05/06/2013
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mdr
Matt Larsson, le grand vainqueur.


22h30, 22 janvier 2004. Eglise de retransmission de la famille Richardson.

Dans l'unique salle de cette énorme église aménagée en stade de la famille Richardson, des dizaines de milliers de personnes retiennent leur souffle, dévorent leur popcorn, hurlent pour encourager leur candidat depuis le début de l'épreuve retransmise. Dans les gradins, les vendeurs de toutes sortes de produits dérivés et de bouffe s'activent pour atteindre leur quota du soir, et quel soir! Sur les quatre écrans disposés en cube au centre du stade, le spectacle qui a amené chacun en ces lieux. Deux silhouettes au milieu du blizzard, en simple pull et pantalon.

Elles portent aussi une cagoule, ainsi que des gants et des bottes pour éviter les accidents. Pourtant, chaque année il y en a. Et chaque année, l'audimat s'améliore de façon affolante. Tout le monde regarde "Nuuk-Nuuk", du nom de la baie par laquelle les candidats sont déposés. Le patriarche Rose se fait des couilles en or avec les chiffres de la vente, et des rumeurs courent sur l'achat des droits télévisuels par des pays étrangers. Ce serait un jackpot, et pas des moindres, en plus d'être un moyen comme un autre de diversifier l'économie locale.

-Deux heures et quatorze minutes! disait la voix insupportablement feutrée du commentateur blotti à l'intérieur de son Eglise locale, bien au chaud pour commenter. L'épreuve actuelle était la mythique épreuve finale des statues de glace, où les candidats devaient rester simplement en équilibre au sommet d'un monticule sur une jambe, avec les deux bras joints au dessus de la tête. Le premier qui tombe, perd. Le commentateur ne sortait qu'une fois l'épreuve terminée pour féliciter les vainqueurs, et tourner la caméra pour mettre hors-champ le perdant qui se faisait embarquer dans un brancart. Car cette épreuve ne finissait que comme ça. Les candidats étaient tellement butés, tellement gelés et amoindris, tellement ravagés par les séries d'épreuves précédentes et par les images d'évacuation et d'abandon des autres qu'ils refusaient de s'arrêter, et finissaient, suprême ironie, en statues de glace.

-TU VAS FINIR PAR TOMBER, Cà$èpwegfko? Le micro attaché au bonnet de Lenny Karlson, l'homme à gauche, tout en muscles et portant un pull rouge, s'était activé. La censure automatique avait fonctionné comme il fallait, pour protéger les oreilles des jeunes auditeurs de Channel Rose. L'assistance devant le quadruple écran lâcha des cris d'indignation. Un glisois devait être stoïque, puissant, et imperméable à la tentation de déconcentrer son adversaire par de telles bassesses. Et surtout, lâcher des insultes devant les enfants, quel indignité. Son adversaire, qui lui faisait face, répondit simplement: Un crachat sur le sol avant de vite se reconcentrer. Aussitôt, le public partit en délire devant cette démonstration de puissance et d'indifférence, et le commentateur sauta sur l'occasion:

-Quel homme, quelle légende, quelle histoire mesdames et messieurs! Ce geste, cette prestance! C'est dans ces moments-là, cher téléspectateurs, qu'on remarque la différence de valeur entre nos deux candidats, regardez Karlson, il tremble déjà, il sait que cet écart vient de lui coûter cher! Il est détruit, il ne mérite que de s'effondrer! Qu'en pensez vous Patrick? Patrick était le commentateur secondaire, qui servait de caution d'approbation pour l'ego du commentateur principal.

-Effectivement Max, il est évident que la main de Dieu vient de quitter Karlson, il devient rouge de honte. Même sa position de statue devient moins convaincante.
Et effectivement, même si c'était encore imperceptible, Karlson avait déjà perdu en s'abaissant à insulter son adversaire. Il perdrait d'ailleurs une grande partie de ses gains en amende pour outrage à la morale et en frais d'hôpital. Il était entrain de s'en rendre compte et ça minait son moral, la base de cette épreuve. Peu à peu, en l'espace d'un quart d'heure, sa statue se ratatina jusqu'à qu'il tombe à genoux. Le stade rugit, le commentateur hurla, et le vainqueur ne bougeait pas. Il fallut que Patrick aille informer le vainqueur de sa victoire pour qu'il abandonne sa position. On détourna la caméra pour interviewer le vainqueur, pendant que le perdant fut embarqué sur un brancart, direction l'unité médicale.

-Alors, comment vous-sentez vous, Matt?

-Je n'ai jamais douté, Max, j'étais sûr de ma victoire depuis le début, quand J'ai battu Tom sur l'épreuve de chasse au phoques, je savais que Dieu guidait mon harpon. Je remercie ma femme, mes gosses qui me regardent...

Et en même temps que l'interview de fin avait lieu, l'unité médicale avait à déplorer la mort de Lenny Karlson à 27 ans, des suites de multiples engelures et défauts d'organes internes. Mais de cela, personne ne fut mis au courant. A la place, après l'interview et le générique de fin, le teaser de la prochaine saison arriva à l'écran.



Glisois, glisoises, étrangers, étrangères, la prochaine saison de Nuuk-Nuuk n'attend que vous. Oui vous l'avez bien entendu, vous. La candidature est en effet ouverte aux étrangers cette saison de printemps, pour montrer à tous votre résistance et votre force. les séléctions se feront par entretien à Raxington, du 5 au 7 Juin. Venez nombreux, et équipés.


L'église était survoltée, des étrangers? Ils allaient leur monter de quel bois ils étaient faits. Et ce sera une occasion de plus pour aller au stade.
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Libération christique, partie 1


Linda Atkins rentrait de son travail à la cantine-église de la famille Rose. Encore engoncée dans son uniforme étroit rose pétant -aux couleurs de la famille-, elle trouva comme à son habitude quelques feuilles de papier enroulées et hâtivement assemblées avec des agrafes pour former le journal dont le nom était : « Dieu, c’est nous ! ». Avec une mine ravie, elle referma la porte de son petit appartement en la faisant claquer derrière elle, et s’installa sur sur sa chaise attitrée.

