Nous sommes actuellement sur le terrain dans la banlieue de Staïglad où le siège vient officiellement de se refermer, nous explique le Mayor Fyokhlachev en charge de la sécurité des journalistes. Si l’armée a bien voulu nous escorter sur la butte de герой нации qui surplombe la ville, nous ne sommes pas autorisés à nous rapprocher de la ligne de front. Cette dernière est encore «
trop précaire » nous explique le Mayor qui craint une tentative de percée de la part des forces de l’ONC sur des positions mal défendues.
La chute de Markhiv, trois jours plus tôt, a permis aux forces communistes d’achever l’encerclement de la capitale sans craindre désormais d’être pris à revers. Seul le sud du pays demeure encore sous contrôle de la RLP. «
Plus pour longtemps » assure le Mayor, faute de ville majeure pour retenir l’avancée des troupes, la seule crainte désormais de l’armée rouge se trouve dans une hypothétique intervention du Vogimska par la Nazakraine. «
Assez peu probable » cependant, «
la destruction des principales lignes de chemin de fer par l’aviation empêche une pénétration rapide de notre territoire par le sud-est et surtout un ravitaillement. Nous ne pouvons pas être pris par surprise. »
Si l’armée rouge s’est quelque peu fragmenté pour assurer l’occupation des territoires libérés et que l’état-major s’apprête à envoyer plusieurs divisions reprendre le sud et se poster à la frontière de la Nazakraine, le gros des troupes encercle désormais Staïglad, dernière ville majeure contrôlée par l’ONC. «
Le plus dur reste à faire, nous confient des officiers en off,
les limites techniques de l’armée rouge ont laissé le temps à l’ennemi de s’enfuir mais aussi de se retrancher. Ce ne sera pas une bataille mais un siège qui s’annonce. »
Difficile pour l’heure de dire combien de temps celui-ci durera. Le Maréchal Andreyev a accepté de nous recevoir dans les bâtiments de la banlieue nord qu’occupent ses équipes. Penché au-dessus d’une carte de la ville, il nous annonce être pressé et nous fait signe de nous asseoir rapidement autour de la table de commandement, débarrassée pour l’occasion de tous documents sensibles. «
Si nous trouvons en nous la force et l’héroïsme, la ville tombera dans un mois, nous affirme-t-il tout de go.
L’ONC a révélé sa couardise en fuyant face à nos forces, les combattants de la RLP ont pour parti déserté, nous combattons des lâches et des félons. »
Interrogé sur la même question, le Mayor Fyokhlachev se montre plus sceptique. «
Ceux qui sont là-dedans ont choisi de rester en connaissance de cause. Ils sont perdus et se savent dos au mir, il faudra s’attendre à des combats sanglants. » Inquiet pour la population, il ne parvient pas complétement à cacher son amertume. «
Des bourreaux qui ont massacré déjà, j’ai peur pour les civils enfermés avec eux, notre devoir patriotique est d’en sauver un maximum. »
De l’autre côté de la ville, au nord, les premières colonnes de réfugiés se massent déjà devant les lignes pharoises. Le couloir humanitaire est installé depuis une semaine et le flot de civils ne semble pas prêt de se tarir. «
Il y a deux millions d’habitants à Staïglad si on exclue ceux qui se sont déjà tiré, c’est une ville très densément peuplée, quand bien même les Pharois en évacueront cent, deux cent ou même trois cent mille personnes c’est une goutte d’eau. » peste Fyokhlachev. Nous apprendrons plus tard que le Mayor a de la famille dans la ville, des cousins dont il a été séparé au moment de la division du pays.
