07/06/2013
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Les diamants sont éternels

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Dans à peu près toute la savane du pays, les bruits qu’on pouvait entendre étaient ceux des animaux sauvages, des zèbres qui hennissaient, des zébus qui meuglaient, des lions qui rugissaient, de la vie en somme. Mais si on s’attardait à un endroit particulier à la fois connu sans être sur les cartes, on pouvait entendre de tout autres sons. Pics et pioches résonnaient jusqu’à ce que le silence se fasse, des pas s’éloignent, un étrange grésillement se fisse entendre, une explosion vibrer l’air lourd et chaud de cette matinée.

Vue de la mine
Vue panoramique

La mine de diamant de Kibananane fonctionnait à plein régime. Les mineurs ramassaient les fragments et les transportaient dans des brouettes. Si les morceaux étaient trop gros, les ouvriers ressortaient les pioches pour les fracturer en des morceaux transportables. Dans n’importe qu’elle autre mine, des camions auraient été utilisés pour le transport. Mais ici, tout était manuel : les vautours auraient vite fait de repérer les transports d’essence nécessaires au fonctionnement des camions. Le travail était plus lent mais cela attirait ainsi moins l’attention des factions ennemies. Pourtant la mine était officielle : elle fonctionnait sous l’égide du président Gabangaye Dinfa. Des militaires en assurait même la protection. Mais la proie aurait été trop belle : cette mine assurait la principale source de richesse du pays. Que l’un des autres belligérants s’en empare et il aurait la monnaie d’échange pour acheter n’importe quelles armes.

Aussi cette mine fonctionnait discrètement. Elle était intégrée à un grand village. Ce village avait plusieurs mérites : sa présence expliquait les allées et venues des Majandiens et des marchandises dans cet endroit somme toute désolé. Les femmes y travaillaient la terre aux alentours, permettant ainsi de nourrir les mineurs et d’être à peu près auto-suffisant. La présence de leurs familles permettait aussi de réduire les conflits qui pouvaient surgir dans les zones uniquement peuplées par des hommes.
Dans la zone nord, un grand tapis roulant actionné quand même par un moteur diesel remontait les kilos de gravier diamantifères arrachés à la couche terrestre. Ils étaient ensuite concassés entre deux gros rouleaux de fonte. La roche s’effritait et laissait échapper une poussière jaune.

Dans une autre vie, peut-être que l’un ou l’autre de ces mineurs aurait eu la chance de suivre un cours de géologie, de comprendre comment s’était formé la roche qu’il griffait de ses outils. Il aurait été assis sur un banc de bois, dans un amphithéâtre. Un professeur un peu âgé, aux cheveux grisonnants et à la moustache foisonnante, aurait commencé son cours par un « il y a très longtemps, dans une galaxie pas si lointaine puisque c’est la nôtre. » ou presque. Il l’aurait plutôt commencé ainsi :

« Dans une galaxie pas si lointaine puisque c’est la nôtre, il y a très longtemps, c’est-à-dire lors de l’Archéen, il y a 4 milliards d’années – n’oublions pas que notre planète s’est formée il y a 4,5 milliards d’années – la Terre n’est plus cet océan magmatique. Une protocroûte continentale s’est formée depuis les 400 derniers millions d’années. Mais la chaleur disponible étant plus grande et la croûte plus fine qu’actuellement, il y a plus de zones de subductions et de plaques que maintenant. Un bombardement de météorites a apporté l’eau qui forme les premiers océans. On voit apparaître la vie sur Terre.

Mais ce qui nous intéresse se passe dans les profondeurs, dans les vraies profondeurs : 150 à 200 km sous la surface voire, de rares fois, jusqu’à 400 km de profondeur. À cette profondeur, il fait une chaleur allant de 1100 à 1400 degrés Celsius et une pression de 4,5 à 6 Giga Pascal. Pour ceux qui se sont endormis au fond, je rappelle que 100 000 Pascals correspondent à la pression atmosphérique moyenne au niveau moyen de la mer. Une rapide règle de trois appliquée par le cancre moyen apprendra donc à ce dernier que la pression à cette profondeur était donc 45 à 60 000 fois plus forte que celle que nous connaissons.

Le manteau comporte du carbone présent depuis la formation de la Terre. Et là, vu l’intitulé du cours, vous vous dites et paf ! C’est là qu’on fait des chocapic ! Et non ! Ni Chocapic et encore moins de diamants qui apparaissent comme ça. Juste quelques grains de carbone qui s’alignent suivant une structure particulière. Plus le carbone reste longtemps dans ces conditions de pression et de température, plus il continue de s’agglomérer autour de la poussière initiale. Le diamant grandit doucement. Très doucement. On connait des diamants qui ont mis plus de deux milliards d’années à se développer. Et c’est assez courant. Monsieur, vous dites ? Comment on date un diamant ? Grâce aux inclusions qui se trouvent dedans. Des fois, le carbone s’est aggloméré autour d’un autre minéral et c’est celui-là qu’on date.