Ce qu’elle ne savait pas, c’était que chaque appartement fourni par la famille (ce qui constituait la totalité des logements non-occupés par des membres du clergé) était muni depuis la gigantesque campagne de modernisation des bâtiments d’une magnifique caméra, et que le militant anarcho-chrétien qui avait déposé ce journal avait été filmé de long en large. Heureusement pour lui, le militant avait suivi un itinéraire qui incluait l’extérieur de l’Eglise d’habitation et était largement couvert pour ne pas être identifié. Maintenant, Michael Nicholson, 72ème adjoint à la sécurité du convoi Rose, scrutait attentivement la réaction de « Mme Linda Atkins, 3ème adjointe aux cuisines du bloc 42», comme le dossier devant lui le stipulait. Pour l’instant, elle semblait lire avec un intérêt sans réserve.

Ce jour-là, le journal titrait en une « Bloc 45, 3 camarades disparus après qu’on les ait enfermés dans le froid et déguisé l’acte en suicide collectif, l’oppression anti-christique continue ! »
« Il y a trois jours, dans la nuit du 4 au 5 février 2004, 12 officiers de la brigade pour des églises sûres (BES) sont entrés en utilisant leurs clés spéciales dans un appartement du bloc 45 où trois camarades tenaient une imprimerie clandestine destinée à l’extension de nos moyens de rallier les glisois à la cause du Père. Après les avoir menottés, torturés et interrogés, ils les ont largués sommairement dans le froid de la nuit sans équipement dédié, les condamnant ainsi à une mort certaine. Voici pourquoi, dans cet édition spéciale, nous leur rendons hommage en leur dédiant de verset de la Bible : « Je connais tes œuvres, et où tu habites, [savoir] là où est le siège de satan, et que cependant tu retiens mon Nom, et que tu n'as point renoncé ma foi, non pas même lorsqu'Antipas, mon fidèle martyr, a été mis à mort entre vous, là où satan habite. - Apocalypse 2:13 »


Car oui, camarades, nous savons où l’ennemi de Dieu qui entrave la libération des âmes en les aliénant au travail se trouve ! Il se trouve dans la Cathédrale Saint-Rose, au milieu du convoi, là où effectivement une cathédrale est censée être. Mais en son sein prospère la famille qui lui a donné son nom, le poison, le pus qui suppure et rend chaque jour ce convoi plus hostile au Père, qui nous aura bientôt abandonné. Cette vermine a encore frappé. Mais nous nous rappellerons de cette action, comme chaque mort passée est inscrite dans la chair de chacun d’entre nous. Et nous nous ferons justice. »

Quand Linda fut environ à la moitié du journal, un bruit derrière sa porte l’attira hors de sa chaise. Elle se dirigea vers la porte, et découvrit par le judas la silhouette bien connue de cet ami qui lui déposait toujours l’hebdomadaire. Mais il y avait un problème. Pour des raisons de sécurité, il ne s’aventurait jamais deux fois au même endroit dans un intervalle de temps si réduit. Elle lui ouvrit la porte, et l’homme l’attira un peu plus loin dans le couloir sombre sans un mot, hors de portée des caméras en lui pointant la nouvelle menace installée au plafond.

-Il faut qu’on sorte, Linda.

Il avait engagé la conversation comme à son habitude, droit au but. Il ne l’avait jamais fait autrement pendant les deux années dans lesquelles ils avaient été en contact. A ce moment précis, cette brièveté commença à l’inquiéter. Sortir de quoi ? Du bloc, du convoi ? Par ces températures ? Il était devenu complètement givré, littéralement.

-Sorte ?

Elle avait répondu avec une expression très claire : Elle le prenait pour un fou. Ou simplement pour quelqu’un qui avait un peu trop pris au sérieux les préceptes de sacrifice de soi promus par les anarcho-chrétiens. Il répondit avec un début de geste d’impatience, puis en se reprenant.


-Ils m’ont filmé entrain de déposer le journal. Ils t’ont filmé entrain de le lire. Selon le seul homme qu’on a chez eux, ils sont partis il y a 3 minutes du bloc 5 en direction du sud, tu sais ce que ça veut dire.

Immédiatement, Linda jeta un coup d’œil au plafond de son appartement et repéra le dispositif ajouté récemment dans la nouvelle lampe au plafond. Elle eut un petit moment d’hésitation, puis revint à la femme d’action qu’elle était. Elle avait fait passer des tracts, aidé à l’installation de l’imprimerie récemment démantelée, même attaqué la BES pour aider à faire fuir des camarades. Elle n’allait pas abandonner maintenant.

-J’arrive dans deux minutes.

Elle se précipita dans son appartement, enfila sa combinaison de survie arctique, prit la nourriture et l’eau qu’elle avait en stock, rédigea à la hâte la lettre d’adieu pour son mari qu’elle n’avait jamais réellement aimé et revint vers l’homme 2 minutes environ après l’avoir quitté.

-Tu as au moins un plan ?

-Une église de haute vitesse aménagée, prête au départ vers le nord, et de quoi la défendre. Mike s’occupera de ceux qui resteront ici. Ensuite… il nous compter sur un support étranger.
Mais j’ai déjà des idées de potentiels pays d’accueil. Nous avons de quoi patienter avant leur arrivée, par contre.

-Parfait, on a pas de temps à perdre, dans ce cas. Pour la trinité, pour nous mon frère.

-Pour la trinité, pour nous.

