10/08/2013
01:54:09
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Rencontre au Lago Branco [Saint-Marquise / Kotios / Grand Kah / Pharois Syndikaali]

Rencontre au Lago Branco

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Cartographier le monde

Port-Hafen n’avait jamais été grande. Elle était passée de minuscule à petite, puis de petite à fréquentée, mais grande, la ville ne l’avait jamais été. Colonie minière, du moins prévue comme telle, elle avait été abandonné presque aussitôt que bâtie, l’Empire Listonien trouvant plus rentable de consolider ses acquis en Aleucie en commençant par investir au Pontarbello et Jadis et Port-Hafen n’étaient restées qu’au stade d’avant-postes.

Depuis son indépendance cependant, la ville avait connu quelques changements. L’apport direct des capitaux Pharois, qui transitaient via l’implantation de sa base militaire à quelques kilomètres de la ville, avait permis d’engager des travaux de rénovation, et l’intégration partielle au marché de Saint-Marquise, sa riche voisine, avait permis une restructuration progressive des flux économiques locaux désormais affranchis de l’Empire.

Contre toute attente, Port-Hafen était prospère, ramenée à son nombre d’habitants, et jouissait du succès modeste des cité-Etats dont la taille ne permettait pas de faire de l’ombre à quiconque et qui s’enrichissaient dans des niches de l’économie des autres, en se pensant à travers quelques avantages concurrentiels.

Astucieusement placée par les Listoniens à l’embouchure du détroit nord-aleucien, Port-Hafen pouvait profiter du passage des navires de commerce dans la région et, si les infrastructures portuaires n’étaient pas assez grandes pour les accueillir en quantités significatives, elles offraient malgré tout quelques avantages comme des prix à la pompe peu élevés, l’accès au double marché pharo-saint-marquois, et des taxes faibles qui faisaient de la ville une espèce de zone duty free géante.

Assez de rentrées d’argent pour refaire les rues, grimper les salaires, et offrir de manière générale un cadre de vie confortable aux cinq-milles habitants que comptait la région – hors présence militaire étrangère.


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Mais Port-Hafen ne souhaitait pas se cantonner au rôle de micro nation sans histoire, perchée sur un bout de péninsule aleucienne. Il y avait encore quelques lieux de pouvoir à investir pour un territoire à la production inexistante et celui de la diplomatie en était un. De la diplomatie neutre, si possible, parce que c’est important de rester neutre pour ne surtout froisser personne, en particulier quand on n'avait pas vraiment les moyens de se défendre.

Monsieur José Esteban qui avait été à bonne école, avait donc entrepris de mettre sur pieds les instruments symboliques d’une diplomatie reconnue à travers le monde, et cela commençait par un lieu emblématique. La maison de verre sur le Lago Branco serait ce symbole. Il en était convaincu !

Novembre battait son plein et dans le nord aleucien, le lac avait gelé et les arbres autour étaient couverts de neige. Les voitures avaient conduit les diplomates hors de la ville, s’enfonçant dans la forêt, jusqu’à ce que le complexe de bâtiments leur apparaisse. Sobres et épurés, de fer, de verre et de bois, comme une galerie des glaces un pan de mur entier ouvrait sur la vision vierge du lac et les bois de l’autre côté qui semblaient exempts de toute présence humaine.
C’était sans doute d’ailleurs le cas, la démographie de la République Hafenoise laissant peu imaginer une exploitation intensive du territoire à sa disposition.

José Esteban invita ses hôtes à prendre place autour d’une large table ronde. Les vitres, la blancheur de la neige permettait de se passer de lumière artificielle, quand bien même l’après-midi soit avancée. Une réunion en petit comité, mais de bonne qualité puisqu’on y retrouvait pêle-mêle la diplomatie Kah-Tanaise, Saint-Marquoise et Kotioïte, sans oublier la présence pharoise, qui était à l’origine de la rencontre bien que son rôle soit d’avantage celui de médiateur qu’une partie prenante, n’ayant pas de territoires dans la région concernée.

