14/06/2013
17:59:12
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[Chronique] Frontière vivante

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Comme dans les rêves scabreux des premiers fascistes, il existait au sud de l’Union une frontière humaine, vivante et sanguinaire. Une frontière qu’on serait tenté de croire éternelle. Qu’un rapide regard sur l’Histoire nous pousserait à considérer comme dans l’ordre des choses. Une frontière où le sang coulait depuis deux siècles, plus encore peut-être, et coulerait sans doute pour de nombreuses années.

Sauf, bien entendu, si l’Union pouvait y faire quoi que ce soit. Car c’était elle, qui y imposait le sang, en refusant qu’on lui échappe. En tout cas c’était une lecture des évènements. La Lecture de l’Union, pour sa part, était qu’elle était un tout. Et que ce tout ne pouvait être désagrégé que de l’accord de ses partis, qui n’acceptaient pas de l’être par une force extérieure et armée. Où en termes autrement plus simples : il y avait de l’orpaillage, du trafic à la frontière, des guérillas fascistes d’abord, maintenant religieuses. Rien qui ne soit toléré par les accords communaux. Par le peuple du Grand Kah. Rien qui ne puisse échapper à la loi du peuple, ou à ses canons. Alors la frontière éternelle, le sud éternel, continuerait de saigner. Parce qu’il s’agissait aussi de rappeler à chacun à quoi amenait cette tentation séparatiste. Au sang. La réponse était au sang. C’était toujours la réponse, à toutes les questions, dans les profondeurs de cette jungle.

Irial MacClancy avait été forcé de s’en rendre compte, à force de côtoyer l’endroit. Et s’il restait convaincu qu’il existait un Grand Kah plaisant, chaleureux, fraternel et presque inimaginables pour un enfant de la féodalité tel que lui, son expérience de la Grande Roue restait pour l’heure celle de ses montagnes forestières, sourdes et opaques, parcourues par l’ennemi et les milices des prêtres juges. C’était à prévoir : on l’avait envoyé, lui comme d’autres, en qualité d’interprète pour la Protection Civile de l’Union. Où serait utile un interprète damann, sinon dans la région où sévissaient les fanatiques en exils ? Il était ici, pour reprendre la formule consacrée, pour finir la guerre civile commencée des années plus tôt dans son pays natal. Les souches des maladies féodales et théocrates s’étaient exilés dans entre les monts kah-tanais. Il était normal que la République Socialiste aide à s’occuper du problème. Une diplomatie de la guerre qui avait pour l’heure réussi à justifier d’excellents rapports, quoi qu’assez silencieux, entre le Grand Kah et la Damannie populaire. Une diplomatie de la guerre, aussi, qu’il résumait comme de la "praxis". Il ne faisait qu’incarner, bien que de façon orchestrée par un régime, cette fameuse fraternité révolutionnaire.

Irial avait grandi dans le sud de la Damannie. Dans la région qui était, traditionnellement, la plus réticente à la révolution. Celle, aussi, où elle avait été la plus violente. Au nord du pays, les anarchistes et les communistes avaient rapidement fait alliance pour ne pas s’entre-tuer. Les forces démocrates, après une longue hésitation, avaient refusées de bouger contre des alliés objectifs, au moins dans le cadre de cette guerre. Les ultra-libéraux avaient bien tiré quelques coups de fusils, mais c’en était globalement resté là et le nord n’avait eu à souffrir que de "quelques" guérillas dont les morts ne s’accompagnaient pas de destructions massives. C’était le sud, le cœur des mouvements réactionnaires, féodaux, qui avait été rasé. L’intervention étrangère avait bien aidé, en la matière, et l’action conjuguée de blindés et d’artillerie avait transformée cette ancienne région minière en énorme terrain constructible. Au moins ça avait occupé les mains des gouvernements successifs, donc la politique sociale avait pu se limiter, pour un temps, à la reconstruction des logements et de l’industrie. C’était toujours populaire, d’autant plus quand c’était nécessaire. Irial aurait aimé emporter une autre image de son pays, avec lui, mais il ne pouvait rien y faire. Quand il pensait à la maison, il revoyait sa petite ville natale, et plus précisément l’état dans lequel elle s’était trouvée après la guerre.

Tout avait flambé. Enfin à l’époque, tout flambait, et activement avec ça. On ne pouvait pas passer un jour sans entendre parler d’un nouvel obus tombé en périphérie, d’un nouveau sabotage, d’une nouvelle explosion, de nouveaux morts. Le sud était plongé dans une confusion des plus totales, largement renforcée par la simple existence de quatre ou cinq réseaux révolutionnaires concurrents qu’une longue tradition régionaliste avait empêché de travailler ensemble : ce n’était pas que les démocrates ne voulaient pas travailler avec la gauche, et que celle-là méprisait trop les partisans de la république absolue. Non. C’était que personne n’avait compris l’intérêt immédiat de la collaboration. On pensait, par ignorance ou par naïveté, que la somme des efforts individuels serait égale à leur alliance. Et puis de toute façon cela fonctionnait parfaitement. Oui. Cela fonctionnait...

