14/06/2013
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Concernant les possibilités d’extension de l’Union et la stratégie à adopter en vue de répondre optimalement aux objectifs fixés par la Convention Générale.
Partie 1.

La principale erreur du précédent Comité de Volonté Publique ne se trouvait pas, selon nous, et contrairement à ce qu’expriment certains des critiques les plus virulents du côté des Modérés, dans une mauvaise interprétation de ladite Volonté Publique, mais dans une erreur d’analyse quant aux méthodes pouvant traduire cette volonté en action concrète et efficiente. La stratégie dite de la Tension Révolutionnaire, transformée lors des trois dernières années du Comité en doctrine de la Citadelle Assiégée, pose de nombreux défis et à jetée les bases de ce que nous considérons désormais comme les principaux défis auxquels doit faire face le Grand Kah.


Les erreurs du comité Estimable :

Le Comité estimable doit être compris et interprété pour l’ensemble de son œuvre durant les presque sept années de son existence. Si certains de ses membres étaient déjà des représentants influents au sein de la Convention entre 1990 et 1999, voir pour certains membres de Comités précédents, la politique du Comité Estimable lors de sa prise de fonction initiale restait une politique de rupture, et c’est sur la base de cette politique que la Convention a acceptée sa formation. La continuité relative dans la politique kah-tanaise des années 1990 1999 à 1999 2007 et l’influence politique antécédentes de certains membres du comité ne signifie en aucun cas que la période de reconstruction était similaire à la période estimable en termes d’approches et d’objectifs.

Le Comité estimable a été élu en vue de remplir des objectifs importants demandant un set d’expertises et une vision du monde entièrement différente de celles des comités précédents : en termes brefs, la reconstruction de l’Union après la révolution de 1990 ayant été jugée suffisante, les mouvements modérés et conservateurs qui avaient prévalu à la fin de la libération ont laissés la place à une nouvelle génération d’individus défendant une estimation définitivement moderne de ce que devait être le Grand Kah et des méthodes à adopter pour y arriver. Cette alternance bien connue entre les comités dits Modérés et Radicaux - qu’il ne convint pas d’analyser en détail ici - se traduit tout de même par la relative méfiance séparant les deux groupes, imposants à la Convention d’importants débats et consensus avant de pouvoir nommer un Comité. Estimable, en ça, n’a pu exister que grâce à l’apport décisif de certains de ses membres.

En effet, la composition d’Estimable était indéniablement surprenante, surtout pour cette période où les Kah-tanais, se remettant à peine des cicatrices laissées par la junte militaire, n’étaient pas encore très sûrs de la position à adopter vis-à-vis du monde extérieur. La plupart des observateurs nationaux et étrangers ne s’attendaient ainsi pas nécessairement à ce que le gouvernement nommé pour organiser la réouverture du Grand Kah le fasse sur les bases d’une radicalité que nous savons désormais excessive.

Cela nous le devons en fait à l’accord trouvé par les principales factions représentées à la Convention. Se trouvait déjà l’arrière-garde des modérés, au sein desquels les membres les plus influents - le citoyen Maxwell Bob et le citoyen De Rivera - étaient en fait bien conscients des enjeux de la réouverture politique et jouissaient du reste d’une popularité très importante au sein de l’ensemble des communes. Si seuls, ils ne pouvaient obtenir le capital politique suffisant pour réellement imposer aux modérés la réouverture rapide de l’Union, ils étaient au moins capable de se présenter comme tête de proue du programme politique du Comité, et ainsi espérer en garder le contrôle tout en y intégrant des jeunes «chiens fous» des radicaux, qui eux seraient capables de défendre et d’établir les politiques jugées nécessaires. Les dits chiens fous ne sont pas non-plus sortis de nul-part et c’est un cartel politique étonnant qui se retrouva à négocier avec le duumvirat modéré. Plus précisément, le très jeune et nationaliste citoyen Aquilon, représentant les mouvements les plus radicaux de l’Union et porteur d’un projet ouvertement militariste, et la populaire citoyenne Actée, qui pour sa part connaissait bien le monde extérieur et jouissant d’un capital politique intrinsèquement lié aux nombreux essais qu’elle avait rédigée sur le rapport hypothétique que pourraient entretenir les communes avec les acteurs étatiques et non-étatiques qui semblaient se profiler à l’orée du nouveau millénaire.

Les deux, bien que représentant, comme un miroir inversé, un duumvirat radical, n’étaient cependant pas tout à fait comparables aux deux modérés. En effet, Maxwell Bob était un très ancien membre de la Convention, actif avant la junte, dirigeant du Comité de Volonté Publique Clandestin durant la guerre, et présent au sein de divers instances confédérales (y compris deux comités de volonté publique) des années 70 à 80. De Rivera, pour sa part, avait une carrière de militaire dans l’armée régulière confédérale (ce qui peut sembler étonnant au vu des positions opposées à la remilitarisation de l’Union qu’on lui connaît), et a été un commandant de milice très important durant la guerre civile, puis présent dans tous les commités de 1990 à 1999. Deux figures centrales de la politique et de la reconstruction, dans la discrétion relative tendait à renforcer leur popularité.

Actée et Aquilon étaient, pour leur part, des figures ne pouvant pas, du simple fait de leur jeunesse, prétendre à une telle notoriété. Ils représentaient en fait le renouveau de la politique kah-tanaise : une incarnation de cette nouvelle génération post 90, au fait des enjeux et des dangers qui menaçaient l’Union car ayant grandi dans une période extrêmement éloignée du grand apaisement qui avait caractérisé les deux tiers du siècle et, par conséquent, tous les représentants élus en émanant. Rétrospectivement on peut qualifier leurs positions de populistes et d’instinctives, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils agissent sans méthode ou efficacité.

Le principal point commun entre les deux citoyens et leur importante réputation de théoricien, dont les textes ont pleinement participé à caractériser le débat public depuis la révolution. De plus, à cette époque où on ne les connaissait que de loin, les deux citoyens semblaient assez similaires : des individus taiseux, sans prétentions de tribun, écrivant du texte et dont la prétention à rejoindre le Comité semblait découler d’une pure volonté d’appliquer leurs théories. Celles-là leur apportaient de plus une certaine image d’expertise conforme aux attentes technocratiques que l’on a envers les élus confédéraux. Les détails, cependant, laissaient déjà percevoir des différences importantes de profil.

Le citoyen Aquilon, pour commencer, vient d’un club politique. Membre très proche des Splendides, il détone au sein de ceux-là par son opposition ferme aux mesures isolationnistes qui le pousse rapidement dans les bras des mouvements plus accélérationistes. Féru d’Histoire et marqué dans son historie familiale par la dictature militaire, les obsessions d’Aquilon ne sont pas aussi esthétiques que celles des autres élus de l’ultra-radicalisme. Son projet de société est concret, pragmatique, et envisagé sous un angle extrêmement factuel : il parle de la nécessité de créer une démocratie brigadière (comme un écho avant-coureur des actuels nouveaux mouvements nationalistes). Son obsession est la sécurité de l’Union. La Brigade - groupement militaire autonome issue d’une commune - est un terme encore populaire et qui lui permet en fait d’ouvrir le débat public à la question de la remilitarisation, qu’il envisage cependant sous un point de vue central. S’il envisage la révolution comme confédérale et démocratique il considère ces aspects comme un idéal final intenable en cas de crise, or pour lui le monde est constamment, systématiquement en crise tant qu’il suit l’ordre capitaliste. Par conséquent, il convient de confédéraliser - centraliser, en fait, - certains domaines. L’Armée, la Diplomatie, la Gestion de l’économie. Sur le plan géopolitique il envisage aussi de revenir à la doctrine de l’Armée de la Révolution, consistant à développer d’importants moyens militaires et humains pouvant être mis à disposition des révolutions étrangères, pour leur permettre de se développer plus sereinement : le principal obstacle à la révolution mondiale étant, chez Aquilon, les nécessités liées à la situation de crise, imposant aux jeunes révolutions de se dévoyer et de muter en quelque-chose d’autre, de réactionnaire. Ainsi, le Grand Kah, qui est une révolution accomplie et solide, peut se permettre de faire les efforts nécessaires pour le compte des autres, leur épargnant ainsi le risque d’une contre-révolution intérieure.

C’est un point qui se rapproche beaucoup de la philosophie diplomatique travaillée par la citoyenne Actée et il est tout à fait possible qu’il en soit directement inspiré. On sait en tout cas que les deux se sont rencontrés à plusieurs reprises en qualité d’auteurs, lors de conférences, classes de maître et autres évènements ayant justifié et donnés lieu à de nombreux échanges.

Actée était beaucoup plus connue du grand public, mais probablement assez mal comprise. L’étiquette de radicale lui a été attribuée ultérieurement à son élection, après l’étude des politiques qu’elle mis en place avec la Convention Générale et au sin du Commissariat aux affaires extérieures, largement remodelé selon ses perspectives. Universitaire profondément cosmopolite, Actée n’a pas vraiment connue la Révolution et, pour une moitié de sa vie, observa le Grand Kah d’un point de vue extérieur : celui d’une expatriée. Née dans la commune d’Heon-Kuang, la Junte ne la priva pas tant de proches que de la perspective d’aller étudier dans les communes centrales de l’Union. Elle termina un brillant cursus universitaire en Eurysie, et passa le reste de sa vie à écrire, théoriser, donner des classes dans plusieurs des académies les plus prestigieuses des cinq continents. Hyper-polyglotte, avec des contacts et des amis au sein de nombreuses administrations, pour beaucoup, sa nomination au sein du Comité Estimable visait surtout à capitaliser sur cette espèce de réseau diplomatique qu’elle entretenait déjà à titre personnel. Dans les faits, cet aspect participait simplement à un tout plus grand. En tant que Kah-tanaise «exilée», Actée n’a pas pris part à la révolution, et fut considérée par beaucoup comme une femme très modérée. Ses textes, moins destinés à un public kah-tanais qu’international, déployaient des trésors d’ingéniosité stylistique pour adapter des théories liebrtaires à des contextes culturels capitalistes, la faisant passer entre autre-chose pour une espèce de sociale-démocrate. Le fait de parcourir le monde à une époque où l’Union en étant coupée, puis ne désirait pas s’y rouvrir, lui permit de développer des perspectives passant pour innovantes au sein de l’Union, et une conscience extrêmement aiguë de l’importance de la diplomatie et du dialogue interculturel. Si sa position sur la révolution est mal connue, l’analyse rétrospective de sa politique diplomatique est claire : le meilleur moyen de protéger l’Union des influences extérieures n’est pas de les fuir, mais de les accepter dans un contexte contrôlé. Du reste, une bonne connaissance des démocraties représentative la rendait moins dogmatique sur la question de démocratie économique.

Elle et Aquilon ne formèrent un duumvirat politique que par erreur. Chacun avait ses poulains et ses éléments programmatiques à intégrer à la politique du futur comité. Chacun avait aussi assez d’influence pour défendre certaines de ces inclusions uniquement. Leur alliance se fit sous le signe d’un premier consensus avec pour objectif assumé de mettre en commun leur capital politique en vue d’imposer de plus importantes concessions aux modérés. Leurs accords concernaient notamment la question de la réouverture politique et de ce qu’ils nommèrent bien vite le Grand Projet, dont la traduction concrète fut la fondation du Liberalitnern, semblait rassembler leurs ambitions respectives au sein d’une organisation capable de satisfaire les membres plus modérés du Commité.

Il est difficile d’établir si le citoyen De Rivera - Maxwell Bob ayant en fait eut un rôle principalement représentatif et une influence, somme toute, négligeable - pensait pouvoir maîtriser la radicalité des factions les plus avant-gardistes de la Convention, où s’il comptait justement sur cette radicalité - mal perçue par les mouvements modérés qui lui vouaient une confiance totale - pour diriger l’Union vers de nouvelles directions. Quoi qu’il en soit et quels qu’aient été ses plans, il y eut une véritable révolution institutionnelle, se traduisant par l’acquisition de plus en plus importante d’influence des radicaux du comité durant les neuf années de son existence. Cette révolution, si elle apporta de nombreux résultats conformes aux attentes de l’Union, s’acheva cependant comme on le sait, par la dissolution volontaire du Comité après l’humiliation de l’armée de l’air kah-tanaise.

La remilitarisation de l’Union, un facteur clef :

Dans l’imaginaire populaire Kah-tanais, l’Union est au choix l’Armée des hommes libres, ou la Citadelle Assiégée. Un vocabulaire militaire sans équivoque. Dans l’imaginaire étranger; les Kah-tanais sont, selon les régions du monde, de sanguinaires coupeurs de tête, l’arsenal de la décolonialisation ou l’allié fidèle des pays souhaitant préserver leur indépendance. Dans tout les cas, le rôle géopolitique et symbolique de l’Union est généralement compris comme militaire ou, à minima, liée aux instances de crise. Ce qui peut sembler étonnant considérant l’immense méfiante que es citoyens de l’Union ont développés envers l’idée de force armée après la Junte de 1990, caractérisée par une idéologie militariste et nationaliste violente. L’aspect le plus étonnant est que les vieux officiers de l’armée confédérale, ayant pour beaucoup rejoints la clandestinité pour combattre la Junte, étaient les premiers avocats, dans la sphère publique, d’une non-remilitarisation de l’Union. Pendant longtemps ce fut de façon notable la principale différence entre les revendications des communes Paltoterrannes et des communes exclaves au niveau confédéral : les communes exclaves, elles, souhaitaient la réinstauration d’une force militaire commune.

C’est que le rôle de l’armée est suspect pour de nombreuses raisons, dans une compréhension communaliste des choses. Répondant à une forme de centralisation généralement jugée nécessaire à l’établissement d’une stratégie cohérente, en cause dans la plupart des régimes violents, coup d’État réactionnaires, tendances nationalistes, le rejet de l’Armée s’établissait sur de nombreux arguments, pour beaucoup moins liés à une position strictement rationnelle qu’au récent traumatisme d’un peuple s’étant déchiré et ayant vu et subit des hommes en uniforme, au service d’un gouvernement central, tirer à vue dans la foule.

Cependant l’Union n’était pas sans défense et comme bien souvent au Grand Kah, le rejet par la majorité d’une institution ne la rendait pas moins, dans la compréhension commune des choses, nécessaires. De telle manière que l’Union se retrouva d’une part à rejeter l’idée de remilitarisation tout en développement, par l’intermédiaire de ses nombreux acteurs des réponses aux formes divers et détournées. Dans les faits, l’Union ne fut jamais désarmée, quoi qu’en disait la Convention, les communes ou les particuliers. Elle est, plus encore que toute autre société moderne, une nation en arme, ce qui s’explique très concrètement par la dernière révolution et la forme qu’elle avait adoptée.