Et ils se hâtèrent vers l’extérieur du convoi, évitant la patrouille qu’on leur avait envoyé avec une dizaine de minutes d’avance. L’église haute vitesse, réaménagée en habitation, était déjà en route à quelques kilomètres du convoi, espérant échapper aux radars. La suite de leur voyage se déroula suprenamment bien. Leurs seuls poursuivants se trompèrent de direction au départ, ce qui leur permit d’atteindre assez facilement la côte nord. Là, ils purent se mettre en sécurité dans une vedette des gardes-côtes glisois détournées qui prit une route détournée pour rejoindre le nord du pays, puis peut-être, le continent. Mais qui finira par accueillir ces réfugiés ?
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Le travail

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Quelque part dans l’immensité de la banquise, un petit groupe secondaire d’églises se frayait un chemin jusqu’à leur objectif. A l’intérieur de leurs coquilles de noix en acier, ils attendaient patiemment d’arriver à destination, bercés par les tremblements du véhicule sur le sol inégal. Dans la cantine de leur bloc respectif, ils étaient rassemblés par « groupe de pompe » autour d’une table, avec leurs combinaisons de la famille Bush, orange pétant, même si la couleur commençait à se ternir à mesure que le temps passait. Pour l’instant, leurs visages était encore découverts, la nécessité ne les poussait pas à s’enfouir sous plusieurs couches de tissu. Dans le décor terne et austère de la cantine, la plupart faisaient la même chose que le groupe de pompe 2, qui partageait simplement son apéro du matin en parlant de tout et de rien. L’apéro du matin était une véritable institution, tant parce qu’il permettait de lier des travailleurs assez isolés dans leur quotidien entre eux que parce qu’il permettait de se réchauffer et d’oublier dans quoi ils allaient se lancer. Le groupe de pompe 2 justement finissait ce rituel de préparation en silence. L’évocation au début de l’apéro de la dernière session de forage de l’année passée avait jeté un froid autour de la table. Nick avait visiblement oublié le nombre de doigts gelés qu’avait coûté un gant mal attaché à son collègue, et l’avait plongé dans une froide colère. Au moment de partir, ils étaient encore tout deux brouillés, alors qu’ils allaient se jeter dans un des environnements les plus hostiles au monde. Alors, dans un élan de camaraderie inhabituel dans la station, Luke se leva lui et son verre, et leur servit le discours suivant.

-Collègues. Mes amis. Vous pensez bien que j’en ai rien à en battre de votre petite querelle récente. Grand sourire provocateur. L’attention des deux autres est maintenant focalisée sur lui.

-Néanmoins, je tiens suffisamment à ne pas perdre plus de doigts pour vous demander solennellement d’arrêter de faire chier des collègues pour vos conneries personnelles, et pour vous dédier ce coup-là. Il leva son verre vers le centre de la table. Les collègues se levèrent un par un, en finissant par les deux impliqués pour le lever ensemble. Pour le patriarche, et pour nous.

-POUR LE PATRIARCHE ET POUR NOUS !

Le différent entre les deux n’était pas terminé, mais au moins Luke avait-il pu détourner l’attention des deux hommes afin qu’ils ne soient pas déconcentrés par la tâche éprouvante qui les attendait. Aujourd’hui était le premier jour du forage, une étape importante car il intervenait dans un des jours de travail les plus froids qu’un travailleur avait à affronter. Ils allaient pouvoir sortir, maintenant qu’ils s’étaient rassérénés. Voyant l’heure avancer, ils se levèrent lentement un par un, mettant leur cagoule pour se protéger et se dirigèrent vers la sortie de la cantine, un énorme sas conçu pour garder le froid à l’extérieur. Une fois la totalité de la première fournée d’ouvriers arrivés dans le sas et prêts au départ, on ferma la gigantesque porte derrière eux, et celle les menant vers leur tâche s’ouvrit lentement, laissant peu à peu entrer le vent glacial dans le sas. Le groupe de pompe 2 s’avança rapidement vers le hangar qui leur était attribué et se saisit des différents outils nécessaires à l’établissement d’une pompe à cheval à l’endroit prévu à cet effet. Pendant que la seule chose qui dépassait de sa combinaison, sa moustache, gelait lentement, Luke remarqua quelque chose de bizarre : il avait un poids supplémentaire au niveau du ventre. L’angoisse de recommencer l’installation, comme chaque année ou même plus souvent ? La pression de la dispute qui venait de se terminer ? Il se massa l’endroit concerné, ne sentit rien, et conclut que ça ne devait pas être grand-chose. En plus, ça n’était pas le moment de flancher.

En effet, son groupe et lui devait finaliser l’installation de la pompe, puisqu’ils reprenaient un trou déjà foré. Cet exercice était un test de confiance pour les foreurs, au vu de la visibilité très mauvaise qui régnait dans ce blizzard permanent. Chaque mouvement devait être synchronisé à l’aide de cris mal articulés qui couvraient à peine le bruit du vent, et le temps que cela prenait mettait l’endurance de tout le monde à rude épreuve. Finalement, après trois heures d’efforts et de bordées d’insultes partagées pour ceux qui ralentissaient la manœuvre, les ouvriers repartirent pour prendre la pause de midi. Le poids sur le ventre n’avait pas disparu pour Luke, il avait même empiré. Pourtant, ils avaient bien avancé, les insultes étaient autant une partie du boulot que le froid mordant et l’apéro du matin. Se souciait-il à ce point de la dispute de ce matin ?

Il rentra donc avec le reste de son groupe, et voulut en avoir le cœur net une fois à l’intérieur. Il se pencha donc pour enlever sa combinaison, et… blanchit d’un coup. Là où aurait dû se trouver sa combinaison se trouvait une déchirure, le fruit d’un moment d’inattention de lui où d’une couturière, ou d’un ingénieur. Qu’importe, il se retrouvait maintenant avec une zone violette sur le flanc sur laquelle il n’avait pas de sensations. Il la montra à ses camarades, qui acquiescèrent d’un air grave pendant qu’il se dirigeait vers l’infirmerie. On ne rigolait pas avec les engelures. Après son départ, la table resta silencieuse au milieu de la cantine et de ses bruits habituels. Le travail continua après manger, quoiqu’à un train bien plus lent. Et le silence ne cessa pas avant que Luke ne revienne avec un gros bout de gras en en moins deux semaines plus tard, un coup de chance. A ce moment là, tout conflit avait cessé. Et le travail pouvait continuer, Pour le patriarche, pour eux.
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2 décembre 2004, aérodrome expérimental de la faculté des sciences.

