simple et de quelques meubles, pour la forme. La fenêtre en face du lit était cachée par des rideaux déchirés et l'entrée de la chambrette était gardée par une mince porte en bois, derrière laquelle avait été placé un postillon, dont la présence gênait parfois la tranquillité d'Odonel. Les chefs loduariens lui avaient octroyé ce petit logis et avait attribué la chambre juste à côté – la plus confortable – à Sandra Roussa. D'ailleurs, il ne savait pas s'il devait continuer de l'appeler Sandra Roussa ou simplement Sandra. Elle était connue nationalement par son nom de famille et c'était ainsi qu'il avait entendu parler d'elle pendant des années, tant par les militaires clovaniens que par les éveillé.es qu'il avait commencé à fréquenter depuis quelques années. Toutefois, cela correspondait davantage à l'idéologie éveillé.e de tronquer son patronyme. En effet, pourquoi cet obsession des ancêtres, d'une famille dont on se sentirait fier ? Pourquoi endosser sans arrêt le nom de personnes que l'on n'a jamais connues et que l'on ne connaitra jamais ? Et pourquoi l'imposer à nos enfants à notre tour ? Quel cercle infernal ! Et pourquoi toujours porter le nom de notre père, plutôt que celui de notre mère ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi,... Parfois, Odonel se demandait si l'idéologie des éveillé.es ne consistait pas en une incessante remise en question enfantine de tous les principes archaïques.

Le regard déjà anxieux, il se leva et franchit les quelques mètres qui le séparaient de la fenêtre pour en tirer les rideaux. Ses yeux se plissèrent calmement, on pouvait voir quelques rides aux coins de ses paupières. Ses pupilles acérées se dirigèrent vers la rue sur laquelle le bâtiment donnait. Une rue grise, au ciel gris, et aux passants maussades. Les commerces n’avaient pas encore ouvert et les camions de livraison apportaient les stocks quotidiens. Journal propagandiste en main, les quelques hommes à qui l’avenir devait appartenir s’appuyaient sur les lampadaires et lisaient, une cigarette au coin des lèvres, les nouvelles du jour. Se penchant un peu plus vers la fenêtre, mais sans l’ouvrir, Odonel regarda les deux soldats en uniforme qui gardaient l’entrée de l’immeuble. Toujours debout, eux, de nuit comme de jour, à guetter la rue d’un air ennuyé. Peut-être qu’ils espéraient, eux aussi, que quelque chose arrive. Un incident, une attaque, un message, n’importe quoi. Mais jamais rien n’arrivait. Tous les matins se ressemblaient, ici.

Six ans qu’Odonel se levait tous les matins en attendant que quelque chose survienne, et jamais rien ne lui souriait dans cette rue grise et déserte. Il y a six ans, il avait débarqué ici en précipitation, sans doute trop vite pour réaliser immédiatement l’impact que ces quatre murs sombres auraient sur son moral. Les trois soldats qui avaient conduit l’homme robuste et la femme la plus recherchée de Clovanie dans cette petite pièce morose semblaient avoir une petite lueur dans le regard tandis que leurs bottes martelaient les marches des escaliers. Celui qui guidait Odonel du canon de son fusil le regardait d’en bas, les yeux interrogateurs. Il n’avait sûrement jamais vu un Clovanien de sa vie, et la réalité devait contraster avec les mythes que le secrétaire général leur narrait à la télévision. On devait dépeindre les habitants de l’Empire comme des barbares assoiffés de capital et de territoire. Pourtant, Odonel, avec sa veste déchirées, ses lacets qui goûtaient le sol à chaque pas, et sa barbe de trois jours, devait plus se rapprocher du commun des travailleurs loduariens que d’un vilain impérialiste. Les soldats les avaient menés jusqu’à Lyonnars en voiture, après qu’ils aient franchi la frontière non sans une certaine adrénaline.
Tirant les quelques bouffées d’air frais que sa fenêtre lui permettait d’inspirer, Odonel se souvint. Comme prévu, les soldats postés à la frontière avaient laissé passer l’étrange couple nocturne qui se faufilait dans les rues d’Erdaim, et ils avaient pu franchir la ligne de démarcation avec une étonnante facilité. Trop étonnante peut-être, avait pensé Odonel. Ils auraient pu se douter de quelque chose. Mais si au bout de six ans, les Loduariens n’avaient pas bougé d’un cil, c’était qu’il n’y avait probablement rien à craindre. Les deux fugitifs avaient été récupérés dès la sortie par un petit groupe de soldats communistes à longue barbe, leurs yeux brûlant la nuit comme les extrémités incandescentes de leurs cigarettes. Supportant difficilement la main sale qui l’avait pris par l’épaule à ce moment-là, Odonel s’était laissé guider vers une voiture dont il ne put distinguer ni la couleur ni le modèle dans la précipitation et l’obscurité. Installés au fond du véhicule qui tressautait déjà, Sandra Roussa et Odonel s’étaient regardés avec une satisfaction qui traduisait l’épuisant périple qu’ils avaient déjà effectué pour parvenir jusqu’à cet étape. Pour Sandra, c’était la libération, l’étape finale d’un parcours éreintant avec Pétroléon à ses trousses. Pour Odonel, ce n’était que le début.

