30/06/2013
11:12:57
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[Haut Conservatoire Théorique] « Définissons l'avenir »

« Définissons l'avenir »

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Lors de la Fondation du Liberalintern, le Grand Kah hérite du Haut Conservatoire Théorique, qu'il fait construire à Nayoga Lamanai, ville côtière connue pour son importante vie universitaire, culturelle et ses grandes plages de sable fin. Le Haut Conservatoir est une structure administrative dont le rôle premier est de produire de la théorie. Elle accueille des idéologues, philosophes, politologues, penseurs, auteurs en tout genre de chaque nation membre du Liberalintern, et est aussi en mesure d'inviter des personnalités sympathisantes ne faisant pas partie de l'internationale.

Le Haut conservatoir doit :

  • Produire des textes théoriques issue de l'analyse de l'actualité politique, culturelle, scientifique.
  • Analyser l'histoire des révolutions pour émettre des conseils pratiques sur sa mise en œuvre au sein des différents pays et des différentes cultures.
  • Sensibiliser la population des pays membres aux questions théoriques.
  • Créer des liens et des interfaces de compréhension mutuelle entre les sphères culturelles et universitaires des nations membres.

Le Haut Conservatoir, en tant que bâtiment, fait aussi bien office d'université que de centre de conférence, bibliothèque, laboratoire etc. On y prend pas exactement de décision, mais il est essentiel pour assurer la cohésion des différentes nations membres de l'internationale, considérant leurs conceptions parfois très différentes de l'idéologie libertaire.

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Tous n'en avaient sans doute pas encore pleinement conscience, mais l'un des principaux enjeux qui soutenaient la création du Liberalintern était de parvenir à établir un minimum de corpus commun, des valeurs à peu près claires qui dépasseraient la simple accumulation de mots creux derrière lesquels, dans la pratique, chacun mettait des choses très différentes.

Le XXIème siècle avait été marqué par l'entrée dans la post-modernité. Les grands espoirs portés par l’existentialisme puis le structuralisme qui avaient consacré la Forme au profit de l'Essence, ces grands espoirs s'était essoufflés. Désormais, le champ intellectuel vivotait d'hypothèses ad hoc en précisions pinailleuses, hésitant entre révolution et réaction, sans savoir à quel saint penseur se vouer. C'était le temps de l'absurde, la fin des théories totalisantes, l'insatisfaction régnait partout face au mondialisme libéral incapable de tenir ses promesses et pourtant de plus en plus envisagé comme la seule véritable politique économique viable.

Ici et là, pourtant, existaient des Formes différentes. Des assemblées de communes, de la mise en commun des moyens de production, les expériences ne manquaient pas mais elles ne pouvaient pas s'appuyer sur un corpus théorique réellement solide capable de leur donner du souffle. Le post-modernisme consacrait la relativité des narratifs et chacun semblait aller sur une route solitaire, incapable de s'allier ou de se reconnaitre en l'autre.

Cela n'était pas tenable. Le souffle qui portait le Liberalintern était cette conscience aiguisé que malgré tout, malgré la facilité opportuniste, l'humanisme pouvait être porteur de réconciliation. Mais il fallait encore lui apporter quelques précisions et dans cette bataille théorique, chaque camp savait quel enjeu il y avait à voir ses vues triompher car c'était le destin de la plus puissante alliance militaire et politique qui allait peut-être se jouer à coup de papier et de controverses, entre les murs du Haut Conservatoire Théorique.


Auteur :

Le Capitaine Nooa est candidat aux élections ministérielle du Pharois Syndikaali, pour le Ministère des arts, de la culture et de la diplomatie. Cadre influent du Parti Pirate, sa ligne a pris le dessus lors du dernier congrès du PP qui défend désormais une approche plus politisée du rôle des pirates en Eurysie, passant notamment par la défense des marges et des modes de vies alternatifs à travers le monde. Il n'en reste pas moins solidement pragmatique et matérialiste, soutenant que pour être viables, ces marges doivent s'armer et s'inscrire dans un système économique international. Il a fait plusieurs déclarations ambiguës a propos du Liberalintern, expliquant qu'il pourrait s'agir de « la plus grande chance pour l’humanité, comme [de] sa pire création ». Il ne cache pas sa volonté de peser dans les débats et sur l'orientation politique de l'alliance, à travers la voix du Syndikaali.

Le reste du temps, le Capitaine Nooa possède une armada de quatre navires dans l'Océan d’Espérance, à l'ouest de l'Eurysie. Ses activités comme ses sources de revenus sont inconnues.

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Le 1er juillet 2006, il soumet ce texte :

Réflexion d’un pirate Pharois à ses amis communalistes


Réflexion d’un pirate Pharois à ses amis communalistes

Ce n’est pas notre famille de pensée que je surprendrai en rappelant ce principe fondateur : tout est prison. Nous n’avons pas la naïveté de croire en l’ordre émancipateur, au contrat social librement consenti, à la liberté dans la contrainte, à la bienveillance des institutions, des princes et des pères. Tout est prison, et tout est police. Le social est ainsi fait qu’il s’ordonne, s’habitue et tend à sa propre conservation. Aucun changement ne se fait de gaité de cœur, aucune révolution n’est joyeuse. Tout ce qui survient formellement était déjà là dans la matérialité de la société, et sinon alors cela s’impose dans la douleur. La société est comme la langue et comme l’eau : liquide elle prend toujours la forme de ce qui la retient et s’écoulera tout aussi naturellement et spontanément par les moindres interstices, la moindre faille. Si elle n’y parvient pas, elle s’échappera par capillarité, sinon, par évaporation. La société totalitaire est une cocotte-minute qui prétend retenir dans ses formes l’eau sous tous ses états, voilà pourquoi elle est vouée à exploser. Ainsi est la loi du social, aussi complexe et implacable que celle de la mécanique des fluides.

Si tout est prison, si tout est police, alors la prison remplacera la prison et la police la police. L’eau s’extrait des parois d’une forme pour se couler dans une autre, elle ne s’échappe du pot que pour tomber dans la coupe. Même lorsqu’elle se veut la plus volatile possible, elle reste soumise aux contingences de son état. L’eau évaporée n’en est pas moins contrainte que l’eau gelée, ainsi est la société. A la prison de la famille se substitue la prison de l’école, puis celle du travail, de l’administration, de l’hôpital. A la police des parents se substitue celle du maître et du professeur, puis celle de l’Etat, celle du médecin, celle du prêtre, celle du patron et celle des paires. A la prison d’une nation l’exilé entre volontairement dans la prison d’une autre nation. A la prison d’une société le révolutionnaire préfèrera la prison d’une autre société. Bien souvent l’anarchiste idéaliste ne souhaite abattre les murs de la prison de l’Etat que pour découvrir que derrière ces murs s’en érigent immédiatement de nouveaux, appelons les « pression des paires », « esprit de groupe », « paresse intellectuelle » ou encore « autogestion » dont la seconde partie du mot prend tout le pas sur la première, l’autogestion reste de la gestion, « l’auto » dedans pèse bien peu.

Prenons acte, acceptons cette position radicale, c’est à ce prix que nous nous grandirons.

Cela étant rappelé, déroulons le fil. La Commune est un Etat, la Commune est une prison et par voie de conséquence, elle possède une police. La police prend bien des formes car la police est contingente à la société, une société a une Forme, fusse-t-elle originale, la police veille à ce que cette Forme soit respectée. La police, ce sont les parois du pot et l’Etat, dans sa forme la plus autoritaire, est le potier. Remplacez le potier Etat par le potier démocratie directe, reste le potier et restent les parois. Nous avons troqué une police pour une autre ; la nôtre. Meilleure peut-être, moins dure, plus poreuse, ouverte à la transformation, à l’écoute, bienveillante, mais toujours police.

Le Communalisme n’est pas un anarchisme et n’est pas un humanisme. Son nom même aurait dû nous mettre la puce à l’oreille puisqu’il est avant tout le nom d’une Forme. Tout ce qui est Forme est police et nous, anarchistes et pirates, refusons la forme. Mieux, nous la pervertissons. J’y reviendrai.

Parce qu’il est une forme, le Communalisme n’est subversif qu’à un moment donné. Le vase est subversif par rapport au pot, plus long, plus élégant, mieux décoré, peut-être, mais il enserre l’eau tout autant. Sitôt que le vase a remplacé le pot, il devient une norme et donc une prison et se dote d’une police. Le Communalisme n’a de subversif que le fait qu’il s’oppose aux ordres anciens, sitôt qu’il les aura abattu tout son caractère émancipateur se dissipera. Il n’a en vérité d’humaniste que le fait de n’être pas encore survenu et laisse donc un espace à l’imagination et l’initiative. Sitôt prendra-t-il Forme que cet espace sera réduit d’autant moins Une. Et cette Une souhaitera se préserver.

Entendez-moi bien et ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : il existe sur le papier et dans l’esprit des révolutionnaires des Formes perméables, qui se réinventent sans cesse. Mais existent-elles vraiment ? Qui me désignera une commune et me dira « voilà une matière absolument flexible, une glaise si universelle qu’on en fabriquerait presque tous les pots qui nous viennent à l’imagination et sitôt l’un fabriqué qu’il s’affaisserait de nouveau pour laisser place à un autre sans jamais rechigner ! » ?