Dallas venait d’arriver sur l’aérodrome de la faculté des sciences utilisé depuis sa création pour toutes sortes d’expérimentations aériennes, principalement des innovations consistant à essayer de faire voler des engins dans le blizzard polaire avec un succès limité. Il faut dire que ce que les glisois appelaient maintenant la Terre des justes était un des endroits où mêmes les véhicules les plus robustes voyaient leur carburant geler sans mesure adéquate alors, y faire voler quelque chose…

Pourtant, c’était le pari fou qu’avait tenté de réaliser John McSalish, comme travail de fin d’études. Dallas pouvait voir deux tentatives différentes devant ses yeux, sans vraiment comprendre pour l’instant. A côté de lui et de McSalish se trouvait une grande sphère d’environ 3 mètres de diamètre composée d’une multitude de pièces fines d’armature hexagonale en béton reliées entre elles, avec une porte à taille humaine à sa base. Dallas y entra à la suite de McSalish d’un signe de la main de celui-ci, et découvrit à l’intérieur une petite pièce exiguë dotée de deux chaises et d’un panneau de contrôle assez simple.


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-Z’êtes prêt, patron ?

-Je suis plus votre patron depuis la révolution, McSalish, mais je suis prêt à ce que vous m’avez préparé. Quoi que ce soit, d’ailleurs.

McSalish ignora superbement la remarque de son ancien patron, et tritura ce qui ressemblait à un simple thermostat après avoir consciencieusement fermé la porte vers l’extérieur. Très vite, la température monta d’un simple -10 degrés à l’extérieur à environ 30 degrés, et Dallas eut l’impression d’être en plein été dans un ascenseur très lent qui entamait son ascension. En l’absence de fenêtre, il ouvrit la porte pour confirmer son sentiment… et l’engin descendit sèchement à terre, où il fut heureusement amorti par le train d’atterrissage qui n’avait pas bougé. Dallas sentit la claque du scientifique à l’arrière de la nuque avant sa remontrance :

-Z’avez failli détruire notre modèle de test, espèce d’abruti !

Dallas préféra garder le silence devant la mine outrée du scientifique, alors qu’il aurait pu lui signifier avec un sourire moqueur qu’il ne savait pas que le modèle « révolutionnaire » du scientifique pouvait s’effondrer aussi rapidement. Il ignora totalement le scientifique furibard, et connecta deux neurones afin de comprendre le spectacle qui se déroulait devant ses yeux depuis qu’il était arrivé à l’aérodrome : l’énorme sphère d’une centaine de mètres de diamètre en construction. On pouvait encore en voir l’intérieur, puisque le cercle initial n’était pas encore construit. Cette expérimentation était celle de la sphère qu’il venait de visiter à l’échelle d’un bâtiment volant.

-Vous êtes sûrs qu’un truc aussi gros va voler avec des trucs aussi lourds à l’intérieur ?

-Nous avons calculé que plus la sphère était grande, plus la masse de l’air qui était à l’intérieur serait énorme par rapport au poids de l’objet. C’est pour ça qu’il a fallu énormément augmenter la température pour faire décoller la petite sphère d’à peine quelques centimètres, tout à l’heure.

Dallas fit rapidement le lien avec quelques cours de physique basique qu’il avait eu il y a longtemps maintenant. C’est vrai que quand on chauffait de l’air, on augmentait sa masse.

-Donc vous faites des grosses mongolfières en béton ?

-C’est plus ou moins ça. Cette sphère là est encore assez petite par rapport à ce qui est possible de faire, mais nous devons procéder par étapes. Normalement, on aura plus besoin de monter jusqu’à 30 degrés pour celle là, et heureusement vu le cauchemar d’isolation que ce serait pour une sphère exposée à tous les vents. On a calculé qu’il nous suffisait de 10 degrés de différence pour que ça vole !

Dallas regarda le chantier en cours. Il pouvait distinguer quelques habitations, une pièce de stockage, des sas pour éviter que la température intérieure soit soumise à des variations, un gigantesque réseau de câbles pour fixer la future sphère au sol contre les tempêtes. C’était sûr, il allait falloir des infrastructures titanesques pour achever des sphères plus grandes que celle-ci. Mais elle pourrait fournir une base avant sûre à n’importe quel point de la Terre des justes, avant considérée comme inhabitable en dehors de certains points et des églises roulantes. Peut-être que c’était ça, les futures églises ? Plus proches de Dieu que les précédentes ? Le scientifique le regardait dans son mutisme, hésitant à poursuivre. Dallas l’incita d’un geste de main à le faire.

-Nous avons tout de même encore quelques problèmes. Tout d’abord, pour éviter que l’atmosphère soit trop étouffante à l’intérieur, on doit trouver une manière de faire pour que la carapace extérieure de la shpère soit extensible, pour qu’elle puisse prendre une certaine taille à mesure qu’on chauffe l’intérieur. Et deuxièmement, il nous faut encore réaliser des progrès fulgurants en termes d’isolation dans la construction en général. On est entrain de se casser la tête pour trouver comment garder une température constante à l’intérieur alors que la structure entière résiste aux pires vents, mais nous avons échoué pour l’instant. De plus, il nous faut aussi mettre en place des protocoles d’urgence au cas où la sphère présente un défaut dans son intégrité.

Le scientifique marqua une pause, notant la mine déconfite de Dallas.

-Je suis aussi déçu que vous, mais le développement de cette sphère prendra encore quelques temps, mais je vous assure que nous vous inviterons à chaque avancée majeure que nous réaliserons !

Dallas s’assit, comme quelqu’un à qui on privait une belle récompense après l’effort. Il resta là quelques minutes, puis força un sourire à McSalish pour la forme.

-Merci mon bon. Vous m’avez montré qu’un jour, on flottera au dessus de ces glaces éternelles, et de ça, je vous en remercie. Je retourne à mes activités, à moins que vous n’ayez autre chose à me montrer ?

Devant l’absence de réponse du scientifique, Dallas se retourna et se dirigea vers le bar le plus proche, là où il pourrait fêter cette nouvelle avec le plus de gens possible.
5413
2 mars 2005, au cœur de l’hiver, au cœur de la terre des justes, à côté de la chaîne de montagnes principale de l’île.