Dans les années 70/80, la Confédération avait raffiné un système militaire hérité de 1870. De nature plutôt centralisée et favorisant la création d’une armée de métier, cette armée suivait une stratégie défensive qui s’était, à l’heure des missiles intercontinentaux, développée selon une stratégie visant à résister à une première frappe, de façon à pouvoir répondre et rendre toute invasion ou poursuite des hostilités extrêmement coûteuse. Cette priorisation de la défense répondait à une stratégie politique plus générale visant à éviter de s’aliéner des puissances étrangères. Les interventions étrangères Kah-tanaise étaient bien souvent camouflées par le financement de milices locales ou l’envoie de forces volontaires formées au sein de structures d’échelon communal. Cette armée, quoi qu’il en soit, avait une structure et une façon d’opérer extrêmement centralisée. D’importantes batailles liées à des guérillas monarchistes puis fascistes au sud du pays (des années 1870 à 1930, avec différents degrés d’intensité selon les périodes) avaient rendu la Convention relativement méfiante des initiatives militaires locales, jugées incapables d’efficacement lutter contre les tentatives réactionnaires de renversement et impropres à toute défense nationale face à une force organisée. C’était aussi une question de prestige. Le Grand Kah de l’époque étant une puissance majeure moins par la force de son réseau diplomatique d’influence que par son prestige. Devant démontrer à un monde majoritairement libéral que l’anarchisme pouvait se doter de structures cohérentes. Faute d’ennemi clairement identifié, cette période fut celle d’un relatif apaisement. L’armée, centralisée, servait ainsi principalement d’objet de prestige et de gage diplomatique, ce qui s’inscrit dans une tendance plus générale des comités successifs des années 40 80 à mimer et adapter des institutions et structures libérales classiques.

Cette ouverture sur le libéralisme fut, comme bien souvent, récompensée par un pur et simple déni de souveraineté, incarné par le coup des années 90. S’il est souvent qualifié de coup d’État militaire, ce n’était pas exactement un soulèvement des forces armées contre la Confédération, en témoigne les nombreux officieux qui prirent les armes contre le nouveau régime. Dans les faits ce coup, financé et organisé à l’étranger, avec des cadres des mouvements Blancs en exil, fut principalement incarné par des mercenaires étrangers, des volontaires et des milices radicales formées à l’étranger et infiltrées au sein de l’armée Kah-tanaise en profitant des failles de ses structures, selon le procédé que l’on qualifie désormais d’influence. Ce ne fut donc pas le coup d’État de l’armée, mais d’une frange visant à la subvertir. Faute de soutien populaire, cependant, le gros des effectifs ne suivit pas, il est à ce titre bon de rappeler que la Dictature ne fut au grand jamais stable. Son contrôle de la capitale et des régions contingentes lui fut assuré par l’effet de surprise, celui des côtes par l’intervention de forces étrangères, mais dans les fait ce régime ne contrôla jamais l’ensemble du territoire et fut assez systématiquement force de se battre pour sa survie. Il s’agissait, par de nombreux aspects, d’un pur régime d’occupation soumis aux mêmes contraintes. Pour chaque collaborateurs on trouvait autant de militants armés près à donner leur vie pour libérer leur terre, et peut-être dix fois plus d’hommes et femmes silencieux, attendant passivement que la situation ne s’améliore tout en faisant le maximum pour ne pas aider le nouveau régime, à comprendre : le minimum possible. Cette guerre civile vit donc une force militaire d’abord très centralisée, puis rapidement divisée entre seigneurs de guerre, groupes étrangers, commandements, lutter contre une résistance d’abord désorganisée par la dissolution de l’Armée centralisée mais rapidement incarnée par un véritable maquis héritier de la longue tradition kah-tanaise des citoyens en arme. Loin de prendre une forme centralisée, cette révolution fut la plus pure traduction de l’entrée dans la clandestinité des structures communales qui, d’abord privées d’échelons supérieurs, s’armèrent chacun à leur échelle en enchaînèrent les actions de sabotage et de résistance armée. Les milices se multiplièrent, puis les brigades (milices professionnalisées), et l’arrivée massive d’officiers et militaires de métier de l’ancienne armée dans la résistance eut tôt fait d’accentuer le phénomène de telle manière qu’à la chute du régime dictatorial on estime qu’il y avait en moyenne deux à trois armes de guerre par foyer, contre zéro deux avant le coup. Paradoxalement, c’est peut-être la dissolution de l’armée dans les mouvements de résistance locaux qui finit de convaincre les kah-tanais des limites de son utilité. Et si le Grand Kah fut officiellement une nation désarmée pendant presque quinze ans, les milices et brigades révolutionnaires ne furent jamais dissoutes de telle façon que chaque région comptait encore d’importants réseaux informels de militants circonscriptibles et des brigades de plus en plus équipées, formées, financées par les communes et agissant en fait à l’étranger en toute indépendance de la Confédération, au point de pouvoir prétendre à une situation roche de celle des communes, républiques, syndicats et coopératives constituantes de l’Union. Ce phénomène donna même lieu à la création d’un club politique, le Syndicat des Brigades, visant explicitement à défendre la ligne commune de ces nébuleuses militaristes. C’est d’ailleurs l’influence croissante des brigades (et leur financement par leurs communes d’implantation) qui poussa la Convention à accepter les plans d’Aquilon pour une remilitarisation centrale de l’Union. Là encore il s’agit d’une situation assez paradoxale, la militarisation générale des communes étant justement le fer battu par le citoyen. Ce dernier, cependant, considérait aussi et surtout les nécessités d’une guerre à grande échelle, demandant des moyens que les brigades, avançant en ordres dispersés, ne pourraient obtenir en l’état.

Dans les faits, maintenant, il existait une force armée répondant directement à la Convention Générale, et qui fut utilisée comme matrice pour toute la remilitarisation de l’Union. Il s’agit de la Garde d’Axis Mundis.

Officiellement, la GAM était une émanation de la Protection civile, qui à sa recréation absorba plusieurs brigades pour créer une structure anti-terroriste visant avant tout à éliminer les résidus de guérillas réactionnaires dans l’après-révolution. La GAM, cependant, ne répondait pas aux inquisiteurs de l’égide ou à la magistrature mais bien à la confédération. Composée d’anciens soldats de métier et dirigés par les plus éminents officiers de l’ancienne armée, cette force de dix mille hommes était la seule autorité pouvant pénétrer au sein de la commune d’Axis Mundis avec des armées, et servait plus ou moins de gendarmerie de Commune Ville-Libre. Son rôle assumé était d’empêcher tout nouveau coup d’État. Désormais la GAM est un élément comme un autre de la Garde Communale de l’Union, bien que conservant ses privilèges.

L’Armée de l’Union, cependant, n’est pas strictement centralisée et conserve vivant l’héritage brigadier via un système de recrutement et d’administration localisé à l’échelle des communes supérieurs, s’étendant en autant de commandements et instaurant une plus grande participation démocratique des soldats dans la gestion administrative et la nomination des officiers. Cette Garde, moderne, est en fait une armée hautement moderne et modulaire, dont l’organisation flexible permet de répondre extrêmement efficacement aux différentes situations militaires pouvant justifier son action, ce que son ancêtre, plus rigide et centrée sur la pure question de la défense territoriale, n’aurait pas été capable de faire. De plus, malgré son nom de Garde, cette force armée semble résolument s’orienter vers une la création d’une force de projection et d’occupation importante. Les fonctions strictement défensives étant en fait organisées en coopération avec les cellules communales de la Protection Civile, chargées d’établir des milices de volontaires et soldats de métier strictement spécialisées dans la défense traditionnelle de leur territoire d’implantation et, accessoirement, dans les méthodes de guerre asymétriques.

Dans les faits, l’établissement de ces structures fut, comme bien souvent, le fait de nombreux débats et consensus au sein de la Convention Générale. Une offensive politique menée par plusieurs fronts par le Comité Estimable et qui vint progressivement à bout de la plupart des résistances, soit par pur lobbyisme, soit en traduisant en décisions concrètes les inquiétudes soulevées par les représentants des communes. Outre le cas déjà évoqué de la prolifération des brigades, compris comme un risque par une Union résolument prudente (au moins dans ses conceptions politiques) et ne souhaitant pas voir sa politique orientée vers de l’aventurisme par ces structures militantes, il faut aussi parler de la signature du pacte anti-bolshevik d’Albel, et le cas Francisquien incarnant peut-être mieux que tout autre la réalisation par les kah-tanais que les régimes les plus réactionnaires ou contre-révolutionnaires ne laisseraient pas l’Union en paix sous prétexte que cette dernière luttait pas directemen contre eux. Accessoirement, la décision opportune de mobiliser la Garde d’Axis Mundis sur des opérations extérieures - nommément la guerre civile de Damannie et la protection de Kotios - achevèrent les dernières résistances et permirent de faire passer non-pas une simple extension de la Garde en tant que force opérationnelle hautement professionnelle, mais la création d’une véritable nouvelle structure confédérale d’importance égale à la Protection Civile ou la Planification Démocratique. Pour ça, le comité Estimable doit aussi beaucoup à l’intervention des communes exclaves et de leur représentant élu auprès du comité, dont la position était que le coup réactionnaire n’avait jamais atteint les communes extra-marines, et que celles-là avaient ainsi conservées les structures militaires - notamment administratives - malgré leur dissolution dans l’Union. Argument contré par le sabordage de la flotte militaire de l’Union et le départ de la plupart d’un tiers des effectifs au sein de l’Union, qui rendait dans les faits ces résidus militaires impropres à mener la moindre opération. Tout de même, la ferveur des communes exclaves, traduction d’une inquiétude réelle quant à leur sécurité, permis d’établir un cadre clair d’extension des forces armées, à comprendre que le nouveau modèle militaire serait, en priorité, implanté dans ces communes en vue de répondre à leurs inquiétudes sécuritaires d’une part, et d’expérimenter le modèle critiqué par certaines des communes continentales de l’autre.

Quoi qu’il en soit, et en dehors des succès indéniables que représente cette remilitarisation pour le Comité, et des portes qu’elle ouvrit effectivement sur le plan de la diplomatie et de l’influence étrangère de l’Union, on ne peut pas nier qu’en l’absence de structure véritablement claire servant à contrôler la gestion de cette armée, et malgré son organisation confédérale, les critiques voulant faire d’Aquilon un dangereux centralisateur cherchant en fait à mettre la main sur une force armée soumise au comité plutôt qu’à la convention ou aux communes semblaient, en termes strictement factuelles annonciatrices des échecs qui amenèrent à la fin du Comité Estimable et à l’actuel important travail intercommunale cherchant à clairement définir les formes de ce Commissariat à la Paix dont on nous promet désormais la prochaine structuration.

L’économie, succès ignoré du Comité :

L’un des plans où le Comité engraina peut-être le plus de succès, ou plus précisément, où il n’engraine pas le moindre échec venant contrebalancer ses succès, fut celui de l’économie. Il est un fait que les kah-tanais semblant désormais prendre pour acquis, c’est que l’économie va bien, et que ce que les pays capitalistes qualifient de croissance, qu’on nommerait plutôt ici d’augmentation des moyens locaux de production, va bon train. C’est l’héritage d’une politique qui précède Estimable, mais qu’il a participé à renforcer et à institutionnaliser de façon extrêmement efficace, notamment grâce aux efforts de la citoyenne Isabella Zeltzin et du citoyen Suchong.

La stratégie économique sur laquelle s’est reconstruite l’Union est bien connue : assurer une forme d’autarcie dans la production des ressources et des biens stratégiques et vitaux, permettre un plus grand accès au marché dans le domaine des ressources inaccessibles sur le territoire national et des biens de consommation. La reconstruction économique de l’Union s’est faite par étape, en suivant une politique prudente de cloisonnement des dépenses selon l’origine des fonds de telle façon que l’économie du Grand Kah ne saurait être, par exemple, dépendante des investissements étrangers ou des fonds soulevés par la le commerce extérieur, pour son fonctionnement quotidien. L’argent obtenu via l’exportation de ressources et de produits à forte valeur ajoutée sert strictement non-pas à assurer le fonctionnement quotidien de l’Union ou à importer des ressources, mais à financer des infrastructures et des industries, dont l’entretient est cependant à la charge de sommes déployées de façon autonome ou autarcique par l’Union. Cette conception hautement protectionniste, qui évite la rigidité excessive grâce à la décentralisation de l’économie, a d’une certaine façon limitée ce qui aurait pu être une croissance explosive de l’Union. C’est que la croissance actuelle est déjà qualifiée de « miracle économique ». En un sens le mieux est l’ennemi du bien : il a été jugé plus important d’assurer la sécurité de l’Union que sa prospérité rapide. Cette politique s’est métamorphosée durant les neuf années d’opération du Comité Estimable, de façon à s’adapter aux circonstances et objectifs diplomatiques affichés par ce dernier. Ainsi, une importance toute particulière fut donnée au fait de trouver des marchés « amis », suivant une logique au moins partiellement idéologique les rendant plus sûrs, ou bien défendus par une nation suffisamment puissante pour se prémunir de toute tentative impérialiste de guerre commerciale visant les exportations ou importations kah-tanaise avec la dite nation. Parallèlement, il s’agissait aussi pour l’Union de cannibaliser le monde capitaliste. Soit en devenant un partenaire économique essentiel pour l’équilibre économique de régies libéraux (en développant un quasi-monopole sur la vante ou l’achat de certains biens, produits, services), soit en exploitant le système financier international, à la nuance près que les fonds d’investissement kah-tanais ne font pas s’échouer leurs richesses dans l’abysse sans fond que compose les comptes en banque d’un milliardaire, mais dans des caisses coopératives visant spécifiquement à renforcer la capacité d’action et de nuisance de ces fonds, dans un but avoué et assumé de porter le marché au paroxysme de sa logique libérale, sachant que le Grand Kah serait, par son fonctionnement, relativement épargné en cas de grande crise économique mondialisée. Une logique accélérationiste qu’on pourrait synthétiser dans les paroles cyniques d’Elan Klaus, ancien commissaire au Maximum : « En cas de crises, leurs économies s’effondreraient. Le prix des denrées éclaterait et les systèmes d’inter-dépendance tireraient tout le monde vers le bas. Sauf le Grand Kah. Faute d’investissement il cesserait de croître... Aussi rapidement qu’il ne le fait. C’est à peu près tout. ».

Du reste, le développement d’une économie destinée à l’exportation a donnée lieu à la création de plusieurs industries se caractérisant par une faible demande en personnel humain pour un fort degré de rentabilité. Outre les domaines prestigieux du luxe, de la mode, de la culture, ce sont des domaines aussi variés que la robotiques, l’aérospatial ou les pièces mécaniques de haute précisions qui caractérisent désormais le dynamisme du Grand Kah moderne. Leader dans plusieurs domaines et sur plusieurs marché, l’île isolée de l’anarchie est plus que jamais un acteur important du marché mondial, parfaitement modernisé et démontrant peut-être que la prospérité n’est pas dépendante d’une libéralisme strictement capitalisé.

