09/08/2013
19:34:00
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L'océan comme alliance [Soynaria & Pharois]

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Pharot, capitale du Syndikaali

Il neigeait abondamment sur le Syndikaali en ce mois d'octobre 2009, et la ville était toute entière couverte de blanc, ce qui faisait ressortir la noirceur des tâches de fumée sur le béton. L’aéroport international de Pharot se trouvait à l’est de la ville, ce qui avait donné l’occasion à la délégation d’en observer les deux ports, l’un au nord et l’autre au sud, qui contribuaient à la prospérité économique de la capitale.
Ville récente, industrielle et bétonnée, Pharot restait malgré tout à taille humaine. Si ses grands et hauts bâtiments pouvaient accueillir beaucoup de monde, cela avait le mérite de réduire les distances à parcourir à pieds et la superficie de la capitale restait réduite, encerclée par deux mers. Le Pharois demeurait assez peu peuplé, malgré un afflux constant de nouveaux citoyens, et cela se ressentait même dans ses « grandes villes » qui dépassaient rarement les deux millions d’habitants.

Il aurait été mentir que de dire que le Pharois Syndikaali avait le sens du protocole, mais il le compensait sans aucun doute par la jovialité de son ministre de la Diplomatie, et par quelques gestes symboliques biens choisis qui faisaient oublier les petites offenses d’une cérémonial quasi absent.

Lorsque l’avion des représentants de la République Fédérale de Soynaria se posa à Pharot, le Capitaine Ministre Mainio se trouvait sur le tarmac où on joua l’hymne national, mais seulement la Naryunienne, celui du Syndikaali étant de toute façon inaudible.

- J’espère que vous avez fait bon voyage ? demanda le capitaine après les salutations protocolaires d’usage et quelques photos pour les médias. « Le temps est à l’orage en ce moment, nous prévoyons une tempête venue du nord. »

Il en descendait parfois des pôles où les masses d’air chaudes et froides se heurtaient au large du territoire pharois, créant des maëlstroms.

- Cela n’empêchera pas de visiter un peu Pharot, mais derrière les vitres de la voiture je gage. Vous ne manquez pas grand-chose de toute façon, c’est une ville assez laide de l’avis général. Albigärk et Kanavaportti on une valeur architecturale bien plus intéressantes.

Alors que le temps se couvrait, le capitaine les mena jusqu’aux voitures. Sur les côtes, quelques garde-côtes vaquaient à leurs occupations sans trop accorder d’importance à la délégation, leurs lourds fusils mitrailleurs en bandoulière. Le Syndikaali était à l’image de sa réputation, bigarré, irrévérencieux, et pourtant étrangement spontané et amical. Point de garde d’honneur ou de cérémonial alambiqué, les choses s’y faisaient assez naturellement et le Capitaine Ministre Mainio semblait très à l’aise dans son rôle.

- Je vous emmène au restaurant, ce sera plus agréable pour discuter. Puis si le temps est toujours couvert nous irons nous réfugier au ministère des Intérêts internationaux. Je monterai le chauffage.
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L'avion se posa sur le tarmac de Pharot. C'était un des rares appareils Soynarien qu'utilisait le gouvernement. Son origine était étrangère, et la ministre en y pensant se dit qu'il serait temps pour le Soynaria de se lancer dans la production aéronautique.

Surtout maintenant que les voyages diplomatiques allaient certainement augmenter en quantité et en intensité.

Un des délégués l'accompagnant vint le sortir de ses pensées.

- Madame le ministre, nous sommes arrivés.

- Bien, bien, merci.


Elle se leva et se dirigea vers la sortie. Descendant de l'avion elle salua la délégation l'attendant à l'extérieur.

Nikita Gubarev écouta attentivement l'hymne, d'après ce qu'elle savait du Pharois la musique actuellement jouée était "La Naryunienne". C'était un bel air, il fallait l'admettre.

Après les quelques photos côtes à côtes avec son homologue elle lui répondit.

- Monsieur Mainio, je suis enchanté de vous rencontrer. J'ai fait bon voyage, je vous remercie.

La ministre jeta un regard au ciel.