Pendant sa palpitante mission, le convoi « Apocalypse », qui avait été envoyé pour explorer plus en détail les terres du centre de la Terre des justes, avait passé les 5 dernier mois à longer la chaîne de montagnes centrales afin de noter toutes les particularités géographiques de la zone. S’ils avaient trouvé quelques endroits où installer une éventuelle station-relais, aucun des délires de la prophétesse ne semblait devenir réalité. Ed Evans ne voualit pas se l’avouer, mais lui et ses camarades de chambre appréciaient autant les discours de la prophétesse qu’ils s’en moquaient, car cela leur donnait un espoir, un but dans cette expédition qui semblait vouée à l’échec.

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Une partie du massif de la Trinité.

Ces derniers temps, ils avaient entamé l’analyse du massif formé par la Trinité, la montagne la plus haute de la Terre des justes. Leur mission plus en détail était « l’exploration, la démarcation et l’analyse des terres qui se trouvaient à l’intérieur de la boucle formée par l’unique chaîne de montagne de l’île », entre autres, le pôle sud. Des églises roulantes plus petites avaient donc, comme d’abitude, commencé à silloner le pied de cette immense chaîne, et, comme d’habitude, rien trouvé de bien intéressant à ramener sous la dent pour les autorité des EAU.

Cet état de fait continua jusqu’au 2 mars 2005, où Ed vit la prophétesse sortir soudain en motoneige de l’église qu’ils partageaient, pour foncer vers une des parois les plus impressionnantes qu’ils avaient vu juste ici, qui formait un obstacle imparable d’environ 10 kilomètres carrés à la verticale. Ed commençait à paniquer pour son amie, qui semblait sur le point de d’écraser contre la paroi à une vitesse proche de celle d’une voiture à plein tubes. Et puis, elle s’arrêta à un endroit qui semblait quelconque. Elle semblait rayonnante, et s’approchait maladroitement de la paroi en scandant ses habituels slogans religieux, piolet à la main. Certes, si on regardait bien, il y avait quelques fissures sur la paroi, mais pas de quoi aller célébrer le saint-esprit dans tous les EAU. Et puis elle commença à mettre un, puis deux coups de piolet. Les fissures dans la paroi peu à peu commencèrent à lézader sur plusieurs dizaines de mètres, avant de s’effondrer totalement avec une partie de la paroi, en formant une ouverture de la forme d’un rectangle terminé par un demi-cercle, presque proprement ciselée. La prophétesse, elle, n’avait pas bougé de là où elle était. Elle entra dans la caverne plongée dans le noir sans même paraître remarquer qu’un petit caillou venait de lui érafler le bras à travers sa parka. Depuis là où elle était, elle ne pouvait pas voir grand-chose, mais ce qu’elle voyait semblait la subjuguer. Elle tomba à genoux, les mains croisées, immobile en attendant ses camarades du convoi, en route dans une motoneige. Quelques secondes et un vrombissement plus tard, le phare du véhicule éclaira l’intérieur, et ce qu’il y trouvèrent les stupéfia tous.

Devant s’étendait une immense caverne sous la montagne, dont la température baissait rapidement après qu’elle ait été ouverte, mais qui gouttait du plafond. Et effectivement, il faisait plutôt chaud là-dedans, comparé aux températures extrêmement négatives du dehors. Pendant que la prophétesse s’était effondrée à genoux dans une transe priant de tout son âme le Dieu qu’ils vénéraient tous, les différents experts en géologie, architecture et urbanisme investissaient l’endroit en sortant de la motoneige toute leur panoplie d’outils. Après quelques dizaines de minutes, il était pour eux clair que l’endroit était idéal pour y installer la fameuse station dont ils parlaient : chances infimes que l’endroit s’effondre, température idéale si on aménageait l’endroit, énorme surface déjà creusée par Dieu lui-même… il fallait appeler Raxington. Au moment où le chef de l’expédition dégaina son émetteur longue distance pour le connecter à son oreillette, La prophétesse lui retint le bras, puis attira l’attention de l’expédition, tout en se connectant au canal général de l’expédition via sa propre oreillette.

-Mes frères et sœurs, camarades. Je ne pense pas avoir besoin de vous souligner à quel point la découverte extraordinaire que nous venons de faire ici est une don du Seigneur à nous, les justes. Maintenant, il nous faut discuter qu’en faire. Je sais pertinemment que notre but initial était d’en faire une simple station scientifique, mais j’ai une proposition à vous faire.

Pendant son discours, elle agitait les mains de manière passionnée, captivant le chaland non-averti. Ils mangeaient pour la plupart tous dans sa main.

-L’endroit est si étendu, que nous pouvons utiliser le fond de la caverne pour établir la station qui est attendue de nous, et qu’il nous reste toujours un espace immense. Je vous propose donc, que nous, les justes, utilisions le reste de l’endroit pour construire une gigantesque cathédrale souterraine à la gloire de notre seigneur qui utiliserait les parois de cette caverne comme couche extérieure, un lieu à la hauteur de notre Seigneur, à la hauteur des sentiments qui nous animent. Mais cela n’est pas tout. Pour que l’œuvre soit parachevée, il nous faut rendre l’endroit accessible, pas un simple pèlerinage innaccessible à la plupart des croyants égarés que le monde compte. C’est pour ça que j’irai proposer moi-même au Purgatoire, la construction d’une gigantesque Sainte voie jusqu’ici, afin que tous les justes du monde entier soient éblouis par la bonté du seigneur !

Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la caverne, tant les gens étaient emballés par le discours de la mystique. Les seuls qui étaient sceptiques, et qui avaient la gueule de bois d’avance étaient les experts : comment allaient-ils réussir l’exploit logistique de construire et maintenir une autoroute dans des conditions pareilles, et comment allaient-ils ensuite faire pour sculpter la montagne à l’image du Seigneur ? Mais cela n’importait pas. La prochaine étape du projet se ferait au Purgatoire, où il faudrait défendre la débauche de ressources employées. Personne n’accepterait cela, n’est-ce pas ?
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Quelque part en Terre des Justes, plus ou moins en 2005.