Les affaires étrangères, entre succès concrets et échecs cuisants :

L’aspect, peut-être, le plus caractéristique du Comité Estimable est la politique étrangère qu’il a insufflé à l’Union pendant neuf ans. Le plus caractéristique, oui, car le plus remarquable : contrairement à la bonne conduite des affaires sociales et économiques, qui tiennent de l’acquis, de l’attendu, la diplomatie menée par le Commissariat aux affaires étrangères suit une logique beaucoup plus novatrice et détonante aux yeux d’une population kah-tanaise qui ne savait pas nécessairement à quoi s’attendre. Dans la perception populaire, l’importance de la diplomatie prend en fait des proportions hypertrophiées tendant à minimiser l’impact pourtant central de tout les autres domaines, et leur tendance à s’entre-influencer. Il faut donc s’enlever de l’esprit l’idée selon laquelle le commissariat agirait seul. Il agissait de concert avec toute l’Union et ses décisions, bien que marquées par les plans de la citoyenne Actée, n’étaient rendus possibles que par la coopération des autres commissariats, comités, communes. Le lead apparent du dit commissariat vient surtout de l’impressionnante capacité qu’a ce dernier à mettre en scène sa fonction et à communiquer sur ses missions, quand bien même elles ne sont que l’émanation d’une logique discutée entre instances administratives, politiques, et suivant une logique entendue à l’avance.

D’un autre côté, c’est bien cette hypertrophie ressentie qui a, d’une certaine façon, donné lieu à la situation d’hypertrophie potentiellement réelle, pouvant être l’une des explications de la crise finale ayant imposée au comité sa propre dissolution.

Sur le principe, le principal enjeu d’Estimable était, dans la forme qu’il a adoptée au courant des anées 2000 et plus précisément lors de la deuxième moitié de son existence, à partir de 2003, de former un nouveau réseau diplomatique propre à répondre aux besoins du Grand Kah en termes tant sécuritaires que commerciaux. La question d’avec qui établir ces partenariats était d’autant plus centrale qu’une large division séparait les différents élus de la Convention générale. Il était globalement admit qu’il allait falloir, du simple fait de la domination des systèmes capitalistes, pactiser avec certains de ces derniers en vue, au moins, d’assurer la crédibilité internationale du Grand Kah au cas où il lui viendrait l’envie de reprendre en main le destin révolutionnaire mondial. Cependant les limites à établir n’étaient pas claires. Devait-on s’entendre avec des gouvernements progressistes uniquement ? Dans quelle mesure ? Les éventuels opportunismes de droite pouvant être profitables à l’Union devaient-ils être facilités ? De même, la question des dictatures se prétendant d’idéologies socialisantes fut à l’origine de bien des débats. Devait-on, très concrètement, s’autoriser de pactiser des régimes que seule la couleur des drapeaux séparait du fascisme le plus pur et simple sous prétexte que ceux-là prétendaient, à terme, mettre un terme à l’oligarchie capitalisante ? Cette idée semblait parfaitement exécrable à une grande majorité de la Convention et encore aujourd’hui les initiatives portées par les régimes Euryso-communistes tendent à faire grincer une Union pour qui la fin des oppressions ne peut pas se faire au prix de nouvelles oppressions. Ces nombreuses discussions amenèrent à la création d’un important corpus de textes et de compromis qui servirent de matière première que la citoyenne Actée, et c’est là son véritable génie, fit en sorte d’adapter à ses propres positions. Il fut donc décidé de soutenir les régimes révolutionnaires en priorité et d’établir rapidement une entente solide pouvant se comporter de façon autonome et sans compromis. Un partenaire étonnant s’avéra être le Pharois, notamment après l’élection d’un gouvernement largement dominé par la liste écologiste-communiste, et donc le système profondément parasitaire faisait aussi un ennemi des puissances capitalistes standards tout en assurant à sa population une dose tout à fait satisfaisante de liberté individuelle. Un autre partenaire tout trouvé furent les Églises Australes Unies, dont le gouvernement fut renversé par une révolution populaire d’inspiration libertaire peu de temps après l’adoption par le Commissariat aux Affaires Extérieures du plan qui allait mener à la création du Liberalintern.

Accessoirement, des pactes furent liés avec plusieurs régimes démocratiques sur la base d’intérêts économiques et géopolitiques communs, de telle façon que le Grand Kah échappa progressivement à son image de régime illibérale pour entrer, pleinement et entièrement, dans le rang des puissances légitimes - ce qui aboutit finalement à la création d’un important réseau informel de soutiens, notamment en rapport à la question de l’Alguarena sur laquelle nous reviendront ultérieurement.

Enfin, la question des dictatures socialisantes fut traitée de façon extrêmement pragmatique. Reconnaissance diplomatique minime, rien qui ne puisse renforcer outre-mesure le régime, installation de liens au plus haut niveau visant à faciliter l’éventuelle exploitation de ces dictatures. Enfin, mise en place de mesures visant à renforcer ou affaiblir leur capacité de nuisance selon les besoins du moment, en vue de pouvoir créer de nouveaux fronts diplomatiques voir militaire contre les ennemis de l’Union.

Par ordre, on trouve ainsi des alliés, des partenaires et, finalement, des outils. La ligne Actée faisait la part-belle à l’idéologie est on peut donc remarquer que les régimes rangés dans ces trois catégories sont tous extrêmement similaires sur le plan de ce qu’ils défendent, de telle façon qu’il est pour l’heure impossible de savoir, par pure analyse empirique, si ces pays se retrouvent traités de la sorte parce que leur idéologie les pousse à adopter une politique rendant nécessaire ce genre de réponse, ou si les réponses sont indépendantes de la politique géopolitique de ces régimes et se contente uniquement de prendre en compte leurs postures idéologiques. Dans tous les cas, Actée ne se cachait pas de défendre une ligne « morale » visant avant tout à favoriser les droits de l’homme, la démocratie directe et le respect mutuel entre partenaires. Suivant, toujours selon elle, une logique globale considérant la lutte du Grand Kah comme mondiale, un partenariat enrichissant peut ne pas en valoir la peine s’il enrichit un ennemi factuel des principes moraux défendus par l’Union.
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Le principal héritage de la stratégie de la Tension Révolutionnaire, où en tout cas l’héritage le plus handicapant en ce qui concerne les affaires étrangères, reste les tensions entre l’Union et l’Alguarena. Ces tensions, bien que n’ayant rien de nouvelle et issues au moins en partie, d’une série d’impératifs politiques qui auraient de toute façon tôt ou tard amenés à une situation instable de cet ordre, demeurent problématique en ça qu’elles caractérisent la situation de l’Union tant à l’échelle continentale que mondiale, du fait de la double position qu’entretien l’Alguarena, à la fois voisin et première puissance mondiale aux ambitions souvent caractérisées d’impérialistes. Cette situation compliqué a des origines cependant plus anciennes que le comité Estimable et nous sommes obligés, sinon pour la démonstration et la bonne compréhension de notre analyse, au moins par pure honnêteté intellectuelle, de revenir sur une partie de son histoire.

Les tensions frontalières émanent d’une double réalité. L’Alguarena occupe les îles centrales du détroit Paltoterran-Aleucien, prétendant ainsi à son plein contrôle au détriment des puissances côtières, et l’Alguarena est une république oligarchique, dont la classe dominante est par essence ennemie de l’Union. Ces deux éléments participent, depuis les guerres d’indépendance, à générer une tension passive ayant caractérisée toute l’Histoire des relations transfrontalières. On peut avancer sans trop se tromper qu’il n’y a, à aucun moment de l’histoire régionale, eu de bonne relations entre les deux puissances. Au mieux - et c’était la politique d’avant 2005, les deux nations s’ignoraient mutuellement sur le plan de la diplomatie et de la politique, n’interagissant ensemble que par ricochets comme lors des signatures d’accords continentaux faisant intervenir d’autres acteurs.

Historiquement la position du Grand Kah est une position de méfiance voir de rejet instinctif. Il y a depuis toujours des accusations au sein des comités, qui font de l’Alguarena une puissance rêvant d’annexer les côtes Kah-tanaise, ou de saisir certaines ressources de l’Union. Ces accusations, proférées avec divers degrés de légitimité selon les périodes, ont trouvées un certain écho dans la population, notamment du fait des tentatives réactionnaires d’éliminer par des coup d’État le système communalistes, tentatives systématiquement financées par l’étranger dans des conspirations où l’on s’attend naturellement à ce que le puissant voisin trouve une place centrale. Vient aussi l’aspect de l’influence régionale à laquelle peuvent prétendre les deux puissances : l’Alguarena comme le Grand Kah sont des puissances importantes sur le plan mondial et, donc, régionale. Des puissances qui pourraient par certains aspects prétendre à un hypothétique leadership régional sur des questions d’intégration économique, politique, réglementaire etc. C’est ainsi deux modèles tout à fait opposés qui se positionnent dans une course pour l’acquisition d’alliances et de ressources au sein du continent Paltoterran. La dernière étape - peut-être la plus importante à ce jour - s’incarne par les traités signés en début de siècle par différents acteurs régionaux concernant la protection du commerce et la mise en place de normes portuaires communes. Ce traité, cependant, n’aura pas fait long feu en terme de pratiques : d’une part l’Alguarena s’en sera totalement désengagé après le refus des différents acteurs régionaux d’adopter l’ecobelt, monnaie lui servant de vecteur économique impérialiste et d’outil d’acquisition de pouvoir, de l’autre la redistribution des forces régionales en blocs idéologiques rivaux aura mis un terme à la volonté commune de gérer la protection du commerce régionale en bonne entente, la remplaçant par l’usage de forces propres plus coordonnées avec des acteurs parfois lointains, mais membres de blocs proches, qu’avec les voisins et premiers concernés par le commerce dans ces régions. De façon générale, l’accord sur la protection du commerce était compris par de nombreux membres « intermédiaires » de l’accord, ne disposant pas du plein contrôle d’un des deux détroits continentaux, comme un texte contraignant avant tout pensé à l’avantage du Yuhanaca et de l’Alguarena, deux nations désormais liées par les traités de l’ONC. Ce dernier point est d’ailleurs intrinsèquement lié à l’augmentation récente des tensions entre l’Union et la fédération insulaire.

Le principal objectif de l’Union, - en tout cas son objectif affiché et celui qui sert de guide, de nord magnétique aux documents stratégiques de ses commissariats - est sa propre préservation. La préservation de l’Union, est cependant compromise par la simple existence d’un modèle capitaliste, par essence impérialiste et dont la légitimité ne repose que sur l’idée selon laquelle ce modèle d’oligarchie serait, en fait, la forme idéale de liberté. L’existence du modèle communaliste tendant à réduire l’attrait du modèle oligarchique, et plus précisément, à mobiliser des classes laborieuses habituellement abstentionnistes dans des régimes cherchant à limiter le scrutin à une participation bourgeoise, il est important pour les régimes de ce type de limiter l’influence libertaire et, si possible, d’en venir à bout. C’est l’une des raisons habituellement prêtée aux différentes synarchies étrangères ayant permit les parenthèses réactionnaires de l’Histoire kah-tanaise. La préservation du Grand Kah, par conséquent, ne peux pas être un acte passif, défensif, précisément parce que le Grand Kah fera l’objet d’assauts et de tentatives de déstabilisation du fait de sa nature même, indépendamment de ses actions. C’est en tout cas la compréhension généralement répandue des choses, et l’interprétation la plus populaire au sein de la population et des instances déléguées. Le Grand Kah est donc, par nature, une puissance s’incluant dans un processus de lutte idéologique entre plusieurs système. L’Alguarena, parce qu’il pourrait considérer le Grand Kah comme un obstacle, est par défaut considéré avec prudence et jugé avec sévérité. Cela est d’autant plus vrai que les dernières tentatives par l’Union de normaliser les relations se sont soldées par une inertie totale du côté alguarenos : on se souvient ainsi de la délégation envoyées en vue de négocier la simple ouverture d’ambassades et de programmes d’échange universitaires et culturels, délégation qui était rentrée à Lac-Rouge sans même avoir été reçue par l’Alguarena, qui avait pourtant été mis au courant de la volonté de l’Union d’organiser un sommet, et qui en avait accepté le principe avant de proposer une date et un lieu.

Cette occasion manquée a été vécue comme une injure par tout Axis Mundis, et comme un message clair de la part de la fédération : cette dernière ne souhaite pas traiter avec ses voisins et ne se donnera pas la peine d’établir de lignes diplomatiques. Par conséquent, restait pour l’Union la seule voix des actions directes et de la force, instaurant par défaut une communication non-verbale de nature plus violente. Il est important de noter en vue des conclusions que ce rapport souhaite tirer de la situation, que cette occasion manquée n’a cependant rien d’exceptionnelle replacée dans le contexte de la politique Alguarenos. En termes simples, il faut admettre que l’Alguarena ne mène pas de politique diplomatique. Sans doute parce qu’elle est la première puissance mondiale en terme de capacité industrielle et militaire, la fédération entretient une logique diplomatique extrêmement isolationniste en dehors des ventes d’armes et occasionnels dont effectués à l’adresse ou de ses États fantoches (Pontarbello, Prodnov, Vogimska), ne participant pour ainsi dire qu’aux seules initiatives de l’Organisation des Nations Commerçantes. Cette dernière, avant-garde d’un libéralisme agressif et dont le nom seul a de quoi hérisser le poil des nations indépendantes et des diplomates bien conscients de ce qu’il renferme, est plus ou moins un forum d’échange privilégié entre puissances alliées, servant avant tout à promouvoir leurs intérêts économiques communs par des actions pour l’heure militaires. L’ONC est une institution militaire dont la politique étrangère est, plus que probablement, en grande partie motivée par les visées impérialistes régionalistes de ses nations membres, parmi lesquelles l’Alguarena, il est important sur ce point de noter que l’aventurisme ayant pour le moment caractérisé l’ONC a aussi mis en valeur une importante collection de nations neutres, ou ne souhaitant pas s’associer avec les visions militaristes de ses membres. Notamment en Afarée et en Eurysie. Ces nations, de façon notables, ne sont pas nécessairement passives dans leur neutralité et semblent à minima travailler à un certain équilibre des pouvoirs en soutenant, notamment, le Grand Kah lorsque ce dernier a été menacé par des nations associées à l’ONC ou à ses membres. Pour en revenir à l’Alguarena nous devons noter que l’absence de diplomatie de la fédération trouve son contrecoup dans son usage fréquent des services secrets et des opérations sous faux-drapeau. L’impérialiste Alguarena, s’il est clairement reconnu comme tel, ne dit pas son nom et se caractérise pas un déni plausible de ses acteurs, ainsi que l’usage de stratégie de fait accomplit visant à utiliser la force brute pour prendre la communauté internationale de court et imposer un état de fait favorable. C’est aussi, paradoxalement, une méthode employée dans le cadre de sa « non-diplomatie ». On notera par exemple le cas du Vinheimur où l’Alguarena a employé le gouvernement conservateur de la fédération ducale pour exprimer ses menaces à l’encontre de l’Union. On peut considérer que l’Alguarena ne cherche pas de partenaires ou même d’alliés. Son emploie de la force brute, de la vitesse, de proxies et son refus d’employer des canaux diplomatiques standard, cette tendance à s’isoler derrière des institutions ou des nations soumises, tend à signaler que l’empire alguarenos est principalement intéressé par des vassaux. Il n’est pas possible ou même utile d’envisager s’il en a toujours été ainsi ou si les évènements du Pontarbello ont cimentés cette approche (quoi que le Pontarbello en lui-même était une crise initialement provoquée par les méthodes ici désignées, ce qui offre quelques éléments de réponse). Ce qui compte, c’est qu’il est nécessaire d’adapter les stratégies de l’Union au mutisme de ses rivaux. L’analyse doit laisser la place à l’édification de stratégies viables pour contourner les défenses ainsi érigées par le mur du silence.
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Concernant les possibilités d’extension de l’Union et la stratégie à adopter en vue de répondre optimalement aux objectifs fixés par la Convention Générale.
Partie 2.