Sur le mur qui n’était pas en verre, on descendit un écran qui projeta une carte de l’océan d’Espérance.

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Mainio, Varpu, il y avait au moins deux pirates dans la pièce, mais ce fut le grassouillet ministre qui, sur invitation de son homologue Hafenois, prit la parole. On s’était déjà salué à l’aéroport, il s’agissait à présent de causer vrai.

Mainio : « Chers amis, permettez moi d’expliciter mes vues et de vous les soumettre, vous, quatre acteurs majeurs de la région. A ce jour, l’Eurysie est, de loin, le continent le plus riche de la planète, bien que pas le plus stable je vous l’accorderai volontiers. Il se trouve cependant coupé en deux espaces distincts : la route du nord, au nord, composée de l’océan du nord – nous ne sommes pas très originaux pour trouver des noms – et de la Manche Blanche. Il s’agit d’un axe commercial majeur amené à se développer par ailleurs. Le second espace est celui du pourtour leucytaléen, relié par canal à la mer Blême.

Ces deux espaces sont reliés l’un à l’autre par voie de mer par deux passages : le Détroit de Karpokie, à l’Est, et l’Océan d’Espérance, à l’Ouest. C’est cette voie dont il est question ici. A l’heure actuelle, cette route n’a pas vraiment d’organisation. Elle était jusque-là dominée par l’ONC en Aleucie avec la présence de quatre de ses économies majeures : Alaguerena, Lofoten, Aumérine et Saint-Marquise qui captaient une part conséquente du commerce dans la région. Les puissances sur la façade eurysienne n’avaient pas ce poids, soit en raison de leur isolement politique, je pense aux nations communistes soient pour des raisons plus… divers… »

Il jeta un œil à la Principauté de Carnavale avant de reprendre son exposé.

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Mainio : « Or à présent la donne a changée. L’Aumérine et Saint-Marquise ont quitté l’ONC par la grande porte, ce qu’il faut saluer, le Lofoten se retrouve isolé de l’autre côté d’un détroit qu’il ne contrôle pas et donc les accès sont maîtrisés par Saint-Marquise et la République Hafenoise. L’Alguarena bénéficie toujours pour sa part d’une position géographique privilégiée sur le Détroit paltoterrain mais elle y est concurrencée par les routes commerciales du Grand Kah et la présence du Pontarbello participe à son isolement de la scène diplomatique internationale.

Chers amis, je pense donc qu’il nous est possible de reconfigurer les flux et dynamiques régionales et pour cela, rien de plus simple : il suffit d’harmoniser les routes commerciales. Vous possédez chacun des territoires situés aux trois angles d’un triangle formant trois axes commerciaux majeurs. L’arrête Hafenoise-Saint-Marquoise tient l’accès au détroit aleucien, à l’économie du Lofoten et au passage de navires par le nord. Kotios se trouve à l’embouchure de la Manche Blanche, ouvre sur la route du nord, sur le sud et sur les îles celtiques. Enfin, au milieu de l’océan, les îles du Grand Kah sont au carrefour de toutes les routes remontant ou allant vers le sud.

Imaginez à présent si un commerçant à Kotios savait qu’en remplissant ses papiers et en payants ses taxes en Eurysie, il bénéficierait d’un taux équivalent en Aleucie, ou au milieu de l’océan d’Espérance ? Imaginez si toutes les procédures administratives étaient harmonisées, à la fois pour permettre le suivi des marchandises, mais aussi le canaliser et l’inciter à suivre les routes nous profitant le plus ? En maîtrisant ce triangle, nous contrôlons la jonction des deux espaces eurysiens les plus prospères du monde, mais nous contrôlons également son principal axe de rattachement à l’Aleucie et, par voie de conséquences, au Paltoterra. »

Le capitaine désigna la carte.