Sam Randeust se laissait balancer mollement dans son fauteuil au rythme lent du roulement des énormes chenilles de l’église « Libération ». Il regardait la lande gelée extérieure d’un œil torve, couvant une colère qui ne l’avait pas quitté depuis que la racaille avait chamboulé son monde. Depuis, il n’avait que peu quitté cette pièce, mis devant l’évidence qu’il n’avait pas à le faire : il recevait de l’argent sans rien faire, *parce qu’il était vieux*. Alors, désoeuvré alors qu’il soutenait qu’il pouvait pousser la foreuse de 2 tonnes « aussi bien qu’un gamin de 25 ans », comme il le disait, il avait commencé à se reclure dans sa chambre à l’écart des autres, dans cette église déjà bien petite. Ils étaient partis il y a quelques mois déjà, dans l’espoir d’établir une nouvelle manière de faire de l’artisanat, en voyageant entre les différentes sources de matériaux sur la banquise. Une dizaine de petites églises avaient quitté Raxington et s’étaient organisés en petits comités décisionnaires où tout le monde ou presque participait aux votes et partageaient un destin commun, en plus d’un endroit ou vivre.

Randeust, lui, avait plus ou moins été « placé » là dans le cadre du tout nouveau programme de retraite glisois, n’ayant plus le droit officiellement de travailler au forage du haut de ses 82 ans. Il s’était alors engoncé dans sa posture de rocher-grognon-dans-son-fauteuil-à-bascule, ignorant délibérément toutes les tentatives de socialisation de la part de ses nouveaux compagnons d’église. Ils avaient pourtant plusieurs concepts que le vieux trouvait intéressant, mais qu’il repoussait par pur antagonisme. Le vieux avait cependant un problème grandissant : malgré les multiples hublots à quadruple épaisseur installés pour admirer la lande glacée, il n’avait presque pas eu de sources de distraction à portée de vue depuis ces deux ours polaires à côté desquels ils étaient passés deux semaines auparavant. Alors il avait commencé à triturer l’oreillette qu’ils lui avaient installé après cette foutue révolution. Et il avait trouvé, entre multiples chaos déroutants plusieurs perles, dont le canal qui servait aux réunions matinales entre membres dans son église. Lui qui avait toujours vécu dans un système où il ne fallait pas se poser de questions, il découvrait comment cela se passait quand on s’en posait de manière collègiale. Il écouta, écouta se délecta, et jura quand il n’y en avait plus le matin, et passait alors au canal du Purgatoire à Raxington, véritable usine à gaz de discussions. Il virevoltait entre les canaux, de la radio culturelle (nouvellement non censurée), aux sermons du dimanche, en passant par les discours politiques des différentes factions. Il remarqua se faisant que beaucoup de canaux empêchaient de parler (comme celui du Purgatoire, logique), et un certain nombre d’autres étaient inaccessibles sans une clé vocale, comme celui qu’il partageait avec ses camarades temporaires. Au fur et à mesure qu’il les écoutait, Randeust avait de plus en plus de mal à ne pas participer. Il avait une très bonne idée de ce qui se passait dans l’église (ils avaient actuellement du mal à donner au minerai de cuivre qu’ils venaient de récupérer la forme qu’ils voulaient) et avait malgré lui développé tout un tas d’avis au contact de toutes formes d’idées. Au milieu de la réunion routinière du matin pour se préparer pour la journée, il activa le micro de son oreillette, et… souffla dans le micro de manière à inonder de parasites le canal.

-PUTAIN, C’EST ENCORE CES GAMINS QUI HACKENT DES CANAUX AU HASARD, BORDEL DE MER-

-John, c’est le vieux.

Une voix féminine blasée avait répondu à la rage d’une voix stridente et visiblement fatiguée.

-Quoi ?

Randeust s’arrêta soudain, ignorant que son identifiant pouvait pertinemment être vu dans les canaux non-publics.

-Vous vous êtes bien amusé au moins ? Vous voulez pas venir autour de la table de l’atelier pour foutre la merde dans la réunion, comme tout le monde ?

Alors le vieux se mit presque automatiquement sur ses jambes et se précipita en bas des escaliers. Chacune de ses articulations craquait à chaque pas, il était encore en pyjama, mais on l’avait invité. Le silence pesait de l’autre côté, et il ne s’arrangea pas quand on vit un papy en charentaises ouvrir la lourde porte péniblement pour pointer sa tête dans la maigre assemblée. Celui qui était visiblement le propriétaire de la voix stridente le fixait d’un air mi-accusateur, mi-désabusé essayant de cerner l’ancêtre. Quand Randeust eût fixé sa carcasse à sa nouvelle chaise bien moins confortable, il remarqua que la petite dizaine de regards de la salle était toujours tournée vers lui.

-Quoi ? Ah oui, moi c’est Sam. Ravi d’avance.

Les autres se regardèrent, leur réaction allant de l’hilarité complète au sérieux absolu, puis la réunion pût continuer sans encombre, avec le vieux qui posait quelques questions, apprenait la base de l’artisanat métallique et des problèmes quotidiens…

Dans l’église « Libération », comme partout les EAU, on apprenait la démocratie, petit à petit. Et cela changeait un certain nombre de choses.
1643
Quelque part dans les montagnes Raxington, 27/01/2006


-OUVREZ CETTE PORTE, DAUNTON! VOUS ÊTES CERNÉ!

Devant la porte d'une petite église roulante perdue au milieu des montagnes Raxington, une escouade de la nouvellement créée force civile révolutionnaire longeait avec prudence la façade pour sécuriser les différentes issues. Ils avaient commencé par bloquer le mouvement du véhicule, puisque l'homme n'en était pas à son coup d'essai. Il avait, plusieurs semaines auparavant, mortellement blessé le représentant des EAU venu lui apporter son oreillette à l'aide d'un fusil à pompe. Alors la deuxième escouade avait malheureusement envoyée pour une arrestation, cette fois.

-JAMAIS, PUTAINS DE TECHNOCRATES !