Aucun révolutionnaire et intellectuel ne pourrait ainsi prétendre aboutir à un tel projet. Si le pouvoir est véritablement maudit, même partagé également chez un grand nombre de citoyens, il les maudira néanmoins et vous verrez vos frères et vos camarades, sous le drapeau de la liberté, se changer en bourreaux. Quiconque accède au pouvoir ou aux honneurs souhaitera les garder et il est folie de penser que nous pouvons construire une machine dédiée à sa propre autodestruction et qui le jour venu y consentira. Nous ne sommes pas messianiques, nous n’attendons pas quelque futur paradis terrestre, ou l’avènement de la Commune céleste si vous me pardonnez le parallèle. Le matérialisme nous enjoint à regarder en face la réalité des polices et des prisons issues de notre camp.

Kotios est une prison.
Albigärk est une prison.
Le Grand Kah, le Syndikaali, les Eglises Australes Unies, des prisons.

Alors quoi ?

Il ne suffit pas de se dire révolutionnaire pour se débarrasser de la morale. Face à l’injustice et l’horreur, nous balayons bien vite ces réflexions trop radicales : notre indignation, notre besoin de sens et d’action, tout cela nous dit qu’il faut faire au moins pire, que l’on peut hiérarchiser les Formes et qu’une grille de lecture objective et matérialiste du monde, sans doute, nous permettra d’en identifier non seulement les plus efficientes mais également les plus humanistes. Cela, je l’entends, mais je n’appelle pas cela de la radicalité. Il n’est pas un homme sur cette terre qui ne troquerait pas une dictature fasciste contre une monarchie parlementaire pensons-nous naïvement. Et pas un homme sur cette terre qui n’échangeait pas sa monarchie par une démocratie directe. Soit. Et sans doute il n’est pas non plus un homme qui préfèrera le confort à l’effort, la tranquillité d’esprit à l’esprit d’aventure, la chaleur rassurante des certitudes à la froide angoisse du doute ? Laissez-moi rire. La hiérarchie est morale, méfions-nous en.
C’est un fait, les hommes ne sont pas philosophes. La République des Lumières n’est pas advenues avec l’âge des révolutions, nous ne marchons pas sur un chemin éclairé, au milieu d’un peuple de savants guidés par la joyeuse rationalité des sciences et de la raison. Ainsi si l’homme n’est pas philosophe, le réflexe bien naturel des gens de notre trempe est de vouloir donner le pouvoir aux philosophes. « Si nous ne pouvons faire philosopher les rois, il faut faire rois les philosophes. » Et voilà venir l’avant-garde et ses horreurs. Avec ceci de nuance que les philosophes, parfois, c’est « le peuple » ou « les masses », allez savoir pourquoi. En vérité, ce réflexe poussiéreux n’est qu’une nouvelle resucée de l’idéalisme des Lumières, encore, libéral idéel s’il en est. Indigne de nous, car indigne de la pensée radicale : donner le pouvoir aux philosophes – fussent-ils l’immensité du pur et sain corps prolétarien – c’est leur remettre entre les mains les bâtons de gendarme. Nous érigeons nos sociétés idéales comme de potiers théoriciens, le Communalisme c’est la dictature de la philosophie et donc du moins grand monde. Car la dictature ne supporte pas la complexité de l’humanité.

Notre radicalité s’arrête très littéralement aux frontières de notre xénophobie et de notre mépris de classe : l’homme qui ne pense pas, celui qui ne fait pas de philosophie, celui qui ne se politise pas, celui-là qu’on ne saurait tenir, soit qu’il est un esprit fou, soit trop déconcentré, soit débile, soit qu’il appartient au lumpenprolétariat, celui-là devra nous obéir car son désintérêt pour les choses du pouvoir autorise le pouvoir à s’intéresser à lui. Ainsi parce que nous avons philosophé, nous nous croyons en droit de savoir ce qui est juste et bon, d’annoncer qu’un homme qui souffre est moins heureux qu’un homme en bonne santé, qu’un homme entravé est plus misérable qu’un homme libre. Qu’en est-il de ceux qui aiment les entraves ? Et que faire de ces masses terrifiantes qui réclamèrent à grands cris le fascisme ? Devront-ils mourir pour que l’humanité soit libre ?

Ne nous y trompons pas : la liberté communaliste n’est anarchiste que parce qu’elle redistribue le pouvoir à un grand nombre. Le pouvoir par définition est anarchiste : il s’impose par lui-même, du fait de sa propre essence : le pouvoir n’a pas de maître, qui a le pouvoir n’en a pas non plus. Qui a le pouvoir peut imposer ses vues aux autres sans contestations. Donner le pouvoir à quatre-vingt-dix-neuf citoyens sur cent, quatre-vingt-dix-neuf seront des anarchistes et le centième sera en prison. Dans la réalité les choses sont encore moins bien réparties mais cela ne doit pas nous tromper : un homme en prison dans la société finale, c’est déjà trop. La Commune donne aux philosophes l’impression de la liberté pour tous alors qu’elle ne l’offre en réalité qu’à eux-mêmes. Parce que nous avons provoqué l’avènement d’un état qui nous est bon, nous supputons qu’il le soit pour tous. Biais d’égocentrisme. La caste politicienne s’arroge par la démocratie le pouvoir qui lui était hier confisqué, par ce fait elle s’émancipe, mais celui qui ne s’occupe pas de politique reste en cellule. S’il se rebiffe, on lui enverra la police.


L’émancipation. Voilà notre credo.

Un homme absolument émancipé est un homme absolument débarrassé de police, il a brisé les barreaux de sa prison. Pour l’heure, il n’est pas certain qu’un tel homme puisse exister, et si cela était seulement possible, nous ne savons pas dans quelles conditions et sous quelles formes cela pourrait advenir. C’est une quête qui se heurte à plusieurs problèmes dont le premier et non des moindres est celui du transvasement. Porter un regard matérialiste sur l’émancipation de l’individu, c’est accepter que celle-ci nécessite une certaine somme de travail divisé, et donc une société. Même si l’être humain s’émancipait par la simple action de sa pensée, il lui faudrait toujours des livres et dans ce simple objet serait contenu tout le travail humain depuis des millénaires. Paradoxe s’il en est : la société que nous tenons pour prison serait donc fondamentalement nécessaire à l’émancipation. Le corolaire de cela est simple : en s’émancipant en s’émancipant et donc s’appuyant sur la société – et le travail de tous les autres – l’être humain prend le risque de donner en vérité sa place à ces autres. Si la prison remplace la prison, il faut toujours un prisonnier, fut-ce-t-il un ancien tsar ou un bourreau fasciste. Voilà la loi de la division du travail : pour un philosophe libéré de ses chaînes, combien de travailleurs esclaves ?

Notre radicalité est de marbre : pas un seul homme en prison contre sa volonté. Nous ne deviendrons pas la police des policiers. Alors que faire ?

Notre réflexion gagnera à ne pas penser le contenant mais penser le contenu. Ne pas penser la forme de la prison, penser le prisonnier. Ne pas penser le pot, penser l’eau.

C’est-à-dire assumer l’individualisme. Depuis que ce-dernier a été accaparé par les libéraux, notre camp politique a eu tendance à se méfier de ce mot. L’individualisme a produit nombre de stupidités idéalistes, à trop s’interroger sur les motivations individuelles il en oublie les contraintes sociales. A l’individualisme idéel, opposons l’individualisme matérialiste, c’est-à-dire l’émancipation concrète de l’individu à travers la poursuite inconditionnelle de ses intérêts dans un contexte donné.

A ce stade de la réflexion, notre projet doit faire face à deux objections.

La première est celle du contrat social et pourrait se résumer ainsi : « l’Intérêt Général de l’individu se trouve dans la préservation de la Forme de la société qui, décidée collectivement, lui permet normalement d’avoir accès à un maximum d’opportunités afin de poursuivre ses intérêts décidés individuellement, de sorte que ces opportunités soient estimée par lui positivement plus souhaitables que les contraintes de la Forme qui les produit. »
L’Intérêt de l’individu se trouverait donc dans cette prison que la collectivité aura déterminée pour lui et où il aura – quel privilège ! – un droit de regard sur les horaires de cantine. C’est de cette graine qu’on fait le fascisme, le contrat social comme sa version dévoyée qu’est le Léviathan n’ont jamais été que la bonne consciences des philosophes glissant tout droit vers l’autoritarisme joyeux. Les expériences du socialisme réel ont démontré l’influence néfaste du contrat social sur des individus pourtant éclairés et pétris d’ambitions émancipatrices pour leurs contemporains. La forme contraint l’eau, la société – fut-ce-t-elle le produit d’un contrat – n’est toujours qu’une prison.

L’analogie est évidente si l’on considère que le salariat, bien qu’indiscutablement avilissant et aliénant pour l’individu, est lui-même généralement le fruit d’un contrat. Le contrat n’assure en rien le respect des individualités : ce n’est qu’un trompe-l’œil, en vérité il discipline l’assujettissement d’un individu aux intérêts d’un autre, le plus souvent par la force. Cela nous mène à la seconde objection.