La situation de l’Union à la fin du mandat du comité Estimable étant désormais établie, ou au moins caractérisée, sinon dans le détail, au moins dans les grandes lignes nécessaires à la compréhension générale des risques et défis attendant les communes dans les années à venir, ainsi que les raisons de leur existence et les intentions à l’origine des actions les ayant provoquées, nous pouvons passer à la la partie réellement importante de ce document : l’analyse de la direction que pourrait prendre l’Union et des méthodes potentiellement applicables pour y arriver.

Le principal objectif de l’Union reste sa propre préservation. Si cet objectif ne change pas, l’évolution constante du contexte géopolitique mondial impose un certain nombre d’adaptations et une reconsidération systématique des moyens mis en œuvre en vue de préserver les communes. La situation de tension extrême dans lequel se trouve le monde ouvre des perspectives d’avenir extrêmement sombre, voir bouches, imposant une radicalité dans la mise en œuvre des solutions, mêlée à une vision des choses pragmatiques misant avant tout sur la désescalade et les solutions de compromis et d’équilibre. Ces solutions nécessitent pour la plupart de trouver des accords avec les puissances ennemies ou rivales, soit par l’emploie de faiblesses structurelles propres aux régimes oligarchiques, soit en créant un système de tension diplomatique mettant le Grand Kah en avantage s’il venait à être plongé dans une situation de haut risque qu’il n’aurait pas sollicité.

Le Liberalintern. Insuffisant, prometteur :

Le titre volontairement polémique de cette partie sert avant tout à mettre le doigt sur l’aspect le moins étudié du Liberalintern en tant que structure géopolitique majeure du monde moderne : ses limites. C’est un tropisme beaucoup trop présent au sein des instances stratégiques de ses puissances membres que d’étudier les causes et méthodes en se concentrant sur les prospects, possibilités et promesses des outils et structures au service du monde libertaire, sans prendre en compte leurs limitations actuelles ou structurelles et leurs implications en ce qui concerne leur utilité concrète. En d’autre termes, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, en cas d’inondation mieux vaut un gilet de sauvetage que la promesse d’un bateau, quand-bien même on en a déjà quelques éléments dans le garage.

Fort heureusement le Liberalintern est, en tant que structure comme en tant qu’outil, bien pensé et bien conçu : ses limitations sont moins structurelles que situationnelles, principalement liées à deux facteurs :

- Il se trouve assez peu de puissances libertaires.

- Les puissances en question sont dispersées et ne forment pas un bloc solide.

La raison même pour laquelle il est important de regrouper l’ensemble des nations gouvernées selon une logique libertaire au sein d’un même pacte défensif et politique est que ces dernières sont rares, et que leur rareté va de paire avec une isolation géographique représentant un danger réel pour elles. Comme vu précédemment, l’existence d’un modèle libertaire est un danger formel pour l’idéologie capitaliste. Cette dernière étant par essence une idéologie de conquête et d’accaparation, il faut considérer que les éventuelles récriminations que la « communauté internationale » (comprendre, libérale) réserve pour les dictatures lorsque ces dernières mènent des politiques agressives (Kronos, Francisquie, Loduarie) ne seraient pas appliquées, ou pas avec la même vigueur diplomatique et tendance à la santion, pour un comportement similaire émanant d’un régime oligarchique contre un régime libertaire. Solidarité de classe et de système logique et attendue, mais ne signifiant pas moins que les systèmes libertaires sont, par essence, en danger. La création du Liberalitnern, d’abord pensée comme la formalisation concrète de l’alliance de principe et d’actions existant entre le Pharois, le Grand Kah et les EAU, permets de mitiger ce risque en mettant en place des procédures assurant le financement et la défense des intérêts libertaires à travers le monde; En d’autres termes, jusqu’à un certain degrés, il n’est plus possible de mener une guerre contre une puissance libertaire, à moins de le faire à armes égales ou inférieures ne justifiant pas de demande d’implication du pacte, sous peine d’initier une guerre mondiale mobilisant l’ensemble des membres de l’alliance.

Le Liberalintern, cependant, et parce qu’il n’a pas de logique impérialiste, n’est pas en mesure d’étendre à marche forcé les frontières de son pacte. Contrairement aux nations de l’ONC qui, nous l’avons vu, ne craignent pas d’organiser des invasions pour s’assurer une présence dans une région du monde insuffisamment contrôlée, le Liberalintern est tributaire des révolutions (par les urnes ou par les armes) nationales et de l’adhésion de celles-là aux principes libertaires. C’est une alliance de principe - ce qui en fait sa force et en est sa principale caractéristique - moins équipée, cependant, pour mener une lutte impérialiste ou anti-impérialiste que ne l’est son principal rival, l’ONC. Du reste, le Liberalitern souffre, de par sa structure même, d’un déficit réel en intégration géostratégique. Faute de traité le permettant, le Liberalintern reste à ce jour une coalition de forces plutôt qu’une force coalisée. La nuance se trouvant dans l’indépendance des acteurs de l’Alliance en terme de stratégie diplomatique, militaire, de compatibilité technique, matérielle, normative etc. Toute volonté normative devrait être traitée par chaque nation membre à son échelle et par ses méthodes et pourrait, en fait, prendre des années à se concrétiser. Si cette étude ne prône pas l’emploie du centralisme démocratique, que nous jugeons anti-démocratique et trop clivant à cette échelle - il est important de signifie que, pour le moment, le Liberalintern reste dans son essence un pacte, une alliance. Nous pensons que son renforcement progressif sur les bases d’une union est souhaitable.

Nous recommandons pour se faire la défense par l’Union de toute initiative allant dans le sens d’une plus grande unité d’action des membres de l’Internationale. La première et principale option serait selon-nous d’organiser un sommet entre les groupes et nations membres en vue de discuter de la situation mondiale et d’unifier les stratégies nationales et partisanes de chaque membre en vue d’une action coordonnées permettant une plus grande efficacité dans les initiatives nationales et locales; En effet, s’il est observé que les nations de l’Internationale tendent à défendre la même ligne et à suivre des logiques similaires, adaptant à des contextes régionaux différents des analyses étant séparément arrivées aux mêmes conclusions, il faut normaliser et étendre la pensée de groupe. Pour qu’au sein des ministères, parlements et commissariats de chaque entité membre on pense, systématiquement, non-pas à l’échelle nationale mais à l’échelle de l’Internationale et de ses membres; Cela permettra à terme un renforcement des actions individuelles et la création d’une stratégie cohérente ne dépendant pas pour son exécution de la synergie heureuse mais involontaire des stratèges locaux.

Accessoirement, et tout aussi important : assurer l’interopérabilité des équipements militaires. Si des efforts existent déjà à ce niveau, notamment liés à une logique purement économique voulant que des pays tiers achetant de l’équipement Pharois ne se sentent pas contraints, à terme, de n’acheter que ceux-là, et inversement, le mimétisme normatif existant actuellement à une échelle moindre doit se globaliser en but de permettre aux unités des pays membres de l’Alliance déployés sur de même front d’employer le même matériel et d’employer des systèmes d’armes étrangers modernes sans avoir besoin de formations supplémentaires. Cet élément est essentiel à la menée d’une politique de défense commune structurée et capable à terme, de générer et fournir les moyens nécessaires à la défense de l’idéologie Libertaire, et du Grand Kah.
Mélancolie et langueur, une fenêtre sur le sentiment Kah-tanais.

C’est comme ça. La mélancolie était une part importante de la culture kah-tanaise, en grande partie tournée vers son passé, coulée dans le moule des regrets qui accompagnaient le recul sur les évènements. Les lusophones parlaient de saudade, pour désigner ce doux sentiment d’arrachement. Comme un membre fantôme. Un manquement. Un deuil jamais tout à fait traité, invité constant de l’esprit. Avec le temps, tout phénomène culturel tend à être compris. La langueur kah-tanaise aussi, et certains, peut-être par tropisme, par habitude, ou parce qu’ils la trouvaient réellement exceptionnelle, cherchaient à la place au centre de toutes les choses faites, dites, pensées par la grande Union et ses habitants.

Le sentiment a des racines historiques, que l’on a depuis dépassé au gré des évènements, qui avaient alimenté l’ensemble pour l’arracher à la simplicité des premiers instants : pour tout un peuple, qui venait d’une Eurysie lointaine, ce nouveau monde qui allait devenir l’Union n’était pas tant une terre à saisir qu’une terre à combattre. La nature, sauvage et brutale, refusait l’établissement des hommes. Les eurysiens arrachaient leurs victoires par le sang et comprenaient chaque jour, peut-être, qu’ils n’étaient pas les bienvenues sur ces rives. Qu’ils seraient, peut-être, à jamais des étrangers en terres hostiles.

Séparés de leurs terres natales par dix mille kilomètres d’océan, ces gens avaient une conscience intime, profonde, d’être les seuls représentants d’un certain peuple et d’une certaine culture de ce côté du monde. Pour une société profondément grégaire, qui s’organisait toute entière sur les principes du commerce, des festivités communes, des grandes messes, être arraché à ses terres revenait à être arraché à soi-même : bien qu’étant là par choix, pour la plupart au moins, ils composaient en fait toute une génération d’exilés, ressentant cette absence plus que jamais. Coupés d’un empire dont ils suivaient jusqu’alors le rythme, la vie frénétique, et les informations. Pourrait-on seulement faire de cette nouvelle terre un nouveau royaume ? Les promesses de terre et de liberté ne venaient pas seules, il y avait aussi le sang, la souffrance, une lutte quotidienne pour le droit à l’existence. Bien-sûr cette mélancolie était la marque de nombreuses individualités réalisées comme telles : à une époque où une immense partie de la population mondiale était composée de serfs ou d’autres individus privés d’une réelle capacité de contrôle sur leur existence, on ne pouvait ressentir ce genre de déchirement que dans un contexte laissant à l’individu la permission de réfléchir à ses actes manqués et aux opportunités lui ayant échappé. Peut-être était-ce aussi une spécificité des territoires coloniaux qui, du point de vue de ces colons et avant l’implantation des premières vice-royautés réellement administrées, obtenaient soudain une forme inattendue d’émancipation, loin des capitaineries impériales et des quotas et taxes. Ce dernier point est relativement important en ça que la vie, dans ce qu’ils appelaient le Nouveau Monde, était de toute façon plus facile sur de nombreux points qu’elle ne l’était en Eurysie à la même époque. Chaque chose doit bien sûre être remise dans son contexte et un bien n’efface pas un mal, mais pour les très nombreux défis et dangers composant l’expérience coloniale, on note dans les chroniques des colons un certain émerveillement face à un climat souvent très doux et à des plantes – telle que la pomme de terre – qui, c’est ce qu’ils en disaient, « se cultivent seules ». On pouvait avoir plusieurs chaque année et la famine s’éloignait pour ainsi dire d’elle-même. Le gros du temps du colon n’était ainsi pas dédiée au travail du champ (cette notion reviendra rapidement, infligée aux travailleurs esclaves et pour des raisons moins vitales qu’économiques) mais à d’autres corvées de natures à être terminées une bonne fois pour toutes : construction de routes, de villes, cartographie, exploitation du bois. En bref, en comparaison à l’époque de cette terre lointaine et fantasmée d’où ils venaient, les colons travaillaient assez peu et avaient même beaucoup de temps libre, y compris pour les standards locaux. Un temps libre, donc, qu’ils passaient souvent à tourner en rond ou avec les mêmes personnes, le pool limité des individus formant l’avant-garde de la vice-royauté conserva, même lorsqu’elle grandit pour dépasser en population celle de ses terres d’origine, un profond sentiment de solitude et d’arrachement. « Ah ! Nous serions au paradis si, la mer, ne nous séparait point des nôtres ». Quoi que déjà à l’époque certains notaient que c’était justement cette distance qui séparait les colons des ambitions rapaces des couronnes métropolitaines, dès-lors la langueur nostalgique était un maigre prix à payer pour la paix.

Le sentiment, en tout cas, survécu à la conquête par les colons nazuméens, qui souffrant de sentiments similaires s’avérèrent relativement sensibles à une ambition qui imprégnait déjà toute la culture régionale, et trouvait même des échos étranges dans les cultures des différentes sociétés précoloniales, observant par divers aspects de leurs traditions et mysticisme des points d’accroche rendant accessible l’obtention d’une forme propre de mélancolie. On parlait au quinzième siècle d’une « Terre triste », pour designer cette colonie d’insatisfaction. C’était un sentiment que certains comprenaient déjà comme profondément existentiel tant il touchait toute la population. Et s’il était raisonnable pour un nahualtèque asservis de pleurer le temps de l’Empire, pour un lusophone de soupirer en repensant à l’époque pas si lointaine où la colonie faisait l’âge d’or d’un empire, avant sa conquête, s’il était raisonnable pour le serf burujoa de penser à sa famille éloignée et à ses terres natales, même les nobles et les seigneurs de la colonie tournaient en rond et, par effet de contamination, se trouvaient à ressasser des sentiments doux-amers exprimés dans des poèmes fleuves et des peintures dont le principal sujet, moins que la terre kah-tanais, était la maison, l’éloignement, le deuil.