Le voyage à bord de l’automobile inconnue avait duré plusieurs jours. À ce moment, Odonel crut qu’il allait passer toute sa vie en voiture, à fuir ironiquement les autorités clovaniennes qui ne cessaient de le poursuivre. En Loduarie, il n’y avait personne pour les poursuivre, mais leurs chauffeurs conduisaient comme s’ils avaient la mort aux trousses à chaque instant. Lorsqu’ils s’arrêtaient pour faire le plein ou pour manger, on aurait dit que la moindre minute passée en dehors du véhicule leur coûtait des milliers de Pétroléons d’Or, si bien qu’ils gardaient toujours leurs yeux durs dirigés droits vers leur objectif : une pompe à essence ou un sandwich de basse qualité. Lorsqu’ils remontaient en voiture, ils se tournaient vers les deux fugitifs avec un air complice, l’air de s’auto-féliciter d’avoir été si rapides. Puis ils reprenaient le volant d’une main ferme et la voiture toussait la poussière qui lui était restée dans le pot d’échappement. Les quatre roues écrasaient à nouveau le sol dur et chauffé par le soleil, des heures durant, des heures pendant lesquelles pas plus d’une dizaine de mots n’étaient échangés dans l’étroit habitacle. Sandra Roussa tentait le plus souvent d’entamer une conversation, soit avec leurs deux conducteurs qui alternaient, soit avec Odonel lui-même, qui avait bien pris garde de ne délivrer que le minimum d'informations personnelles le concernant. Lorsqu’elle remarqua que celui qui était au volant ne répondait que par d’obscurs grognements à ses tentatives de socialisation, Sandra comprit que la conduite était un exercice difficile dans lequel les Loduariens n'aimaient pas être dérangés. Elle se tournait alors vers celui qui était assis à sa droite, qui feignait alors de somnoler pour échapper aux banalités de la fugitive. Il fallait avouer que la polémiste ne savait pas vraiment accrocher son interlocuteur. En Clovanie, ses propos choquaient l’auditoire par leur nouveauté et leur discordance avec le discours officiel, mais en Loduarie, où les hommes au pouvoir délivraient à quelques mots près le même discours, ses paroles faisaient l’effet d’une goutte dans l’océan. Même pour Odonel, la porte-parole des « éveillé.e.s » n’avait rien de passionnant. Comment une femme aux écrits si polémiques et aux prises de parole si controversées pouvait tenir une conversation si inintéressante ? Odonel se posait la même question depuis le début de cette cavale.