Bien qu’il n’ait jamais pensé la prison – et qu’il existe donc dans la théorie de ses tenants la zone d’ombre d’un pouvoir qui peine à se contempler lui-même en entier – le libertarianisme a posé un constat similaire au notre : la société est coercitive, opprime et oppresse sans cesse, nous devrons donc faire sans. En résulte des déclarations que nous accueillons avec scepticisme « la société n’existe pas, il n’y a que des individus ». Une pensée certes radicale mais parfaitement idéaliste, qui consacre des efforts évidents à nier un réel gênant pour l’application de la théorie du marché. Car ce serait dans le marché, naturalisé par les idéalistes c’est-à-dire nié comme étant une Forme sociale, que l’individu trouverait un espace de réalisation individuelle, protégé de l’Etat.
Si l’anarcho-capitalisme commet la même erreur que l’anarchiste idéaliste de gauche, cela tient dans les deux cas au fétichisme de l’Etat. L’un comme l’autre n’advenant jamais, ces sociétés idéales n’ont pas eu l’occasion de se confronter à cette loi immuable : détruisez la prison de l’Etat, il en existera toujours une autre derrière.
A ce titre, le marché idéal est aussi aberrant que la Commune céleste. L’un et l’autre témoignent d’une pensée évangélique et millénariste déguisée, ses tenants sont des prophètes qui excusent les douleurs d’aujourd’hui au nom de la récompense de demain. Ce sont des curés, et nous les méprisons.

Alors quoi ? Faut-il se borner à un milieu bien peu satisfaisant qui se traduira certainement en la mise en place d’une démocratie libérale, ou en social-démocratie, son pendant hypocrite, selon qu’elle penchera à droite ou à gauche, mais toujours si tiède qu’elle ne satisfera personne et surtout pas nous ?

Au mou juste milieu, nous proposons la subversion. Sans cesse. Toujours. Voilà la position du pirate.

A partir de là, notre texte pourrait se réintituler : « pourquoi sommes-nous pirates et pas anarchistes ni communalistes ? ».

L’anarchiste, capitaliste ou syndicaliste, de gauche comme de droite, entend abattre la prison dans sa forme la plus poussée et dangereuse : l’Etat. Les anarcho-syndicalistes vont plus loin : derrière l’Etat il faut mettre toutes les hiérarchies. Salariat, famille, prison, tirons à vue sur tout cela. Et ensuite ? Sitôt qu’il est au pouvoir l’anarchiste abandonne ses grands principes idéels, la société doit continuer de tourner et donc se doter de lois – dont la première est le maintien de la division du travail – et donc de police. Ils se croyaient fins, ces grands penseurs nous expliquant que l’anarchie c’est « l’ordre sans l’Etat », et se faisant ils démontraient leur vice : les anarchistes sont des autoritaires au visage atypique, ils n’en restent pas moins autoritaires, c’est-à-dire des amoureux de l’ordre. Leur police ne portera peut-être pas de bâtons mais prendra la forme de voisins chuchotant dans votre dos, d’ostracisations douces, de mises au placard, de condamnations silencieuses, de malaises vagues, de regards méprisants. Sanction policière, sanction civile, même combat, toujours sanction, d’une nature si perverse que vous rentrerez dans le rang sans même vous en apercevoir ou quitterez un jour votre Commune pour une autre, passant pour le dingue de service.

Le pirate n’a pas la prétention d’abattre l’Etat. Ni même la hiérarchie. Nous savons nous qu’un navire n’avance pas sans capitaine et que si chaque marin ne fait pas l’effort de se coordonner avec les autres, le navire coulera à la première tempête. Sanction immédiate, implacabilité du réel face à l’ordre idéel.

Comme l’anarchiste, le pirate aime l’ordre, mais d’une autre manière. Le pirate aime l’ordre pour le subvertir. L’ordre n’est pas une finalité émancipatrice, il est un moyen pour l’émancipation. Axiome évident et pourtant si souvent nié : pour qu’il y ait émancipation, il faut un ordre duquel s’émanciper. Passer d’un ordre à un ordre ne fait qu’appeler à une nouvelle émancipation.
L’ordre est constitutif de la survie du pirate car celui-ci vit en parasite sur le dos des honnêtes gens. Sans fortunes privées, point de pirates. Sans moralité, point de pirates. Le pirate n’a d’existence que parce qu’il est une des composantes d’un petit nombre d’individus ayant fait le choix émancipateur de poursuivre leurs intérêts en allant à contre-courant du reste. Comme le pirate ne peut se reposer sur l’ordre du droit, il a besoin d’un peu de collectif, mais comme ce collectif s’inscrit dans une démarche subversive, il est voué à ne jamais s’institutionaliser.
En cela, le pirate – fut-ce-t-il un équipage – n’est pas un modèle et n’a pas d’essence : son existence n’existe qu’à un moment donné, dans un état du monde donné et ne survit que dans ses actes. Le pirate est un existentialiste mais surtout un situationniste. Mieux : il est l’unique existentialiste car il n’a aucune pérennité et ne pourra jamais tirer sa légitimité de l’ordre qu’il refuse. Que le pirate se réinscrive dans l’ordre social autrement que pour vivre à ses dépens, c’est à dire qu’il soit institutionalisé par celui-ci pour son utilité à la préservation de l’ordre, alors le pirate cesse d’être pirate.

Ainsi nous ne parlerons jamais « de la » piraterie. L’article défini n’est pas pour nous. Il n’existe aucune intemporalité aux pirates, il s’agit d’un phénomène social, ponctuel et individuel. Tenter de le résumer autrement qu’en le qualifiant de subversif est une pratique vaine. Tout ce que nous pouvons en dire n’est que spéculations et observation empiriques.

Un acte pirate, donc, prend acte du réel et le subvertie. Il ne le combat pas, il le détourne afin de satisfaire à ses propres intérêts. Il va selon ses affectes, c’est une coque de noix abandonnée à l’océan de ses amours. N’étant pas messianique, il n’a pas vocation à rallier à lui les masses pour changer la société, à vrai dire cela lui serait même néfaste.
Le lecteur attentif me demandera alors : « qu’en est-il de ces prisons que vous conspuez ? si le pirate est minoritaire, son existence n’exige-t-elle pas une majorité de prisonniers ? ». Sans doute. Et si ces prisonniers-là décidaient de l’être, pourrions-nous leur en vouloir ? Les émanciper contre leur gré ? C’est dans cet interstice de la pensée que se loge notre programme politique : laissons aux prisonniers la prison, contentons-nous d’en garder la porte ouverte.

La seule politique que nous estimons alors est celle de faciliter l’accès à la piraterie. Il faut que la subversion soit possible au maximum. Mieux : il faut qu’elle s’érige comme un contre-modèle culturel attractif, jamais dans l’objectif de devenir hégémonique, toujours dans l’objectif d’être psychologiquement crédible et accessible. Le pirate est pluriel, chaque équipage est une alternative et plus celles-ci fleuriront, plus les hommes seront libres. Non pas que cette action politique soit indispensable tout le temps – et surtout pas contre la volonté de l’individu – mais elle peut s’avérer nécessaire lorsque des êtres humains sont physiquement empêchés d’accéder aux navires. Fidèle à nous-mêmes nous réitérons : feu sur les prisons !
Tout le reste, ce n’est pas notre problème : à chacun ses choix. Voilà notre héritage individualiste, nous l’assumons. Le pirate est émancipé, non pas émancipateur car l’émancipation vient toujours de soi, sinon elle n’est que police.

A ce stade, le bourgeois tout comme l’anarchiste s’indignent également : « comment ? la subversion perpétuelle de l’ordre ? De manière non démocratique et individualiste ? Mais c’est le chaos que vous nous annoncez, et comment ces pirates vivront-ils si toute la société se piratise ? On ne pense pas un modèle par rapport aux minorités ! »

Nous disons que si. Nous disons même que ce n’est qu’à partir de l’individualité minoritaire que nous progresserons. Car la majorité est toujours une police pour l’individualité.

Mais soit, exercice de pensée : posons la chose. Dans un monde alternatif, la subversion s’avère concurrentielle par rapport à l’ordre. Par milliers, par millions les êtres humains s’interrogent : « ne ferais-je pas mieux moi aussi de vivre en marge ? De profiter du labeur des autres, de ne suivre que mes désirs ? ». Tout d’abord, oh comme une telle pensée est émancipatrice ! Oh comme il est grand et digne celui qui soudain met la morale de côté et s’interroge intimement sur ses affects.
Mais cela va plus loin. Alors oui, des masses soudain s’individualisent et de fait deviennent incontrôlables. L’ordre qui ne tenait que sur le consentement de la majorité et la neutralisation des différences se délite et s’écroule et nous voilà en plein chaos.

Qui ici serait assez sot pour penser qu’un nouvel ordre n’émergera pas ? En vérité il est même très improbable que la phase transitionnelle existe seulement. Il faudrait que tous les Etats du monde et plus absurde encore que toutes les prisons du monde s’écroulent toutes à la fois, cela relève de la science-fiction ! Ou du millénariste marxiste.

Mais quand bien même, encore, voilà les pirates devenues « la piraterie », l’ordre pirate règne, individualiste radicalement certes mais parce qu’il est ordre il perd en subversion. N’émergeront pas alors de nouveaux pirates ? Ceux-là porteront des noms étranges, peut-être se réclamant de la Réaction et peut-être pas. Peut-être seront ils subversif de l’ancienne subversion et de ce fait ouvriront-ils le champ politique à de nouveaux horizons inattendus ?