À l’époque, Irial MacClancy habitait dans un immeuble le long des rues commerçantes. Celui qui attendait un ravalement de façade depuis peut-être dix ans. Avec le début du conflit on avait gentiment indiqué aux locataires que ce n’était plus à l’ordre du jour, ce qui avait beaucoup amusé les plus cyniques d’entre eux. Pour avoir un humour assez noir – soi-disant une caractéristique du clan MacClancy – Irial n’en fut pas moins déçu, notamment parce qu’il craignait vraiment de voir son habitat subir le même sort que des milliers d’autres à travers le pays. Il ne tenait pas particulièrement à devenir sans-abris. Mais ces préoccupations étaient bassement terriennes, et il avait appris, comme des millions d’autres, à penser de façon politique. Avant la guerre, il travaillait au sein d’une guilde, traduisant des documents et participant à des meetings avec des acheteurs ou des vendeurs étrangers. C’était peut-être pour ça qu’il avait si spontanément accepté la révolution comme nécessaire; Il faisait partie de cette classe privilégiée qui, bien que totalement privée de pouvoir politique, jouissait d’une certaine richesse marchande lui offrant le privilège du temps, qu’il passait à penser. Penser à l’extérieur, notamment, et à la prospérité des pays étrangers, dont le système politique permettait à la société de s’enrichir dans son ensemble. Le reste était venu lentement, et de façon tortueuse. La conclusion, en tout cas, était qu’il n’aimait pas la féodalité, et qu’il en était venu à la mépriser, puis à la haïr. Mais la féodalité, elle, n’avait pas conscience d’être détestée. Les nobles étaient des imbéciles, et des oisifs. Peut-être qu’individuellement ils présentaient des qualités, mais en tant qu’ensemble on ne pouvait imaginer classe sociale plus incapable de tout. Ils n’avaient pas senti le vent tourner, parce qu’ils n’avaient jamais considérés les serfs comme autre-chose que du bétail. Les guildes elles-mêmes échappaient à leur perception du monde, et ces institutions plus ou moins indépendantes n’existaient à leurs yeux que comme de vagues structures que l’on pouvait taxer et qui ne représentaient, en tant que telles, rien d’autres que des interfaces entre les maisons et le monde extérieur, hostile. La guilde était un monte-charge, peut-être, ou un vide-ordure. En tout cas pas quelque-chose que l’on devait craindre. Par conséquent on pouvait y parler librement de choses, y compris politiques. De plus le régime féodal n’était pas à proprement parler un régime policier. C’était un régime incapable, violent et arbitraire, oui, mais trop arriéré pour se doter de moyens sécuritaires efficaces. Il ne surveillait pas sa population, il ne la comprenait pas. En parlant République, on risquait de se faire frapper par des partisans de l’ordre ancien, peut-être qu’un noble un peu plus dégourdit que d’autres organiserait une chasse ou une action punitive. Mais ça n’avait rien d’évident, rien de systémique. C’est ce qui avait permis à autant de foyers insurrectionnels d’apparaître simultanément. Ce qui avait permis aux guildes de devenir des partis, et à leurs membres de devenir des révolutionnaires.

Aux premiers jours de la révolution, Irial avait coupé les ponts avec le clan et la guilde. En tout cas c’est ce qu’il avait prétendu faire. Il passait pour un bon citoyen, fidèle et parfaitement dénué de sens idéologique. Cherchant un travail, il s’était finalement présenté devant les bureaux qu’avaient installés les forces loyalistes à deux pas de chez lui. Ils avaient réquisitionné l’hôtel particulier d’un ancien prince marchand et l’avaient couvert d’étendards noirs et de drapeaux liés à la noblesse. A l’intérieur, c’était le chaos. On déménageait des meubles, des cartons pleins de bibelots étaient vidés ou remplis par des soldats en uniformes dépareillés, les différents bureaux de recrutement, accessibles depuis le grand hall, étaient inégalement remplis. Lorsqu’il expliqua quelles étaient ses compétences, Irial se vit proposé de traduire des missives destinées aux volontaires étrangers participant à la guerre. Ce qu’il avait accepté. C’était un métier plus sûr qu’on pouvait le croire au premier abord. Il avait des horaires de bureau, traduisait des lettres et des dossiers, en rédigeait d’autres pour l’armée.

Et faisait en sorte que les informations sensibles fuitent dans les réseaux républicains, qui eux les transféraient ensuite à l’armée coalisée des démocrates et socialistes. C’était assez simple. Il employait ses contacts dans la guilde, notamment des types qui avant la guerre achetaient du bois pour le compte de coopératives kah-tanaises installées dans la région. Il ne comprenait pas grand-chose à ce pays ni à ses habitants, mais les trouvait assez sympathiques et savait, de façon à peu près sûre, qu’eux-mêmes n’étaient pas très fans de la féodalité. Ils devaient avoir leurs propres services de sécurité, car ils ne furent jamais inquiétés par les forces loyalistes, pourtant Irial n’eut jamais l’impression d’être suffisamment doué pour que son petit double-jeu passe inaperçu. Il apprit bien plus tard, et sans en être surpris, que son contact régulier au sein de la coopérative avait lui-même été missionné par les services secrets de son pays, et qu’il avait accepté par sens du devoir.