Mainio : « Les déformations ne lui rendent pas justice mais moins de 3000km séparent Kotios de Saint-Marquise et des îles Marquises et 3000km séparent Saint-Marquise des îles Marquises. A l’inverse, il faut compter presque 9000km entre l’embouchure de la Leucytalée et les Îles Fédérées de l’Alguarena qui se trouvent pourtant sur le même parallèle. C’est vous dire que si nous prenons la main sur cet espace d’échange Aleucie-Manche Blanche-Leucytalée, notre fortune est faite. »
 entête

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ISABELLE DEPREY, PRÉSIDENTE DE LA RÉPUBLIQUE


01/11/2009

LAGO BRANCO,
RÉPUBLIQUE HAFENOISE,
PORT-HAFEN.

La délégation saint-marquoise était représentée par la Présidente de la République, Isabelle Deprey. Elle avait promis à son homologue Pharois qu'elle ne râterait pour rien au monde ce sommet afin de montrer que Saint-Marquise serait en mesure de se débrouiller toute seule maintenant.

Arrivée à Port-Hafen d'où le Premier Conseiller de la République, Henry Peters, lui en avait décrit la beauté de cette nation par voie maritime depuis le petit port de Risville, dans le Comté de Front-Beach, elle s'était assise à une large table et regardait attentivement les cartes que le Capitaine Ministre Mainio présentait.

Il était clair pour elle qu'un enjeu essentiel se jouait et qu'il devait être gardé dans la mesure du possible. Elle était déterminée à montrer la voix de Saint-Marquise à ce sommet à Port-Hafen, en prenant la parole.

ISABELLE DEPREY
"Messieurs si je puis me permettre, je veux montrer mon accord avec cette carte que vous nous proposez. Cette arrête maritime saint-marco-hafenoise est importante et ne doit pas être une source de conflit avec le Lofoten, ce que la République de Saint-Marquise ne voudrait pas."
Actée Iccauhtli et Rai Itzel Sukaretto

Le Grand Kah était, pour sa part, représenté comme à l’accoutumée par un duumvirat de délégués. Ce devait être le retour des beaux jours, car la citoyenne Iccauhtli, indéboulonnable incarnation de la diplomatie confédérale, était accompagné par Rai Itzel Sukaretto, une configuration que l'on avait pas vue depuis longtemps, et qui témoignait généralement d'une perception plutôt pacifiée des choses. La princesse rouge, comme on surnommait celle à qui répondait le commissariat aux affaires culturelles, avait surtout donné le change durant la partie strictement cérémonielle de la rencontre, découvrant la petite république Hafenoise avec un émerveillement communicatif, noyant le pauvre José Esteban sous des questions parfois politiques, parfois culturelles, parfois architecturales et faisant de son mieux pour incarner un certain rapport du Grand Kah au monde : celui d’un peuple considérant avec poésie qu’il restait beaucoup de choses à voir. Le moment le plus étrange fut peut-être celui où la citoyenne, découvrant la maison de verre, se prit en photo devant avec l’un de ces téléphones kah-tanais dont on disait qu’ils avaient une certaine avance technologique, sous le regard patient mais circonspect de sa collègue.

Actée Iccauhtli, moins incarnée que sa camarade, se tint sage jusqu’au début des discussions.

« Le Lofoten est une nation terminalement néo-libérale, commenta-t-elle d'abord avant de hausser les épaules. Si vous prenez l’ascendant sur le commerce dans la région ils rueront dans les brancards. Mais ils ne pourront ni vous en empêcher, ni déployer d’efforts violents pour vous l'arracher. C’est la loi du marché. Ils s’y feront, je doute que cela impact négativement la diplomatie Saint-Marquoise. »

Puis elle haussa les épaules, et dans une démonstration rare de nonchalance, joint les mains derrière sa nuque, levant le menton en affichant un air détaché.