Il y avait dans les paysages loduariens, grands tableaux ternes et délavés, un petit quelque chose de fatigué, d’épuisé, comme le souffle d’un cheval de bataille qu’on aurait brusquement arraché à son champs de blé natal pour l’emmener tirer des canons et des caisses de munitions dans les plaines embusquées et trouées de la guerre. Ce cri silencieux pouvait s’entendre dans les vrombissements des voitures, dans les bruissements de ces arbres d’un autre temps qui défilaient sur le bord de la route. Un appel à l’aide, qu’Odonel pouvait percevoir dans les monosyllabes des soldats loduariens qui conduisaient la vieille voiture. À mesure que les quatre roues du véhicule éreinté s’enfonçaient dans le paysage loduarien, ce petit quelque chose prenait de plus en plus de place. Il emplissait tous les sens d’Odonel et pénétrait chacun des pores de sa peau claire, obscurcie par le voyage. Sans qu’il put la nommer, cette chose finit par s’étaler à chaque endroit de la voiture. Lorsque ses yeux cherchaient à s’échapper à travers les vitres sales et teintées, ils ne rencontraient que la même chose à l’extérieur, à perte de vue. Ce qu’Odonel ne comprit que bien plus tard, c’est que cette chose portait un nom : le communisme.
Ils arrivèrent enfin à Lyonnars, là où le secrétaire général du parti communiste de Loduarie les attendait. Les visages se firent plus nombreux aux fenêtres du véhicule, et Odonel prit un certain intérêt à les examiner. Un homme habillé de vêtements ternes et sales et à la silhouette courbée parvint à la hauteur de son regard pendant un court instant. Son visage émacié se tourna lassement vers l’homme éprouvé par les heures de voiture. Leurs quatre yeux se rencontrèrent et échangèrent avec compassion un instant de fraternité. Les deux hommes, bien qu’inconnus l’un de l’autre, semblaient tous deux sortir d’une longue épreuve, et ils n’étaient pas au bout de leurs peines. Le soir tombait sur la capitale loduarienne, et les habitants sortaient du travail pour regagner les étroits logis que le régime avait bien voulu leur accorder. L’homme portait un sac sur son dos, et on aurait dit qu’il s’agissait d’un écrasant fardeau qu’il était condamné à supporter pour l’éternité. Le visage de l’inconnu disparut aussi rapidement qu’il avait surgi dans le champ de vision d’Odonel, mais ce dernier aperçut bientôt une foule d’autres figures qui semblaient calqués sur la précédente. Tous portaient le même air éreinté, leurs jambes se soulevaient à peine pour gagner centimètres sur centimètres, comme les membres d’un pantin usé et au marionnettiste fainéant. Sur leur dos, les même bagages qu’ils supportaient comme autant de pauvres Atlas anonymes. Leurs colonnes vertébrales étaient sur le point de s’écrouler, comme si le régime avait minutieusement pesé leurs sacs afin qu’ils soient seulement assez légers pour ne pas que leur lombaires s’effondrent avant la porte de l’usine. Sans but, ils poussaient tous leurs minuscules existences sur la route accidentée, attendant de rentrer chez eux avec une vaine impatience. Le lendemain, ils allaient retourner à l’usine et réaffronter la même épreuve. En Loduarie, Sisyphe avait été tiré des tréfonds des Enfers, pour se démultiplier à l’infini.

Une fois arrivés devant le fameux secrétaire général dont ils avaient tant entendu parler, Sandra Roussa et Odonel ne surent quelle réaction adopter. Effectivement, cet homme était l’ennemi numéro un en Clovanie. Chaque fois que son nom était prononcé, il était suivi de qualificatifs peu glorieux et les descriptions caricaturales le concernant extrapolaient généreusement ses défauts présumés. Ainsi, les deux éveillé.es avaient en tête l’image d’une sorte d’ogre, prêt à déclarer la guerre au premier qui lui frôlerait l’épaule dans un couloir ou qui lui marcherait sur le petit orteil. Lorenzeo Geraert était décrit comme un tyran sanguinaire et monstrueux. Mais quand le petit homme frêle se présenta devant eux, Sandra Roussa et son accolyte demeurèrent bouche bée. L’humain qui se tenait en face d’eux était plutôt petit de taille, et, surtout, il souriait. Le secrétaire général du parti leur serra la main à tous les deux et leur adressa quelques mots de bienvenue. Apparemment, ils allait être l’objet d’une interview télévisée dans les prochaines heures. Odonel affirma qu’il ne voudrait pas s’exprimer au micro des présentateurs loduariens. Il craignait trop qu’on le reconnaisse. Ainsi, Sandra Roussa apparaîtrait seule à l’écran.

