11/06/2013
02:35:42
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Réponses aux activités étrangères au Majanda

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Dans un appartement de classe moyenne de Vukani, Shaina apporta le thé dans le salon et recula de quelques pas dans l’ombre. Pas difficile de rester pour écouter, elle pouvait toujours prétexter d’attendre s’ils avaient besoin de quelques choses. L’invité de son mari l’intéressait au plus haut. Son accent avait certes le charme de l’exotisme mais elle se contrefichait de lui. Seul son discours l’intéressait. Elle n’avait jamais entendu parler du communisme mais les idées lui plaisaient. L’égalité pour tous ! Il n’y aurait plus les puissants en haut et eux qui seraient tout en bas. Cela pouvait-il exister ? Elle ferma les yeux et sourit. Et puis soudain, elle entendit la phrase clé. « Les femmes comme les hommes. » Son mari s’esclaffa, repoussant ce concept ridicule du même geste que celui qu’on fait pour chasser une mouche. Le cœur de Shaina tambourinait dans sa poitrine. Les mêmes droits que les hommes ? Cela lui paraissait encore plus irréaliste que le reste mais si seulement ça pouvait être vrai ! Si seulement ! Elle osa lever la voix :

- Je… Je peux aider ? Ça a l’air… formidable.

Son mari la rabroua vivement en lui reprochant d’être restée là. Mais Shaine jetait un regard plein d’espoir sur l’invité. Si elle pouvait ! Si seulement ses filles n’avaient pas à vivre toutes ces humiliations ! Ses doigts se crispaient sur son plateau à thé.
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Dans un village à une heure au sud de Qhude, une jeune fille descendit d’un bus antédiluvien. Elle se dirigea chez elle mais fut interceptée par d’autres femmes sur la place du village.
- Alors ? Il parait tu es allée à une réunion connumiste ? demanda l’une d’elle intriguée.
- Communiste, oui, répondit Thoko en souriant.
- Qu’est-ce que c’est ? interrogea une autre.
- C’est un groupe politique. Il y a quelqu’un qui est venu de très loin, de Loduarie, pour nous en parler.
- La Loduarie ? C’est où ?
- Aucune idée. En Eurysie, je crois.
- On s’en fiche ! Raconte !
- On s’est tous réuni chez Kosan, vous savez, c’est le cousin de la belle-soœur par alliance du neveu de la vendeuse de riz, à Qhude. Vous auriez vu ! On était bien une vingtaine et vous savez quoi ? C’était une réunion mixte, avec des chaises pour les hommes ET pour les femmes !
- Incroyable !
- Qu’est-ce que c’est moderne !
- À la même table que les hommes ? C’est pas possible ?
- Si, si, si ! Je vous jure ! Bon, on était quand même toutes rassemblées dans le fond mais à la même table !
- Et qu’est-ce qu’ils disaient ?
- L’homme de Loduarie nous a parlé du communisme, qui était en place chez eux. Il racontait que tout le monde était heureux grâce à ça ! Vous vous rendez compte ? Pas de puissants ou de pauvres, tout le monde est égal ! Et vous savez quoi ? Même les femmes ! Elles ont les mêmes droits que les hommes ! Elles peuvent aller à l’école ou voter !
D’autres exclamations surgirent d’un peu partout. Était-ce vraiment possible ?
Puis une voix chevrotante vint de derrière, se faisant retourner tout le groupe. La doyenne du village se tenait assise sur son tabouret en bois sculpté à l’ombre d’un acacia.
- Et ils ont dit que personne ne possède plus grand-chose ? Que vos terres appartiennent au gouvernement ? Que vos récoltes sont confisquées pour être redistribuées entre tout le monde ?
Sa remarque jeta un froid. La vieille tendit sa main dans laquelle il y avait la radio rose de l’ONG Femmes Majanda.
- Vous avez la même comme moi ! Vous aussi vous entendez ces récits de femmes qui réussissent et qui se montrent meilleures que les hommes ! Vous avez découvert qu’elles sont égales dans pleins de pays et, bizarrement, aucune de vient d’un de ces pays où il y a du communisme. Vous ne trouvez pas ça étrange ? Moi, je dis qu’un pays où on nous vole nos terres, n’est pas une bonne solution.
Le respect majandien envers les anciens associé à ce dernier argument de la propriété des terres fit mouche. On ne savait pas si l’ancienne avait vraiment raison – Thoko n’en avait pas entendu parler dans sa réunion – mais cela suffit à refroidir les ardeurs de tout le monde. Thoko leva la voix :
- Mais alors que faire ? Un monde où on serait les égales des hommes, ça serait bien, non ?
- Bien sûr ! confirma la vieille. Mais il semble que vous n’ayez pas compris ce qu’on nous fait parvenir, dit-elle en secouant doucement sa radio. Il faut attendre, ça ne sera plus long. »
Sur ces mots, toutes les femmes se dispersèrent. Certaines retournèrent pour préparer le repas, d’autres s’occuper des enfants, de la corvée d’eau ou encore se dirigèrent vers leurs champs. LEURS champs. Ils appartenaient peut-être sur le papier à leurs maris mais c’étaient leurs terres, qu’elles s’occupaient avec soin et amour, pour lesquelles elles suaient de l’aube au crépuscule, cette terre qui nourrissaient leurs enfants et qui les faisaient vivre. Non, personne ne leur prendrait leur terre. Il fallait écouter la doyenne et attendre. Les gnous savent se retourner pour faire face au lion.

