05/06/2013
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[SOCIETE] Les Leçons du Fujiwa

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Flag of Fujiwa

𝐅𝐮𝐣𝐢𝐰𝐚, 𝐥𝐞 𝐩𝐚𝐲𝐬 𝐢𝐧𝐜𝐨𝐫𝐫𝐞𝐜𝐭

« Fujiwa, le pays incorrect » est un livre rédigé par Yun Seok. Yun Seok est normalien, agrégé d'histoire. Il a été directeur de recherche et enseignement à la Nishogakusha University. Il décide de produire ce livre destiné principalement aux étrangers ayant la curiosité de découvrir en profondeur la société du Fujiwa. Ici sont postés les chapitres rédigés et qu'il souhaite partager gratuitement.

~ Préface ~

Le Fujiwa vit depuis plusieurs années une crise économique et sociale multiforme. Les revenus stagnent, le taux de pauvreté est non négligeable, sa population diminue et vieillit massivement, sa jeunesse paraît démoralisée...

Pourtant, le Fujiwa se tient et se supporte fort bien lui-même. Il est dur et brutal sous certains aspects, mais la délinquance négligeable et les services d'une qualité inimaginable. Les religions et les médias conforte la cohésion nationale. Sportifs et célébrités en tous genres se doivent d'être exemplaires, sous peine d'être durement sanctionnés par l'opinion. Du haut en bas de la société, on s'excuse, souvent pour très peu et parfois pour beaucoup, et ce rituel qui, vu d'ailleurs, semble n'être que du théâtre.

On peut y voir le résultat d'un formatage omniprésent dès la petite enfance, dont le conformisme tue le dynamisme, la créativité et les rêves. Mais on peut aussi penser le contraire, et mes écrits sont là pour démontrer ces leçons bien propres au Fujiwa.

~ Tout le Fujiwa dans un train. Le Fujiwa Train Express (FTX) ~

Ponctualité parfaite, sécurité totale, confort et propreté incomparables, tranquillité garantie, amabilité du personnel : le FTX suscite l'admiration unanime des Fujiwans et étrangers qui le découvrent. Les internautes hors des frontières se livrent volontiers à la comparaison avec leurs trains chez eux. L'exercice est cruel, mais très révélateur, tant le FTX est un concentré du Fujiwa.

L'art de créer un mythe national

Le FTX a été mis en service en 1967 à l'occasion de la Fête nationale du Fujiwa, fêtant l'anniversaire de l'Empereur de l'époque, qui est toujours un moment refondateur qui marque profondément les générations de Fujiwans. Né dans ce contexte, le Fujiwa Train Express avait tout pour devenir un mythe national, et le Fujiwa excelle à en créer. Celui du FTX doit beaucoup aux noms, aux couleurs et aux formes. Ici, de Yokokoshi vers Toksu et au-delà, on prend l'Eclair, l'Espoir ou l'Echo. L'Eclat vous portera jusqu'à Kurokawa. Vers le nord, selon votre destination et sur l'île d'Onigashima, vous choisirez entre le Faucon, l'Echo de la Montagne et la Belle Femme. Jusqu'au Gangsu, entre la Fleur de cerisier ou la Prospérité. C'est tout de même plus frappant.

La robe d'un Gosok FTX (nom des trains à grande vitesse au Fujiwa) est toujours impeccable : un seul graffiti sur une rame suffit pour qu'elle ne soit pas mise en service avant qu'il n'ait disparu. Outre le blanc et le bleu, il s'habille aussi de vert pomme, de jaune, de gris tendre, et s'orne de grands yeux rose vif. Selon les lignes, il peut être doté de spectaculaire becs de canard, de petits groins joliment arrondis ou d'une pointe en flèche, parfois rétractables. A 3 ans, les petits écoliers fujiwans sont déjà capables d'énumérer et de reconnaître ses diverses déclinaisons. Pour eux, le train national est suteki (beau, élégant), kakkoii (classe!), voir sugoi (formidable!). Ici, dès le jardin d'enfants, on est fier du Gosok, et à travers lui, fier du Fujiwa.