Reprenons. Vous autres, qui avez eu le temps de réfléchir pendant que je répondais à votre camarade, vous ne vous êtes pas dit qu’il y a un problème ? Le diamant se forme à 200 kilomètres de profondeur, comment fait-il pour arriver jusqu’à nous ? On n’a pas pris notre pédalo et notre épuisette à diamants pour le remonter. Je vous rappelle que la faille la plus profonde fait environ 11 kilomètres de profondeur. Alors comment ? Grâce à un ascenseur ! Oui, oui, à un ascenseur ! Magmatique mais un ascenseur quand même. C’est un ascenseur kimberlitique. Voire lamproïtique mais c’est encore plus rare, oublions-le. Il faut savoir que le manteau ne contient évidemment pas que du carbone mais tout un tas d’autres minéraux, le plus courant étant l’olivine qu’on appelle aussi péridot. Les minéraux varient en concentration ici et là. Cela forme des magmas différents, des roches différentes. On ne sait pas très bien quelle est la roche source qui nous intéresse. La plupart disent que c’est une lherzolite à grenat, d’autres des veines de phlogopites ou des roches riches en rutiles. On ne sait pas. Mais ce qui parait à peu près certain, c’est que cette roche source rencontre de l’eau de mer amenée par les plaques en subduction, en bleu sur mon schéma moche que j'ai piqué à mon collègue quand il est allé à sa pause sandwich.

Coupe de la croûte
schéma des plaques

Sauf que lorsque la péridotite contenue dans cette roche source rencontre de l’eau de mer, on a une réaction très violente qu’on appelle serpentinisation. Qu’est-ce ? Petit un : un fort dégagement de chaleur. Un kilogramme de péridotite qui se serpentinise complètement dégage 250 000 Joules, soit de quoi élever la température d’un litre d’eau dans votre cuisine de 50 degrés. Mais puisque la chaleur change, les propriétés physiques de la roche aussi ! Son volume augmente jusqu’à un tiers et sa densité diminue. Or, rappelez-vous, il y avait de l’eau de mer, donc il y avait faille. Volume qui augmente, densité qui diminue, la roche source remonte violemment en se transformant en kimberlite.

Comment sait-on que c’est violent ? Car la kimberlite contient beaucoup de H20 et du CO2 qui sont très volatils. Cela implique une mise en place littéralement explosive.

L'explosion magmatique de la kimberlite
l'explosion magmatique

Toutes, c’est-à-dire la totalité, ce n’est pas une figure de style, toutes les kimberlites qu’on a trouvées se trouvent dans des diatrèmes ou des dykes, c’est-à-dire des cheminées volcaniques qui sont emplies de brèches à cause d’explosions. Ces explosions se font à des vitesses de plusieurs centaines de kilomètres/heure ! Cette remontée extrêmement rapide empêche le diamant de se transformer en sa forme de basse pression et basse température, plus stable, que vous connaissez tous : le graphite.

On a donc une roche encore inconnue qui rencontre de l’eau de mer et qui explose et traverse la croute terrestre en faisant une éruption. Quel rapport avec les diamants ? Simple : en remontant, la kimberlite serpentinisée emporte d’autres éléments autour d’elle : grenats, terres rares et… diamants !

Kimberlite serpentinisée avec inclusion de diamant
Kimberlite serpentinisé avec inclusion de diamant
Kimberlite serpentinisée avec inclusion de diamant

Pour la petite anecdote, une fois à la surface, la kimberlite se décompose et la limonite la colore en jaune. Mais si on trouve de la kimberlite plus en profondeur, elle n’est pas aussi décomposée et garde une teinte bleutée.