- Effectivement, un orage d'automne, j'espère qu'il ne sera pas trop violent.

- Oh ! Je ne dirais pas que cette ville est laide. Et bien il ne nous restera plus que visiter Albigärk lors d'une prochaine rencontre.

Plaisanta t'elle. Les visites diplomatique était une bonne manière de visiter les villes et architecture. La soynarienne savait que beaucoup de ses homologues appréciait leurs métiers pour cela .Ce n'était pas vraiment son cas, elle, ce qu'elle préférait, c'était le contact humain.

- Comme vous le voulez, goûter la cuisine pharoise serait un honneur. J'ai entendue parler de quelques plats qui le paraissent savoureux. J'ignore si c'est vrai.

Ils montèrent dans les voitures. Après un petit instant, quand celles-ci eurent démarrées la ministre reprit la parole.


- Tant que nous sommes en route j'aimerais vous parler de quelques sujets pour commencer. Allons-y crescendo si vous le voulez bien.


Nikita était comme ça. Une acharnée du travail, en tant que nouveau et premier ministre des affaires étrangères du nouveau gouvernement elle prenait son rôle très à coeur.

-Quelles suites pensez vous donner au cas du Vogimska ? Comme nous vous l'avons déjà dit nous lui avons proposé une enquête internationale de notre part, malheureusement je crains que son absence de réponse soit un refus de sa part.

Elle fit une pause avant d'ajouter.

-Pour moi, je pense que nous devons agir. Prendre des sanctions sévères. Comment des nations civilisées de la mer du nord peuvent se taire devant une telle barbarie ?
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Poli, le capitaine fit la conversation à ses hôtes avec affabilité, rebondissant sur les boutades des Naryuniens.

- Albigärk ou toute autre ville, nous faisons assez peu la chasse aux passeports à parler franchement, je crois que les frontières n’ont jamais véritablement été quelque chose qui nous passionne.

Il les mena aux voitures où ils purent tous s’installer en devisant sur la gastronomie pharoise – qui était à dire vrai fort fade – et se lancèrent vers le centre-ville de Pharot où se poursuivraient le rendez-vous.
Bien que Mainio prenne de la place, l’intérieur de la voiture était conçu pour être spacieux et silencieux, on pouvait y discuter sereinement le temps du trajet.

- Je vous écoute avec attention, assura-t-il à Nikita Gubarev en plissant les yeux. Il l’écouta ensuite comme promis puis, lorsqu’elle eut terminé de poser ses questions, hocha la tête tranquillement.

- Je vous répondra dans l’ordre, si vous le voulez bien. D’une part il m’étonne peu que le Vogimska n’ait pas donné suite à votre proposition. C’est la stratégie du gouvernement depuis plusieurs mois d’être dans le déni de la colère de sa population. A vrai dire je ne sais pas s’il y a grand-chose à attendre encore du côté du sommet de l’Etat.

Il grimaça légèrement.

- Je suis d’accord avec vous concernant le fait que nous ne pouvons pas laisser faire les choses sans réagir. A dire vrai, la plupart des pays de l’océan du nord ont condamné les agissements du Vogimska, l’Empire Karpok, la République Sociale du Prodnov, la Lutharovie indirectement et nous-mêmes. Seule la République Libre du Prodnov continue de soutenir le gouvernement par cynisme sans doute et parce que ces deux pays sont proches de certains pays bellicistes de l’ONC. Les brigands se serrent les coudes j’en ai peur.

Il prit un air désolé, bien qu'ait brillé dans son regard une lueur d'amusement bien compris.

- Vous mettez le pieds dans un panier de crabe je tiens à vous le dire, et la morale, les valeurs, tout cela s’effondre rapidement face aux intérêts bien compris de certains impérialismes. Le Vogimska a rejoint l’ONC et se croit protégé par eux, il l’est dans les faits, ce qui rend les choses beaucoup plus complexes que si nous n’avions eu qu’à nous réunir autour d’une table pour discuter ensemble et trouver une sortie de crise. La présence de l’impérialisme dans la région ajoute un acteur à la partie, ce qui est de nature à nous damner le pion.