Nous ne le savons pas, en vérité. Nous ne promettons aucun avenir, aucun aboutissement, aucune fin de l’histoire, aucun paradis. En somme, nous assumons l’absurde, le non-sens, la grande absence téléologique. Nous faut-il pour autant nous laisser errer comme des âmes en peine ? Non. L’absurde est une niche entre le grand idéal d’ordre final que nous nommons fascisme et le grand ordurier que nous nommons marché et capitalisme. Cet espace, c’est celui de la révolte, et celui de la joie qui troue la société par transgression. Nous assurons avec certitude qu’entre charybde et scylla il existe une fenêtre de tir : plus de subversion ne sera que meilleure pour l’être humain, que cela seulement peut offrir l’infinie modalisation des destins et des volontés individuelles et que plus de pirates sera toujours un bien.

Sur ces mots, nous concluons.

Les forces de gauche, camp auquel nous pensons appartenir, trainent derrière elles des boulets conceptuels. Des pudeurs, diront certains, des tabous. C’est que malgré le matérialisme, nous sommes encore pétris de morale et qu’en refusant chez nous les psychopathes nous nous sommes privés de leur pensée et sommes gênés de les trouver dans le camp adverse.
Les banquiers, les financiers, les patrons, ceux-là n’ont jamais renié leur individualisme amorale et en les traitant par réaction comme des contre-modèles, nous nous amputons d’outils nécessaires pour identifier nos propres limites.
Celles-ci sont claires : nous n’échapperons pas collectivement à la prison. La collectivité C’EST la prison. La police c’est les autres. Assumer cette radicalité sera la première étape pour écarter le spectre des échecs des pays du socialisme réel.
Cela étant dit, l’individualisme n’est rien sans la subversion. Le marché est une Forme et donc un ordre comme un autre, les libéraux le savent bien : ce sont les premiers à envoyer la police pour en imposer les règles qu’ils prétendent par ailleurs naturaliser.

L’équipage pirate est une libre association subversive. Elle se fait et se défait sans contraintes pour peu qu’elle offre ou non à chacun un espace de réalisation de soi. La libre association est la réponse que nous adressons à l’enfer des autres, mais elle seule ne peut tenir face à leur poids. La subversion est celle que nous adressons à l’ordre social, mais seule elle mènera toujours à un nouvel ordre.
Subversion permanente, individualisme inconditionnel, voici les deux jambes du pirate. C’est cet équilibre qui lui permet de ne pas chuter quand éclate la tempête de l’histoire, en s’émancipant à la fois de la morale et de l’illusion de l’ordre, ce qui fait du pirate une fin toujours renouvelée.
Si l'actualité géopolitique chargée de l'Eurysie du nord pouvait laisser penser que la société pharoises s'était mise à l'arrêt, dans une forme d'expectative, ce serait mal connaitre les pirates. "L'armée joue son rôle" déclare à la Chambre plusieurs de leurs députés, "mais je ne vois pas pourquoi il faudrait cesser de respirer dès qu'elle pète".

Les réformes se poursuivent donc, toujours soumises aux derniers résultats des élections qui ont fait émerger trois formations politiques concurrentes : le Parti Pirate, le Parti Communiste Pharois et le Parti du Progrès. Si pour l'heure, la faction pirate a visiblement préféré jouer la discrétion, se posant sobrement en arbitre entre libéraux et collectivistes, le Capitaine Nooa semble souhaiter donner un nouvel élan aux ambitions libertaires que porte son parti et peser à sa manière sur la société pharoise et ses alliés du Liberalintern.


Auteur :

Le Capitaine Nooa est Ministre des arts, de la culture et de la diplomatie au Pharois Syndikaali. Il faut par diplomatie entendre les relations intérieures entre les Pharois et la cohabitation des différents régimes politiques et légaux qui forment le Syndikaali. Si le Capitaine Mainio s'occupe de l'extérieur, c'est le Capitaine Nooa qui se charge de maintenir le dialogue entre des populations parfois étrangères les unes aux autres, dans leurs histoires comme dans leurs vues.

Ministre volontaire, il incarne aujourd'hui - si cela est possible parlant du Parti Pirate - la tête de proue de sa formation politique. Engagé sur de nombreux terrains, notamment pour tout ce qui touche à la restauration d'Albigärk comme lieu et place subversive pour l'ordre établi, il revendique souhaiter former les prochaines générations aux idéaux libertaires, non par la théorie mais par la pratique de l'autogestion.

Auteur prolifique, il intervient peu souvent devant les Chambres, mais ses réformes sont toujours ambitieuses et solidement argumentées.

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Le 25 novembre 2007, il soumet ce texte :

Camarades, encore un effort et vous serez pirates


Camarades, encore un effort et vous serez pirates

Le présent travail, originellement intitulé « Pharois, encore un effort et vous serez pirates », est la transcription d’un discours tenu devant la Chambre Concitoyenne du Syndikaali, le 25 novembre 2007, afin de défendre un projet de loi issu de mon groupe politique, le Parti Pirate, et visant à proposer de dissoudre spontanément notre système judiciaire.

Cette proposition de loi, toujours en instance de vote, a provoqué de nombreuses polémiques riches et stimulantes pour le débat politique de notre pays, c’est pourquoi je le soumets aujourd’hui au jugement des représentants du Liberalintern en espérant qu’elle stimulera dans leurs pays également des débats tout aussi fructueux, et qui sait, mener à une réforme législative conjointe – je l’appelle de mes vœux – ou à des progrès dans l’harmonisation du corpus théorique qui nous sert à ce jour de socle de valeurs communes.

Cela étant dit, voici le discours :

Pharois, encore un effort et vous serez pirates. A bien des égards et dans sa fertile bâtardise, notre pays fut et est encore le laboratoire des idées et ambitions politiques de ce siècle. Le XXIème de notre ère est désormais bien entamé, et tandis que dans le monde nos positions s’assoient chaque jour plus fermement, la contingence géopolitique n’est plus une raison entendable pour refuser des réformes que notre cohérence philosophique impose. D’ailleurs, ce prétexte aux allures d’excuses, n’est en général qu’un petit tour des conservateurs pour conserver, ce n’est jamais que dans les crises qu’on bouleverse bien.

Notre dernier texte, qui avait posé les bases de la doctrine parasitiste, nous menait à une certaine grille de lecture qui imposait elle-même une certaine attitude politique. Nous prônions et prônons toujours la subversion systématique des Formes, c’est-à-dire de tout ce qui exerce la coercition, en tant qu’elles perdurent dans le temps et ont vocation à se maintenir. Toute forme qui cherche à survivre, toute institution qui se préserve, tout ordre qui se maintient, est tyrannique et doit être subverti car il ne s’inscrit plus alors dans une situation, dans un projet, adossé au réel, mais se construit sur des idées et de la morale, et cela nous le refusons (voir le texte précédent pour un plus ample développement).

Quand on a dit subvertir, on n’a rien dit, car tout est Forme, si on est un peu radical, et comme l’objectif de l’homme demeure de continuer d’exister, il aura tendance pour cela à projeter son expérience réelle et corporelle sur l’institution, qui n’est en définitive qu’un corps social. Devons-nous subvertir le corps ? Oui, dans une certaine limite, cela est possible et fera l’objet d’un prochain essai sur le techno-piratisme. Force est toutefois de constater que la priorité n’est pas là. L’ennemi se déploie dans des espaces sociaux beaucoup plus évident et symbolique et s’il nous faut les subvertir chez les autres nations, le Parti Pirate estime qu’il faut les abattre au Syndikaali. On ne travaille pas efficacement avec l’adversaire dans le dos.

Cet adversaire grossier, quel est-il ? La réponse est évidente : qui incarne le mieux la conservation et la morale que l’institution judiciaire ?

C’est cela qu’il faut anéantir : la justice, morale et sociale. Nous reviendrons sur chacun de ces deux aspects en détail.

Par justice sociale, nous n’entendons pas l’acceptation gauchiste classique qui serait une forme d’équité ou de redistribution, des riches vers les pauvres, comme on la retrouve bien souvent dans les nations sociales-démocrates molles. Déjà parce que cette conception infantilise le pauvre, qu’elle le détourne de son devenir révolutionnaire ou brigand, mais surtout qu’elle institutionnalise l’inégalité.
Par justice sociale il faut entendre, simplement, toute la structuration de l’architecture social autour de l’ordre légaliste. Dans une société dominée par la comptabilité économique, c’est-à-dire le système symbolique de représentation du mode de production au sens marxiste, la justice est l’entité pivot du monde. C’est elle qui tranche et donc décide, en définitive, le juste de l’injuste et donc le social de l’asocial, c’est-à-dire relégué hors des règles de la société, c’est-à-dire puni. Cette constatation classique fit parler, dans un élan de lucidité, les réactionnaires antimodernes de « tyrannie des juges », ce en quoi ils n’eurent raison qu’une demi-seconde avant de se vautrer dans leur amour inconditionnel de l’ordre et appeler à remplacer la tyrannie juridique par une autre tyrannie plus à leur goût, ce qui est un peu fatigant.

La tyrannie des juges est réelle, elle est le ciment de la structure sociale, elle remet dans le droit chemin ce qui lui échappe, ce qui, dans la tradition marxiste, fit parler de justice de classe.

Allons plus loin un instant et regardons non pas la justice comme insérée dans un modèle déjà existant mais pour ce qu’elle est.

Comme toutes les institutions idéalistes au service de l’ordre dominant, la justice s’est dotée de mots écrans pour dissimuler son action.
Ainsi, la justice « emprisonne » les hommes. La justice leur donne des « amendes ». Parfois, la justice les « exécute ».
La même action, exécutée dans les mêmes conditions, par un ou des citoyens, porte un autre nom : on kidnappe, on vole, on assassine.