Le sentiment, en lui-même, se normalisa dès-lors qu’on mit des mots dessus, ce qui ne fut pas fait par les habitants de la région eux-mêmes, qui se contentaient d’exister dans cette ambiance douce et pensive de regrets et d’espoirs, mais par les marchands étrangers, nouveaux venus, auteurs de tout ordre. Le marchand de soie Urata Soetsu nota dans son journal, le 16 juillet 1721 « Les fêtes de la Province sont parmi les plus belles, les plus colorées et les plus fréquentes qui soi. Le peuple veut fuir ses pensées. » Il y avait aussi le sentiment que l’on ne pouvait rien construire de réellement durable, ici, partagé par tout un chacun. Les colons eurysiens avaient surtout été frustrés par la main-mise centralisatrice des métropoles limitant sciemment la création d’administrations locales plus ambitieuse ou fonctionnelles, imposant par la même à la région une espèce de situation de colonisation primitive étendue. Concernant les colons Nazuméens, il s’agissait surtout d’une situation de guerre permanente assurée par la résistance extrêmement hostile et de plus en plus organisée de groupes successeurs d’autochtones, de l’Église catholique et des eurysiens. De nombreux grands projets furent organisés par les daïmios successifs en vue d’organiser, de maîtriser, de moderniser cette éternelle Terre sauvage. Un moyen de chasser la sensation de mélancolie en transformant la cime sauvage de la forêt vierge en quelque-chose de moins terrifiant. Briser la sensation d’enfermement, entre monts immenses et océans vides, briser les murs physiques et psychologiques. Cela s’avéra totalement irréalisable et tout progrès fut ou réalisé avec l’accord et au profit des indigènes, ou saboté par ceux-là. La situation, en tant que telle, n’était peut-être pas plus précaire que dans d’autres régions coloniales moins contrôlées ou bien administrées, mais souffrait à n’en pas douter de cette langueur qui, s’insinuant dans toutes les strates de la société, semblait faire penser aux maîtres de l’administration coloniale que la situation était inextricable. Leurs efforts s’avéraient vains et s’il faut imaginer Sisyphe heureux, il faut aussi croire qu’eux-même l’étaient. Comme les kah-tanais modernes, trouvant moins de plaisir dans le résultat d’une mission que dans son accomplissement.

La parenthèse révolutionnaire représente la mort de ce sentiment comme élément proéminent de la culture régionale. Il reste chez le kah-tanais moderne une importante capacité de mélancolie, mais elle n’est plus l’élément caractéristique de sa conception des choses. En termes brefs, la première révolution représente l’éclatement de nombreuses colères et la réalisation d’importantes revendications. Les murs sont tombés, emportés par un bain de sang et d’encres codifiant rapidement la libération, le droit à un avenir joyeux et une culture nationale coupant pour de bon le lien avec les métropoles, le vieux monde n’était plus considéré comme une maison lointaine et regrettée mais comme autant d’ennemis. Ce glissement donna aussi naissance au complexe de la Citadelle Assiégée, la perception d’un monde hostile cherchant activement à contrer et subvertir le Grand Kah par tout les moyens possibles. La révolution et ses avancées représentent aussi le nouveau point de focalisation de la langueur mélancolique : pouvait-on faire mieux qu’eux, réaliser les ambitions promises par les hommes et femmes de 1781 ? Ce fut à partir de ce stade que l’on ne regretta plus d’hypothétiques terres métropolitaines vécues comme un genre de contre-paradis perdu, et où l’on cessa d’observer l’avenir comme une promesse irréalisable. Plutôt, on considéra la révolution comme un impératif d’une intense sévérité, et le Grand Kah comme perpétuellement incapable d’y répondre correctement. On ne regrettait pas l’avènement impossible du bonheur, mais son insuffisance : en bref, il en va d’un certain sentiment de vacuité dirigé contre la vie et les promesses du monde politique omniprésent au sein de l’Union.

Car la quête du Grand Kah c’est avant tout celle du bonheur. Ce qui n’a été que très rarement exprimé comme ça mais se lit en filigrane dans l’essentiel des textes de la première révolution et dans les conclusions des études ultérieures. Le projet, qu’il soi colonial, révolutionnaire ou même impérial, s’est toujours articulé autour de la question du bonheur : pour qui, comment, de quelle façon. La conception Kah-tanaise du bonheur, maintenant, est une conception sans définition. Le bonheur c’est la liberté de choisir son bonheur et de l’accomplir, peut-être. Le regret kah-tanais s’articule aussi autour de la sensation, systématique, de ne pas pouvoir l’offrir au reste du monde. Un regret résigné face à l’impératif violent de la révolution : tuer des hommes pour en libérer d’autres passant pour une situation excessivement sinistre. Il y a aussi la crainte du temps perdu, que l’on doit largement aux expériences contre-révolutionnaires. Le premier empire n’a-t-il pas brisé l’aventure révolutionnaire ? Puis le second empire ? Puis la guerre sale ? Il y a cette crainte silencieuse que le Grand Kah est destiné, à chaque fois qu’il semble en mesure d’accomplir pour de bon son destin et la volonté de ses citoyens, à subir une nouvelle crise dont l’ampleur et les effets peuvent certes être bénéfiques – dans l’interprétation commune de la théorie de la Roue et de l’Être Suprême, on considère chaque crise comme une étape importante modifiant la révolution en profondeur et l’adaptant aux nouvelles nécessités du moment – mais n’en restent pas moins intensément douloureux, et frustrants. La dernière crise contre-révolutionnaire, dans les années 1980, a par exemple menée à l’effondrement d’un gouvernement Technocratique extrêmement populaire dont les réformes, promettant la transformation massive de l’Union, furent menées dans un contexte de prospérité et d’avance technologie et sociale sans précédant. Si cette Junte, financée par l’étranger, peut être comprise (dans une perspective Citadelline) comme une réponse du monde capitaliste à l’avance du Grand Kah, elle peut aussi être comprise comme la fin d’un âge d’or, la destruction de ses promesses et l’assassinat d’une certaine joie de vivre. La résistance, la révolution et la reconstruction composant des étapes tant politiques qu’expiatoires, s’articulant autour d’une recherche du bonheur silencieuse, évitant soigneusement de reproduire les schémas balayés par la crise et conservant de l’âge d’or technocratique des souvenirs tendres et des soupirs. On ne reproduira pas ce qui a été détruit, ce qui a été détruit a été perdu, et on peut simplement y repenser avec tristesse. La quête du bonheur continue sous de nouvelles formes, on trouve de nouvelles solutions, on attend la crise, on s’y prépare, on espère que l’avenir sera aussi brillant qu’il promettait de l’être, dans le passé.
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La Violence dans les sociétés septentrio-paltoterrane

Tzompantli

Introduction

Malgré une grande diversité culturelle et plusieurs millénaires d'histoire, une constante semblant s'imposer à l'ensemble des sociétés septentrio-paltoterrane est la violence. Si la violence a sa place dans l'ensemble des sociétés et n'a dans beaucoup de cas été limitée qu'avec le développement des doctrines morales modernes, faisant la part belle à l'individu et condamnant de fait les actes de violence ne profitant qu'à une minorité (guerres, etc), ou au lent développement des lois permettant d'encadrer et de limiter l'action d'une violence que l'on peut considérer comme plus légitime qu'à une époque, celle des septentrio-paltoterrans interroge autant qu'elle ne fascine : immortalisée par les chroniqueurs des conquêtes coloniales puis mise en avant et déformée par ses laudateurs, la violence de ces civilisations semble pouvoir se résumer en un mot : sacrifice humain. Si le sacrifice humain s'est pratiqué sur tout le continent, y compris jusqu'à des périodes récentes (notamment au Nazum), celle des premiers peuples paltoterran choquait par sa nature hautement rituelle, la chronique qu'en firent les premiers "conquérants", et son inclusion dans un système culturelle faisant la pare-belle à la souffrance physique dans son fonctionnement mystique comme politique. Cette violence, bien qu'extrême, doit si possible être comprise et analysée, restant de fait un important héritage de la culture kah-tanaise moderne.

A l'arrivé des premiers colons (eurysiens, les burujois arrivèrent presque un siècle plus tard), le territorie du nord du paltoterra était dominé par l'Excan Tlatoloyan (Tribunal des trois sièges), dit Empire Nahualtèque. Si c'est principalement de cette civilisation que parlent les grands récits des colons, quelques cités Chan-Chans, clan Zoeltèques et Ayan et les restes des confédérations Nueltèques présentaient aussi des signes caractéristiques de violence rituelle paltoterrane. Si ces sociétés présentaient des degrés de développement économique et culturels, et d'organisation politique, extrêmement variés, l'analyse des récits eurysiens semblent attester l'existence d'une forme d'unité culturelle caractérisant cette aire culturelle. Les chroniques autochtones conservées par l'ordre des tlacuiloque, copiées par des moins catholiques et retrouvées ailleurs font elles-même état d'une longue tradition largement diffusée à travers le sous-continent. Durant la période des royaumes combattants, le clergé de Lac-Rouge mena ses propres fouilles archéologiques dont on estime qu'elles visaient à démontrer la légitimie de sa position prédominante, et dont les conclusions furent l'apparente ancestralité des pratiques de sacrifice humain. Des fouilles archéologiques modernes semblent démontrer que la pratique du sacrifice humain remonte à plus de deux mille ans avant notre ère, bien que d'abord concentrée dans certains sites dont on peut supposer qu'ils servirent de matrice à la culture continentale du fait de leur prévalence.

S'il est plus difficile - pour ne pas dire impossible - d'établir si les autres formes de violence rituelle ou quotidienne caractérisant les cultures septentrio-paltoterranes lors de la conquête ont des racines aussi profondes, faut d'informations de première main de représentation probantes dans les arts antiques ou d'arriver à traduire les stèles et parchemins datant de certaines périodes, certains estiment que la relative homogénéité du traitement dans a violence des cultures continentales au moment de la conquête suffit à démonter un caractère suffisamment ancien et ubiquitaire pour considérer le phénomène comme ancestral.

Quoi qu'il en soit l'acculturation des populations conquises aux main des colons eurysiens puis burujois, les tentatives répétées d'effacer toute trace de leur culture traditionnelle et l'évangélisation d'une partie de la population provoqua un changement de paradigme majeur dans ces cultures, dont les membres furent obligés d'abandonner ou dissimuler leurs fois et pratiques ancestrales. L'aspect particulièrement intéressant du phénomène tient en la survivance très tardive de plusieurs groupes premier peuple échappant aux contrôles coloniaux successifs qui, lors de la première révolution, réclamèrent et obtinrent une forme d'indépendance au sein de la junte révolutionnaire, amenant à une redécouverte, réappropriation et adaptation de la violence traditionnelle paltoterrane au contexte politique et culturel contemporain. Plus que de la violence historique septentrio-paltoterrane, c'est de cette violence redécouverte et réassimilée que le Grand Kah moderne est l'héritier. Un fait d'autant plus fort que malgré l'existence de sociétés pré-coloniales égalitaires et même démocratiques, la culture révolutionnaire kah-tanaise et son aspiration à la perpétuelle amélioration et à l'auto-critique a aussi poussé à la remise en question de certaines traditions ancestrales, et à l'adaptation d'autres sous l'influence des penseurs laïcs et des poussées anti-religieuses de certaines périodes.

Codex cannibalisme

Section 1 : La Ritualisation de la Violence dans les Sociétés Paltoterranes

1.1 Les rituels de sacrifices


Comme indiqué le marqueur culturel le plus connu et remarqué des cultures paltoterranes et leur recours massif au sacrifice humain. Si l'on a beaucoup fantasmé ces rituels et leur ampleur véritable, on ne peut tout de même nier leur importance et le caractère central qu'elle a pu obtenir dans la justification de certaines politiques impériales à travers les âges.

C'est une image que n'importe quel kah-tanais ou touriste passé à Axis Mundis connait : celle de fresques représentant un long alignement de crânes sur un promontoire aux pieds des immenses pyramides de la place monumentale. Une image d'autant plus perturbante pour certains que si l'exposition d'os et les nécropoles publiques ne sont pas une spécificité paltoterrane (on trouve par exemple plusieurs chapelles décorées de la sorte en Eurysie centrale), ces râteliers de crânes (littéralement "tzompantli", en nahutl) représente un objet ayant bien existé, et dont on retrouve des traces dans différentes cultures jusqu'au cinquième siècle de notre ère. Ces râteliers, sur lesquelles on trouvait d'hommes de tout âge mais aussi de femmes et d'enfant, étaient un témoignage visible de la culture du sacrifice en vigueur dans la région, permettant d'attester de la diversité des sacrifiés au sein de la culture nahualtèques notamment. Historiquement, il semble que les crânes étaient fréquemment changés, à mesure que les plus anciens se dégradaient et tombaient en morceau. Si l'emplacement du tzompantli centra de Lac-Rouge divisait la place monumentale en quatre parties conformément aux configurations cosmologiques locales donnant quatre mondes d'égale importance à quatre dieux (et divisant de fait l'espace pyramidal en autant de lieu de cultes), l'objectif servit par les tzompantli était sans doute de témoigner de la ferveur religieuse de la ville d'une part mais aussi d'attester du tribut payé par cette dernière et, donc, de sa puissance. La plupart des sacrifiés étaient en effet des prisonniers de guerre.

Cette exposition concrète de la mort est peut-être l'une des clef pour comprendre le rapport que les premiers peuples entretenaient avec la violence. Un rapport de respect, mais aussi un rapport assez quotidien à la mort. Dans les faits, l'une des caractéristiques les plus unique de la culture nahualtèque (partagée par les autres cultures paltoterrane pour autant que les quelques sources et indices archéologiques le laissent entendre), était l'idée selon laquelle les dieux avaient besoin des humains pour survivre. Plus précisément, besoin de leur sang. Chaque sacrifice visait en fait à nourrir les dieux de telle manière que l'on établissait un lien concret entre le sang versé pour nourrir le panthéon et le bon fonctionnement du monde. Il s'agissait de maintenir l'ordre naturel des choses, un mort à la foi.

Naturellement tout les sacrifices n'étaient pas humains, et tout les sacrifices n'amenaient pas systématiquement à la mort du sacrifié. Il faut prendre le mot dans son sens le plus large, celui d'offrande particulièrement vertueuse car demandant un certain efforts. Concernant les animaux, on a retrouvé un large éventail d'espèce contenant des chiens, des chats, des oiseaux, des singes, des lézards et sauriens, des poissons en quantités importantes - l'une des grandes activités de la ville était la pèche lacustre - des coquillages, mais aussi des aigles, des condors, des jaguars et des loups. Des preuves attestent que les offrandes les plus importantes étaient conservées via une forme de taxidermie, et la grande diversité des espèces offertes témoignait aussi d'un système d'échange économique. En effet, des animaux tropicaux, que l'on ne trouvait pas dans la région de Lac-Rouge mais à plus de 160 km de distance, étaient manifestement importés.