Tout ça avait changé lorsque l’armée révolutionnaire était arrivé dans la région. La ville tomba avant même qu’elle n’y mette les pieds : un mouvement d’inspiration démocrate mis le feu à plusieurs installations militaires et barricada les rues en l’espace d’une nuit. L’action avait été parfaitement coordonnée. Cela faisait quelques jours qu’on entendait les échos de l’artillerie s’abattant dans les faubourgs, mais ces explosions furent beaucoup plus proches, elles durent réveiller tout le monde en ville. Depuis son appartement, Irial avait pu voir plusieurs foyers d’incendie, d’énormes lueurs rouges-oranges embrasant des sites clefs qu’il reconnaissait. Caserne de la garde, château d’un noble, quartier général d’une milice damanniste. Puis il vit, en bas de sa fenêtre, la barricade où se pressaient des types en uniformes dépareillés, brandissant des drapeaux verts. Ils criaient des ordres, il y eut quelques tirs...

Irial se changea en vitesse, s’arma d’un fusil de chasse qui avait appartenu à son grand père et trouva un drap de la bonne couleur dans lequel il se déchira un brassard. Quand il arriva en bas, deux nouvelles barricades avaient poussées et des miliciens en noirs, des ultra-nationalistes, ralliés aux féodaux, tentaient d’approcher sous un tir nourrit qui leur imposa rapidement de retourner se cacher à l’angle de la rue. Il reconnut un épicier parmi les insurgés, celui-là le salua, on se donna du camarade, on compta les munitions, la nuit fut très longue et Irial n’eut pas à tué, même s’il tira à de nombreuses reprises. Au petit matin, la ville était libre, la milice s’était composée cent-huitième bataillon de la garde nationale et son "comité central", un ensemble de volontaires issus de la petite bourgeoisie et des franges les plus révolutionnaires des serfs, se composa gouvernement urbain. Sous l’impulsion des plus à gauche on essaya d’étendre au maximum l’expérience démocratique avant que la fin de la guerre ne vienne normaliser tout ça. Une autre histoire, rendue plus compliquée encore par la mort du premier consul de la république et l’élection d’une remplaçante ô combien plus socialiste... Et centralisatrice.

Concernant Irial, il termina la guerre sur le front, servant à nouveau d’interprète, cette fois entre les hommes et femmes des légions internationales et ceux de l’armée républicaine. Une mission importante qu’il considéra avoir remplie sans zèle, mais efficacement. Quelqu’un devait s’être fait la même réflexion car ce fut à cause de cette expérience qu’on lui proposa de partir pour l’Union, de prolonger l’expérience guerrière. Le membre de guilde était rentré dans l’armée, semblait-il pour de bon.


Les bureaux de la sécurité extérieure étaient installés dans un bâtiment anonyme, dans la périphérie Est de Baidhenor. La structure jouissait d’un anonymat très relatif qui ne devait pas faire grande illusion chez les riverains : des hommes de la garde révolutionnaire montaient la garde devant les murs, qui étaient surmontés de barbelés. En un sens tout le monde savait qu’il s’agissait d’une structure de l’armée, ou peut-être de la police. Elle n’était simplement pas décrite comme telle sur les plans de la ville.

Quand Irial MacClancy fut déposé par un bus sur la rue faisant face à l’immeuble, il le trouva surtout très triste. C’était un exemple frappant d’architecture moderniste. Un rectangle de béton couvert d’un dallage granitique régulier mais de couleur hétérogène. Le premier étage était deux fois plus haut que les suivants, et le tout aurait en fait pu être assez joli, s’il avait été compris dans un ensemble architectural adapté plutôt qu’isolé, derrière ses murs et sa sécurité, dans un quartier post-industriel qui tardait encore à se reconvertir franchement en zone d’habitation. Tout de toute façon, se dit Irial, tout le pays est à reconstruire. Il avait entendu parlé des préfabriqués en béton qui sortaient, à rythme rapide, de ces nouvelles usines. Une technologie importée du Grand Kah, ou de Loduarie peut-être. De quoi reloger une population dégagée par la guerre civile, ou permettre l’édification rapide d’un parc industriel. L’ensemble était dans un style qui heurtait un peu les sensibilités naturellement conservatrices des damanns, plus habitués à leurs verts cottages et à leurs domaines nobiliaires, mais c’était aussi ça, la révolution. Et il y avait des impératifs qui dépassaient le désire de beauté, comme celui de ne pas laisser une grande partie de la population entassée dans des logements de fortunes.

Au moins, conclut-il intérieurement, concernant ces bureaux, on avait mis un sympathique revêtement sur les murs.

Une fois dedans il dut passer par toutes les procédures de sécurité auxquels il avait appris à s’atteindre durant son bref passage dans l’armée républicaine. Passage sous un portique de sécurité - technologie pharoise, vérification de ses documents dans une base de donnée – l’ordinateur de l’agent d’accueil était kah-tanais, rapide fouille au corps avec un appareil portatif, marqué du logo d’une multinationale nazuméenne. Toutes les technologies ou presque étaient importées, dans un pays qui ne pouvait rattraper le retard imposé par des siècles de féodalité tardive qu’en faisant venir les expertises d’ailleurs. Les couloirs, au moins, avaient un aspect proprement Damann. Pas au sens où on l’aurait entendu peut-être dix ans plus tôt, mais au sens nouveau qui était apparu avec la révolution : des posters de propagandes s’alignaient proprement, représentants Sineag Buiseid dans la continuité d’Anduin Deoir, des foules de chemises rouges souriantes, des ouvriers et kolkhoziens virils travaillant sur quelques grands chantiers. Et des nœuds celtiques, partout, sous toutes les formes. L’une des affiches, nota Irial, incitait à la liberté d’expression et de pensée. Des « idées nouvelles en Damanie ». Le contraste le fit sourire.