Vêtus de gris et sans uniformes officiels, les forces de la Merirosvo détonnent en comparaison de la discipline de leurs compatriotes des Stations Libres et des forces de l’armée rouge. Plus nonchalants, la plupart des procédures sont expédiées malgré les garanties fournies au gouvernement de la RSP. Un premier check-point accueille les civils, mains en l’air, qui ne sont pas autorisés à apporter avec eux plus d’un sac à dos. Celui-ci est dans un premier temps laissé de côté ouvert et examiné par une équipe de déminage. Pendant ce temps, les civils sont fouillés par les forces pharoises qui s’assurent qu’ils ne possèdent aucune arme.
Une fois les premiers tests passés, les réfugiés sont guidés vers un camp de recensement. Ici l’attente est de plusieurs heures avant d’être accueilli par des administrateurs Prodnoviens. Nom, âge, sexe, anciennes professions. Les documents d’identités facilitent la procédure, ceux qui n’en ont pas devront se soumettre à d’avantage de contrôles. Les autorités de la RSP veulent s’assurer qu’aucun criminel, soldats ou ressortissant étranger ne pourra sortir de la ville sans que ne soient vérifiés ses antécédents militaires et ses activités politiques sous le régime de la RLP.
«
Le Camarade Malyshev a promis la justice aux Prodnoviens. Les civils de Staïglad ont été pris en otage par l’ONC et aucun mal ne leur sera fait, mais les collaborateurs et les chiens du capitalisme devront répondre de leurs actes ! » aboie à notre micro le sous-officier Lukov, en charge de cette partie des opérations. Rares sont en vérité ceux à être retenus. Une trentaine tout au plus en quelques jours, emmenés à l’écart pour des interrogatoires plus poussés. «
Tout ça c’est de la com’ avoue un Pharois ricanant,
les types qui ont du soucis à se faire se sont tirés depuis longtemps ou bien ils ne comptent pas se rendre. Faudrait être con pour demander l’asile quand on sait que t’as collaboré avec le régime dont on veut la peau. »
Plus nombreux, en revanche, sont les Prodnoviens retenus pour les informations qu’ils sont susceptibles de détenir sur l’état des défenses de la ville. Ceux là sont également emmenés à l’écart, dans un immeuble transformé en bureaux par l’état-major prodnovien pour recueillir et recouper les témoignages et éclaircir un peu la situation à l’intérieur de la capitale. Les interrogatoires peuvent, le cas échéant, s’étaler sur plusieurs jours. «
Tout le monde est bien traité, nous nous assurons que nos compatriotes libérés collaborent pleinement avec le régime de la RSP. Ils recevront une médaille pour cela, un témoignage crucial contre nos ennemis contribue autant à l’effort de guerre qu’une balle tirée. »
Une médaille, et peut-être un peu plus. C’est en tout cas ce qui se chuchote dans le coin. Un employé sorti de l’immeuble pour fumer nous le confirme à voix basse «
c’est une forme de chantage, on prend un membre de la famille et on lui dit que s’il nous dit ce qu’on veut savoir, ça ira plus vite pour les siens. S’il refuse en revanche la procédure peut… trainer. » Et si son témoignage s’avère mensonger ou incohérent avec les autres ? demandons nous. L’employé pince les lèvres. Nous n’aurons pas d’avantage d’informations.
Autour des bureaux, une partie de la banlieue pavillonnaire de Staïglad a été transformée en camp de réfugiés. Ici les Pharois apportent couvertures, nourriture et eaux, produits hygiéniques et tout le nécessaire à une installation de fortune dans les maisons attribuées par l’armée. «
C’est provisoire donc ça va, explique un Pharois aux allures de pirate.
On est aidé par des ONG et on ne manque pas de ressources ni d’alliés dans la région. La Merirosvo veut en finir vite alors paradoxalement elle a mis la main au portefeuille. »
Les réfugiés resteront dans le camp le temps que les procédures de vérification soient achevées. Impossible de sortir, la forte présence militaire pharoise assure la surveillance du quartier et des grillages ont été dressés pour fermer les rues. Certaines façades ont même été murées en urgence pour interdire l’accès aux fenêtres. A l’heure actuelle, quelques quinze mille personnes seraient encore en transition dans le camp. Le turnover est assez élevé toutefois, rares sont les familles à rester bloquées plus de quelques jours.