De manière plus générale, les prières nahualtèques et les divers rituels qui traversaient une vie (passage à l'âge adulte, entrée dans une guilde ou une confrérie, inclusion dans la noblesse de compétence, l'administration, prière de bonne fortune etc) étaient souvent accompagnés de sacrifices de sang. La personne passant le rite ou priant s'ouvrait les bras ou les jambes, se perçait la langue, le nombril, les oreilles ou - dans certains rituels de fertilité - le sexe à l'aide de coutelats ou d'aiguilles de jade ou d'obsidienne. Le sang était alors récolté sur du parchemin d'agave, du coton ou des plumes - trois matières considérées comme nobles voir même précieuses - qui était ensuite mis au feu. Ces sacrifices quotidiens visaient naturellement à honorer, remercier ou plaire aux dieux en leur offrant un peu de sang.

Le sacrifice humain, dans les cultures pré-coloniales, suivait donc cette même justification, bien que représentant aussi un outil politique majeur pour les castes dirigeantes locales.

Si nous passerons rapidement sur certains exemples particuliers de sacrifice en vue de témoigner de la diversité des méthodes dans ces dernières, l'exemple que nous utiliseront ici sera, par mesure de simplicité, Lac-Rouge, du fait de sa nature dominante et de sa grande influence sur la région à l'époque de la conquête. Il faut cependant noter que Lac-Rouge et la culture nahualtèque en général fit beaucoup plus recours au sacrifice humain que ses contemporaines. Les cités Ayans, par exemple, ne sacrifiaient que les nobles ennemis de rang particulièrement élevé, généralement des rois ayans, ou occasionnellement un tlaotlani (premiers orateurs, chefs) nahualtèque. On peut aussi noter le cas du méconnu État Chan-chans, qui malgré une culture manifestement étrangère à la région (et plus proche des cultures classiques Yuhanaca, laissant penser à une colonisation intracontinentale), pratiquait le sacrifice humain de prisonniers de guerre, mettant cepedant plus l'accent sur la prière associée que le sang en lui-même.

Toutes les sociétés précoloniales pratiquaient le sacrifice à divers degré. Cependant toutes ne pratiquaient pas le sacrifice de masse au même titre que l'empire nahualtèque, qui doit donc être considéré comme un apogée de la pratique. Cet apogée peut directement être lié à son statut de puissance dominante dans la région.

Si l'on ne peut pas présumer du cynisme des tlahtohqueh et cihuatlahtoāni de l'empire, on sait que le sacrifice humain servait à la fois de moteur à sa société et de justification à sa politique d'expansion. L'extension du sacrifice humain au domaine de la vie quotidienne et à la population citoyenne du Tribunal (nom indigène de l'empire) démontraient un projet de société précis, dont on peut considérer de façon à peu près sûre qu'il fut murrit lors des nombreuses réformes administrations accompagnant la centralisation de l'empire au cours du siècle précédant l'invasion eurysienne. Présent dans plusieurs aspect de la tradition orale et religieuse nahualtèque, le premier sacrifice est, thématiquement, celui des dieux qui inondèrent le monde de leur sang pour permettre la création de l’humanité. Le sacrifice était d'ailleurs moins considéré comme un don fait au dieu que comme le remboursement progressif du monde aux dieux. Les sacrifiés eux-mêmes étaient qualifiés selon des termes ayant trait au fait de rendre service. Selon certains historiens et penseurs du monde occidental, ces sacrifices servaient aussi un objectif de pardon proche de la repentance chrétienne. Une théorie largement rejetée par les historiens paltoterrans pour qui l'acte de sacrifice est strictement lié au fait d'assurer le fonctionnement normal de l'ordre naturel des choses.

Comme dans les autres sociétés précoloniales, les sacrifiés étaient majoritairement issus de peuples ennemis. Le Tribunal organisait notamment un système de tribut imposé aux régions voisines sous la forme de ce que l'on nomme les Guerres Fleuries. Des rituels guerriers hautement ritualisés et organisés permettant la confrontation d'armées ennemies en vue de capturer des prisonniers de guerre à sacrifier sans provoquer l'extermination d'une cité. Ces guerres suivaient un fonctionnement différent des autres guerres précoloniales en ça qu'elles servaient aussi à l’entraînement des troupes et à permettre l'ascension sociale d'habitant de la cité via la capture de prisonniers. Du reste, les sources autochtones semblent indiquer que certaines stratégies, techniques et armes n'étaient pas utilisées durant les guerres fleuries, notamment les lames et toutes formes d'arme à distance. Tuer un adversaire lors d'une guerre fleurie était considéré comme une preuve importante de maladresse. Pour autant, mourir lors de ces guerres était considéré comme un sacrifice en soit et les morts étaient considérés avec une estime toute particulière. Ce système, qui permettait à la fois le bon fonctionnement social et religieux des sociétés nahualtèques, est d'autant plus notable qu'il était suivit par des entités politiques parfois rivales. Il est difficile, avec les sources actuelles, de déterminer si l'empire imposait ce fonctionnement à la région ou s'il était librement suivit. La politique traditionnelle régionale fonctionnant par des réseaux d'alliance et de vasselage, il est tout à fait envisageable qu'il s'agissait d'un mélange des deux.

Les sacrifices issus de la population proprement impériale (c'est à dire des trois villes dont l'alliance formaient le Tribunal, et non de villes vassalisées ou directement administrée par des nobles issus de l'empire), se divisaient en différents groupes : il y avait d'abord les volontaires. N'importe quel sujet du taotlani pouvait se soumettre à différents rituels de purification et de questionnement pouvant admettre à son admission au rang de sacrifié. Cette option permettait de laver un déshonneur familial, de faire monter sa famille en rang ou simplement d'avoir supposément droit à une après-vie plus noble. Venaient ensuite les esclaves - qui ne composaient pas une classe à part dans la société nahualtèque mais étaient plutôt des criminels, des personnes en faillite et autre issus de toute la société nahualtèque - et enfin les nobles. Le sang des nobles d'épée était particulièrement apprécié des dieux, et il arrivait ainsi que des familles offrent un enfant à sacrifier.

Les sources autochtones comme coloniales semblent aussi indiquer que les étrangers à la culture nahualtèque n'étaient pas sacrifiés. S'il est impossible de vérifier cet absolu, la nette préférence des nahualtèque pour le sacrifice de nobles et de guerriers issus de régimes alliés, rivaux ou soumis à leur culture est frappante. On peut au moins dire que s'ils pouvaient parfois capturer et sacrifier des prisonniers de guerre d'autres cultures, ils n'importaient, par exemple, pas d'esclaves étrangers destinés au sacrifice, et ne menaient pas de guerres fleuries contres les autres cultures.

De manière générale on peut considérer que toutes les cultures de la région, nahualtèque en tête, considéraient le sacrifice comme un grand honneur. Une anecdote rapportée par plusieurs chroniqueurs de la colonisation faisait état de la volonté des prisonniers autochtones relâchés d'être sacrifiés plutôt que déshonorés de la sorte. Les sacrifiés servaient tant de combustible pour les dieux que de messager auprès d'eux, et le sacrifice était généralement précédé d'une cérémonie festive durant laquelle les sacrifiés participaient à des processions, des danses, des fêtes, devaient visiter les familles de la ville pour entendre leurs doléances et leurs demandes aux dieux, bénir les enfants et les vieillards, et mener d'autres fonctions rituelles. Un sacrifié refusant cet honneur avait, au contraire, droit à des morts humiliantes où ils étaient publiquement insultés et humiliés avant d'être décapités.

La décapitation n'était intrinsèquement considérée comme un type humiliant de sacrifice. Il existait en fait une grande diversité de sacrifices dépendant des circonstances, du ou des dieux honorés, mais aussi de la culture. On pouvait ainsi viser la gorge du sacrifié à l'aide de flèches, le décapiter, le soumettre à un jeu de balle rituel, à des combats gladiatoriaux, le noyer. Des villes Ayans précipitaient leurs victimes dans des cénotes, d'autres groupes de la côte écorchaient les cadavres des sacrifiés puis les embaumaient dans du sel avant de les laisser à flanc de falaise. Dans certain cas, les membres du sacrifié pouvaient être consommés dans des actes de cannibalisme rituel. Certains historiens considèrent qu'il pouvait s'agir d'un moyen pour les peuples de la région d'obtenir un apport en protéine, théorie que d'autres historiens réfutent en pointant du doigt l'important réseau d'aqueducs et de champs qui couvrait l'ensemble du territoire cultivable nahualtèque à la chute de l'empire. Il est possible que la consommation rituelle de viande humaine dans certains cas rares soit un héritage d'une période où la nourriture était plus difficile à trouver dans ces régions difficiles.

1.2 La Loi, l'ordre et les résolutions de conflit

Malgré le caractère extrêmement meurtrier des religions autochtones et l'organisation de guerre visant spécifiquement à obtenir des sacrifices, les premiers peuples tendaient à se considéraient très civilisés, et opposaient notamment leur violence ritualise et ordonnée à des cas précis à celle des colons eurysiens puis burujois, considérés, à divers degré, barbare pour leur façon particulièrement meurtrière de mener la guerre et leur rapport plus "désordonné" à la violence. Une incompréhension culturelle majeure séparait les envahisseurs des populations locales, mais même les colons étaient obligés de reconnaitre la paix sociale semblant caractériser l'essentiel des systèmes indigènes. Cela tenait dans beaucoup de cas à une autre caractéristique centrale de l'aire culturelle septentrio-paltoterrane : la peur de la non-conformité.

Dans le fonctionnement spirituel paltoterran, le monde fonctionnait selon une mécanique précise. Nous avons déjà vu comment les sacrifiés l'étaient pour permettre le bon fonctionnement de l'univers selon son ordre prévu. Il était ainsi, dans un ordre d'idée assez similaire, considéré qu'il était du devoir des humains de ne pas détruire l'ordre naturel des choses par leur action. Plus précisément, la loi était considérée comme sacrée, et s'il existait dans ces sociétés des systèmes légaux d'une étonnante complexité et faisant fi d'une impartialité assez surprenante, les peines appliquées étaient toutes d'un extrême degré de violence - voir de cruauté.

Si certaines peines répondaient à des situations dont l'accusé n'était pas à proprement dit coupable - la faillite, par exemple - on lui donnait l'occasion de racheter sa peine via des travaux d'intérêt généraux ou d'esclavage auprès de son créancier (les esclaves avaient des droits assez importants assurant leur bonne santé physique, il existait différents statuts d'esclaves et certains étaient ainsi des citoyens en redevenir, qui ne pouvaient par exemple pas être battus ou privés de nourriture, et ne pouvaient être sacrifiés sans l'approbation de la cour l'ayant condamné), toutes punitions sanctionnant un acte témoignant d'une culpabilité certaine et directe étaient radicales. Les ivrognes étaient battus, les jeunes en formation qui s'enivraient hors des situations officielles pouvaient dormir nu sur le pas de leurs écoles ou être intégralement enduis de piments, les condamnations à mort étaient extrêmement fréquentes. On pouvait aussi condamner des délits par des sacrifices mineurs : de souper la surface de la langue ou les lobes des oreilles, par exemple.

Cette extrême violence cohabitait avec un système complexe de cours et de jurys issus de calpulli (genre de communes traditionnelles), de dialogue interethnique et culturel maintenu par des guildes de magistrat relativement indépendante des pouvoirs locaux, et de systèmes d'appel permettant d'amener à des réformes des différentes législations en vigueur.

Dans l'ensemble, la violence des sociétés pré-coloniales était donc confinée à des occasions précises et contrastait avec une vie quotidienne qui, au delà de l'obsession religieuse entretenue pour le sang, faisait état d'un degré très élevé de pacification. Les sources autochtones et des premiers jours de la conquête du continent décrivent des villes pacifiées et ordonnées, une sécurité alimentaire constante, une criminalité plutôt réduite et une absence de grand banditisme. Les routes construites du temps des premières entités impériales ont été entretenus et agrandit par l'ensemble des entités leurs ayant succédées et la guerre elle-même était généralement utilisée comme un outils remplissant des objectifs précis : on sait par exemple que s'il beaucoup des guerres précoloniales visaient à obtenir des tributs ou des vassaux, des conflits de nature réduites entre deux entités politique, tel que la possession d'un cours d'eau, l'obtention de terres agricoles, la gestion d'affaires familiales ou de contentieux honorifiques, pouvaient se régler auprès des guildes de magistrats ou même autour de matchs de ullamaliztli, de pitz, de taladzi ou d'autres variantes de ce que l'on appel traditionnellement le jeu de balle paltoterran.

1.3 Le cas Antlaxca

Un exemple intéressant de violence ritualisée et appliquée avec précision est celui du régime d'Antlaxca. Antlaxca était l'une des cités rivales au Tribual de la triple alliance lors de l'arrivée des premiers envahisseurs eurysien. Seule entité politique de culture nahualtèque à échapper à son contrôle, Antlaxca faisait partie d'une confédération de quatre villes dont le territoire couvrait environs 5 000 km². Bien que de culture nahualtèque, Antlaxca était caractérisée par ses propres particularités culturelles, politiques et religieuses. À la tête desquelles son fonctionnement démocratique, unique dans la région à l'époque de la conquête.

Des preuves archéologiques claires démontrent le fonctionnement égalitaire et républicain de la confédération. Nous savons ainsi que le niveau de vie de ses habitants était relativement égal, ne témoignant pas par d'une différence économique entre les différentes classes sociales de la confédération. Selon les sources autochtones et coloniales, les antlaxcans choisissaient des candidats parmis les hommes de la confédération ayant des accomplissements à leurs actifs. Ils favorisaient généralement les guerriers s'étant illustrés lors des guerres fleuries et acceptaient les candidats issus d'autres ethnies ou ayant émigrés dans la région. La culture antlaxcan mettait en avant la responsabilité du peuple et le service à la communauté. Les candidats devaient endurer une séance d’insultes publiques et d'abus physique dont le but était de tester leur caractère et de leur imposer une forme d'humilité. Les ambitions personnelles étaient considérées comme une caractéristique disqualifiante. Les candidats devaient ensuite survivre à une période de jeunes, de saignée et d'instruction morale et légale pouvant durer jusqu'à deux ans au sein des temples de la cité. S'il est difficile de déterminer quel système électoral suivait la cité et qui avait voix au chapitre, de grandes placées situées dans les différents quartiers des différentes villes de la confédération laissent penser qu'il existait une forme de démocratie directe ou de sélection collective. Des témoignages mentionnent des rassemblements de plus de 5 000 individus pouvant participer aux décisions politiques. L'administration des villes et de la confédération était cependant à la charge d'un conseil composé de ces élus. Ils votaient notamment sur les questions militaires, servaient de juge et pouvait fixer les taxes. Ce sénat était composé de 50 à 200 membres, et prenait ses décisions sur une base de consensus. Si on ne sait pas combien de temps durait le mandat d'un membre de cette institution, on sait que les plus anciens sénateurs obtenaient un titre pouvant se traduire par "Vieil orateur", sans qu'on ne sache si ce titre était strictement cérémoniel ou s'accompagnait d'avantages ou de prérogatives particuliers.