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Dans le palais présidentiel de Vukani, le bureau d’Abangaye Dinfa était allumé malgré l’heure tardive. Il y avait nombre de dossiers en cours mais voilà que Impi Meshindi son ministre des services secrets venait avec un nouveau dossier. Il se frotta les yeux en soupirant et tendit la main :
- Vas-y, je t’écoute.
- Nos espions ont fait parvenir de nombreux rapports sur une nouvelle mouvance politique.
- Une nouvelle mouvance ? Est-ce que c’est un des anciens présidents qui veut entrer dans la ronde ? Je suis en train d’en écraser deux, je peux m’occuper d’un troisième, s’ils veulent. Là où il y a du DDT pour deux moustiques, il y en a pour trois, dit-il en ricanant.
- Ce n’est pas exactement ça. Ça parle de communisme. Des gens voudraient installer un nouveau parti communiste.
Un éclat de rire puissant termina sa phrase. Le président s’eclaffait sans retenue.
- Un nouveau parti ? Ils se croient où ? s’amusa-t-il. Puis son ton se durcit et il tapa du point sur la table. C’est chez moi ici ! C’est moi qui commande ! C’est mon pays ! Qui se croit permis de me demander des comptes ! Et des cocos en plus ! Qui répand ces idées stupides ?
- On a plusieurs fiches, expliqua Impi Meshindi, en posant des dossiers sur la table. Il y a des Majandiens, on a vu des Majandiennes écouter aussi et on a repéré trois étrangers qui discourent. On pense qu’ils viennent de la Loduarie mais on n’a pas grand-chose sur eux, pas même une photo. Ils nous glissent entre les doigts. Il y en a sûrement plus.
Abangaye renifla.
- Les femmes doivent être une coïncidence. Il n’y a pas moyen que des femelles y comprennent quelque chose. Arrêtez les hommes. Demandez leurs des renseignements sur leurs petits professeurs étrangers. Quand ils auront craché le morceau, mettez-les au travail.
Il reposa les dossiers et renvoya son subordonné en concluant :
- C’est bien. Continuez le travail et étouffez-moi ces vermines. Les deux autres fumiers me donnent assez de soucis pour que j’ai envie de perdre du temps avec de nouveaux emmerdeurs.
Le président s’empara du sujet suivant en se désintéressant de son ministre. Il avait beau avoir le titre de ministre des services secrets, il était entre autres le chef de la police secrète. C’était grâce aux actions efficaces et impitoyables de cet homme que Abangaye restait au pouvoir. Il s’en méfiait comme de la peste. Il serait temps d’en changer. Il devait bien se trouver un petit ambitieux à mettre à sa place parmi ses seconds.



Quelques jours plus tard, plusieurs actions furent menées simultanément dans les zones que contrôlait Dinfa. Au petit matin, des soldats armés fracassèrent les portes des cases ou des appartements et s’engouffrèrent dans les maisons. Ils se précipitèrent sur les lits et menottèrent les hommes qui s’y trouvaient avant de repartir aussi secs.
Quelques heures plus tard, des cris stridents s’échappaient des salles d’interrogatoires des prisons locales. La police politique n’y allait jamais de main morte. Les survivants furent sommairement soignés et envoyés dans les décharges détenues par Dinfa. Leur espérance de vie n’allait pas être reluisante. Dans les villes, de véritables chasses à l’homme s’organisaient. Plusieurs personnes avaient parlé et nombreux avaient parlé de Loduariens. La police politique postait des sentinelles aux points cruciaux et aux appartements des agitateurs dans l’espoir que les agents étrangers reviendraient. Mais elle ne restait pas passive : elle actionnait ses délateurs, levait de nouvelles taupes. Cela ne serait plus qu’une question de temps. Les ordres venus d’en haut l’exigeaient.

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Assise dans un immeuble de quatre étages dans son pays d’exil, Lungile Unina ouvrit le mail suivant. Une rumeur remontée de la part des bénévoles et salariées sur le terrain. On commençait à parler du communisme et du droit des femmes. Autant l’idéologie politique était accueillie plus ou moins chaudement dans les régions, autant le principe d’égalité homme-femme remportait de grands suffrages parmi les femmes. Lungile recula sur sa chaise et regarda par la fenêtre un paysage qui n’était pas celui de son pays natal. Peut-être qu’elle pourrait y retourner bientôt. Elle soupira en songeant qu’il faudrait encore attendre mais la population féminine du Majanda, qui découvrait grâce à la radio d’ONG Femmes, comment vivaient leurs consœurs à l’étranger, commençait à changer petit à petit de mentalité. Elle regarda les résultats des derniers sondages menés par les bénévoles. Si les femmes majandiennes considéraient encore à 76 % qu’il était normal de se faire battre par son mari, ce taux avait baissé de 12 points en six ans ! C’était amusant de voir qu’on pouvait voir une corrélation forte entre l’évolution de ce taux et la date de distribution des radios dans les villages. Plus la radio avait été introduite tôt, plus les femmes réalisaient qu’une autre vie était possible. Elle appréciait particulièrement les résultats sur l’excision. Il n’y avait plus que 38 % qui étaient d’accord avec cette pratique. C’était 100 % il y avait dix ans ! Que de changements. Rien n’était jamais perdu. Il fallait attendre encore un peu, et les gens seraient prêts à entrer dans une nouvelle ère. Elle n’avait plus envie de travailler, toute à ses espoirs. Elle décida d’aller à la machine à café de l’étage et d’écouter les salariées de l’ONG Femmes qu’elle présidait.
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