Le capitaine sourit cependant.

- Rien n’est perdu toutefois car l’ONC redoute la flotte pharoise et sait qu’elle ne joue pas à domicile. Nous avons imposé un blocus économique au Vogimska lorsque ce-dernier a expulsé illégalement nos ressortissants de son pays en prenant pour motif les attentats. Blocus qui a récemment été levé lorsqu’il fut révélé que les attentats avaient été commis par le Vogimska lui-même. Nous ne souhaitions pas accabler la population pour les crimes de son gouvernement, il y a une longue tradition d’amitié entre les Pharois et les Vogimskans, et Boris Koshetchkine est un trop petit monsieur pour l’ébranler.
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Le capitaine, de ce qu'elle savait du Pharois, était le titre de son interlocuteur, disait vrai. Le gouvernement du Vogimska se réfugiait dans le déni. Aussi, si cette proposition d'enquête se voyait refusée du moins personne ne pourrait dire que le Soynaria n'avait pas essayé d'être neutre.

-Leur refus est comme un aveux, c'est certain. Ce gouvernement n'hésite pas a nous menacer. Entre nous je dois bien dire que leur dirigeant est plus proche du brigand que de l'homme politique.

La suite des propos de son interlocuteur fit mouche. Évidemment, la ministre avait que trop bien compris où son homologue souhaitait en venir. Et à vrai dire elle admirait sa façon de remettre en question les dernières décisions prise par son gouvernement, ce vieux loup de mer était rusé. Elle sourit afin de lui faire comprendre qu'elle avait parfaitement compris le sens implicite de ses propos quant au Vogimska et son soutien de la part de la République Libre du Prodnov.

- Je prend note de ce conseil, cher ami. Mais ce panier de crabes, comme vous dîtes, nous saurons bien en tirer quelques choses. Je suis heureuse que vous en parliez. De cet impérialisme !

La ministre fit une pause.

- Quant a ce qui concerne les sanctions j'imagine que vous avez raison. On ne peut pas faire peser sur un peuple opprimés les erreurs de ses oppresseurs. Du moins nous pensons sanctionner les membres du gouvernement. Une action commune serait plus efficace, si cela vous convient.

Elle toussota, puis repris.

- Je crains fort que cette ONC soit un élément fort facheux pour notre région. Je ne sais pas comment vous percevez cela mais pour nous ce n'est qu'une organisation internationale qui se mêle de politique régionale. Et comme telle, n'a rien a faire sur cette partie du monde. En fait, elle n'est que déstabilisatrice.

Elle marqua une pause.

- Je crois que si nous souhaitons régler les deux crises majeures de la région, a savoir le Vogimska et le Prodnov nous devons nous débarrasser de cette ONC. Elle paraît être la source de nombres de nos problèmes.

La Soynarienne observa la réaction de son homologue, cherchant à y déceler une réaction, afin de l'analyser.
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La diplomatie était l’exercice des sous-entendus. Dire sans dire. Critiquer sans vexer. Flatter sans devenir obséquieux. Se témoigner une amitié prudente, ou un désamour cordial. L’insulte dissimulée y était poussée au rang d’art et les meilleurs à cela parlaient une langue exotique, éloignée de celle du commun, une langue où le poids des mots pesait plus lourd que le fracas des armes, mais où la parole n’engageait pourtant à rien.
Car en définitive, on avait beau se dire les choses, il n’en restait à la fin que des forces volatiles, confiance, persuasion, connivence. C’était là-dedans que se tissait la toile des accords et des traités, dans un fil fait d’air et de promesses vaporeuses.

La ministre avait l’intelligence des gens qui n’étaient pas dupes. C’était à cela qu’on reconnaissait ses homologues diplomates. Quand chacun parlait la langue de l’autre, alors la conversation, même voilée à demi-mot, pouvait commencer.

- Je ne peux que vous souhaiter d’en tirer le meilleur. Et puis il ne faut pas croire, je professe autant des mises en garde que des invitations. Après tout, certains savent nager tout à fait prodigieusement dans les puits à anguilles.

Ayant déjà bien assez exposé son point de vue, le capitaine laissa s’expliquer Nikita Gubarev, opinant parfois du chef à certaines de ses remarques.

