Cartographier le monde
Port-Hafen n’avait jamais été grande. Elle était passée de minuscule à petite, puis de petite à fréquentée, mais grande, la ville ne l’avait jamais été. Colonie minière, du moins prévue comme telle, elle avait été abandonné presque aussitôt que bâtie, l’Empire Listonien trouvant plus rentable de consolider ses acquis en Aleucie en commençant par investir au Pontarbello et Jadis et Port-Hafen n’étaient restées qu’au stade d’avant-postes.
Depuis son indépendance cependant, la ville avait connu quelques changements. L’apport direct des capitaux Pharois, qui transitaient via l’implantation de sa base militaire à quelques kilomètres de la ville, avait permis d’engager des travaux de rénovation, et l’intégration partielle au marché de Saint-Marquise, sa riche voisine, avait permis une restructuration progressive des flux économiques locaux désormais affranchis de l’Empire.
Contre toute attente, Port-Hafen était prospère, ramenée à son nombre d’habitants, et jouissait du succès modeste des cité-Etats dont la taille ne permettait pas de faire de l’ombre à quiconque et qui s’enrichissaient dans des niches de l’économie des autres, en se pensant à travers quelques avantages concurrentiels.
Astucieusement placée par les Listoniens à l’embouchure du détroit nord-aleucien, Port-Hafen pouvait profiter du passage des navires de commerce dans la région et, si les infrastructures portuaires n’étaient pas assez grandes pour les accueillir en quantités significatives, elles offraient malgré tout quelques avantages comme des prix à la pompe peu élevés, l’accès au double marché pharo-saint-marquois, et des taxes faibles qui faisaient de la ville une espèce de zone duty free géante.
Assez de rentrées d’argent pour refaire les rues, grimper les salaires, et offrir de manière générale un cadre de vie confortable aux cinq-milles habitants que comptait la région – hors présence militaire étrangère.
Mais Port-Hafen ne souhaitait pas se cantonner au rôle de micro nation sans histoire, perchée sur un bout de péninsule aleucienne. Il y avait encore quelques lieux de pouvoir à investir pour un territoire à la production inexistante et celui de la diplomatie en était un. De la diplomatie neutre, si possible, parce que c’est important de rester neutre pour ne surtout froisser personne, en particulier quand on n'avait pas vraiment les moyens de se défendre.
Monsieur José Esteban qui avait été à bonne école, avait donc entrepris de mettre sur pieds les instruments symboliques d’une diplomatie reconnue à travers le monde, et cela commençait par un lieu emblématique. La maison de verre sur le Lago Branco serait ce symbole. Il en était convaincu !
Novembre battait son plein et dans le nord aleucien, le lac avait gelé et les arbres autour étaient couverts de neige. Les voitures avaient conduit les diplomates hors de la ville, s’enfonçant dans la forêt, jusqu’à ce que le complexe de bâtiments leur apparaisse. Sobres et épurés, de fer, de verre et de bois, comme une galerie des glaces un pan de mur entier ouvrait sur la vision vierge du lac et les bois de l’autre côté qui semblaient exempts de toute présence humaine.
C’était sans doute d’ailleurs le cas, la démographie de la République Hafenoise laissant peu imaginer une exploitation intensive du territoire à sa disposition.
José Esteban invita ses hôtes à prendre place autour d’une large table ronde. Les vitres, la blancheur de la neige permettait de se passer de lumière artificielle, quand bien même l’après-midi soit avancée. Une réunion en petit comité, mais de bonne qualité puisqu’on y retrouvait pêle-mêle la diplomatie Kah-Tanaise, Saint-Marquoise et Kotioïte, sans oublier la présence pharoise, qui était à l’origine de la rencontre bien que son rôle soit d’avantage celui de médiateur qu’une partie prenante, n’ayant pas de territoires dans la région concernée.
Sur le mur qui n’était pas en verre, on descendit un écran qui projeta une carte de l’océan d’Espérance.
Mainio, Varpu, il y avait au moins deux pirates dans la pièce, mais ce fut le grassouillet ministre qui, sur invitation de son homologue Hafenois, prit la parole. On s’était déjà salué à l’aéroport, il s’agissait à présent de causer vrai.
Mainio : « Chers amis, permettez moi d’expliciter mes vues et de vous les soumettre, vous, quatre acteurs majeurs de la région. A ce jour, l’Eurysie est, de loin, le continent le plus riche de la planète, bien que pas le plus stable je vous l’accorderai volontiers. Il se trouve cependant coupé en deux espaces distincts : la route du nord, au nord, composée de l’océan du nord – nous ne sommes pas très originaux pour trouver des noms – et de la Manche Blanche. Il s’agit d’un axe commercial majeur amené à se développer par ailleurs. Le second espace est celui du pourtour leucytaléen, relié par canal à la mer Blême.