« Capitaine, nous avons déjà discuté de tout ça je crois. » Et, se redressant. « Éventuellement je pourrais vous informer que la Convention a approuvé la proposition Pharoise. Cependant il faudra que nos technocrates respectifs travaillent dur pour rendre cet accord viable. Nous tous, ici, représentons des systèmes économiques différents. Par exemple l’Union surfe sur un certain mercantilisme rendant difficile tout traité d’harmonisation douanière. Difficile mais, il est vrai, pas impossible.

La bonne nouvelle c’est que nous nous apprêtons à mener un vaste chantier d’harmonisation avec les nations du cœur économique du sud Eurysien. Les structures légales sont déjà en place. Et les structures portuaires aussi : vous serez ravis d’apprendre que les Marquises ont été dotées de trois nouveaux terminaux portuaires en vue de l’intensification prochaine du fret eurysio-paltoterran. 
»

Ce fut étonnamment la citoyenne Sukaretto qui enchaîna, comme si elle venait de se souvenir de quelque-chose de très important.

« Oh, nous devions aussi parler de la sécurité des voies maritimes, non ?
– J’allais y venir. »

L’autre secoua la tête et insista, pivotant vers la représentante de Kotios. Elle lui sourit d’un air maîtrisé.

« Tout le monde sait que Kotios est une plaque tournante du commerce et que la liberté qui y règne concerne aussi les régulations marchandes, nous ne serions pas surpris d’y trouver des biens et produits venants de pays voisins, par exemple. Mais... » Elle fronça les sourcils, comme pour trouver les mots justes. « Eh bien ces accords, nous voulons tous les voir aboutir. Pour ça certaines personnes à la maison aimeraient savoir quelle sera la position de vos pourvoyeurs les plus indépendants sur les biens et produits partant et provenant de l’Ouest. Il ne faudrait pas qu’une compétition… Actée ?
– Sauvage ?
 Sauvage. Impacte significativement le commerce triangulaire. Sauf votre respect. Personnellement, j'adore ce que vous faites. »

Elle était étonnamment de ceux qui avaient le plus vivement défendue les efforts pro-kotioïtes dans le précédent comité de volonté publique.
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Son exposé terminé Mainio prit le temps d’observer les réactions suscitées. S’il commençait à bien connaître le caractère doux et conciliant des Saint-Marquois, il n’avait pas eu beaucoup d’occasions de rencontrer les hauts dignitaires du Grand Kah, ayant laissé un certain nombre de négociations aux diplomates du Liberalintern, ou à l’initiative du Parti Communiste Pharois qui s’enorgueillait d’avoir trouvé des interlocuteurs dans la troisième économie mondiale.
Qu’ils fassent carrière au Paltoterra, pensait Mainio, et qu’ils nous laissent la route du nord. Des communistes qui se prenaient de passion pour le commerce internationale, c’était un coup à aller vers la catastrophe.

Mainio : « Il n’y a pas grand-chose à craindre du Lofoten, en effet. Ils ne sont dangereux que tenus en laisse par l'Alguarena mais je n'ai pas souvenir d'avoir vu beaucoup de leurs initiatives politiques se solder avec un bilan positif. S'ils devaient par ailleurs tenter d'intimider Saint-Marquise, ce serait un désaveu de plus pour l'ONC. »

Puis il hocha la tête d’un air tranquille en direction des Kah-Tanais.

Mainio : « Ravis en effet de voir que vous vous implantez en Eurysie du sud dont nous suivons la transformation des équilibres régionaux avec grand intérêt. Maintenant en ce qui concerne la disparité de nos modèles économiques respectifs, soyons clairs, il ne m’est pas venu à l’idée de remplacer l’ONC par une nouvelle ONC où flotterait nos drapeaux. Non, il s’agit-là de ports francs. Autrement dit, mettre en place une législation d’exception pour ces territoires. Je crois que le Grand Kah est coutumier de ce genre de petits tours de magies en ce qui concerne la finance ? Et la République Hafenoise pourrait servir de sas à l’économie Saint-Marquoise.