- Si nous visons les dirigeants, des sanctions symboliques sont envisageables, à commencer par une interdiction d’entrée sur le territoire. Plus nous serons nombreux à adopter cette mesure et plus le poids du symbole sera fort. Nous montrons ainsi au peuple vogimskan qu’il n’est pas abandonné, et à la communauté internationale notre fermeté vis-à-vis du terrorisme.

Évidement le capitaine Mainio avait l’expérience suffisante pour ne pas dévoiler la légère jubilation que provoquèrent chez lui les paroles de son homologue Naryunienne, se contentant de garder son air mi-grave mi-paisible qui l’habitait lorsqu’on parlait de choses sérieuses.
Un observateur habile aurait cependant su déceler la légère lueur d’intérêt qui brillait au fond de son œil, lorsqu’il reprit tranquillement la parole. La diplomatie était jeu de poker, autant que le poker lui-même. Une démonstration trop évidente de satisfaction aurait été indécente, au vu des événements récents.

- La position du Syndikaali a toujours été simple : nous nous méfions des missionnaires armés en tous genre, qu’ils soient démocrates ou autoritaires, rouges ou bruns. Nous pensons que chaque nation a voix au chapitre et que c’est par la diplomatie et la concertation au sein d’équilibres régionaux que chacun tirera le meilleur des autres et que nous ferons notre prospérité communes.

De bien beaux mots un peu vide.

- Nous attachons cependant de l’importance au droit de fuite. Autrement dit, qui n’aime pas son Etat a la responsabilité de le changer ou de le quitter. Le meurtre de masse étant de fait le pire des crimes, et les fermetures de frontières un sinistre présage. Pour le reste, je crois que nous pouvons discuter tous ensemble autour d’une même table, à condition de nous respecter mutuellement, quel que soit notre histoire ou nos régimes.

Cela lui fit penser qu’il devait reprendre contact avec l’Empire Karpok, la situation aux frontières avec le Bolthorkoy était préoccupante.

- De fait, je trouve en effet plus que gênant que des pays sans aucune légitimité dans l’océan du nord se permettent de venir en bouleverser les équilibres. La raison est aussi simple qu’évidente : nous tous qui nous réunissons pour travailler ensemble avons un intérêt concret à ce que les négociations aboutissent, et sommes prêts à faire des compromis pour y arriver, car aucun de nous ne veut la guerre, ou la déstabilisation du commerce.

Un soupire.

- Que des étrangers s’invitent dans la partie déstabilise cet équilibre où chacun joue à armes égales avec les autres. Car voilà que des nouveaux joueurs pour qui la déstabilisation de la région n’aura aucune conséquence ont désormais voix au chapitre. L’ONC n’a aucun intérêt à ce que les pays de l’océan du nord collaborent et travaillent ensemble. Notre renforcement mutuel les inquiète et la montée en puissance de la région va à l’encontre de leur idéologie d’un commerce uniforme et sans frontières. Ils craignent une collaboration dont ils seraient exclus de fait.

Il eut un sourire triste.

- Tout cela me fait penser que la diplomatie est minée. Nous n’obtiendrons pas d’accord politique avec ces gens, car un accord politique est précisément leur faiblesse. Ils ne prospèrent que sur la concurrence et la conflictualité des modèles, l’idée que des anarchistes, des républicains, des communistes et même des réactionnaires puissent s’entendre pour régler certains problèmes leur est insupportable et met en péril leur légitimité, appuyée sur l'exportation de la démocratie et du commerce par les armes.
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Elle eut un sourire franc en entendant cette analogie d'anguilles. Vraiment, les pharois avait un langage très imagé. Elle aimait cette façon de s'exprimer. Le soynarien n'étant qu'une langue artificielle, générique, aucune expressions de ce genre y étaient naturelles.

- Les anguilles et les requins mon bon monsieur. Voyez vous, notre nation n'a pas peur du défi. Pas plus qu'elle n'a de crainte de ces organisations internationales.

La ministre diplomate observa avec attention son homologue. Il fallait bien admettre qu'elle tombait assurément d'accord avec presque tout ce qu'il disait.