«
Les combats n’ont pas encore commencé, explique un militaire Pharois,
les Staïgladiens qui voulaient partir l’ont fait avant que l’armée rouge ne boucle la ville. Mais j’ai peur que ça commence à se bousculer au portillon quand il y aura les premiers affrontements… ou si ça dure, que la nourriture et l’eau potable commencent à manquer. »
Une fois les procédures achevées, les civils ont accès au corridor humanitaire, une mince zone sous contrôle pharoise exclusive menant au port de Nevskigorod. A partir de là, les réfugiés se verront offrir le choix de se rendre dans les régions libérées du Prodnov ou de prendre un navire pour un autre pays – si ce dernier y consent. Les Pharois et les Albiens se sont d’ores et déjà porté volontaire pour accueillir les réfugiés en faisant la demande. La plupart choisissent toutefois de demeurer au Prodnov et de se diriger vers les oblasts de Peprolov et Galkvoine.
Tout du long, difficile de nous entretenir avec les civils. L’armée rouge se montre méfiante et les Pharois également. Peur d’une bavure, nous explique-t-on, il y a un jeu médiatique et communicationnel, la RSP veut se montrer irréprochable et le Pharois espère également se racheter une réputation. Tout le monde semble avoir conscience que la paix dans la région commence ici, dans le bon traitement des réfugiés, et la supériorité militaire de l’armée rouge et de ses alliés des Stations Libres ainsi que la prise rapide du reste du territoire autorise l’état-major à se détendre.
«
Tant que les choses se passent bien, nous nous autorisons à faire les choses biens, nous explique le Maréchal Andreyev.
L’ONC s’est réfugiée et se fortifie dans la ville, soit, mais elle n’est pas la seule à pouvoir profiter de la lenteur des opérations. Ce sont eux les assiégés désormais et ils vont commencer à manquer de tout, nous ne sommes pas pressés. »
Une analyse de la situation que ne semble pas complétement partager le Mayor Fyokhlachev «
plus nous attendrons, plus ça va être l’enfer dans Staïglad. C’est une balance, un choix cornélien entre sacrifier nos militaires pour reprendre la ville ou la laisser pourrir et sacrifier ses habitants. »
Ce qui frappe pour le moment c’est surtout à quel point tout est assez calme, dès lors qu’on s’éloigne du corridor humanitaire. Des militaires Prodnoviens sur le qui-vive, préparant leurs défenses, mais sans qu’aucun bruit de conflit ne nous parvienne aux oreilles. L’état-major semble avancer prudemment par étape, sachant que son adversaire a d’ores et déjà eu le temps de se barricader. Presser les choses ne semblent plus véritablement pertinent pour le moment.
«
Nous attendons qu’une partie du matériel nous arrive, explique le Maréchal Andreyev en désignant des unités sur sa carte stratégique.
Nous avons besoin de drones de reconnaissance et de pièces d’artilleries pour anéantir les forces ennemis à distance. Nous devons repérer le terrain en amont pour ne pas tirer à l’aveugle. »
Ainsi, le temps semble ici quelque peu suspendu, figé en attendant la reprise des offensives. La bataille de Markhiv devrait par ailleurs être décortiquée dans les prochains jours en préparation des futurs combats urbains. Quant au million de civils encore dans Staïglad, leurs nouvelles ne nous parviennent qu’à travers des fréquences radio à courte portée qu’on imagine sur écoute. Impossible de contacter des gens depuis l’extérieur pour le moment, nous essaierons une fois sortis de la juridiction militaire, l’état-major de l’armée rouge souhaitant limiter les interactions au maximum. Les liaisons satellites sont coupées désormais, tout comme le sont progressivement les lignes téléphoniques et internet, isolant chaque jour d’avantage Staïglad du reste du monde.