Une jeune femme en uniforme vert-de-gris lui demanda de le suivre jusqu’au bureau où il avait été convoqué. Ce n’était pas le terme qu’on avait employé, bien-sûr. En fait, il était clair pour Irial qu’il devait être important aux plans du gouvernement, car on l’avait traité avec le plus grand soin depuis le début de cette situation. La lettre qu’il avait reçue faisait état d’une « invitation », qu’il pouvait refuser ou reporter en cas d’indisponibilité, et tout s’était fait très sereinement. L’administration s’était montrée prévenante et – plus étrange encore – efficace, en l’espace de quelques jours il avait pu fixer une date qui ne l’handicapait pas dans ses nouvelles fonctions de contrôleur général des importations du port de Cinadhon, puis on lui avait défrayé d’avance les frais pour le transport jusqu’à la nouvelle capitale républicaine, puis dans le réseau de transports en commun de celle-là.

Tout de même, il s’agissait bien d’une convocation en ça qu’on avait besoin de lui, et qu’un certain sens du devoir l’empêchait de tout à fait refuser la demande. Ce qu’ils devaient bien savoir, en se basant sur les dossiers de l’armée républicaine.

Sa guide l’accompagna jusqu’au troisième étage du bâtiment, puis devant l’épaisse porte un bois d’un bureau. Le couloir était assez large et ressemblait à s’y méprendre à ceux des bureaux d’une quelconque entreprise. L’armée et ses services s’étaient bien implantés, on était loin des camps de fortune et des chaotiques QG de campagne de la guerre civile. À en croire le bruit, quelqu’un photocopiait quelque-chose à l’angle du couloir. La femme en uniforme toqua à la porte, on l’invita à entrer, Irial dans son sillage.

« Colonel ? Le camarade Irial MacClancy est là.
Merci Danna, installez-vous Irial. Danna, son dossier s’il vous plaît. »

Irial se posa sur la chaise située devant le bureau du colonel. Sa guide passa une prote qui semblait amener à une salle de stockage. Les lieux sentaient le tabac et le vieux papier. Il s’en dégageait un charme autrement moins impersonnel que les couloirs traversés jusqu’alors. Le colonel avait pris soin de décorer l’endroit de façon discrète, adaptée à la relative retenue que lui imposait son rôle et l’endroit. Il y avait un cadre sur son bureau, lui-même organisé avec soin - presses papiers dans un coin, portes-documents dans l’autre, écran d’ordinateur un peu excentré. La grande fenêtre dans son dos donnait sur une cours qu’Irial n’aurait pas deviné depuis la rue, le plan du bâtiment devait être plus carré que rectangulaire. Plusieurs personnes s’y trouvaient, fumant entre les haies. Un drapeau Damann révolutionnaire, d’un joli vert, était plié dans un cadre triangulaire, su sommet de la bibliothèque. Un drapeau de la république sociale, rouget et or, était accroché sur sa petite Hampe, pas trop loin de la fenêtre. Le colonel acquiesça en voyant le regard de son invité se poser sur la bannière.

« Vous êtes socialistes, Irial ?
- Républicain avant tout, colonel. »

Le militaire acquiesça comme si ça allait de soit, puis tendit une main amicale en direction de son interlocuteur.

« Je vous en prie, appelez-moi Regency. Nous avons fait la guerre civile, nous sommes des égaux.
Si j’en crois ce que dit la camarade Buiseid nous sommes tous des égaux.
Amen. » approuva joyeusement son interlocuteur, et Irial se dit qu’il semblait extrêmement jovial pour un officier supérieur.

Cela-dit, les officiers issus de la révolution avaient des profils que l’on pouvait considérer inhabituels. D’anciens héros, des individus qui ne se destinaient pas nécessairement à la guerre et avaient trouvés leur vocation sur le tas, par l’impératif du moment. Après tout Regency avait raison : ils étaient tous des camarades, ici. Danna réapparue, elle souriait d’un air poli et avait des manières discrètes qui lui avaient immédiatement fait penser aux serviteurs professionnels qui faisaient tourner les domaines de l’ancienne noblesse. Elle semblait un peu trop jeune pour avoir participé à la guerre en qualité d’engagée volontaire. Ses traits avaient encore quelque-chose de juvénile. Pourtant elle était là. Peut-être avait-t-elle été dame de compagnie ou valet de chambre avant la guerre. Peut-être avait-elle profité de sa proximité avec la noblesse pour agir d’une façon utile à la résistance puis à la république insurrectionnelle. Peut-être, aussi, avait-elle rejoint l’armée plus tard. Une fois la guerre terminée. Il ne jugea pas utile de lui demander, lui souriant d’un air simple alors qu’elle approchait du colonel puis lui tendre une pochette cartonnée qu’il posa sur le bureau avant d’ouvrir un tiroir.