A quelques exceptions près cependant. Pour Nikita et le gouvernement dont elle faisait partie,il était absolument nécessaire de faire front contre le communisme. Le Soynaria avait bien trop vécu dans l'horreur de la politique rouge, comme désignée par les soynariens eux-mêmes, pour ne serait-ce qu'échanger un regard avec ces criminels en cravates.

Et ça, elle se devait de le faire comprendre à son homologue.

- Avec tout le respect qui vous est dû, je me dois de vous dire que nous ne pouvons traiter en égal un gouvernement communiste.

C'était hors de question. C'eut été renier ce pourquoi des milliers d'hommes et de femmes étaient morts.

-Pour le Vogimska nous tombons d'accord. Dès mon retour je m'empresserai de proposer un paquet de sanctions a l'encontre de ses dirigeants, et uniquement a leurs encontre. Je m'aligne sur votre idée de ne pas faire porter sur le peuple opprimé des sanctions accablantes.

Elle fit une pause, bien marquée. Comme pour signifier que ce sujet était clos. Pensive, elle chercha un instant ses mots puis repris.

- En fait, le vrai problème réside dans le Prodnov. Car la question du Vogimska n'est qu'une question de temps.

Elle jeta un bref regard par la vitre de la voiture.

- Je suis une fervente partisane du temps. Je crois que le temps fait toujours son oeuvre. Ne le croyez vous pas ?

Elle fit une pause.

- Non, la vraie menace est et reste l'ONC. Je ne vais pas vous le cacher, car cela serait inutile, puisque vous savez déjà notre position, que nous soutenons la République Libre du Prodnov. Elle est pour nous le seul état légitime, et ce, pour les raisons que je vous ais fait savoir précédemment. A savoir que nous ne pouvons traiter un état communiste en égal.

Elle recoiffa légèrement ses cheveux.

- Mais cependant.

Elle insista sur ces deux mots.

- Nous ne pouvons non plus laisser aveuglément l'ONC utiliser la République Libre comme un élément déstabilisateur au profit de sa politique impérialiste. En somme, je vous propose de me dire quelles seraient pour vous les solutions pour une sortie de crise ? A court terme j'entends. Si la diplomatie avec eux est minée, que nous reste t'il ?

Elle tapotait sur la petite mallette posée sur ses genoux.

- A long terme nous devrons bien évidemment chasser l'ONC de nos terres. Sans quoi des crises pareilles deviendront une habitude.

Nikita Gubarev écoutait ce que pouvait lui répondre son interlocuteur. Avec attention, le fixant du regard.
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Il semblait que ces deux esprits-là partagent une certaine connivence, sans qu’on s’en explique bien la raison. Peut-être une affinité de caractère, ou l’impression de parler le même langage sans avoir eu besoin de l’apprendre, comme on perce un message crypté par la seule force de son intelligence.

Silencieux et attentif, Mainio écouta le détail des explications de son homologues, notant parfois quelques mots clefs sur une petite feuille, pour être certain de ne rien oublier au moment où, cela arrivait, ce serait de nouveau à lui de prendre la parole.

- J’avoue, madame Gubarev, être un peu perplexe face à votre refus de ne serait-ce que discuter avec le gouvernement Malyshev.

Alexei Malyshev avait été élu deux ans plus tôt à la tête de la République Sociale du Prodnov, et confirmé dans ses fonctions lors d’une seconde élection avec une majorité encore plus large.

- Car si nous parlons bien là du fait que les communistes ont gagné les élections, la propriété privée, les droits de l’homme, tout cela est encore en vigueur en RSP. Si demain un gouvernement de gauch arrivait au pouvoir dans votre pays, devrions nous couper soudain brutalement tous les ponts avec lui ? Ce serait un triste discrédit pour la démocratie, et indirectement une façon de peser sur vos élections en mettant à vos électeurs. « N’élisez pas nos ennemis ou votre pays en paiera le prix ».

Il secoua la tête, l’air concentré sur son propre discours.