L'art d'intégrer la nation

Le réseau du FTX compte 2 400 kilomètres de lignes, soit un pour 20 km² habitables. Le FTX contribue donc à intégrer le territoire bien plus efficacement que d'autres réseaux ferroviaires. Cela est aussi vrai pour l'ensemble des voies ferrées, les routes, les liaisons aériennes intérieures et les bus locaux, présents jusque dans les campagnes en voie de dépeuplement avancé. Cette densité se retrouve pour d'autres services essentiels à la cohésion nationale : les infrastructures religieuses et les postes de police, l'extraordinaire service de livraison, les bureaux de postes et les 45 000 boutiques en ligne connues "Smooth", qu'on dit être l'une des plus grande galerie commerciale virtuelle du Nazum. Sans oublier les toilettes publiques immaculées, omniprésentes dans le métro, mon quartier en compte sept à moins d'un kilomètre de chez moi, sans occulter non plus celles des magasins qui accueillent aimablement le passant dans le besoin.

La densité et la qualité exceptionnelle des services rendent populaires ceux qui en ont la charge. Les policiers du quartier sont considérés avec sympathie, le desservant du temple et sanctuaire religieux sont des notables respectés, une émission de téléréalité à la gloire des bus locaux cartonne depuis plus de dix ans, et Hayao Yoshiya, le pape de l'animation fujiwane, a tourné Mayo no takkyûbin : « Le service de livraison rapide de la sorcière ».

L'art d'optimiser les flux

Au Fujiwa, les quais fourmillent d'indications. Le numéro de chaque voiture est bien visible en hauteur, et l'emplacement de chaque porte marqué au sol. Comme les trains n'ont pas toute la même longueur, il est précisé : Train de 10 voitures. Voiture 5. Porte 2 / Train de 8 voitures. Voiture 4. Porte 1... Devant chaque porte, deux files d'attente sont rigoureusement balisées. Une pour le train qui va entrer en gare, l'autre pour le suivant. personne ne stationne hors de ces files, en sorte que la circulation reste fluide tout le long du quai, bien qu'il soit agrémenté de kiosques et de distributeurs.

Cette gestion impeccable des flux humains permet que, sur un quai de la gare centrale de Yokokoshi, un train arrive et part environ toutes les dix minutes, et toutes les trois minutes aux heures de pointe. Dans ce laps de temps, le train a été vidé, chaque voiture nettoyée par une équipe dédiée, chaque rangée des banquettes retournée dans le sens de la marche, et il s'est rempli. Jusqu'à 1800 personnes sont descendues et montées à bord. Ni désordre, ni tension, même devant les voitures où les places ne sont pas réservées. Le métro de Yokokoshi réussit le même exploit avec des rames longues parfois de trois cents mètres, qui peuvent contenir 2 000 passagers, et se succèdent elles aussi toutes les trois minutes aux heures de pointe.

Le Fujiwa a porté au sommet l'art de gérer la circulation des flux humains. Il le faut bien : la gare de Shinku, à Yokokoshi, figure des les records nationaux et régionaux avec près de 3 millions de passagers en transit par jour. Les expatriés se moquent parfois de l'obsédante signalétique qui ordonne aux Fujiwans de marcher ou de monter l'escalier du côté droit ou gauche (il n'y a pas de règle absolue), de stationnement sur les quais ici mais pas là, et d'attendre bien en file devant chaque porte de wagon. Mais grâce à cette discipline minutieuse, le flot de passagers s'écoule calmement et efficacement même pendant les redoutables rush hours.

La sanctuarisation de l'espace personnel

Dans un train fujiwans, la tranquillité est totale. Le respect de l'espace personnel d'autrui est une règle vitale dans un pays où la densité humaine par km² habitable est très importante. Si chacun empiétait si peu que ce soit sur l'espace du voisin, la société serait invivable. Alors, tout le monde évolue dans une bulle. Très peu de regards se promènent, et aucun ne se croise. Personne n'émet le moindre son. Chacun est absorbé par l'omniprésent keitai (téléphone portable), mais sans jamais y parler. Même les ados en groupes chuchotent. Ainsi les transports en commun restent vivables même aux heures de pointe, où l'on voyage serrés comme des sardines, et ils sont très reposants le reste du temps.