Il fallait évidemment le faire parler puisque l'approche furtive avait échoué. Elle échouait toujours, l'église blindée qu'ils avaient à disposition avait la discrétion d'un camion poubelle entrain de reculer.
Ils allaient essayer de le distraire suffisamment longtemps pour pouvoir le neutraliser, mais ils étaient loin d'être des professionnels puisqu'ils venaient de remplacer leurs prédécesseurs quelques mois plus tôt. Le résultat en fut ici un long blocage d'une semaine, avec l'homme qui semblait décidé à "résister contre les nouveaux fascistes". La situation avait été rendu compliquée par l'arrivée des médias nouvellement créés, qui avaient créé un chaos indescriptible sur les lieux de l'intervention de police. Au final, le lancement de l'assaut se fit dans un calme relatif, mais tous les facteurs cités en plus de l'épuisement des fonctionnaires provoquèrent un tir malheureux dans la tête de celui-ci, qui mourrut rapidement.

L'événement fut couvert dans la presse comme un " dramatique accident, causé par les transformations profondes que traverse le pays ". En espérant qu'ils se résument à ça à l'avenir...

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La force civile dans toute sa splendeur.
3401
Tribunal révolutionnaire, 12 novembre 2005


Au-dessus du purgatoire, une petite dizaine d'hommes et de femmes réglaient les affaires courantes avec le rythme lent et hypnotique qui caractérisait généralement les discussions de juristes. Toute la journée, leur seule préoccupation était de venir à bout de la pile de dossiers qu'on leur faisait parvenir à propos de problèmes aussi divers que des conflits dans le processus d'organisation démocratique dans une entreprise ou que des problèmes d'écriture de nouvelles lois. Autour d'eux s'activaient plusieurs dizaines d'assistants qui s'occupaient d'assurer la liaison avec les archives, la cafétéria et le Purgatoire en lui-même. On venait de trancher la manière de s'organiser que devraient employer les étrangers venus construire l'autoroute des justes, et le prochain sujet fit se raidir la main du président du tribunal lorsqu'il se pencha vers la petite fiche de résumé. Il murmura d'une voix lasse, juste assez fort pour être entendu de ses collègues:


-Benjamin... Dallas. Encore.

Le plus jeune des membres présents, la quarantaine, soupira bruyamment, tranchant définitivement avec l'atmosphère feutrée du lieu.


-Qu'est ce qu'il aurait fait cette fois?

Le vieux lui répondit cette fois d'une voix claire.


-Il aurait procédé à plusieurs dizaines de tirs de fumigènes autour de la mairie sur ses supposés soutiens dans une autre affaire que nous avons en cours, résultant en une dizaine d'hospitalisations dans la panique qui en a suivi.

Le soupir fut cette fois général et quasi-synchronisé autour de la table. Ils avaient reçu la plainte pour harcèlement de masse envoyée par Molly Harris et n'avaient pas osé intervenir de peur que ce soit un coup monté pour leur faire prendre le rôle d'autoritaires, mais il fallait se rendre à l'évidence, si Dallas avait pris un tel risque, il devait être aussi las qu'eux, comme il l'avait soutenu lors de ses deux derniers passages à la barre.

-Des plaintes ?

La demande provenait de la juge élue par la Rose Rouge, qui semblait être une des seules autour de la table à croire en la nature contre-révolutionnaire de Dallas. Le président lui répondit:

-Aucune. Il semblerait donc que Dallas:
De un, est affecté par la présence de ses propres adeptes,
De deux, n'a rien à voir avec eux puisqu'il leur vide son stock de fumigène dessus,
De trois, est lésé dans cette affaire depuis le début,

-Vous oubliez le fait que ces gens sont réellement des adeptes, certes visiblement pas contrôlés par Dallas, mais tout de même des éléments contre-révolutionnaires.

Un très vieil homme du nom de Christopher Dorn venait de prendre la parole, à la surprise générale.


-Vous prenez enfin la parole! Je pensais que vous n'étiez qu'une énième blague envoyée par votre parti, sauf votre respect.

Élu par le parti Dalliste, Dorn n'avait effectivement jamais pris la parole, parce qu'il pensait que les petits jeunes autour de la table s'en chargeaient très bien. Il eut l'air peiné avant de répondre d'un ton posé et qui se voulait autoritaire.

-Je n'ai pas vraiment de lien avec les Dallistes. Ils m'ont effectivement élu à cette position comme blague, ils ont pensé que je pourrais être je cite "funky". Je pense que ce monsieur Dallas mérite notre protection, pour être honnête, au vu de ses actions passées et de notre inaction volontaire. J'ai entendu dire qu'il serait à l'inauguration du chantier de l'autoroute des justes, cela pourrait être une occasion de clarifier la situation avant qu'il retourne à la mairie.

Le vieux avait bien résumé l'option logique: Difficile d'en vouloir à Dallas pour sa dernière dallasserie, et probablement que si on le délestait de sa horde d'admirateurs involontaires, il serait plus enclin à rester dans le domaine qu'on lui avait attribué. À 13 contre 1, on vota la discussion et le soutien à Dallas, ainsi que la poursuite de l'enquête dans le parti Dalliste cette fois.

Et les juges purent reprendre leur travail dans leur nouvel office, faisant de leur mieux pour stabiliser la révolution.
8510
Après sa fuite impromptue de la cérémonie d’ouverture du chantier de l’Autoroute des justes, Dallas et Molly s’étaient enfuis sur un hélicoptère prévu à cet effet dans le chaos ambiant. S’ils avaient prévu un éventuel plan de fuite en cas de menace dalliste, ils n’avaient pas prévu du tout l’intervention de la force publique et de la bataille rangé qui s’en était suivi. Visiblement, ça bougeait du côté du Purgatoire et plutôt en leur faveur. Il ne restait plus à Dallas que patienter dans sa planque pour éviter de se faire attraper et enlever par ses groupies en furie. Il s’agissait d’une des rares églises fixes, une usine reconvertie après la révolution dont on avait plus l’utilité. La particularité de celle-ci ? Elle servait aussi de bibliothèque universitaire labyrinthique qui ne fermait jamais. Des universitaires étaient là en permanence pour faire l’accueil, l’emprunt des livres, et l’entretien des étagères infinies. Dallas avait été impressionné par la variété de ce qui était gardé ici. De plus, de nombreux espaces à location libre avaient été aménagés pour ceux qui voulaient un endroit où travailler tranquillement. Certains de ces espaces étaient carrément des petits appartements où on pouvait dormir Pendant le long voyage qui menait jusqu’à la pièce où il se trouvait actuellement, il avait pu contempler tout ce que le monde pouvait compter d’encyclopédies, de romans, d’essais et de bandes dessinées. Mais ce qui l’attendait dans la pièce voisine d’où il devait dormir, il aurait difficilement pu l’imaginer.