D’où nous vient alors que la peine de mort nous semble honnête et l’assassinat abominable ? D’où nous vient qu’il n’existe pas un seul Pharois qui consentirait de bonne grâce à se faire voler mais que nous payons – pour la plupart – nos prunes ? Ou que si enfermer un voisin dans notre cave nous semble odieux, emprisonner le même homme entre quatre mur après qu’un juge ait frappé de son maillet la table du tribunal devient soudain d’une parfaite banalité ?
Cette fable ne tient que parce qu’elle prétend s’adosser au contrat social. La justice serait alors une entité, un pouvoir supérieur à celui du simple quidam et donc ses actions n’auraient plus la même valeur. Le crime, passé à la moulinette du contrat, devient un acte hautement estimable. Certains conservateurs plus abrutis parleront plus simplement de « pragmatisme » mais ils manquent juste d’imagination.

D’où nous vient je me le demande que nous ayions accepté cette situation ? D’où me vient qu’au nom de lois que je n’ai pas décidé et en raison du fait que je sois né sur un territoire et donc assigné à une nationalité, ces lois s’appliquent à moi ? D’où vient qu’un autre que moi puisse sans mon consentement décider de m’ôter la vie, sur la base de valeurs ou de règles qui ne sont pas les miennes ? Venant de n’importe qui d’autre qu’un juge, cette idée est insupportable, mais la justice s’est parée de concepts et d’idées, de stratégies de légitimation de son action, et derrière celles-ci dissimule sa monstruosité.

Qu’en est-il du fameux contrat social, alors ? Je n’ai personnellement rien signé.

Le bon esprit rétorque alors « oui mais tu as profité ». Déjà, je tiens à dire que ce n’est pas ainsi que fonctionne un contrat, dans son acceptation banale du terme. Profiter d’un certain état du monde ne m’engage en rien à le conserver, sinon pour des considérations morales méprisables. De la même manière, aimerais-je dire, un contrat est librement consenti et n’a de valeur que si les deux partis ont clairement conscience de tous ses enjeux. On a vu des contrats rompus pour tromperie, c’est courant. Ainsi je ne peux être redevable envers la société pour avoir profité de sa structure si je ne suis pas informé des conséquences de cette action. Étant jadis enfant, je n’avais pas l’âge ni la lucidité pour avoir conscience de ces choses. A ma majorité, personne n’est venu explicitement me proposer de signer ou non, d'adhérer à cette société. En définitive, me voilà embarqué dans une drôle d'affaire où il n'est question de rien de moins que de ma vie et de ma liberté.

Pour s’en sortir, le juriste répond que nul n’est censé ignorer la loi, ce qui est une absurdité sur tous les plans et quand bien même : ne pas ignorer ne signifie pas consentir.

En l’état, je ne peux renoncer à ma nationalité, sauf si une autre société m’offre la sienne. Tient donc, et pourquoi n’y a-t-il pas d’apatrides ? Et quand bien même, la société ne vous laisse pas vous échapper, jamais. Contrevenez à sa volonté ou ses intérêts, elle vous traque, elle exige qu'on vous extrade, parfois elle envoie ses assassins vous retrouver. L'Etat se rappelle à vous toujours : par la pression qu'il exerce, vous protéger revient à mettre en danger vos nouveaux amis, votre pays d’accueil pour qui vous devenez une charge. On a vu des exilés, des lanceurs d'alerte, des traitres, qui ne faisaient pourtant qu'exercer leur droit d'émancipation vis-à-vis de leur société de naissance, se voir leur vie pourrie par la volonté d'un Etat.

Parce que je suis né Pharois, le Pharois pèse tout entier sur mes épaules.

Par ailleurs, le Pharois est encore là, repliée en vous, dans votre socialisation, vos habitudes, votre culture. Il s'impose toujours en définitive, vous le trainez comme un boulet dans votre accent et vos idées. Un Etat totalitaire peut appuyer sur sa population jusqu'à la briser profondément. Un Etat libertaire, demeurant un Etat, pèse malgré lui, comme l'air, sans que l'on n'en ait bien conscience.

Appuyé sur la foule conservatrice des loyalistes en tous genres, ceux qui se dévouent à la société, l'Etat est toujours prêt à exiger qu’on lui paie sa dette, quitte à falsifier les comptes.
Car certains se serviront de cette dette pour déclarer que, parce que la société a permis ma venue au monde, a permis ma vie et autorisé mon existence, parce qu'elle l'a sauvée parfois, par ses médicaments et ses couveuses, alors je lui dois un engagement équivalent. Il est vrai que sans doute, abandonnée à la jungle, sans hôpital, sans suivi médical, ma mère n’aurait peut-être pas eu un accouchement aussi tranquille que fut le sien.

Ainsi le seul moyen de me délivrer de ma dette serait de cesser de vivre, puisque vivre est déjà jouir d’un privilège autorisé par la société qui m’en tient pour endetté. Je n’appelle pas cela un contrat, j’appelle cela une prise d’otage.

Pour ces raisons et contradictions il nous appartient de reconnaitre que rien ne nous engage envers la société dans laquelle nous grandissons et qu’il n’y a ni raison pragmatique ni raison réelle d’en respecter les lois.
En effet, si le prix de ce respect est la menace de l’assassinat par la « justice », alors je m’en passerai.

Ce constat étant fait, abolissons la justice.

Et j’en viens au second aspect de ma démonstration, à bas la justice morale.

Par justice morale il est entendu que faute de pouvoir justifier pragmatiquement et raisonnablement l’existence de l’institution judiciaire, nous nous replions en général sur des considérations morales afin de sauver ce qui peut l’être. Il est intéressant de voir que justice et justice, justice au sens de ce qui est moralement juste, et justice au sens d’institution judiciaire qui n’a rien de juste, se recoupent sous un même terme.

La justice morale, c’est la justification de l’ordre par la simple existence de la structure, c’est-à-dire du conservatisme. En cela la justice morale est une raison morte, incapable de penser le présent autrement que dans sa conservation, autrement que mort.

Je m’explique.

Il y a deux manières de justifier l’ordre établi, issues de deux traditions philosophiques radicalement opposées, qui en définitive se recoupent. L’ordre, c’est-à-dire le maintien dans le temps – y compris par la force – d’une certaine structuration du sociale, une certaine organisation de la société, peut être justifiée par la morale ou par la fatalité. « Telle société est organisée ainsi car Dieu l’a voulu, car elle est la plus efficace. » « Tel prince nous gouverne car il a pour lui la force, l’intelligence ou la bénédiction. » « Tel homme est plus bas que terre car il n’a pas assez mérité, travaillé, ou qu’il n’est pas élu. » Foutaises évidentes. On peut également justifier – et cela est plus pernicieux – la structure par sa fatalité : « Si tout est déterminé, il suffit d’attendre pour que s’effondre le capitalisme. » « Puisque tout se joue à un niveau supérieur, l’action individuelle n’a pas de sens. » « La révolution doit être mondiale ou ne pas être, restons en attente. »
Renvoyés dos à dos, marxistes et conservateurs se révèlent identiques, ce qui explique que l’un comme l’autre sont voués au néant ou à la tyrannie. Au nom d’un futur hypothétiquement vivant ils ne prônent que la mort.

A l’inverse, le pirate est un vitaliste, nous nous opposons à l’ordre et à la justice en cela que ce sont des machines à tuer.
Pour s’en rendre compte, il suffit de voir comment fonctionne la justice en réalité.

Prenons un cas exemplaire survenu il y a de cela trois semaines sur les docks de Pharot. Une poignée d’ivrognes sortant d’une taverne, s’empoignent et se tabassent respectivement – je le sais j’étais dans le bar – l’un d’eux, malheureusement, tombe dans l’eau et se noie dans le port.
Les garde-côtes débarquent et saisissent les belligérants, les voilà devant un juge. Qui cherche-t-il cet homme-là ? Il décompose la scène, il souhaite savoir qui a commencé, qui a poussé la victime dans l’eau, et ainsi, soupesé au profil psychologique de chacun des ivrognes, distribuer selon la loi un peu et beaucoup selon son appréciation les responsabilités de chacun, qu'il s'agira ensuite de punir.

Mais qui est coupable de quoi ? Y a-t-il un « coupable » dans une bagarre où personne ne maîtrise rien ? Quel coupable sinon une éducation violente ? Quel coupable sinon la boisson qui fait perdre en lucidité ? Quel coupable sinon une société où assez arbitrairement les meurtres sur terre sont farouchement condamnés mais où les attaques en mer sont considérées comme normales ? Quel coupable sinon la fatalité, la faute à pas de chance ? Ces hommes qui se battent, l’auraient-ils fait à trois cents mètres du port, sur le pont d’un navire, qu’ils sortiraient innocents de ce drame.

Derrière cette arbitrarité évidente se cache le funeste travail de la justice : elle objectifie, elle décompose les actions pour les comprendre et de ce fait, perd la vision générale de la situation. Incapable de penser la société, de penser l’élan vitaliste de gens qui ivres s’empoignent, la justice entend apposer un regard froid sur une situation très chaude. La justice a un regard mort.
Comme l’Etat et ses monstrueuses statistiques, la justice ne peut concevoir le vivant car le vivant est extérieur à l’institution. Aussi, elle réduit des situations et des hommes à peu de choses : des profils psychologiques, des gestes, des actes, des antécédents décomposés et décontextualisés. Des choses mortes.