Il convient aussi d'occuper le moins de place possible. Sur les banquettes, on ne s'avachit pas, on ne s'assied pas de travers, on n'écarte pas les jambes, on ne les croise pas, on ne les étend pas, et on garde soigneusement ses bras pour soi. De multiples affichettes invitent à ne pas gêner les autres et ajoutent régulièrement de nouvelles prescriptions : porter son sac à dos sur la poitrine pour ne pas bousculer personne, garder son parapluie au plus près du corps, ne pas regarder son keitai en marchant pour ne pas ralentir le mouvement général, écouter la musique en sourdine, et même ne pas se maquiller. Je me suis longtemps interrogé sur cette dernière prescription : provocation au regard d'autrui ou invasion olfactive de l'espace commun? Sans doute les deux.

Ce respect quasi sacré de l'espace personnel tient pour partie à l'histoire. A l'époque de l'Ancien Fujiwa, le commun des Fujiwans n'y avait aucun droit. La population était organisée en groupes de voisinage, dont chaque membre était tenu d'épier les autres et de dénoncer aux autorités tout comportement délictueux. Par contre, tout membre de la caste des guerriers avait un espace personnel, où il régnait en maître absolu. Si un roturier y pénétrait - en heurtant le guerrier par inadvertance, en le dévisageant, ou en s'adressant à lui sans le respect exigé -, le guerrier avait le droit de le sabrer. La conquête de l'espace personnel a été pour les Fujiwans un progrès inestimable, et il reste précieux, car les groupes de voisinage ont encore parfois de beaux restes.

Un train où tout est zen

Pour le FTX, en 2005, seuls 1 % des trains auraient accusé un retard supérieur à une seconde (!), et la moyenne tous trains retardataires confondus se situerait à six secondes. Parfait aussi pour la sécurité. En plus de 40 années de service, le FTX n'a connu que des incidents qui n'ont jamais occasionné de décès, excepté deux cas dans lesquels sa responsabilité n'était pas engagée.

Parfait encore pour l'attribution des places. Dans le train, au prix d'une astuce très simple, toutes les places sont toujours dans le sens de la marche; jamais personne ne vous fait face. Si l'on souhaite bavarder entre amis qui occupent deux rangées de sièges l'une derrière l'autre, on peut en retourner une en basculant les dossiers. Il suffisait d'y penser, mais pour cela, il aurait fallu avoir le souci minutieux de la qualité du service.

Idem pour l'espace disponible : dans le Gosok, on peut étendre ses longues jambes de gaijin (terme pour désigner un étranger) et laisser s'ébattre un bambin sans gêner le voisin. Idem pour les bagages, dont aucun n'encombre jamais les allées, et qu'on n'empile jamais les uns sur les autres. Idem pour les toilettes, nombreuses et impeccables. Au lieu d'un wagon-bar aux tarifs prohibitifs, qui sert à 5% des voyageurs, prend la place de cinquante et perd de l'argent, le service est assuré tout le long du train par des serveuses souriantes, qui poussent des chariots bien garnis et font de bonnes affaires. Il est vrai que ces chariots ne passeraient pas dans les autres trains de l'étranger; ceux du Gosok sont plus larges.
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~ Ombres et violence ~

Je ne suis pas Lou Ravi de la crèche fujiwane. Je n'ignore pas tout ce que le Fujiwa recèle d'ombres, de violence, d'abus et de discriminations derrière sa belle façade sociale trop lisse pour être vraie. Mais pourquoi n'en résulte-t-il pas ici les polémiques, les divisions, la montée du cynisme et du pessimisme, et au final un certain désamour pour le pays? Si le Fujiwa peut nous donner une leçon, c'est bien celle-là.

Les abandonnés : suicidés et morts solitaires

Contrairement à une idée reçue, on s'est longtemps moins donné la mort au Fujiwa que dans certains autres pays. Mais en deux décennies d'une crise économique et sociale qui a tourné en maladie de langueur sans fin, le taux de suicide a triplé. Il a culminé en 2003 avec près de 35 000 morts volontaires, soit 27 pour 100 000 habitants.