« Cigare ?
Non merci. »

Le tiroir fut refermé.

« Merci Danna, vous pouvez y aller.
Camarades. »

Elle salua puis quitta le bureau, et Regency sourit.

« Elle nous vient des jeunesses rouges. Je me doute qu’elle doit autant travailler pour nous que pour le parti. Mais que voulez-vous.
Deoir voulait que l’armée soit politique. Buiseid veut le contraire. Je supposer qu’on ne peut pas éviter ce genre de choses.
Peut-être pas. De toute façon ce n’est pas très grave. » Il se reprit. « Pas en ce qui vous concerne. Durant la guerre, vous étiez avec le... » Il fouilla un peu le dossier puis en fit émerger un document. « 13ème de Volontaires, dit bataillon Rempart. C’est bien ça ?
C’est ça. Un groupe combine de troupes aéroportées et d’artillerie kah-tanaises.
Comment ça se passait ? »

Irial hésita. Le ton du colonel était toujours aussi amical, mais la discussion n’avait pas grand chose de badine.

« C’est à dire ? Bien, nous avons gagnés la guerre, les féodaux n’avaient pas de quoi abattre leurs hélicoptères et la résistance nous faisait quotidiennement parvenir de nouvelles coordonnées pour les batteries... C’était une belle opération de bout en bout.
Et et vous avez même été médailles pour ça, non ? »

Il acquiesça en indiquant le dossier.

« C’est sans doute indiqué là-dedans. Nœud de Bravoure, Nœud des compagnons de la République, le premier consul m’a même personnellement remis une Triskèle vers la fin du conflit.
Une Triskèle ? »

Il semblait incrédule. Ouvrant un autre tiroir du bureau, il fit émerger un petit boîtier de velours vert et l’ouvrit pour présenter une médaille. Elle avait la forme d’une croix composée de trois branches en spirales.

« Comme celle-là ?
C’est ça.
C’est étrange, ça ne figure pas sur votre dossier. »

Il rangea la médaille et fixe longuement le dossier, comme si l’information allait finir par en sortir d’elle-même. Irial haussa un peu les épaules.

« Pourtant je l’ai. Si vous voulez ma présence doit pouvoir se retrouver dans les minutes de la cérémonie. C’était à la fin de la guerre, peut-être qu’il s’agit d’une erreur administrative.
Peut-être... » Le colonel semblait réellement perturbé. Il secoua la tête. « Qu’importe. Vous informerez mon bureau de cette erreur et nous fournirez les informations utiles. Date et lieu de la cérémonie, notamment. Nous réglerons tout ça.
D’accord. Et par rapport à votre question initiale ?
Oui, c’était à propos des kah-tanais. » Regency fit mine de réfléchir, il lissait sa moustache mécaniquement, et regardait à nouveau le dossier avant de lever son regard en direction d’Irial, et de retourner à son air initial, avenant. « Vous vous entendiez bien avec eux ?
Oui. Ce sont de bons soldats. Et puis j’avais l’expérience de la Guilde marchande. J’en avais déjà rencontré avant, si vous voulez.
Des gens bizarres, non ?
Un peu. » Ce qui, dans sa bouche et dans ce contexte, voulait dire « je ne crois pas; pas tant que ça. Peut-être, si vous voulez. » Le colonel acquiesça.

« Mais vous vous entendiez avec eux.
J’étais l’un de leurs interprètes, expliqua-t-il. Je n’avais pas le choix. Mais ce n’était pas bien difficile. Ce sont des gens accessibles.
Tant mieux. » Il se tut un instant avant de prendre. « En fait nos amis kah-tanais nous ont demandés de leur fournir de l’aide. Un renvoie d’ascenseur pour leur participation à la guerre civile. Vous voyez Irial, certains damannistes radicaux considèrent qu’ils sont coupables de leur défaite. Et ont décidés qu’il serait plus simple de leur faire payer que de renverser la République. »
Cela paraissait un peu absurde à Irial, qui acquiesça tout de même. Il ne prétendait pas comprendre ce qui pouvait pousser un fanatique religieux à agir de telle ou telle manière. Peut-être simplement que les montagnes et jungles paltoterranes offraient plus d’opportunité de guérilla que les collines et plaines humides de Damanie. Le colonel continuait d’un ton égal.

« Et il s’avère que le Grand Kah, pour contenir une population daman plutôt importante, a besoin de personnes capables de les éclairer sur la doctrine damanniste, les méthodes de ces fanatiques. Et puis c’est aussi une question politique. » Il se redressa sur sa chaise. Le regard d’Irial alla instinctivement du colonel au drapeau rouge, accroché derrière lui. « La première consule pense qu’il serait correct d’envoyer des volontaires pour aider le Grand Kah. Ce n’est pas exactement comme l’aide qu’ils nous ont fournis au sein de la coalition démocrate, mais c’est déjà un bon début. Je vais vous dire, Irial, tout ça c’est pour éviter de perdre la face. Les damannistes viennent de chez nous, ce serait mal venu de laisser nos alliés s’en débarrasser seuls. »

Et il sourit à nouveau.