Ainsi passer devant la justice, c’est mourir à ses yeux. Bien qu’elle s’en défie, la justice déshumanise puisqu’elle examine l’homme multiple, vivant et social, au prisme de quelques outils cliniques incapables de décrire la complexité du réel.

Il n’y a rien à attendre d’une telle chose.

L’autre face de ce drame c’est évidemment ce que la justice nous fait, non en nous sanctionnant mais en nous donnant à voir le spectacle de ses sanctions. Car nous demandons justice ! Oh comme nous aimons cela ! Nous réclamons réparation, de plus en plus, nous voulons que la société tranche ce qui nous parait un indémerdable litige. Souvent, plutôt que de prendre nos responsabilités et, en bonne intelligence et en bonne autogestion, faire société, nous trouvons plus commode de déléguer lâchement à ce tiers froid, ce juge, de dire pour nous qui a raison et qui a tort. Mais qu’en sait-il, celui-ci ? Que peut-il faire sinon statuer en regardant dans son grand livre de loi au nom de quelle règle arbitraire peut-on départager deux êtres humains, rendus à leur immense complexité, qui ne sont pas d’accord ?
Il ne nous viendrait pas à l’idée de régler nos différents politiques ainsi, alors pourquoi le reste de notre quotidien est-il soumis à ce mode d’organisation ?
La soif de justice est une soif de clarification. Dans les nuances infinies du réel, recroquevillé dans chaque situation – car pour deux alcooliques qui se battent, leur ombre projette mille ans d’histoire pharoise – nous aspirons à saisir le réel, à mettre des mots sur lui, à l’objectiver.
Nous fétichisons l’objet comme nous fétichisons la marchandise, figée, morte. Nous sommes des bandeurs de cadavres, des castrateurs de vitalité, face à la beauté du monde, nous pensons à le disséquer.

Cela nous empêcher de penser, et de vivre.

Nombreux ici, je vous entends crier, me demanderont par quoi remplacer cet outil monstrueux mais terriblement efficace dès lors qu’on ne pense plus l’humain et la société mais l’Etat, dans le but de le sauver de ses contradictions ?
Si cela ne tenait qu’à moi, je dirais aussi « à bas l’Etat » mais enfin vous n’êtes pas prêts pour cela et ce n’est pas l’objet de notre projet de loi aujourd’hui.

Puisqu’il faut bien maintenir un ordre social – apparemment ? – et que nos archaïsmes nous empêchent de nous penser collectivement en tant que citoyens libres et capables d’auto-organisation, je dirai ceci : à bas les lois, et vive les garde-côtes. La médiation vivante et située d’une poignée d’hommes et de femmes, pas plus ni moins armés que vous et moi, mais ancrés dans le réel car partie prenante de notre société, et qui ne pourront plus légitimer leur violence par des textes supérieurs mais devront à chaque instant, par le dialogue, en rendre compte devant la population.

Et que dire de la constitution en milices ? Que dire du faible qui, une fois débarrassé de cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, deviendra fort ? Vous direz « ce sera le chaos » et je réponds, sans doute un peu, mais qui souhaite cela ? Et de ce chaos, ne naitront pas de nouvelles Formes, si c’est cela qui vous inquiète tant ? Nous ne luttons pas contre l’ordre, nous ne sommes ni anarchistes, ni nihilistes, nous luttons contre tout ce qui déshumanise et souhaitons réintroduire du vivant dans l’organisation de notre société, contre les machines de mort. Débarrassons nous en, il ne restera plus que notre intelligence pour gérer les choses, il n’y a rien à perdre, nous crevons déjà sous leur joug.

Je ne dis pas, balayons toutes les lois d’un coup ! Je dis, c’est un voyage, et le Syndikaali n’est jamais aussi bon que lorsqu’il lève l’ancre vers des contrées nouvelles, fussent-elles dans leur propre pays.
Le Haut Conservatoire n’avait cessé de bourdonner depuis son ouverture officielle. Ruche philosophique sans pareil, elle accueillait séminaires, débats et textes suivant une logique libertaire faisant la part-belle à la spontanéité et à la publication de textes et de réflexions qu’on qualifiait bien souvent «d’incomplets». Il fallait y voir l’influence des kah-tanais, dont la culture de la pensée était pleine de ces morceaux de textes, ces brèves, réflexions, idées, parfois publiées sans être signée, entièrement dédiée à être récupérée, recyclée, réfutée, l’objet de débats.

L’actualité extrêmement chargée des derniers mois, qui voyaient se dérouler aux deux extrémités - Eurysiennes et Paltoterrane - de l’Internationale des crises politiques d’un degré de tension d’autant plus extrême qu’elles confrontaient respectivement l'ONC à des nations membres de l'alliance. C’était devenu l’un des sujets les plus en vogue. On avait étudié l’ONC, plus particulièrement les méthodes employées par les pays composant la frange agressive (qualifiée d’impérialiste) de l’Organisation, et il était devenu évident que ceux-là pratiquaient une forme d’impérialisme d’autant plus efficace qu’il ne disait pas son nom, cachait ses méthodes et s’appliquait à soigneusement brouiller les pistes en masquant ses actions d’un bombardement médiatique de désinformation. L’un des aspects le plus répugnant, révoltant, restait pour les kah-tanais le fait qu’au moins une de ces crises - celle du Vinheimur - témoignait d’un effritement démocratique. Les nouveaux impérialistes, avec leurs systèmes représentatifs imparfaits, mentaient ouvertement à la population pour la monter contre leurs ennemis. Une preuve de plus que ces oligarchies n’avaient rien de démocrate.

Quoi qu’il en soit, il devenait utile sinon essentiel d’analyser les méthodes de l’ennemi, et d’en tirer la base d’une conclusion, et d’une stratégie de riposte digne d’apporter, sinon une victoire, la création d’un statu quo favorable à la sécurisation des régimes libertaires.

Auteurs :

Chercheur en Histoire politique et intervenant régulier dans les colonnes du Regard et sur les plateaux de Paltoterra News Network, Augusto de Francia est un partisan de l’analyse matérialiste des faits déjà à l’origine d’un certain nombre de textes s’intéressant tout particulièrement aux régimes de démocratie représentative et aux méthodes employées en leur sein pour subvertir leur fonctionnement officiel au profit d’une classe privilégiée. Plusieurs fois nommé pour siéger à la commune supérieure d’Azelan, ses interventions au Liberalintern tournent surtout autour de la question des méthodes à employer pour faire « l’éducation des citoyens capitalistes ».

Le 8 mai 2008, il soumet le texte suivant :

La stratégie de l’effroi : la méthode des nouveaux impérialismes
La stratégie de l’effroi : la méthode des nouveaux impérialismes.

Ce début nouveau millénaire a été particulièrement épprouvant pour tous les pays et tous les continents. C’est un millénaire que l’on a pensé voué à une certaine renaissance, et l’on savait dès le début que la remondialisation timidement enclenchée par les puissances nord-Aleucienne puis se répandant partout ailleurs via d’autres foyers ou grâce au commerce, porteur de choses encore jamais vu dans l’histoire humaine.

On ne peut pas nier, maintenant, que le passé à la vie dure. C’est une obsession accélérationniste, (fut-il captialiste comme très souvent, ou communaliste), que de croire avec passion que le passer doit disparaitre au profit du nouveau. Et si l’impact des télécommunications modernes sur la politique et la culture reste encore à estimer, on ne peut pas nier qu’il ne crée pas du nouveau, mais amène une transition sous la forme d’une mutation des anciennes méthodes politiques et thématiques de l’ordre social. Le village planétaire est plus que jamais une réalité, mais ce village est divisé en quartier protéiforme, dont les habitants ne sont pas tous bon voisins.

Du reste, il y a encore à déplorer quelques puissants accès de fièvre lié à ces vielles maladies autoritaires que l’on espère abattre pour de bon. Rappelons par exemple l’impérialisme névrosé des pays qui, n’ayant pas quittés la forme monarchique ou y étant retourné par le truchement d’un tour de passe-passe fascisant, pensaient judicieux de s’armer pour une guerre extérieure comme en Francisquie, intérieure comme chez nos amis les Kaulth. Il est inutile de pointer du doigt que le phénomène de révolution mondiale, si l’on y croit, n’est en aucun cas un embrasement spontané. C’est un feu dormant qu’il faut entretenir soigneusement, et qui ne dévore que très longtemps certains régimes. Donc, ce qu’il fau retenir, c’est que ces régimes à l’ancienne sont là pour rester. Ils ont en quelque-sorte un aspect rassurant, ces régimes. On les connaît. Combien de révolution a-t-on mené contre eux ? Ne sait-on pas précisément comment les vaincre ? Leurs méthodes sont aussi vieilles que leurs idées : nous les comprenons depuis le début, nous savons depuis le début comment les contrecarrer. Ces gens n’ont aucun secret pour nous. Ils donnent un sens facile à notre lutte, car nous savons que contre eux, elle ne peut que triompher.