Dans le cas d'Antlaxca, la violence servait donc un objectif politique de purification et d'humiliation des candidats potentiel. Elle était utilisée comme une façon de s'assurer de la probité des candidats potentiels et de détourner les opportunistes.
Section 2 : Évolution de la Culture de la Violence pendant la Colonisation

Bishop Diego de Landa burning Mayan books

2.1 L'impact de la colonisation eurysienne

Ainsi, la violence traditionnelle ou ancestrale des cultures septentrio-paltoterranes était le résultat d'une longue construction politique et religieuse, caractérisée par sa nature ritualiste. Loin de l'idée qu'on peut se faire d'une société barbare (au sens désordonné et brutale), le rationnel de la violence traditionnelle était celui d'une violence utilisée dans un cadre précis. La guerre de conquête et d'extermination introduire par les eurysiens avec l'exercice colonial, et l'arbitraire des administrations de l'appareil colonial une fois la conquête achevée, fut un traumatisme réel pour une population étrangère à certaines méthodes plus "pragmatiques" des envahisseurs.

La position prise par les colonisateurs eurysien, à leur arrivée dans la région, fut celle de la supériorité morale qui s'exprime très clairement dans l'important corpus d'archives et de chroniques qu'ils nous ont laissés. D'abord persuadés de représenter une forme de civilisation supérieure aux clans côtiers qu'ils rencontrent dans l'est du pays, une dissonance importante s'établit lorsqu'ils pénètrent les premières villes de la région et découvrirent, par l'intermédiaire de leurs hôtes successifs, l'étendue des systèmes nationaux et proto-nationaux dominant la région ainsi que leur prospérité. Cette première dissonance participa à faire passer ce qui était initialement une opération d'occupation d'un territoire "vierge" en guerre à proprement dite. Le capitaine Louis Emmanuel de la Sainte-Vierge de la Croix écrit ainsi après avoir rencontré le seigneur Quetzli'Tocomatl de Tlexcoman, premier tlatoani à avoir hébergé sa troupe :

"Soudain il semble que les Indiens n'étaient plus comparables aux hommes de l'Afarée, qui existaient comme des bêtes et loin du Seigneur, mais ceux des royaumes proches de l'Orient, qu'il nous faudrait soumettre au Roi et à Dieu par l'acte du combat, ou de la ruse".

Plus tard encore, lorsque les particularités (notamment sacrificielles) des religions paltoterranes apparurent aux colons eurysiens, il y eut un véritable choc des cultures. S'il existait manifestement divers façon de percevoir les "indigènes" parmi ceux qui, pour beaucoup, finiraient vice-rois et gouverneurs des futures provinces coloniales, la découverte du sacrifice humain participa à donner l'ascendant à la faction de ceux pour qui il fallait éliminer la culture impie, imposer la chrétienté par la force plutôt que par l'évangélisation monacale et assurer la disparition des monuments, textes et éléments culturels liés au culte des "démons". Si de nombreux débats eurent lieu sur la question des paltoterrans, de leurs droits, de leur humanité, du rapport qui devait être établi avec ces nouveaux sujets du roi, et que des efforts notables furent menés par plusieurs capitaines et personnalités religieuses en vue de sauvegarder la culture et l'histoire autochtone, la colonisation resta, dans l'ensemble, une pure opération de pillage dont l'inhumanité fut justifiée par la nécessité de dominer un peuple qu'on accusait d'extrême barbarie. Ironiquement, c'est cette supériorité morale ressentie qui participa à faire de l'expérience coloniale une expérience d'arbitraire et de massacre.

Du reste, on peut supposer que les colons auraient moins souffert des guérillas incessantes menées par les populations locales si leur règne avait suivi les mêmes principes légalistes et méritocratiques que ceux auxquels les autochtones étaient habituées et que leurs cultures considéraient comme juste. On le sait d'ailleurs de façon à peu près sûre, les régions ayant été gouvernées avec modération ou laissées à une certaine autonomie ne souffrirent pas (ou de façon plus sporadique) de l'instabilité continuelle qui vint finalement à bout du modèle colonial eurysien puis burujois.

Quoi qu'il en soit, la colonisation et les guerres de conquêtes occidentales donnèrent lieu à une radicalisation de la violence qui marque encore à ce jour la culture kah-tanaise continentale moderne. Comme nous l'avons vu ; les populations indigènes du paltoterra n'utilisaient la violence que dans un cadre précis prescris par des normes culturelles tout aussi précises. La confrontation avec des entités politiques et militaires utilisant le plein potentiel destructeur de la violence eut un effet de dégondage des principes nahuatl de telle façon que ce qui avait été tabou pendant des siècles devint non seulement envisageable, mais nécessaire. Si les massacres commis dans l'Histoire pré-coloniale étaient généralement le fait d'acteurs individuels considérant pour des raisons leur étant propres que les règles culturelles en vigueur dans la région ne s'appliquaient pas à eux, les guerres du premier contact virent apparaître une explosion de massacres, de pièges, d'assassinats et d'actes qui vinrent finalement à être rassemblés sous le terme de guérilla, mais qui fut surtout ressenti par les autochtones comme un changement civilisationnel radical, imposé par des circonstances remettant en cause l'ordre religieux et politique de la région. L'un des exemples les plus célèbres de cette mutation fut la défaite eurysienne immortalisée par les chroniqueurs sous le nom de "Nuit Funeste". Un évènement que l'historiographie a encore du mal à traiter sans laisser place à des présupposés militants. Célébrés par les révolutionnaires comme l'un des premiers grands actes de résistance populaire, décriée par les sphères plus conservatrices comme un exemple de barbarie autochtone et une tragédie, ce qu'on peut en dire sans trop s'avancer, c'est que l'évènement fut l'occasion de nombreux morts. L'une des rares batailles du siècle à tourner en victoire stratégique pour les autochtones.

La nuit du 16 Mars 1528 fut la date décidée par les capitaines de la "glorieuse expédition" pour tenter de quitter la cité de Lac-Rouge, occupée par des moyens militaires depuis plus d'un mois et en proie à une agitation de plus en plus fébrile de la part de la population. Initialement invités par le Taotlani, les hommes et femmes de la glorieuse expédition tentèrent de prendre le contrôle de Lac-Rouge en prenant en otage son taotlani et en imposant par le fer plusieurs actes de violence. Après près d'un mois de tensions et d'occupation, la situation était devenue manifestement intenable pour les eurysiens qui prirent la décision de rassembler les richesses pillées durant leur expédition et leur occupation de la ville, et de quitter les lieux. La culture nahua traditionnelle tend à considérer la retraite comme un aveu de défaite : traditionnellement, il est rare d'attaquer une armée désertant le champ de bataille. De même, la guerre est l'affaire stricte des guerriers, notamment dans les sociétés urbaines, qui tendent à une répartition rigide des rôles. La Nuit Funeste fut une exception notable à ces deux règles : le départ des eurysiens se fit dans le sang, et ce fut la population civile, hommes femmes et vieillards, qui vinrent lyncher les hommes et femmes de l'expédition, se réappropriant leur cité par le massacre de ses occupants, sans même chercher à obtenir des prisonniers. Cet acte est considéré comme un moment clef dans l'histoire nahua, celui où la guerre quitta son statut ritualisé pour devenir un acte d'élimination de l'adversaire.

Certains y voient aussi une réaction du peuple à plusieurs massacres perpétrés par l'expédition dans certaines cités tributaires de Lac-Rouge : il semble en effet que c'était le taotlani et le clergé qui repoussaient l'idée de venger les nombreux civils massacrer lors de certains sièges, notamment à fin d'essayer d'obtenir une forme de paix avec les étrangers. Privés de leur leader et face à un clergé largement affaiblit par un mois d'inactivité imposée durant le siège, la population a pu mener sa vengeance à bien.

Le reste de la guerre coloniale fut une suite de massacres et de sièges dont l'extrême violence qu'il serait inutile de lister ici : le fait est que la victoire des eurysiens, qui ne fut jamais totale, fut obtenue par des actes de "pacification" tenant du massacre. Assassinat de l'ensemble des nobles et guerriers, exécution de civils en réponse aux meurtres de propriétaires terriens, interdiction des rituels religieux, destruction de temple et de patrimoine culturel, autodafés de codex et d'archives, séparation des enfants et des parents etc. L'éclatement des modèles de gouvernance traditionnels s'accompagna d'une disparition progressive du clergé et d'un repli des populations dans les montagnes et les forêts du sud du territoire, d'où s'organisa une guérilla de vengeance, dont les objectifs changèrent avec le temps et les régions : de la simple élimination du pouvoir eurysien à l'extermination totale des colons.

Dans les territoires effectivement colonisés par les eurysiens, la situation était là aussi d'une extrême violence. Si plusieurs gouverneurs autochtones purent conserver le contrôle de villes ou de territoires selon des accords passés durant la conquête, et ne furent que progressivement intégrés au système des vice-royautés celles-là couvraient dès le départ l'immense majorité du territoire colonial.

Il existe une ambiguïté notable dans le système administratif de ces nouvelles provinces : d'une part, des décrets royaux et religieux reconnaissaient l'humanité des paltoterrans et leur statut de sujets du roi, signifiant par la même qu'ils jouissaient d'un certain nombre de droits et devaient s'acquitter d'un certain nombre de devoirs. D'autre part, ces populations étaient d'une culture très différente de celle de l'Eurysie, suivaient un fonctionnement moral et spirituel alien pour les colons et n'étaient, c'est peut-être le plus important, pas chrétiens. Ce fut au nom de l'évangélisation que furent commis certains des actes contres lesquelles la monarchie et
l’Église légiférèrent. Une légifération que l'on considère rétrospectivement relativement inutile en ça que la distance séparant l'Eurysie de ses colonies donnait de fait les pleins pouvoirs aux gouverneurs. Du reste, il serait inutile de nous attarder sur l'influence et le pouvoir réel de ces gouverneurs, et de nous prêter à des analyses de leurs comportements afin de déterminer s'il existait des périodes de relax dans la violence du joug colonial : les colons eux-mêmes parlaient du système colonial, la situation est, dans son ensemble, la conséquence mécanique des ambitions de celles et ceux qui traversaient la mer pour "servir leur roi" et se servir dans les terres agricoles redistribuées.

Ainsi, l'esclavage — pratique déjà présente dans la région — fut renforcée, et accompagnée de divers systèmes de corvées et de servage. C'est le système des haciendas. On attendait des propriétaires terriens qu'ils prennent à leur charge l'éducation des indigènes, c'est à dire en fait qu'ils les évangélisent, en échange de quoi ceux-là devaient fournir du travail. Point de fixation des crispations sociales historiques dans le paltoterra, les grandes propriétés terriennes furent, dès leur établissement, des lieux visant à éliminer la culture locale et à fournir une main d'œuvre servile et gratuite aux colons et à l'empire colonial. Si une partie de la noblesse régionale fut épargnée en intégrant la noblesse coloniale, profitant ainsi de privilèges et de postes administratifs, à condition, bien souvent, de se marier à la noblesse eurysienne, la culture traditionnelle survécut réellement dans les villes et fortifications conquises plus tardivement, à travers les populations s'étant exilées pour continuer à mener une résistance ou au sein des communautés fortement agraires, qui réchappèrent pour certaines au traitement réservé aux habitants des sites plus urbains.

Au final l'impact de la colonisation sur la culture paltoterranne fut celle d'une tentative inaboutie de génocide culturel. Si l'échec eurysien (puis burujois) est attesté par les nombreuses survivances de culture traditionnelle et l'existence de guérillas tout au long de l'histoire coloniale, on peut tout de même noter qu'il s'est produite une importante créolisation des cultures coloniales, notamment autour des anciennes métropoles. Outre le dialogue artistique qui poussa les créateurs eurysiens à s'inspirer de leur environnement paltotteran et inversement, l'évangélisation de la population, pour son succès relatif, participa tout de même à apporter un nouveau set de valeur à la région. Le rapport à la violence et à l'autre évolua progressivement et plusieurs valeurs chrétiennes (qui existaient pour la plupart sous une forme ou une autre dans la société pré-coloniale) infusèrent au sein de la population. Avec le temps, l'émergence d'une classe marchande et artisanale indigène au sein des colonies et l'importance démographique conservée par les populations autochtones amener à de nouvelles façons de comprendre le monde. La révolution fut largement rendue possible par la convergence d'intérêt économiques des serfs autochtones et des petits paysans eurysiens, des marchands coloniaux ou locaux, et par l'émergence de philosophies essayant de faire le lien entre ces différentes cultures coexistants au sein de mêmes environnements. Si le sacrifice humain ne fut évidemment pas réintroduit au sein de l'édifice colonial, plusieurs pratiques considérées barbares du temps de l'invasion (piercings, sacrifices de sang, sports violents) réémergèrent progressivement, sous une forme ou une autre, de la clandestinité où les avaient jetés les premiers colons.

Dans les espaces encore indépendants et au sein des mouvements de résistance, les actes de violence traditionnelle ne disparurent pas tout à fait, et si l'évolution radicale du contexte régional imposa une adaptation d'un certain nombre de pratiques (les sacrifices humains ne se pratiquaient plus sur la population - limitée - de ces réduits, et jamais dans des proportions aussi importantes qu'à l'époque du Tribunal), celles-là survécurent tout de même. Si on peut constater de leur dissolution progressive, il faut comprendre que celle-là répond directement aux besoins pour les insurgés de maintenir le dialogue et la compréhension avec les populations indigènes soumises au joug colonial et subissant elles-mêmes un métissage culturel. Au final, l'extrême violence traditionnelle se déporta, et devint une violence insurrectionnelle. Jusqu'aux textes religieux de cette période subirent d'importantes modifications et réforment visant à justifier l'action d'insurrections et à ritualiser les assassinats politiques, enlèvements de colons. L'art de la guerre traditionnel évolua pour définitivement quitter toute forme de ritualisation de l'acte martial au profit d'une guerre de guérillas parmi les premières dans son genre, et on peut dire, avec le recul historique, que la culture autochtone se réorganisa progressivement afin de devenir une pure culture de résistance.