« Cigare ? »


Traditionnellement, se dit Irial, on doit penser à ce genre de chose avant de prendre une décision. Ce n’est pas comme si on pouvait prendre des décisions aussi importantes sur un coup de tête. Bien entendu on pouvait toujours refuser de réfléchir, et sauter sur une occasion. Et parfois réfléchir au sujet, l’examiner sous toutes les coutures, considérer longuement le résultat auquel pouvait amener un choix ou un autre, n’amènerait pas à une plus grande latitude dans la décision. Ou, en d’autres termes, parfois un choix n’en était pas un, et on pouvait très facilement se retrouver coincé. S’il n’avait pas refusé la mission exposée par le colonel Regency, il n’avait pas pour autant eu l’impression d’avoir le choix. On lui avait certes exprimé l’obligation sous la forme d’une question mais maintenant il fallait bien comprendre une chose : refuser aurait été déplaire à l’administration. Et l’administration, qu’on le veuille ou non, avait encore beaucoup à faire en matière de pardon. Elle attendait de ses membres une grande obéissance. Elle pouvait, aussi, frapper de façon brutale et décisive quiconque lui déplaisait trop ouvertement.
Heureusement pour lui, Irial avait le goût du devoir, à défaut d’avoir celui de l’aventure. Il avait passivement accepté de partir au Grand Kah, de représenter son pays auprès des communes et de servir d’expert culturel daman, quand bien même il ne se sentait pas particulièrement qualifié, et quand bien même il n’était pas sûr d’en avoir vraiment envie. C’était une continuation de la guerre civile. Au final il fallait bien la finir. En tant que révolutionnaire, ça ne tenait peut-être qu’à ça : l’envie de terminer, et pour de bon, ce qui avait été commencé à la naissance de la République. Il n’aurait pas su dire. De toute façon c’était comme ça. Il était bien trop tard pour reculer.

Quelques jours après sa rencontre avec le colonel, on toqua à la porte de l’appartement d’Irial, qui se retrouva face à face avec Danna, l’envoyée des jeunesses rouges, lorsqu’il ouvrit la porte. Elle portait toujours le même uniforme vert-de-gris mais, nota Irial, ses cheveux étaient coiffés différemment. La frange avait laissé place à un chignon. Pour le reste elle lui fit strictement la même impression : elle semblait professionnelle, cordiale d’une façon désaffectée. Une scoute, en quelque sorte. Qui semblait prendre à cœur la révolution et considérer avec une naïveté un peu touchante que tout le daman était un camarade, soit un égal et, par défaut, un ami. Irial supposa qu’elle devait exister dans cette vision binaire du monde dans lequel existaient uniquement les alliés de la révolution et ses ennemis. Il n’avait pas une grande idée des organismes de jeunesse du parti de la première consule.

Tout de même, il l’invita à entrer dans son appartement et lui servit du thé.

« Le colonel vous envoie ? » commença-t-il pendant que l’eau bouillait. Elle acquiesça, puis lui sourit.

« Vous avez un bel appartement.
– J’ai de la chance, j’ai rapidement été logé après la guerre. » Il soupira. « L’ancien s’est pris un obus, vers la fin. Heureusement j’étais sur les listes prioritaires en tant qu’ancien combattant.
– Dans ce cas ce n’est pas de la chance, c’est mérité. » Elle lui sourit avec assurance, puis ses yeux verts retournèrent à leur observation de la cuisine. Elle lui fit penser à un oiseau, ses gestes avaient quelque-chose de sûr, de précis : son regard se posait sur un objet et sa tête suivait seulement après. Elle sourit de plus belle. « Mais je voulais parler de la décoration. J’aime beaucoup les plantes, surtout. »

C’est que l’appartement était effectivement très vert. Une habitude qui datait de la Guilde marchande. À l’époque, l’un des contacts d’Irial lui offrait fréquemment des bonzaïs, auxquels il avait ajouté des fleurs exotiques, des bulbes, quelques plantes grasses. Bien entendu tout était parti en fumée avec le fameux tir d’obus. Mais ses camarades révolutionnaires ou anciens de la guilde n’avaient pas manqués de lui offrir de nombreuses plantes lors de son réemménagement, et le non-avertit aurait pu croire que l’accumulation de plantes datait de longues années. Comme il aimait beaucoup ses plantes, la remarque le fit à son tour sourire.

« Il faudrait que je trouve quelqu’un pour les arroser pendant mon absence.
– Si vous n’avez pas de solution, » répondit-elle d’un ton raisonnable, « je suis sûre que le colonel trouvera un volontaire au sein de la sécurité extérieure. »

Irial haussa les épaules et servit le thé. La possibilité lui avait bien effleuré l’esprit, mais l’idée de laisser quelqu’un de l’intérieur dans son appartement et sans supervision ne lui plaisait pas. Il était un citoyen fidèle et, de toute façon, la Damanie esquivait prudemment les écueils autoritaires que l’on associait souvent au socialisme d’État. Tout de même, il y avait là une notion qui lui déplaisait fondamentalement. Bien décidé à ne rien en montrer, il conserva un air détaché et posa les deux tasses sur la table en formica, du côté de la fenêtre. Elle le remercia, attrapa la tasse et souffla à la surface de l’eau. Se faisant, elle prit un air très concentré, sérieux. Irial fut à nouveau choqué de voir comme elle semblait jeune. Lui-même n’était pas un vieillard, à peine trentenaire. Mais elle était presque une gamine. C’était à se demander ce qu’elle faisait dans cet uniforme. Il avala une gorgée de thé et regarda par la fenêtre. Dehors, il faisait particulièrement moche. Une journée daman.