La problématique se trouve donc du côté des autres. Ceux auxquels on peut s’adresser, avec lesquels on peut commercer, dont la population a l’impression d’être libre, disposant d’une cage plus grande que leurs voisins infortunés. Ces autres dont l’aspect respectable fait oublier à certain de nos concitoyens qu’ils sont nos ennemis mortels, notre système révélant tous les manquements du leur. Ces démocraties imparfaites (*NDT : démocraties représentatives) au fonctionnement capitaliste, véritables nids à oligarques dont le placement centriste - à cheval entre l’autoritarisme assumé et le régime de Démocratie réelle (*NDT: régime libertaire) -sont la véritable puissance émergente de ce siècle. Inutile de rappeler ce que l’on sait du système capitalisme, et de ce qui est nécessaire à son fonctionnement. Exploitation de la misère, confiscation des leviers du pouvoir, contournement systématique des règles politiques et de la souveraineté populaire - fût-t-elle en fait une souveraineté de classe, réservée aux élus du système pouvant obtenir une place dans ses chambres et ministères. Nous connaissons très bien ce que le libéralisme économique, dans sa forme capitaliste oligarchique, (incomparables avec les systèmes coopératiste pharois, sociétal Banairais et communalistes du Grand Kah) permet et génère. Inutile de rappeler les poncifs du genre désormais bien établi qu’est l’analyse critique de la démocratie parlementaire capitaliste. L’ogre dévore ses enfants, les riches organisent l’abattage des pauvres et se comportent en communautés sécessionnistes vis-à-vis de la loi qu’ils leur imposent, etc. Cependant, il est important de rappeler que le capitalisme (utilisons dès maintenant le thème sans nous fatiguer à répéter à chaque occasion que certains de nos partenaires et amis ont un libre-marché, et qu’il est possible de mener une politique libertaire sans nier que le système économique mondial invite à un certain pragmatisme dans son exploitation), importat, donc, de rappeler que le capitalisme a pour principale force ses deux capacités primordiales, sur le plan de la politique internationale.

- Une formidable capacité de subversion, pour commencer; Le système capitalisme est un système générant des cages, et favorisant la destruction des classes sociales par un jeu subtil de confiscation des pouvoirs et des savoirs. C’est un système qui abruti ceux qui en souffrent, et les aliène jusqu’à en faire ses principaux avocats. C’est un système qui dilue le pouvoir en le distribuant non-pas aux mains d’un dictateur ou d’un parti unique, mais d’une camarilla informelle d’individus dont l’extrême richesse favorise des rapprochements stratégiques. Le capitalisme ne fonctionne pas sous la forme d’un complot (bien qu’il abrite des multitudes de complots, le fonctionnement de son pouvoir étant de déléguer les questions économiques à des acteurs privés agissant bien souvent sans respecter les règles, et d’assujettir l’ensemble des autres questions à celles économiques). Il fonctionne sous la forme d’un gouvernement qui présente les aspects d’une démocratie, et n’a de cesse de sortir autant d’éléments que possible du cercle de la démocratie. C’est un système indiquant qu’il est pour la liberté, et pointant du doigt le droit de vote d’une population, avant de lui arracher tant que possibles eaux, police, lois, routes, santé, pour en faire des marchés. La logique est implacable. Le capitalisme c’est la démocratie, par conséquent, privatiser ce qui dépend de la communauté et exproprier la population de son pays pour vendre à prix dérisoire le dit pays à des puissances économiques, c’est la démocratie.
- Sa propension à l’assimilation des idées contraires, en second lieu. Le capitalisme est un système par nature hégémonique. Il ne peut pas exister dans un système qui n’est pas pleinement capitaliste. Tout ce qui n’est pas capitaliste, dans un système capitaliste, représente un risque et un foyer potentiel de changement. Le but du capitalisme est par conséquent un but totalitaire d’expansion totale à tous les domaines de la société et de la vie. Il faut que tout devienne un marché. Les alliances politiques ne servent plus à la sécurité, à l’échange universitaire ou à lutter contre des problèmes existentiels (crises alimentaires, réchauffement climatiques, échanges médicaux etc) mais à vendre des voitures Novigardiennes à Saint-Marquise. L’art ne sert plus à exulter l’air du temps, à permettre à des populations de se relâcher et de collectivement exprimer leur état d’esprit, mais à faire du profit. La politique ne sert plus à répondre à des questions concrètes, à édifier de meilleurs systèmes d’organisation et à permettre à chacun d’obtenir des conditions de vie au moins correcte, mais à créer des marchés, assurer la «compétitivité» d’un pays (encore de la subversion). Le système capitaliste étant totalitaire, il ne tend qu’à permettre l’émergence de systèmes de penser d’art ou de gouvernance adaptés au capitalisme. Toute pensée qui émerge d’abord sous une forme anticapitaliste tendra à être d’abord ignorée et, si elle obtient un succès permis par la très relative liberté des habitants (rappelons encore que cette liberté est superficielle puisqu’elle est une liberté de consommateurs et ne sert qu’à permettre la création d’individus achetant des produits, et non d’individus capables de s’épanouir et de prendre des décisions concrètes sur la direction de leur vie et de l’agencement des structures la régissant), ce succès signera en fait son arrêt de mot. Prenons pour exemple la vie classique d’un phénomène de contre-culture. Il apparaît, point du doigt les causes d’une politique capitaliste, gagne en popularité, se répand parmi la population. Le pendant conservateur du capitalisme tente les stratégies d’attaque classique : accusations diverses, dégradation de l’image du mouvement, création d’un système de désinformation visant à attribuer au phénomène des choses dont il n’est pas responsable, ou qu’il n’est pas porteur puis, après généralement une dizaine d’années, si le phénomène persiste, récupération apr les marchés. Le Punk, par exemple, a commencé comme un geste révolutionnaire nihiliste - plus précisément un doigt d’honneur. Maintenant c’est une catégorie dans les magasins de vêtement et de disques. Tout ce qui est en dehors du capitalisme est au choix rejeté ou, en dernier recours, adapté au système.

Le capitalisme, donc, fonctionne comme un impressionnant réseau de contrôle de la population. Ses caractéristiques furent très longtemps impossibles à étudier en dehors du cadre de la politique intérieure, car il est apparu sous sa forme systémique moderne à une époque où ses principaux avocats, les «grandes puissances» du nouveau et vieux monde, jouissaient encore d’empires coloniaux. En d’autre terme le processus d’exploitation capitaliste de pays producteurs de ressources se faisait et se pensait comme une politique intérieure à ses empires. (Pour ceux qui viendraient à se questionner sur l’aspect Aleucien de la question, il est nécessaire de se souvenir que les nations Aleuciennes ont toutes menées des politiques d’appropritation de territoires déjà habités. Ce sont, par définition, des empires coloniaux. La seule différence étant que la mer ne séparait pas là-bas les colons de la colonie, comme elle le faisait en Eurysie). Cette première période de mondialisation relative des affaires économiques donna lieu à une propagation du système capitaliste dans tous les pays où il pouvait être plus utile aux classes dirigeantes que les systèmes féodaux plus classiques (mais intimement similaires). Ces périodes d’occidentalisation et de modernisation, pour reprendre le terme inadapté mais historique, permirent à des régimes archaïques de s’assurer une longévité supplémentaire en appliquant ce système diluant les tensions aux mains d’une classe d’intérêt communs moins évidente à viser, tout en donnant à la population l’illusion d’une libération.

C’est ce système capitaliste primordial qui est à l’origine de notre analyse classique du capitalisme. C’est ce système primordial avec lequel nous sommes familiers, et c’est à ce système que nous devons dire adieu, en effet, les récents évènements tendent à démontrer que le capitalisme est entré dans une nouvelle ère, son évolution a encore évoluée en se dotant d’un outil qui manquait clairement à ses précédentes itérations : désormais, le capitalisme a une stratégie extérieure cohérente.

Celle que j’ai nommé Stratégie de l’Effroi, où comment maintenir la population dans un tel état d’hébétement qu’elle ne soit pas en mesure d’employer son énergie ou la relative liberté lui étant laissée pour remettre en cause ou le système, ou ses actions.

La stratégie de l’effroi est d’une facilité d’autant plus consternante qu’il semble évident, à la regarder, qu’elle dépend de la simple marche normale des choses. C’est lié à cette grande force du capitalisme qu’est cette capacité qu’il a, en son sein, par l’action d’une solidarité objective des individus en profitant, pour s’imposer comme la seule forme d’organisation de la société non-pas souhaitable, mais envisageable. Ce qui signifie qu’au sein d’une planète multipolaire, où cohabitent de nombreux systèmes d’oppression et de libération, le système capitaliste arrive à imposer à ceux existants en son sein qu’il est en fait le seul système. Que les autres systèmes, ne sont pas seulement dysfonctionnels, mais quasi-ment inenvisageable, sur le plan physique, matériel des choses. Le capitalisme, ou rien. Diront certains. La stratégie de l’effroi, pour sa part, clame plutôt «Le Capitalisme ou la Mort». C’est car le principe même de cette stratégie. Imposer un genre de terreur à la population, qui n’est pas à proprement dit une terreur politique puisqu’elle ne vise pas un pan particulier de la société et ne s’articule pas ouvertement autour de mécanismes de purge ou d’extermination d’un corps social ou politique ciblé.

C’est une terreur générale, ou plus précisément, la construction d’un récit de terreur, exactement similaire, dans ses bases mécaniques à la construction d’un récit d’approbation. La fabrique du consentement a été reconstruite sur des bases nouvelles : qu’importe qu’on aime le capitalisme, pourvu que l’on ait peur de tout.