- Que va-t-on dire aux Prodnoviens dont le pays a été coupé en deux et qui ont voté pour un programme de réunification ? « Vous avez mal voté » ? Je ne prendrai pas cette responsabilité pour ma part. Certes nous aurions préféré un autre candidat, mais les Prodnoviens n’ont pas à payer pour avoir exprimé leurs préférences lors d’élections régulières.

Son regard revint vers la Naryunienne.

- Puis-je espérer vous faire changer d’avis ? Même une rencontre à huis clos, loin des caméras et de la presse. Ce serait agir en démocrate.

Il laissa passer quelques secondes, comme pour laisser le temps à son homologue d’y réfléchir, puis reprit d’un air plus tranquille.

- Je vous rejoins sur le temps. C’est dans la durée que les cœurs se dévoilent et que les amitiés se forgent. On a vite fait de signer tout et n’importe quoi, mais deux peuples qui s’apprivoisent et s’apprécient, cela demande du temps. Or c’est bien le peuple, en définitive, qui est souverain en matière de politique.

Puis avec un sourire.

- Puisque je vous ai déjà donné mon avis sur l’ONC et que nous semblons tomber d’accord, permettez moi de partager quelques réflexions avec vous. La première et la plus simple – pardonnez-moi d’y revenir – serait en effet un changement d’attitude vis-à-vis de la RSP. Si tous les pays de la région désavouent le gouvernement de Staïglad, celui-ci ne pourra se maintenir très longtemps à flot et devra accepter des concessions.

Il fit la moue.

- Envisageons toutefois d’autres cas de figure. Le premier serait une victoire économique. L’ONC perfuse la RLP avec des capitaux étrangers mais ceux-ci vont progressivement se tarir, l’engouement disparaît autour de leurs grands projets artificiels. La chute imminente du Vogimska ne les aide pas beaucoup non plus. Nous pouvons accentuer la pression sur les matières premières en nouant des accords économiques régionaux dont la RLP sera exclue. Nos conditions : le départ de toutes les troupes de l’ONC du pays. Ainsi leur influence sera grandement diminuée.

Il soupira.

- Les autres options sont plus inquiétantes, il est vrai. Il est question de déstabilisation politique, mais serions nous coupables de déstabiliser des tyrans ? Je ne le crois pas. La dictature du marché qui s’impose en RLP est éloquente et si l’ONC s’est empressé de construire des banques et de racheter tout ce qui était encore debout au Prodnov, le peuple, lui a faim, l’éducation vient à manquer et le secteur secondaire stagne. Si la population devait se lever pour réclamer le retour à l’unité territoriale, alors l’ONC devrait partir, car c’est la seule condition pour que RLP et RSP ne fassent plus qu’un seul pays, comme avant.
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La ministre écouta attentivement les propos et arguments de son homologue. Elle pouvait dire, sans l'ombre d'un doute, qu'il avait raison sur de nombreux points.

Cependant, cette question du gouvernement communiste de la RSP, et du refus du gouvernement soynarien de le reconnaître était un frein à cette discussion, un obstacle sur le moyen de trouver un compromis.

Mais il était hors de question de céder sur ce point. Alors, il pouvait bien rester perplexe, mais la ministre ne pouvait que rester campé sur ses positions.

- Encore en vigueur ? Certes, mais pour combien de temps ? Quant aux élections, je puis m'accorder avec vous que ce n'est pas une façon très démocratique que de repousser un gouvernement élu, mais les dictatures du monde entier se gargarise d'être légitime. Sauf que le communisme est de facto une idéologie retirant toute légitimité à un gouvernement. Même élu "à la régulière".

Elle prononça ces dernières mots en marquant les guillemets avec ses doigts. En tant que libérale membre d'un gouvernement a majorité de droite elle ne pouvait croire qu'un tel régime conserve les libertés sur le long termes.

- Me demandez vous de pactiser avec le diable ?

Prononça t'elle, sur le ton de la boutade, riant légèrement, qui n'en était pas moins un moyen d'exposer sa position. L'humour savait faire passer nombres de messages, pour la plupart inaudibles.