La production culturelle et artistique de ces enclaves évolua pour faire la part belle à la protection de la culture et de l'histoire, et à la production de récits et d'œuvres rendant compte de la lutte pour l'indépendance. Des genres de contre-cultures se développèrent ainsi au sein des populations soumises au joug colonial, où circulaient des icônes de grands guerriers traditionnels ou indépendantistes, ainsi que des poèmes et des récits littéraires anti-eurysiens. Les arts martiaux traditionnels, abandonnés du temps du Tribunal, furent réinventés, le langage religieux devint celui de l'insurrection et les rivalités traditionnelles entre cultures, ethnies et cités furent progressivement mises de côté, amenant à un brassage culturel qui renforça encore ce qui n'était qu'à la base qu'une alliance de fait entre les populations indigènes. En un sens, les eurysiens furent responsables volontairement et accidentellement de la disparition progressive de plusieurs violences régionales, soit en imposant la fin de pratiques traditionnelles, soit en créant un contexte favorable à l’apaisement de certaines tensions, soit en concentrant l'intégralité des haines et désirs guerriers.

2.2 La répression coloniale

L’une des grandes idées de l’appareil sécuritaire colonial afin d’assurer sa survie fut de réintroduire le vieux principe rhémien de "Décimation". Initialement conçue comme sacrifice fait au nom du plus grand nombre, la décimation consistait, dans un groupe de dix légionnaires, à l’élimination du membre le plus faible par les neufs autres. Au sein du paltoterra, la décimation pris une forme tout à fait différente : pour chaque eurysien tué par un autochtone, on devait tuer dix de ceux-là. L’idée était à la fois de hiérarchiser de façon claire la vie des différents habitants des domaines coloniaux, de l’autre d’horrifier les indépendantistes afin de les pousser à mettre un terme à leurs assauts. S’il est difficile de déterminer à quel point la décimation fut effectivement pratiquée, de nombreux textes législatifs et historiques y font effectivement référence, ainsi que des correspondances et des rapports envoyés par l’administration à la couronne. À la décharge de celle-là, on peut noter que les actions de répression les plus violentes étaient systématiquement condamnées, si sous des formes particulièrement inefficaces tel que des décrets ordonnant aux vice-rois d’organiser des enquêtes dont on devait bien se douter qu’elles n’amèneraient, finalement, à rien. Au final, la guerre larvée qui opposa les eurysiens aux populations coloniales fit de nombreux morts et disparus et engendra des actes de barbarie qui évoluèrent avec les tensions, c’est à dire qui tendirent progressivement à disparaître à mesure qu’une conscience nationale se développait chez les populations coloniales et qu’il fut décidé, de part comme d’autre, d’essayer d’exister en voisins. En d’autres termes, à mesure que les autochtones ne visèrent plus l’élimination des eurysiens mais bien du modèle de société imposé par leur roi.

Pour autant, de nombreux crimes sont à mettre sur le compte de l’appareil colonial et de sa Sûreté militaire. D’abord l’organisation d’un réseau de torture comptant pas moins de six cent sites dédiés à travers les colonies à son apogée e 1610, ensuite l’organisation d’assassinats et de disparitions forcées de personnaltiés politiques et culturelles autonomistes, indépendantistes, indigénistes. L’élément le plus remarqué de la colonisation eurysienne fut la destruction assez systématique de tout les "idoles". Des pyramides furent démantelées, des statues et des palais détruits ou défigurés au burin, plusieurs objets d’arts furent pillés et acheminés jusqu’en Eurysie, mais une quantité au moins aussi importante de ceux-là furent détruits sous l’influence de l’Église Catholique. Celle-là ordonna aussi la menée de pas moins de seize grands autodafés qui visaient spécifiquement des archives historiques, politiques, littéraires et poétiques. La question de la répression des autochtones et de la destruction de leur patrimoine fut le sujet de plusieurs dispurés au sein de l’administration coloniale et on note d’ailleurs plusieurs cas de violences au sein même des élites coloniales sur ces sujets. La plus notable est peut-être la défense de la bibliothèque rouge, durant laquelle les forces du gouverneur Guillon s’opposèrent à celles du district militaire, missionnées par l’évèque mathieu pour détruire l’une des plus grandes archives de l’ancien empire Chan-Chan.

Un intérêt précis pour la destruction et la répression accompagnée de débats internes. Deux caractéristiques totalement absentes du règne colonial burujois. Arrivés plus tardivement que les eurysiens, les nazuméens conquirent la région en profitant des divisions entre les administrateurs eurysiens et de la faiblesse militaire de ces grands territoires majoritairement agricoles.On peut considérer que la période des daïmios burujois fut celle où la violence fut la plus ordonnée et précisément utilisée. Instaurant un ordre politique féodal et chassant les anciennes élites eurysiennes, les burujois classèrent leurs citoyens selon leur ethnie, ce que faisaient déjà les eurysiens, mais sous une forme tout à fait officieuse. La répression burujoise fut une nouveauté pour les eurysiens qui se retrouvèrent soudainement propulsés au même niveau que les autochtones qu’ils combattaient jusque-là. Ils purent ensuite constater que cette extrême violence était aussi employée contre les populations déportées du Nazum pour suivre leurs seigneurs. Ainsi, des ordres de chevaliers itinérants furent organisés dès les premiers jours de la colonisation, afin de combattre le banditisme. Dans les faits ces chevaliers de la petite noblesse devaient faire régner la terreur au sein des populations étrangères et agricoles. Dotés du droit de rendre la justice, ils menaient des enquêtes d’une extrême violence caractérisée par leur usage de l’arbitraire et de la torture. La barbarie désordonnée de l’appareil colonial eurysien laissa place à un processus pensé, organisé et strictement hiérarchisé de destruction de l’individu par des moyens de pure terreur. Si on compte moins de destructions de sites monumentaux et d’archives sous le joug burujois que sous celui de l’Église Catholique, les souffrances individuelles furent importantes. Notamment, le statut des serfs, qui avait alors disparu au profit d’un système complexe d’endettement laissait tout de même une plus grande liberté aux ouvriers agricoles, fut réinstauré et chaque sujet du domaine colonial fut assigné à un noble titulaire.

La radicalité du règne burujois acheva de rapprocher les populations eurysiennes et autochtones, qui étendirent le champ de leur action de résistant en y incluant plusieurs des serfs burujois, eux-même influencés par leur exposition aux structures de gouvernances eurysiennes.
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Droits LGBTQ+ au Grand Kah : une perspective historique

Introduction

La question des minorités sexuelles et de genre dans les sociétés anciennes est une question assez mal connue du grand public car généralement polluée par l’actualité politique récente. Si de nombreux pays ont adoptés au cours des ages des postures sociales puis légales en faveur ou défaveur d’une certaine acceptation de cette diversité, il est parfois impossible de mener des campagnes d’information ou même simplement de recherche tant les gouvernements et structures de pouvoir disposant des archives utiles à un travail historiographique digne de ce nom s’avèrent hostiles à toute recherche pouvant parfois mettre en valeur une histoire du progrès social et de l’origine des discriminations contraire au dogme politique officiel. Sans surprise, les pays faisant preuve d’une certaine forme de tolérance voir d’une inclusivité pleinement caractérisée sont plus accessibles et ouverts à la question de la recherche sur ces questions. Dans le cas spécifique du Grand Kah, cette accessibilité est d’autant plus caractérisée que l’histoire des minorités sexuelles et de genre, à travers les notions traditionnelles des premiers peuples d’Aleucie et du Paltoterra dite de Troisième Genre et la question de l’homosexualité, s’intègre das l’histoire politique du pays, au centre de son contrat social. Un travail visant donc à déchiffrer ou synthétiser l’état de l’art concernant les réalités historiques ayant accompagné ces changements aurait aussi une utilité publique plus évidente.

En effet, si beaucoup mettent la grande acceptation des diversités sexuelles et de genre de l’Union sur le seul compte de son fonctionnement communaliste (ou Kah, selon la terminologie d’usage dans la confédération), il ne faut pas oublier que les régimes traditionnellement considérés progressistes n’adoptent pas tous les mêmes postures concernant ces questions, certains régimes communistes s’avérant parfois très hostiles aux minorités, certains groupes traditionnels pouvant aussi se révéler réfractaire à l’acceptation des personnes trans, non-binaires ou même homosexuelles.

La vérité c’est que si les pays progressistes sont, du fait de leur fonctionnement fluide et de leur politique généralement tournée vers le laissez-vivre et la compréhension (comme ciment social de la société, voir "La Société sans l’État", presses universitaire d’Albigärk, Agathon Lutèce), des mécanismes historiques et sociaux sous-tendent l’envergure réelle de cette acceptation de l’autre. Concernant le Grand Kah, il est évidemment difficile d’établir un modèle unique s’appliquant à l’ensemble des communes, mais l’on peut considérer que malgré des variations régionales notamment sur les territoires Afaréens, l’osmose culturelle liée à l’existence même de la Confédération a plus ou moins normalisé la culture et le rapprot aux LGBT + de l’ensemble du territoire selon le modèle majoritaire, lequel étant celui du Grand Kah dit "continental", ou encore Paltoterran. Une région au sein de laquelle les minorités sexuelles et de genre ont toujours été reconnues à un certain degré, avant de devenir une question de souveraineté pour les premiers peuples à la colonisation. Il est fort possible que la reconnaissance précoce (au vu de l’Histoire) des droits des personnes homosexuelles et trans est liée à ce passif Historique, et a ensuite ouvert la voie à des réflexions plus larges intégrant les différents genres à mesure de leur définition à travers le vingtième siècle. L’Union moderne et sa position avancée sur les questions sociales trouve là encore ses racines dans un contexte local ayant servit de facilitateur.

Section 1 : Homosexualité et troisième genre dans le Paltoterra pré-colonial

À l’arrivée des éclaireurs eurysiens en Paltoterra du nord, la région était largement sous la domination de l’Empire Nahualtèque, lequel avait entrepris après d’importantes réformes de son administration d’imposer une loi commune à la région et aux divers peuples la composant. Cette démarche centralisatrice s’accompagnait d’un clair projet d’hégémonie culturel qui a pu faire penser à certaines générations d’historien que la région représentait un objet culturel unifié pouvant être étudié d’un bloc. Cette tentation d’essentialiser les premiers peuples en les rattachant à la culture de l’État qui les dominait avant le début de la période colonial est particulièrement contre-productif dans le cas des études sociologiques en ça que la nature même de l’impérialisme, dans ces régions, n’a jamais réellement permis d’unification culturelle. L’adoption de normes religieuses et éthiques a pu se faire à l’échelle régionale, mais sur des périodes longues et sous des formes généralement désunies, s’agissant en fait plus d’une évolution du zeitgeist que d’une véritable égalisation des conceptions culturelles. On pourrait ainsi résumer plus justement la question de la situation des LGBT+ dans la région à l’arrivée des eurysiens sous ce terme, zeitgeist, air du temps. Il y avait un air du temps favorable à ces minorités sexuelles et de genre, malgré la construction par l’État nahualtèque d’un système rigide de loi beaucoup plus défavorable.

Dans les faits ce système de loi (concernant spécifiquement le cas des LGBTQ+) semble s’inscrire dans une histoire régionale chargée de différences culturelles et de postures officielles parfois contradictoires entre les différentes nations pré-coloniales. Faute de pouvoir revenir sur plusieurs millénaires d’histoire nous allons donc faire un rapide tour d’horizon de la situation dans les siècles précédents l’arrivée des colons, cette culture des derniers jours avant le premier contact étant celle ayant le plus nourrit les résurgence et informée les subsistances des cultures paltoterrannes ayant ensuite été intégrées au Grand Kah moderne.

Pour commencer il convient d'expliquer une chose : la notion même de genre est une construction relativement récente permettant de définir un certain nombre d'élèments qui, s'ils semblaient bien exister avant la création du terme, étaient généralement regroupés sous d'autres termes communs par les contemporains. Dans une société sans principe de genre, les choses s'organisent généralement par rôles. C'était en tout cas le cas dans la majorité des sociétés pré-coloniales, lesquelles assignaient ou des rôles genrés (comportements féminins, masculins), ou sociaux (mère, père, guerrier, etc,) ramenant quoi qu'il en soit à une forme de binarité ayant depuis évoluée pour donner les gens masculins et féminins modernes. Ces constructions sociales étant, les comportements s'en éloignant étaient globalement compris comme une adoption de rôles féminins par des hommes, masculins par des femmes, ou un genre de compromis générant de fait l'apparition d'un nouveau rôle. Ce que nous appelions jusqu'ici troisième genre, pouvant recouper des réalités aussi divers que la non-binarité ou la transidentité. Dans ce contexte historique, l’ensemble des termes utilisés à l’époque et que l’on retrouve dans les documents, codex, chroniques, etc. nous servant de source peuvent être résumés de la sorte. Homosexualité (masculine ou féminine) et "troisième genre". Plutôt que d’utiliser des termes modernes dont nous ne pourrions attester de l’exactitude – il ne semble pas que les premiers peuples s’intéressaient aux différences fondamentales entre ces comportements hors-normes binaires – nous utiliserons donc les termes d’homosexualité et de troisième genre lorsque nous nous référerons aux à la vision des choses, sociale comme légale, de ces civilisations.

Pour commencer il convient d'expliquer une chose : la notion même de genre est une construction relativement récente permettant de définir un certain nombre d'élèments qui, s'ils semblaient bien exister avant la création du terme, étaient généralement regroupés sous d'autres termes communs par les contemporains. Dans une société sans principe de genre, les choses s'organisent généralement par rôles. C'était en tout cas le cas dans la majorité des sociétés pré-coloniales, lesquelles assignaient ou des rôles genrés (comportements féminins, masculins), ou sociaux (mère, père, guerrier, etc,) ramenant quoi qu'il en soit à une forme de binarité ayant depuis évoluée pour donner les gens masculins et féminins modernes. Ces constructions sociales étant, les comportements s'en éloignant étaient globalement compris comme une adoption de rôles féminins par des hommes, masculins par des femmes, ou un genre de compromis générant de fait l'apparition d'un nouveau rôle. Ce que nous appelions jusqu'ici troisième genre, pouvant recouper des réalités aussi divers que la non-binarité ou la transidentité. Dans ce contexte historique, l’ensemble des termes utilisés à l’époque et que l’on retrouve dans les documents, codex, chroniques, etc. nous servant de source peuvent être résumés de la sorte. Homosexualité (masculine ou féminine) et "troisième genre". Plutôt que d’utiliser des termes modernes dont nous ne pourrions attester de l’exactitude – il ne semble pas que les premiers peuples s’intéressaient aux différences fondamentales entre ces comportements hors-normes binaires – nous utiliserons donc les termes d’homosexualité et de troisième genre lorsque nous nous référerons aux à la vision des choses, sociale comme légale, de ces civilisations.

Suite à venir.
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