« Nous avons fait les arrangements pour votre départ. »

Elle avait reposé la tasse, et le fixait. Il acquiesça.

« D’accord.
 Le ministère vous a pris une place dans un avion qui part de Baidhenor jusqu’à Armouanez. C’est aux Îles Marquises, » précisa-t-elle aussitôt.

Irial acquiesça. Il avait déjà visité les territoires kah-tanais d’Eurysie, à l’époque de la guilde.

« Je connais. Le climat n’est pas meilleur qu’ici, la culture très similaire. Pour on peu on pourrait se croire à la maison.
– Ah oui ? Intéressant, il faudrait peut-être que je visite un jour. » Elle sembla y réfléchir, avant d’ajouter : « Là-bas vous aurez un contact qui prendra en charge tout le trajet jusqu’au Grand Kah, et, heu, pour le reste c’est eux qui s’en occupent. »

Elle plongea une main à l’intérieur de son uniforme, puis en fit émerger une pochette plastique qui, aux yeux d’Irial, ressemblait beaucoup à un sac congélation. Elle la posa sur la table et la fit glisser sans rien dire. À l’intérieur du plastique se trouvaient trois livrets à couverture de cuir synthétique neufs. Elle tapota le papier du bout de l’index.

« Le ticket d’avion, un passeport militaire et des documents qui disent clairement que vous travaillez pour nous.
– "Nous" ?
– Le ministère, le gouvernement de la République. Ce n’est pas vraiment une mission secrète. C’est plus de la représentation.
– J’avais cru comprendre. Honnêtement je ne sais pas vraiment à quoi je pourrais servir, là-bas.
– De contact, de traducteur si nécessaire. » Elle semblait soudain un peu mal à l’aise, Irial secoua la tête sans rien dire. Elle continua. « Aussi, le colonel pense que ça serait utile à la République que certains des damannistes ne soient pas jugés là-bas mais ici. Pour mettre un terme final à la guerre civile. »

Irial haussa les sourcils. Il s’attendait à quelque-chose de cet ordre, mais n’aimait pas la façon dont c’était introduit.

« Il ne l’a pas mentionné lorsque nous nous sommes rencontrés. »

Elle acquiesça et haussa un peu les épaules. Bien sûr, elle se rendait compte que ce n’était pas correct, mais elle n’y pouvait pas grand-chose.

« C’est arrivé tardivement sur la table. Avec les élections.
– Autre-chose que je devrais savoir ?
 Non. » Puis elle prit le temps de réfléchir, et répéta, cette fois en souriant. « Non. De toute façon les kah-tanais comprendront que nous voulions les juger ici. C'est légitime, non ? »

Il préféra ne pas s’avancer sur le sujet. Durant la guerre civile, les kah-tanais avaient respectés les demandes des damans. On avait évité les exécutions sommaires, les sacrifices rituels, les opérations menées contre l’avis des comités révolutionnaires. Les volontaires et militaires de l’Union s’étaient placés au service de la jeune République, et s’en étaient tenus à ce rôle. Cependant, Irial allait être chez eux. Il serait l’étranger, l’invité. Rien n’indiquait qu’on le laisserait émettre des demandes ou des revendications. Il connaissait le caractère des kah-tanais. Ils pouvaient être assez intraitables sur les questions de justice. Quant au sens que prenait le mot, il pouvait changer d’une commune à l’autre. Si les damannistes s'étaient montrés trop cruels, on ne les laisserait pas passer la frontière. Même en qualité de prisonniers.

Tout de même, c’était bien pour ça qu’on l’envoyait en personne, plutôt que de simplement demander par missive à l’Union de préserver quelques prisonniers pour un jugement en Eurysie. Il allait devoir se faire l’avocat de cette demande. Et ça serait sans doute un effort important. Irial avala une gorgée de thé. Rien de tout ça ne l’alarmait. Il ferait de son mieux, voilà tout. Face à lui, Danna souriait toujours.

« Je ne vais pas m’imposer plus longtemps. Merci pour le thé. »

Elle se leva et il l’imita, la raccompagnant jusqu’à la porte d’entrée. Arrivée sur le seuil, la jeune femme s’arrêta et le fixa.

« S’il vous faut quoi que ce soit au Grand Kah, nous avons des hommes au Consulat. Vous n’aurez qu’à appeler, ils ont été prévenus.
– Parfait. »

Elle plaqua son poing au niveau de son cœur, un salut révolutionnaire classique, un peu désuet depuis la fin de la guerre civile, puis inclina la tête en avant.