Ces deux espaces sont reliés l’un à l’autre par voie de mer par deux passages : le Détroit de Karpokie, à l’Est, et l’Océan d’Espérance, à l’Ouest. C’est cette voie dont il est question ici. A l’heure actuelle, cette route n’a pas vraiment d’organisation. Elle était jusque-là dominée par l’ONC en Aleucie avec la présence de quatre de ses économies majeures : Alaguerena, Lofoten, Aumérine et Saint-Marquise qui captaient une part conséquente du commerce dans la région. Les puissances sur la façade eurysienne n’avaient pas ce poids, soit en raison de leur isolement politique, je pense aux nations communistes soient pour des raisons plus… divers… »
Ces deux espaces sont reliés l’un à l’autre par voie de mer par deux passages : le Détroit de Karpokie, à l’Est, et l’Océan d’Espérance, à l’Ouest. C’est cette voie dont il est question ici. A l’heure actuelle, cette route n’a pas vraiment d’organisation. Elle était jusque-là dominée par l’ONC en Aleucie avec la présence de quatre de ses économies majeures : Alaguerena, Lofoten, Aumérine et Saint-Marquise qui captaient une part conséquente du commerce dans la région. Les puissances sur la façade eurysienne n’avaient pas ce poids, soit en raison de leur isolement politique, je pense aux nations communistes soient pour des raisons plus… divers… »
Il jeta un œil à la Principauté de Carnavale avant de reprendre son exposé.
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Mainio : « Or à présent la donne a changée. L’Aumérine et Saint-Marquise ont quitté l’ONC par la grande porte, ce qu’il faut saluer, le Lofoten se retrouve isolé de l’autre côté d’un détroit qu’il ne contrôle pas et donc les accès sont maîtrisés par Saint-Marquise et la République Hafenoise. L’Alguarena bénéficie toujours pour sa part d’une position géographique privilégiée sur le Détroit paltoterrain mais elle y est concurrencée par les routes commerciales du Grand Kah et la présence du Pontarbello participe à son isolement de la scène diplomatique internationale.
Chers amis, je pense donc qu’il nous est possible de reconfigurer les flux et dynamiques régionales et pour cela, rien de plus simple : il suffit d’harmoniser les routes commerciales. Vous possédez chacun des territoires situés aux trois angles d’un triangle formant trois axes commerciaux majeurs. L’arrête Hafenoise-Saint-Marquoise tient l’accès au détroit aleucien, à l’économie du Lofoten et au passage de navires par le nord. Kotios se trouve à l’embouchure de la Manche Blanche, ouvre sur la route du nord, sur le sud et sur les îles celtiques. Enfin, au milieu de l’océan, les îles du Grand Kah sont au carrefour de toutes les routes remontant ou allant vers le sud.
Imaginez à présent si un commerçant à Kotios savait qu’en remplissant ses papiers et en payants ses taxes en Eurysie, il bénéficierait d’un taux équivalent en Aleucie, ou au milieu de l’océan d’Espérance ? Imaginez si toutes les procédures administratives étaient harmonisées, à la fois pour permettre le suivi des marchandises, mais aussi le canaliser et l’inciter à suivre les routes nous profitant le plus ? En maîtrisant ce triangle, nous contrôlons la jonction des deux espaces eurysiens les plus prospères du monde, mais nous contrôlons également son principal axe de rattachement à l’Aleucie et, par voie de conséquences, au Paltoterra. »
Chers amis, je pense donc qu’il nous est possible de reconfigurer les flux et dynamiques régionales et pour cela, rien de plus simple : il suffit d’harmoniser les routes commerciales. Vous possédez chacun des territoires situés aux trois angles d’un triangle formant trois axes commerciaux majeurs. L’arrête Hafenoise-Saint-Marquoise tient l’accès au détroit aleucien, à l’économie du Lofoten et au passage de navires par le nord. Kotios se trouve à l’embouchure de la Manche Blanche, ouvre sur la route du nord, sur le sud et sur les îles celtiques. Enfin, au milieu de l’océan, les îles du Grand Kah sont au carrefour de toutes les routes remontant ou allant vers le sud.
Imaginez à présent si un commerçant à Kotios savait qu’en remplissant ses papiers et en payants ses taxes en Eurysie, il bénéficierait d’un taux équivalent en Aleucie, ou au milieu de l’océan d’Espérance ? Imaginez si toutes les procédures administratives étaient harmonisées, à la fois pour permettre le suivi des marchandises, mais aussi le canaliser et l’inciter à suivre les routes nous profitant le plus ? En maîtrisant ce triangle, nous contrôlons la jonction des deux espaces eurysiens les plus prospères du monde, mais nous contrôlons également son principal axe de rattachement à l’Aleucie et, par voie de conséquences, au Paltoterra. »
Le capitaine désigna la carte.
Mainio : « Les déformations ne lui rendent pas justice mais moins de 3000km séparent Kotios de Saint-Marquise et des îles Marquises et 3000km séparent Saint-Marquise des îles Marquises. A l’inverse, il faut compter presque 9000km entre l’embouchure de la Leucytalée et les Îles Fédérées de l’Alguarena qui se trouvent pourtant sur le même parallèle. C’est vous dire que si nous prenons la main sur cet espace d’échange Aleucie-Manche Blanche-Leucytalée, notre fortune est faite. »