Il ne s’agit donc certainement pas de nous signer un énième traité de libre échange mais bien de poser les conditions administratives d’une traversée sereine et de nous imposer de fait comme les trois lieux de transbordement naturels de ce carrefour commercial. »

Tandis qu’il devisait avec légèreté, laissant promener son regard sur chacun de ses homologues, Hafenois, Saint-Marquois ou Kah-Tanais, ces derniers attirèrent son attention par leur dernière remarque. On s’engageait désormais plus profond dans la double-langue des diplomates, où l’on se faisait comprendre en catimini, et où les mots tenaient d’avantage du jeu d’ombre que de la dissertation.

Il se fendit d’un sourire poli, façon de se montrer affable tout en saluant le petit numéro d’équilibrisme lexical que venait de réaliser la citoyenne Sukaretto.

Mainio : « Il est certain que la région regorge d’esprits libres de toutes espèces, y compris les pires. Mais voyez-vous ces gens-là ne craignent rien d’autres que des douaniers bien organisés or c’est précisément ce que nous nous proposons de mettre en place, je crois ? »

Il fit mine de réfléchir. La faction pirate allait lui poser problème, c’était évident, mais elle était désorganisée et proprement inculte en manière de macro-économie.

Mainio : « Rassurez-vous chères amies, faisons de Kotios le point d’échange entre les commerces et nos entrepreneurs les plus zélés trouveront dans la Manche Blanche et l’océan du nord largement de quoi se satisfaire. En vérité ces gens ont le cœur simples : augmentez les flux de marchandises et pourvu qu’on leur laisse un pourcentage raisonnable, personne n’aura à se plaindre de quoi que ce soit. »

Il pinça les lèvres d’un air désolé.

Mainio : « De vous à moi, on traverse assez mal l’océan d’Espérance en vedettes. Les gens vont au plus simple, personne ne sera malheureux de laisser la plus grosse part de la logistique à des compagnies honnêtes. Quant à ce qui se passera à l'ouest de Kotios, une fois arrivées en Eurysie, et bien... ma foi, que Dieu les garde. »
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L’air amusée se tenait aux côtés du capitaine la camarade Varpu, amirale élue de la flotte noire de Kotios qui était l’étrange antinomie physique des représentantes Kah-Tanaise. Habituée à traiter autant avec ces-derniers qu’avec les Pharois qui avaient chacun un base militaire dans la Commune, elle semblait s’intéresser d’avantage aux Saint-Marquois et Hafenois, donc les physionomies hybridées de colons eurysiens d’Aleucie détonnait avec les yeux bridés des paltoterrins, et les faciès slavo-scandinaves de ses congénères.

Le sujet abordé de la piraterie, car Varpu avait plus de franchise sur la question, lui fit prendre une posture d’avantage lascive tandis que le ventripotent capitaine achevait ses explications. Elle leva finalement un doigt l’air de demander la parole qu’elle prit sans qu’on ait eu le temps de l’y inviter.

Varpu : « C’est sans oublier un atout considérable monsieur le capitaine ministre des Pharois. C’est que Kotios nous a nous, la Fraternité. »

Elle adressa un regard appuyé à Isabelle Deprey, comme pour s’assurer que cette Présidente de la République ne se trouvait pas dérangée de la présence d’une anarchiste à sa table, puis reprit l’air de rien.

Varpu : « Kotios a beau être anarchiste, elle n’en est pas tout à fait chaotique. Et la Fraternité exerce sur la région une concurrence tout à fait déloyale. Je dirai même plus que nous avons coupé tous les doigts de la main invisible du marché. »

Son regard s’était à présent posé de nouveau sur Mainio.