L’interview fut longue et fastidieuse. Roussa répondait aux questions avec la même verve que de coutume, toujours avec cette petite goutte de salive qui perlait à la comissure de ses lèvres, significative de l’émotion qui la transportait lors de ses discours endiablés. Elle raconta toutes les péripéties de son voyage, de son départ à Solki en tant qu’activiste jusqu’à sa fuite aux portes de la miséricordieuse Loduarie. Odonel observait la scène de l’arrière de la caméra, en tant que spectateur. Attentif à chaque mot, il prêtait une considération singulière à toutes les phrases de l’oratrice. Dans son regard, une lueur perçante était visible par les employés loduariens qui l’observaient du coin de l’oeil. Rien n’échappait au grand homme, qui se tenait droit contre le mur du fond et qui retournait ses mains dans ses poches, comme à la recherche d’une occupation à leur donner. Sandra Roussa débitait ses paroles sulfureuses, volontairement polémiques envers les téléspectateurs clovaniens qui assistaient potentiellement à l’émission. Elle ne pouvait résister à cette énième tentation de se mettre en valeur, d’exposer à la face du monde sa vie tumultueuse qui l’avait conduit à incarner l’ennemie numéro un du peuple clovanien. Elle se réjouissait de mentionner encore une fois ses œuvres, dont la plus fameuse, celle qui lui avait valu la censure de l’Empereur ! Débarrassée de sa muselière et enfin accueillie dans un pays qui lui donnait la parole, Sandra Roussa profitait pleinement de ces minutes d’exposition, durant lesquelles deux peuples étaient pendus à ses lèvres. Aujourd’hui, tout un nouveau pays l’écoutait, et il s’agissait pour elle d’une nouvelle audience à conquérir, afin d’étancher son besoin constant de se donner en représentation. On assistait alors au renouvellement épanoui d’une actrice trop longtemps cantonnée à un seul spectacle. Depuis des années, Roussa répétait les mêmes paroles à un public déjà apprivoisé, les uns l’adulant et les autres la haissant. Devant le peuple de Loduarie, l’oratrice pouvait se ressourcer à nouveau dans la flamme qui dansait dans les yeux de ses nouveaux spectateurs. Cette flamme était celle de la première fois, scintillant dans le regard d’un homme qui n’a jamais entendu pareil discours. Mais cette flamme allait bientôt diminuer au fil du temps, jusqu’à disparaître entièrement, étouffée par la lassitude. À vrai dire, les Loduariens connaissaient déjà ce discours, puisqu’il s’agissait de la parole officielle, l’équivalent des cours de religion en terre communiste. Ce qui faisait vibrer les citoyens de Loduarie, c’était le parcours de Sandra Roussa, et surtout son origine clovanienne. Elle et Odonel venaient d’une contrée dont le peuple n’avait entendu parler qu’à travers les films de propagande, et la réalité était enfin dévoilée, bien que maquillée par les projecteurs. Sandra Roussa conta donc son parcours avec une animation exubérante, s’empressant de camoufler son narcissisme derrière une fine couche de congratulation envers le régime loduarien, ce qui ne manqua pas de faire sourire la personne chargée de son interview. L’activiste eveillé.e démentit les clichés véhiculés par la propagande clovanienne au sujet du peuple de Loduarie, avançant que les autochtones dont elle avait fait la brève rencontre n’avaient rien des « moins que rien non développés, des sous-hommes » qu’on lui avait décrit. Odonel prit sur lui tout au long de cette entrevue : il commençait sérieusement à en avoir assez de la voix de Sandra. Tout au long des interminables trajets en voiture, elle n’avait cessé de palabrer sur la situation des intellectuels en Clovanie, c’est-à-dire sur sa propre situation. Pour une personne nationalement signalée comme ennemie de la nation et recherchée par les autorités impériales, Sandra Roussa était tout de même très bavarde.

Après que les médias eurent fini de s’intéresser à la grande polémiste, le gouvernement communiste trouva de quoi loger à peu près salubrement Odonel et Sandra. Pour Odonel, il s’agissait de la petite pièce exigue dans laquelle il se trouvait, contemplant pour la énième fois le peuple loduarien s’affairant dans les brumes matinales. C’était l’endroit dans lequel se terrait Odonel depuis six ans.