C’est aussi que la terreur est un puissant outil démobilisateur au sein de la population. Il est bien connu qu’il est extrêmement compliqué pour une population prolétarienne dépourvue d’éducation ou d’une avant-garde - professionnelle ou non - de penseurs révolutionnaires de s’organiser sous des formes strictement parlant révolutionnaires. La misère et la culture matérialiste consumériste prônée par le capitalisme tend à éduquer la population en vue d’un égoïsme absolu, qui répond mal aux situations de crise. Quand bien même des études démontrent qu’en situation de crise, le genre humain s’en retourne à une forme primaire de coopération et d’entre-aide, le capitalisme forme la population à ignorer son naturel au profit de réactions extrêmement contre-productives sur le plan sociétal, mais terriblement pratiques sur le plan du contrôle et de la domination de cette même population. En bref : la politique du chacun pour soi. Cette politique seule n’est qu’un élément à comprendre en préambule de la stratégie de l’effroi. Cette stratégie, cependant, est peut-être mieux décrite en pointant du doigt et analysant les récentes crises géopolitiques mondiales et leurs principaux architectes.

C’est devenue une rengaine triste que de parler de l’ONC comme d’un mouvement impérialiste par essence. Si l’on s’en réfère à ses statuts et en conservant un peu de bienveillance à l’esprit, l’ONC passe plutôt pour une fédération commerciale dont les objectifs semblent plus concernés par la politique interne des pays en faisant partie, que par des actions coordonnées visant à modifier la donne régionale par la force ou la subversion. Dans les faits, maintenant, l’ONC est principalement dirigée par un cœur actif de nations que l’on nommera charitablement «interventionnistes», menant une politique d’expansion agressive de leurs intérêts via l’usage massif de la désinformation et du conflit. Nous pouvons noter parmi ce cœur l’Alguarena , le Lofoten et, dans une moindre mesure, le Novigrad. Maintenant, il convient d’expliquer en termes clairs la stratégie employée par ces nations et les ressorts de son efficacité.

Le principal objectif de ces puissances capitalistes et de pouvoir agir de façon extrêmement agressive sans être contrée, sur le plan intérieur, par un mouvement de contestation populaire. La population, lorsqu’elle est sainement éduquée, est généralement opposée à la guerre. Soit pour des raisons strictement matérialistes, soit parce que l’éthique moderne est généralement opposée aux conflits meurtriers. Ce qui justifie, dans ces pays, d’une politique extrêmement violente de propagande à destination de la population même. Ces «démocraties», par un effort conscient du gouvernement et par l’action simultanée quoi que pas coordonnée des grands propriétaires, organisent l’édification d’un discours violent, les opposant à un certain nombre de pays selon les intérêts du moment et cachant la vérité des faits et des évènements derrière un tir de barrage médiatique. Ces médias, certes, ne sont pas dirigés directement par le gouvernement, et sont la propriété privée d’individus différents. Mais ces individus appartiennent à une même classe sociale, et ont des intérêts généralement exactement similaires. Lorsque des médias défendent une ligne différente, ce n’est pas la liberté de la presse, c’est une bagarre de nanti. Ces médias, sur tous les sujets qui ne tiennent pas de la bagatelle et de l’opinion personnelle, s’en réfèrent systématiquement aux mêmes principes et à la même vision du monde, celle des puissants. Du reste, on a créé toute une classe médiatique d’experts, individus créés de toute pièce et auxquels on prête une importance malgré une absence généralement avérée de spécialisation ou d’accomplissements notables; Les experts servent principalement à court-circuiter la société civile et universitaire : on fait venir ces individus en vue de les faire débiter dans un ordre pensé par avancer, la vérité officielle du moment, et surtout, pour éviter de prendre le risque d’en appeler à des individus réellement spécialisés dans des sujets donnés, dont la potentielle liberté d’expression, généralement lié au fait que ces individus existent non-pas en tant qu’experts mais en tant qu’universitaires, scientifiques, membre de la société civile déjà bien installé, pourrait remettre en question l’analyse voulue par les classes dominantes de la société locale. Cette classe d’experts sert à créer un narratif et à imposer à une société civile disposant du droit de vote la vérité officielle qui exclu par essence tous les individus disposant d’une opinion différente de celle acceptée par le corps médiatique. Ce que cela signifie c’est qu’il est impossible, dans ces démocraties, de faire émerger sans lutter un avis divergent. Cela signifie aussi que le pouvoir, lorsqu’il le désire, est tout à fait en mesure de mentir, de créer une réalité alternative et d’y piéger ses habitants, grâce à la connivence de classe entre l’autorité politique et médiatique, permettant notamment d’éviter que des informations contradictoires n’arrivent à la société civile. C’est ainsi que l’Alguarena peut prétendre sans avancer de preuves, que les hommes morts au Pontarbello et dont elle a déplacée les corps au Vinheimur, s’y sont rendus de leur propre volonté pour y mener des exactions, quand-bien même on sait parfaitement que les cadavres ne prennent pas l’avion d’eux-mêmes, et quand bien même on sait que les dites exactions sont un mythe créé de toute pièce par les services secrets vinois dans le but de justifier une guerre. Il est à ce titre important de souligner que la classe dominante vinoise dispose manifestement d’intérêts bien plus divisés sur la question de la guerre que celle de l’Aguarena, qui n’aura pas à en souffrir des conséquences directes.

L’Alguarena, donc, est en mesure de contrôler les informations à la disposition de sa population, et utilise cette capacité pour éviter d’employer les outils démocratiques. La désinformation et l’absence de capacité réelle d’offrir un avis extérieur ou alternatif sont les deux outils premiers de la stratégie de l’effroi. Le contrôle du discours permets de la mener à bien en créant une réalité meuble, sujette aux désirs des gouvernements.

Car tout le principe d’une telle stratégie est de contourner les instances démocratiques et d’éroder leur fonctionnement normal par la création d’un narratif. Ce narratif, extrêmement violent, ne peut se concevoir que dans des moments de stress extrêmement intense au sein de la population et c’est ce pourquoi il convient maintenant de se pencher sur la création de ce stress et son utilité.

Une population sous le choc, subissant un traumatisme global et durable tel que celui d’une guerre, d’un coup d’État, d’un embargo ou encore de crises politiques et économiques durable, aura tendance à s’immobiliser, en tant que société civile. Les révolutions naissent souvent de la colère populaire, mais la colère se crée sur le long terme, et à condition que la population puisse avoir une mince idée des raisons de sa situation. La stratégie de l’effroi est très efficace en ça qu’elle prive la population exploitée à la fois du temps nécessaire à sa réaction, à la fois de sa capacité à comprendre la situation même. L’exemple du Prodnov est extrêmement intéressant : le Prodnov était une dictature d’un style odieux, et il est parfaitement inutile de le nier. Les quelques communalistes et communistes qui osent à la fois se prétendre libertaire et soutenir que l’ancien gouvernement aurait dû être soutenu font preuve d’une absence totale d’éthique, mais surtout, d’intelligence politique. Ce gouvernement et sa politique étaient par ailleurs d’une inefficacité favorisant l’apparition spontanée d’un mouvement révolutionnaire local réellement communiste.

Quoi qu’il en soit, la chute du Prodnov fut organisée par différents facteurs extérieurs parmi lesquels le plus important reste sans doute l’organisation par l’ONC d’un coup d’État en son sein. L’invasion rapide du pays et la confrontation armée qui sembla se profiler durant les plusieurs mois de la crise, paralysa la population dans une angoisse existentielle que les pontifes de l’ONC employèrent à la priver de sa souveraineté. L’élément le plus flagrant et a façon dont la transition économique du pays ne fut pour ainsi dire pas organisée. La population étant sous le choc, il n’existait aucun mouvement civil ou politique en mesure de réellement s’opposer à l’entreprise de démantèlement rapide du tissu économique local. On a, en l’espace de quelques semaines, tout vendu. Des milliers d’individus furent expédiés dans le chômage et la misère crasse tandis que les fleurons industriels locaux et les services publics étaient littéralement arrachés à la terre pour être donnés, pour un prix souvent modique, à une nouvelle oligarchie. Cette confiscation totale du pouvoir, permise par la subjugation totale d’une population, permis par sa violence d’allonger encore le traumatisme et d’assurer que le pays, dans son intégralité, ne se redresse pas en tant que nation, mais demeure encore captif de ses oppresseurs.

Le principe même de la stratégie de l’effroi se trouve quelque-part dans cet exemple : détruire. Créer une crise existentielle d’une ampleur telle que le principal objectif de tout individu sensé devient sa propre survie. Et profiter du drame pour organiser un pillage systématique, ou le passage en force de législations. En d’autres termes, faites volontairement sauter une digue, et profiter que a population soit trop occupée à fuir ou trop concentrée sur la crise, pour faire ce que bon vous semble. Un imagine aisément le cynisme d’une telle politique, et on comprend bien son utilité pratique pour des pays qui ne s’intéressent, réellement, ni à la démocratie ni à la souveraineté populaire. L’organisation systématique de traumatismes par l’usage massif des médias et des actions politiques et militaires violentes, permets de canaliser la population civile en occupant son esprit avec des informations manufacturées pour créer une situation de stress incompatible avec la bonne tenue d’une vie démocratique, d’une opposition ou d’une réaction quelle qu’elle soit.

[HRP : suite à venir.]
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