Autre forme de disparition tragique : la mort solitaire (kodokushi). Elle prend généralement des personnes âgées isolées, surtout des hommes que la fin de leur vie professionnelle a privés d'activité et de tout lien social. On ne découvre parfois les restes de ces abandonnés qu'après plus d'un an, pendant lequel leur voisinage ou leur famille ne s'en sont pas plus inquiétés que les services sociaux. L'incurie de ces derniers est stupéfiante : après le scandale provoqué en 2005 par la découverte, à son domicile, du corps momifié de l'homme supposé être le plus vieux du Fujiwa (111 ans), mort depuis trente ans, ils ont dû reconnaître qu'ils avaient perdu la trace de quelque 230 000 centenaires supposés. La plupart sont bel et bien décédés, mais sans que leur famille l'ait déclaré afin de continuer à toucher leur pension de retraite.

Les morts solitaires sont mal répertoriées. À Yokokoshi, on en a compté plus de 1000 en 1986, 3400 en 2002, et 4 500 en 2006. Près de 200 ont été signalées en 2006 dans les logements provisoires qui abritent encore aujourd'hui les réfugiés des catastrophes naturelles, soit plus d'une tous les deux jours, alors que l'on pourrait penser que le malheur commun rapprochait ces malchanceux. Au niveau national, le chiffre de 32 000 était régulièrement cité depuis 2000. Avec le vieillissement massif de la population, il est passé à 45 000 en 2006. Cette année-là, au plus fort d'un été caniculaire, un tabloïd a titré « Quatre mille kodokushi par semaine». Quatre mille, ce serait aussi le nombre des entreprises qui proposent leurs services pour vider, nettoyer et assainir les appartements où un cadavre a été retrouvé.

Ceux qui fuient : « évapores » et « claquemurés »

Un autre drame est le suicide social par disparition volontaire, baptisé « évaporation » (johatsu). Les statistiques officielles font état d'environ 80 000 disparitions par an. Toutefois, selon une ONG spécialisée, ces chiffres seraient très sous-évalués. En outre, une bonne partie des évaporés fujiwans sont des adultes, dont un nombre significatif ne reparaît jamais.

Certains se sont donné la mort en s'arrangeant pour que leur corps ne soit pas retrouvé, afin d'éviter aux leurs la déconsidération sociale ou les dommages et intérêts exorbitants imposés aux familles de ceux qui perturbent le trafic en se jetant sous un train ou un métro. D'autres se sont adressés à des maîtres de l’évasion. Ces officines spécialisées savent comment escamoter une personne, voire une famille entière, et la réinstaller moyennant finance sous une nouvelle identité à l'autre bout de l'Archipel. Les femmes battues et les débiteurs insolvables harcelés par les redoutables collecteurs de dettes mafieuses constituent une bonne part de leur fonds de commerce. D'autres s'évaporent pour fuir la honte d'un échec aux examens, d'un licenciement qu'ils n'osent pas avouer à leurs proches ou d'un mariage à la dérive. Ceux-là finissent souvent dans les bas-fonds des mégalopoles, où ils sont la proie des marchands de travail mafieux qui fournissent en main-d'œuvre périssable le BTP et le secteur nucléaire, entre autres. On dit que les évaporés sont nombreux sur les nouveaux chantiers des prochaines centrales nucléaires du Fujiwa...

D'autres fuient sans bouger. Ils s'enferment dans leur chambre, et passent sur Internet tout ce qui leur reste de vie sociale. Ces reclus sont surtout des garçons. Ils se claquemurent à l'âge du lycée, souvent parce qu'ils y sont persécutés, mais le temps passant, certains sont aujourd'hui quadragénaires. Leurs parents redoutent leurs explosions de violence, et la plupart cachent leur enfant reclu comme un secret honteux. De ce fait, leur chiffre fait l'objet d'estimations très divergentes. Dans les années 1990, en les limitant aux 15-29 ans, elles allaient de 200 000 à 700 000, voire un million pour les plus alarmistes.

Chapitre non terminé...
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