« Bon voyage, camarade ! »

Et elle s’en fut. Deux jours plus tard, Irial avait quitté la Damanie.
4865
Le trajet jusqu’aux Marquises fut l’affaire de six heures dans un vol international, le direct Baidhenor Armouanez. Il avait été rétabli récemment. Avant la guerre il y avait assez peu de vols, même intérieurs. Le gros du trafic servait surtout à relier entrent-elles les deux grandes régions de Damanie. Naturellement ces rares vols étaient réservés aux marchands, les serfs n’avaient pas le droit de quitter les terres de leurs maîtres, qui eux-même utilisaient des vols privés. Le reste - marchandises, biens - passait par la mer. Après le conflit, l’une des petites concessions qu’avait fait la République aux partenaires qui l’avaient aidé à s’ériger fut de rapidement établir des lignes de communication maritimes et arienne internationales, favorisant mécaniquement une certaine coopération économique sur laquelle surfèrent les guildes indépendantes et les consortiums publics. L’incident qui avait vu un terminal de l’aéroport de Baidhenor délibérément ciblé par un missile impérial avait obligé la clôture d’un tiers des lignes aériennes partant du sud du pays, mais la situation s’était depuis normalisée.

Lorsqu’il avait préparé son voyage, Irial avait constaté qu’il n’irait pas à Lac-Rouge. Pourtant ça lui semblait être la chose à faire. D’une part certains trajets permettaient, en un ticket, de passer de la capitale damann à celle du Grand Kah (quand bien même la confédération refusait que l’on qualifie ainsi sa ville la plus importante, personne n’était dupe). De l’autre il espérait pouvoir y rencontrer les gens du Consulat, discuter avec ses contacts, se mettre à jour sur la hiérarchie, sur celles et ceux qui ne manqueraient pas de lui servir de supérieurs, même discrets, tout au long de sa mission.

Il n’en fut rien. Irial avait bien compris que son itinéraire une fois aux Marquises dépendait des kah-tanais, et ceux-là voulaient le voir partir pour le sud dès que possible. On jugea sans doute qu’il n’avait pas besoin de se concerter plus longuement avec les hommes de son gouvernement, qui le mettait de toute façon au service des communes.

On appris ainsi au damann qu’il changerait d’avion une fois à Armouanez, prenant un vol tardif qui ferait Sabanalarga puis Quilchalí, ville où il descendrait, et dont il n’avait jamais entendu parler.

Le direct Baidhenor Armouanez était un avion lié à une compagnie aérienne damann. Il en existait trois, toutes publiques, gérant respectivement les vols intérieurs, les vols en direction de l’Eurysie et ceux en direction des "régions lointaines". Dans le cadre de cette ligne, c’était la dernière qui était à la manœuvre. Les nombreux vols reliant la capitale de la République aux Marquises semblait pour sa part moins répondre à un besoin économique qu’à une pure position de prestige, participant à la volonté affichée du gouvernement de rapprocher le monde celtique tant culturellement qu’économiquement. Pour tout le reste, Irial supposait que l’opération était sinon contrôlée, au moins largement financée par des intérêts économiques kah-tanais : les stewards parlaient un syncrelangue sans accent lors de l’explication des consignes de sécurité, et la technologie de l’avion, qui lui sembla très en avance, portait la marque de plusieurs sociétés et coopératives de l’Union. Les écrans incrustés dans les fauteuils, notamment. Il n’avait jamais vu ça avant, et l’idée lui semblait étonnante mais peut-être pas tout à fait dénuée d’intérêt. En tout cas ça ne ressemblait pas à une idée damann. Pour lui ces écrans attestaient à eux seuls de la thèse d’une coopération : les Marquises avaient intérêt à voir une ligne les relier à la grande île, et laisser une compagnie damann occuper ce marché devait passer pour un acte de pure charité, un geste diplomatique satisfaisant les intérêts d’une nation amie qui, en retour, fournissait ses compagnies en appareils kah-tanais. Ou bien achetait des composants kah-tanais pour ses propres avions. La volonté autarciques des rouges s’accommodait sans doute mal d’une flotte entièrement étrangère, et l’appareil ne semblait pas dater de cette époque où la République ne pouvait pas encore produire ses propres engins et technologies.

Quoi qu’il en soit et quelle que fut la nature de l’avion, le vol fut des plus confortables.

[Arrivé à l’aéroport d’Armouanez [Contact du consulat] et lui demanda, par pure curiosité, où se trouvait la ville sur une carte du Grand Kah. Elle l’amena devant un mure où l’on avait peint une immense carte du Grand Kah. L’ensemble avait un côté un peu vintage, mais était un excellent état. Irial supposa que la décoration datait de la période de croissance rapide des années 70, où avait peut-être été construit l’aéroport, mais que la carte était encore mise à jour quand nécessaire. Il découvrit ainsi la ville, minuscule point au sud de l’Union, isolée, semblait-il, au creux d’une vallée encadrée de part en part par les massifs montagneux les plus élevés du continent.]

« Pourquoi cette ville a un aéroport ? »

Pour Irial ce simple fait ne semblait pas composer un argument en soi. L’autre sembla réfléchir.

[Décrire le passage de la frontière justement lié aux assassinats sur le sol kah-tanais.][Décrire le passage de la frontière justement lié aux assassinats sur le sol kah-tanais.][Décrire le passage de la frontière justement lié aux assassinats sur le sol kah-tanais.]

[Décrire l’arrivée aux Marquises. Discussion avec son contact en mangeant du poisson sur le port.]

[Nouvel avion. Le contact lui souhaite bon courage après lui avoir donné le numéro à appeler pour accéder au Consulat de Damanie.]
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