En août 2011 arrivèrent les membres de l’UJCC, les jeunes communistes de Clovanie. On pouvait bien se demander d’où sortaient brusquement ces ressortissants d’une idéologie depuis longtemps mise au ban du débat public clovanien, mais ils étaient pourtant bel et bien là. Il fallait bien croire qu’ils adressassent une supplique au gouvernement loduarien pour que ce dernier daigne les accueillir. Très vite, ils étaient entrés au contact d’Odonel et de Sandra Roussa. Odonel savait où ils habitaient, dans quels endroits de Lyonnars ils opéraient et comment ils collaboraient avec le gouvernement communiste de Loduarie.

Mais depuis maintenant plus d’un an, Odonel piétinait et se demandait quel serait son sort. La Clovanie et la Loduarie avaient signé des pactes de paix, rendant sa mission obsolète. Oui, complètement obsolète, à moins que le nouveau gouvernement impérial ne change de ligne diplomatique.
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nouveau logotype du Clëron ?

LA GALLOUÈSE ANNONCE UN EXERCICE AÉRONAVAL D’AMPLEUR

Le Duché aux trois loutres a annoncé la tenue prochaine d’un exercice militaire impliquant l’ensemble des forces navales du pays, avec l’appui d’une partie l’aviation et des forces terrestres et balistiques. Le Duché entend affirmer sa souveraineté face à la multiplication des démonstrations de force dans la région.


SNLE français Le Triomphant (Ouest-France)
Le RSE L'arrogant, dernier sous-marin de la marine ducale, est capable de transporter et lancer des missiles balitiques. Juin 2014, Le Clëron.

Lorsque l’on connaît bien Baptiste Erquy, le ministre gallèsant des armées, on se dit forcément que cette petite « provocation » a un côté ironique, destiné à faire comprendre aux voisins de la Gallouèse que leur concours de virilité n’est pas départi d’un certain ridicule. En jouant au même jeu, pourtant. Ce 21 mars 2015, le gouvernement gallèsant et l’organisme chargé de la gestion des armées, la Défense Nationale gallèsante, ont annoncé la tenu me imminente d’un exercice aéronaval « d’ampleur », ou au moins d’une ampleur rarement observée dans ce pays neutre et largement démilitarisé d’Eurysie occidentale.

« L’ensemble des forces navales seront concernée, au moins partiellement, par cet exercice », annonce le document que le Clëron a pu se procurer. En particulier, la flotte de guerre opérationnelle, comprenant tous les bâtiments armés construits après 2006, seront de la partie. Plus de 12 000 personnels en tout sont concernés par l’exercice, qui inclut aussi treize escadres de l’Aviation gallèsante, ainsi que 3 brigades des transmissions et l’ensemble de la Force balistique opérationnelle (FBO), dépendante de la Direction nationale interarmes de la défense (DNID). Il est notamment question de se mettre en situation d’utilisation des nouveaux missiles balistiques gallèsants RUZ-2 (produits entre 2012 et 2013) depuis le tout nouveau sous-marin lanceur d’engins (SMLE) RSE L’arrogant (lancé en 2014). Le but de l’exercice est de simuler « l’interception d’une flotte hostile et la sécurisation du territoire maritime » gallèsant.

L’opération ne fait pas tâche dans le paysage géopolitique du continent, puisque dans le même temps, l’Organisation des nations démocratiques (OND) a annoncé un gigantesque exercice réunissant tous les pays alliés, qui aura lieu à Teyla à partir du printemps 2015. Cet exercice comprendra une manœuvre aéronavale, une simulation de débarquement, et une manœuvre terrestre grandeur nature. En guise de réponse, la Loduarie communiste, qui avait de quoi se sentir visée par le communiqué onédien évoquant la lutte contre une éventuelle « puissance hostile ouest-eurysienne », s’est lancée dans un exercice militaire. Cet exercice annuel dans ce pays militariste, ne prend pas place à la période habituelle, ce qui évoque une volonté de réponse d’après une source tanskienne.

Le Duché de Gallouèse, lui, ne fait pas mystère de ses intentions. Le document dévoilé par le ministère des armées affirme en effet que « les exercices aéronavals gallèsants de 2015 prennent place dans un contexte de démonstration de force de la part des puissances étrangères. Le Duché entend montrer aux États voisins que l’Eurysie occidentale ne sombrera dans aucune folie meurtrière ». Un appel teinté de malice.
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