- A vrai dire, non, rien ne saurais faire changer la position ferme de mon gouvernement. Et puis, rendez-vous compte, a peine que nous ayons entamé un processus de soutien a la RLP nous nous désavouerions en prenant le contre-pied ? C'est impossible.

Les enjeux étaient bien trop importants, ridiculiser le premier gouvernement démocratique du Soynaria avec des compromissions pareilles, c'eût été saboter l'avenir démocratique du pays.

Elle fut satisfaite de voir que sur le sujet du temps, le ministre pharois la rejoignait. Il était toujours bon et agréable de s'entendre sur certaines points, même dans les discussions les plus opposées. N'était-ce pas la base de la diplomatie ?

La proposition de désavouer la RLP fit bondir intérieurement la ministre. Elle avait l'impression que son homologue n'avait pas pris en compte la position de son gouvernement, ou pire, qu'il s'en fichait.

- Votre première proposition est évidemment irrecevable.

Lui répondit-elle, répondant à son sourire par un autre sourire.

La troisième option, celle d'une déstabilisation politique n'enchantait guère la représentante du Soynaria. Agir de la sorte, n'était ce pas agir d'une façon anti-démocratique ?

En fait, seule la deuxième option convenait a Nikita. Conditionner le soutien économique comme politique au départ des troupes et de l'influence de l'ONC.

- Je pense que nous pouvons mettre une pression cordiale sur la RLP. Notre gouvernement étant un de ses soutiens peut-être pourrions nous l'amener a revoir l'influence de l'ONC sur son pays ?

Elle s'arrêta un instant.

- Nous pouvons réclamer le départ des troupes de l'ONC comme condition sinequanone d'un soutien futur. Sans quoi nous nous retirerons de la liste de ses soutiens et la menaceront d'adopter un comportement plus neutre.

Elle fixa le capitaine dans les yeux.

- Qu'en dites vous ?
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Le Capitaine Mainio eut un petit rire aux déclarations de son homologue avant de hocher la tête d’un air conciliant.

Mainio : Je ne porte pas moi-même les communistes dans mon cœur, étant profondément libéral, mais je me garderai d’être aussi catégorique sur ces questions, le gouvernement Pharois compte trois ministres rouges, après tout.

Il leva une main l’air de concéder.

Mainio : Toutefois j’entends vos arguments. Et la politique demande parfois des symboles. Ne pas renier sa parole en est une, respecter ses électeurs également. Soit. Je reformule néanmoins ma proposition d’une rencontre à huis clos avec monsieur Malyshev ? La presse n’en saura rien et peut-être saura-il vous convaincre de sa bonne foi ? Je ne dirai pas que c’est un homme honnête, ni un grand démocrate, mais on ne peut lui retirer qu’il a à cœur les intérêts de son pays, ce que je respecte.

Balayant le sujet d’un revers de la main, l’air de dire « ma foi n’en parlons plus », il opina du chef à la suite des propos de Nikita Gubarev, prenant mentalement note de ses réticences et de ses objections.

Mainio : Une pression cordiale est une solution honnête. Je vous le révèle en avance, le gouvernement Malyshev nous a réclamé une rencontre officielle au Syndikaali. Il espère négocier le départ des troupes pharoises de la République Sociale deux ans avant les renégociations des accords de Nevskigorod. Pour parler franchement, les tensions actuelles entre la RSP et la RLP ne nous font pas penser qu’il s’agit d’une bonne idée, les provocations à la frontière, l’arrivée massives de troupes de l’ONC et la remise en question des traités de paix nous font craindre une escalade. Néanmoins, si nous nous servions de ce prétexte pour demander la démilitarisation progressive des trois territoires du Prodnov occupé, la RLP pourrait bien être contrainte à demander d’elle-même le départ des troupes du Lofoten et du Novigrad.

Il fronça les sourcils.

Mainio : J’ignore si je suis suffisamment clair. Actuellement le gouvernement de la RLP est soumis à l’ONC, mais ce n’est pas le cas de sa population. Faire pression symboliquement et diplomatiquement pour encourager cette dernière à demander des comptes à ses élus serait une façon honnête d’encourager la désescalade.
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La ministre était heureuse de voir que son interlocuteur comprennait cet art de la politique des symboles. Partout les régimes, peu importait les idéologies, gouvernaient à l'aide de symboles forts, ici un refus de parler aux capitalistes, là un souhait de lutter contre l'impérialisme mais le Soynaria était un de ces pays où cela était encore plus important que la moyenne.