Varpu : « Moyennant quelques écailles et un peu de matériel neuf, je suis certaine que la Fraternité assurera avec encore plus d’efficacité son rôle de maintien de l’ordre et des libertés en ville. Même celle de commercer, puisque cela a l’air de vous faire plaisir ! »

Mainio : « Je suis certain que nous pourrons trouver un accord de cet ordre, en effet chère amie. Le Pharois a à cœur la prospérité de la Commune, et ces mesdames du Grand Kah et de Saint-Marquise également, considérant leurs engagements passés à la défendre le cas échéant. »
« Kotios est une ville pleine de qualité, approuva la citoyenne Sukaretto d'un signe de tête. Elle a beaucoup inspiré la citoyenne Meredith. En un sens votre ville est un peu le creuset du programme que notre Convention s'échine à accomplir depuis deux ans. »

Sans doute une politesse écrite à l’avance, mais on pouvait s’imaginer qu’elle contenait une saine dose de vérité : Meredith était effectivement passée par la commune – au même titre que de nombreux autres kah-tanais. Les quartiers communalistes qu’ils avaient laissés dans leur sillage témoignaient d’un métissage qu’on s’autorisait à considérer bilatérale. Actée acquiesça à son tour, croisant les jambes.

« Quoi qu’il en soit les engagements du Grand Kah concernant la commune tiennent toujours. Enfin. J'y pense, Mainio, quelles sont les débouchées actuelles du Pharois au Nazum ? En dehors des ports listoniens, j'entends » Elle leva une main. « Non, mes excuses, nous nous éloignons du sujet. Mais il faudra que nous en discutions en petit comité une fois cette réunion terminée : l’ouverture de nos ports à vos marchandises pourrait permettre la création d’axes plus lointains encore.
– Bon. Et donc pour ce qui concerne le présent ?
– Pour ce qui le concerne, chère amie je ne vois pas de remarque utile à ajouter. Pas en ce qui concerne l'Union.
– Alors c’est entendu ? » Elle semblait s’adresser aux autres. « Je ne veux pas donner l’impression que cette réunion est une pure mise en scène. L’accord était plus ou moins réglé à l’avance parce qu’il est logique et la conclusion d’une politique s’étalant sur le long terme. Pour autant, toute remarque est bonne à prendre. Par exemple, et elle pivota vers le maire de Port-Hafen, lui souriant. Le nouveau joyau du nord est-il en mesure de pleinement profiter des axes que nous nous apprêtons à bâtir ? Faut-il que nous préparions des textes permettant l’envoie de travailleurs détachés ou le financement pour votre compte de structures portuaires ?
 Certains interpréteraient ça comme une tentation de prédation économique. Cependant si la république a besoin de technologies, de terminaux modernes aux normes, d'assez de personnel pour les faire fonctionner ou de formateurs pour préparer la suite, je crois que les puissances réunies autour de cette table pourraient s’arranger pour lui offrir. Entre-autre parce que l'alternative serait de retarder nos plans. »

Actée n'ignorait pas qu'il n'y avait jamais de cadeau en relation internationale. Mais elle considérait, avec une certaine forme de naïveté paternaliste toute kah-tanaise, que l'intérêt du Grand Kah était celui de toute l'humanité. Si l'Union agissait au profit d'une nation, et y gagnait pas la même quelque intérêt, alors la nation bénéficiaire l'était doublement.

Il s'agissait aussi de tester le terrain et de voir à quel point le petit port sur lequel reposait l'ambitieuse stratégie de reconfiguration des axes marchands était, ou non, la chasse gardée du grand ami pharois. Le Grand Kah n'avait pas, à proprement dit, de milieux d'affaire. Il avait cependant un écosystème complexe de coopératives et de syndicats appliquant soigneusement la politique prévue par le commissariat dédié, et consistant à accumuler un capital supplémentaire via l'exportation de ressources, de biens et de services. Le libre marché, lui aussi, pouvait servir la roue.
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