Mais au fait, notre boucle n’est pas tout à fait bouclée. Pourquoi ne trouve-t-on pas des diamants partout ? Pour y répondre, posons la question à l’envers : où trouve-t-on des diamants ? Les diamants se trouvent dans les cratons archéens. Qu’est-ce que ça veut dire ? Un craton, c’est l’autre nom de l’aire continentale, ce sont des morceaux de plaques continentales qui sont très stables. Ils ont donc souvent un âge ancien – au moins 500 millions d’années – et ont une surface de quelques centaines de kilomètres au minimum. Ils ont une forte épaisseur crustale, de croûte donc, de 35 à 40 kilomètres, ce qui fait qu’ils ne se déforment pas sous la pression mais qu’ils rompent en faisant des failles. Et, pour les cratons archéens exclusivement, une épaisseur de lithosphère continentale (c’est-à-dire le manteau supérieur de la terre) pouvant atteindre 200 à 250 kilomètres, contre 100 à 150 kilomètres habituellement. Cela veut dire quoi ? Cette épaisseur fait que la convection du manteau terrestre ne se fait plus sous les cratons archéens. Cette zone du manteau échappe au recyclage de la croûte par la convection. Sous les cratons archéens, la zone est très stable. Et voilà, la boucle est bouclée.
Je vois que Monsieur au fond proteste. Ça ne vous parait pas assez clair ? Je résume.

Il y a 4 milliards d’année, la croûte continentale se forme. Par hasard, certaines parties de la croûte continentale ne sont pas recyclées par la subduction et n’ont quasiment pas bougées jusqu’à maintenant. C’est si stable que même le manteau supérieur ne bouge pas. Cela laisse le temps aux diamants de se cristalliser et de se développer, des millions voire des milliards d’années. Et puis, dans une roche magmatique qu’on ne connaît pas encore bien, de l’eau arrive. Une réaction exothermique puissante se réalise, cela provoque une éruption qui emmène le magma et les minéraux vers la surface, dont les diamants. »

Oui, dans une autre vie, les mineurs auraient pu savoir d’où venait cette kimberlite qu’ils attaquaient à coups de pelles, de pioche et de dynamite. Mais dans l’état, ils se préoccupaient surtout de leur survie, des coups de soleil, pensaient à la paie de la journée et à comment ils allaient la dépenser. Ils soulevaient les rocs, respiraient cette poussière jaune de surface, transportaient leur charge jusqu’au tapis roulant où, en haut, la roche se faisait concasser entre les rouleaux. La kimberlite serpentinisée était fragile et se broyait relativement bien. D’autres ouvriers tamisaient alors les gravats pour séparer les éléments trop gros et le sable diamantifère.

Il s’agissait ensuite de concentrer les diamants en extrayant les inutiles, qui avaient la caractéristique d’être moins dense que le diamant. Les malaxeurs rotatifs et des agitateurs constituaient la majeure partie de l’équipement. Une fois épurée, le reste était plongé dans un bain d’un liquide chimique dense. Les minéraux lourds tombaient au fond tandis que les plus léger flottaient à la surface. Un autre ouvrier raclait ces déchets comme un paludier. Régulièrement, lorsqu’il y en avait assez, on pêchait les minéraux les plus lourds et on les envoyait sur les tables à graisses pour récupérer les diamants. Une graisse recouvrait ces tables et un filet d’eau la baignait continuellement. Le diamant brut qui n’aime pas l’eau mais adore la graisse s’y accroche. On les y récupérait en faisant fondre la graisse.

table à graisse
Table à graisse

Dans une cahute, quelques travailleurs triées sur le volet, triaient, eux, les diamants bruts en fonction de leur qualité. La plupart étaient utilisables par l’industrie, le reste pour la joaillerie. Cette mine avait la chance de présenter une grande quantité de diamants de haute qualité voire même quelques pièces exceptionnelles. Celles de la plus mauvaise qualité, le bort, auraient pour destin d’être broyées et de servir dans les différentes étapes de la taille du diamant. Mais la production locale s’arrêtait là. De temps en temps, des voitures blindées et lourdement protégées venaient et repartaient avec les pierres pour une destination qu’aucun des travailleurs ne connaîtrait jamais. La destination à laquelle rêvait ces mineurs n’était pas plus éloignée que la taverne la plus proche.

Ce jour-là, après avoir échangé une large part de leur salaire contre des boissons alcoolisées au bar du coin, les mineurs rentrèrent chez eux pour ne trouver que les enfants mâles de plus de dix ans. Les mères, les fillettes et les petits enfants étaient introuvables. Après un instant de surprise de ne plus voir leurs épouses ne pas les accueillir comme elles l’auraient dû, ils se rappelèrent qu’elles étaient parties à une réunion d’une ONG quelconque destinée aux femmes. Ils firent tous demi-tour et retournèrent dans les bars, à l’exception de quelques-uns qui décidèrent de rester avec leurs fils. Le soir, lorsque les centaines de femmes rentrèrent au village, aucun homme ne leur posa de question : ce qui était un sujet de femme restait avec les femmes puisque ça n’avait par définition aucun intérêt. Ils s'endormirent rapidement, harassés, pour se préparer à une nouvelle journée de travail.
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