Même si au fond, elle savait qu'une telle politique n'était qu'un voeu pieu qui ne résistait guère longtemps à la politique de terrain, la politique réelle.

Si elle aurait du prendre une analogie culinaire, elle aurait dit que les symbole était comparable à une recette de cuisine, mais que la vraie politique incluait parfois de changer les ingrédients manquants pour d'autres, même moins gourmand. Seulement, il était trop tôt encore pour cela.

Cependant elle se devait de répondre à la négative pour cette proposition de huis-clos. Non, cela n'était pas possible.

-Même a huis-clos je le crains fort..

En revanche, elle ne pouvait qu'être d'accord avec l'analyse qui suivit. Oui les troupes de chaque camps devait quitter les territoires du Prodnov. Sans cela la désescalade n'était qu'un mot sans réalité tangible.

- Je me propose donc d'agir diplomatiquement et subtilement sur le gouvernement de la RLP. De toute manière c'est tout ce que nous pouvons faire pour notre part.

Elle griffona quelques mots sur un petit carnet.

- Charge a vous de vous occuper de la RSP. Quant a l'ONC, nous pouvons et devons unir nos force contre elle, et balancer toute notre énergie dans cette bataille d'influence.

C'était la meilleure des marches a suivre qu'avait pu imaginer la ministre.

-Pour ce sujet je crois que nous sommes arrivés à nous entendre. Il y a t'il autre chose dont vous souhaitez me parler ?
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Le Capitaine Mainio eut un haussement d'épaules navré, l'air de dire "ma foi, au moins aurais-je essayé". On n'obtenait pas toujours tout par la négociation, c'était la première leçon que devait apprendre un diplomate. La différence entre un homme civilisé et un barbare tenait en la manière de gérer cette fatalité. Certains s'y faisaient, d'autres passaient en force. Bien heureusement pour tout le monde, le Capitaine Mainio était un homme éduqué convenablement.

Mainio : La RSP est sous contrôle, ne vous en faites pas. Aussi hargneux que soit son gouvernement, il sait également que son économie et son armée ne tiennent debout que grâce au Syndikaali. Il faudra s'en inquiéter d'avantage lorsque les Prodnoviens auront les moyens de leur autonomie mais de vous à moi, nous avons le temps de voir venir.

Avec une petite moue, il passa ses doigts sur son menton (celui du haut), sorte de manière d'indiquer son intense réflexion.

Mainio : Pour cette affaire, cela est déjà beaucoup. Et la journée avance. Il resterait sans aucun doute foule de choses à dire, mais nous sommes voisins, il n'appartient qu'à nous de multiplier les visites. Peut-être devrions nous en rester là pour aujourd'hui ?

Il adressa à son homologue un regard souriant. Au moins pouvait-on discuter avec ces gens, c'était déjà plus qu'avec nombre d'autres diplomates, pourtant affiliés à des puissances autrement plus menaçantes dans le monde. De l'avis de Mainio, une grosse armée devait impérativement aller avec une diplomatie généreuse, d'autant plus généreuse qu'elle avait les moyens d'appuyer ses exigences. Dans le cas contraire, on courait assurément à la catastrophe.
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Restons en donc là, si vous le voulez bien.

La rencontre s'acheva avec un repas entre les deux dignitaires puis une rapide conférence de presse.

Puis le soir venu, les adieux se firent sur le tarmac de l'aéroport sous les flashs des photographes.

Ce fut un plaisir Monsieur Mainio, au bon plaisir de nous revoir.

Elle lui tendit la main, cette pose pour les dernières photos de cette rencontre.

Je vous tiendrais informé de la suite des évènements avec la RLP et l'ONC.

Le petit groupe de soynarien monta dans l'avion pour le voyage retour. Cette rencontre, la première de ce nouveau gouvernement, était au regard de la ministre un véritable succès.
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