hey

Une nouvelle pièce remplie de la dernière tendance mondiale : les kangahs banairais. Si Dallas les appréciait ? Oui. Au point de ne plus se rappeler combien de temps il avait passé dans cette pièce. Combien d’étudiants avaient haussé un sourcil en trouvant quelqu’un dans un lit qui semblait décoratif, -Dallas avait déplacé son lit- entouré d’une pile de ces petites bandes dessinées. Dallas se souvenait du tour du locataire que lui avait fait l’organisatrice des bibliothèques glisoises. Deux heures pour faire les recoins, souterrains et pièces qui ne devraient physiquement pas pouvoir exister dans un espace aussi petit. Il lui avait fallu du temps pour pouvoir se retrouver dans cet endroit, et beaucoup d’étudiants furent un peu étonnés de voir le chef du service diplomatique se balader Kangah à la main. Après quelques jours, Dallas dût même commencer à se déguiser pour éviter les dallistes, étant donné que la légende de l’ancien Maire hantant la bibliothèque s’était répandue.

Il resta donc de plus en plus de temps dans la pièce des Kangahs, où des piles et des piles de livres s’entassèrent bientôt à mesure que le temps passait. Un jour, un des bibliothécaires arriva dans son gite temporaire, et engueula copieusement son invité à la vue de l’état de la salle :

-MAINTENANT VOUS ALLEZ RANGER CES PUTAINS DE KANGAH, VOUS AVEZ VIDE LA MOITIE DES ETAGERES !

Dallas regarda l’étudiant boutonneux en face de lui d’un air contrit, presque blessé, comme un enfant pris en faute, puis manqua de tomber en se relevant. Et ouais, quand on ne marchait que pour aller aux toilettes et sous la douche, on finissait par souffrir en se relevant d’un marathon kangah de 20 heures. Pendant son exil forcé, il mena tout de même plusieurs conversations avec Harris à propos de l’état de la diplomatie, en apprenant au passage que le sommet du projet liberalintern allait être plus officiel que prévu, forçant Harris à se rendre sur place pour assister Dante, qui semblait se débrouiller pour les négociations préalables avec les autres nations concernées.

L’ennui commençait à le gagner dans son nouveau nid, et heureusement que les kangah étaient là.


Du côté de l’enquête, les membres de la force publique rattachés au juge Dorn n’avaient pas avancé d’un pouce. Ils devaient tout d’abord respecter la nouvelle liberté des citoyens et limiter les actions illégales dans le déroulement de l’enquête au strict minimum, comme leur avait répété le vieux. Avec ses 50 ans de terrain dans les pattes, Hariet Ittgins se grattait la tête en considérant les actions qu’il avaient prises jusque-là. Du haut de son mètre 49, elle dominait le bureau d’investigation depuis qu’elle avait pris le flambeau sous les neufs familles en profitant d’une hécatombe opportune dans les rangs. On disait qu’elle n’avait pas bien compris toute cette histoire de révolution, mais il suffisait que le juge Dorn signe « Benjamin Dallas » pour que tout passe comme une lettre à la poste. Les enquêtes préliminaires et interrogations informelles dans l’entourage des dallistes les plus proéminents n’avaient rien donné, si ce n’est une fresque étriquées de mythes abracadabrants sur Benjamin Dallas et la raison pour laquelle les dallistes l’adulaient. Parmi eux, on disait entre autres qu’il avait assassiné les neuf familles à lui tout seul, creusé le mont Trinité, qu’il était le père de la mystérieuse prophétesse qui s’y trouvait actuellement, qu’il pilotait le chantier de l’Autoroute des justes en arrière-plan, qu’il avait un jour fait un triple saut périlleux avec la voiture du maire, et voilà maintenant qu’il hantait la bibliothèque universitaire, gardant des croyances occultes enfouies. Si la plupart de ces histoires étaient presque à coup sûr fausses, on pouvait imaginer qu’elles ne constitueraient un obstacle que quand il s’agirait de cerner Dallas, pas ses adorateurs ! Et pourtant, à part quelques intermédiaires qui servaient de voix discordantes au Purgatoire, peu savaient réellement qui organisait le Parti dalliste, ni quel était leur but à part retrouver Dallas. Puisqu’on lui avait spécifié qu’arrêter un parlementaire reviendrait à arrêter le Maire autrefois (très risqué et rarement efficace), Ittgins en était réduite à simplement laisser ses petits glaçons, ses nouvelles troupes (comme elle les appelait, bien qu’il ne s’agisse que de jeunes anciens foreurs en quête d’action) tendre l’oreille et éplucher ce que recevaient les parlementaires en question. Un de ces petit glaçons vint avec une méthode intéressante d’espionner les canaux d’oreillettes : Une espèce de brèche dans la manipulation de l’oreillette qui permettait d’accéder à n’importe quel canal lorsqu’on se trouvait précisément à neuf mètres et demie, avec une précision dans la dizaine de centimètres de la personne visée. Le problème maintenant était de réussir à se trouver dans un endroit aussi précis aussi longtemps. Voler l’oreillette était hors de question puisque cela allait être remarqué très vite, il fallait donc se trouver à neuf mètres d’un de ces parlementaires quand celui-ci ne bougera pas.

Harriet Ittgins, championne glisoise de tir à l'arbalète depuis 20 ans.

Harriet Ittgins, championne glisoise de tir à l'arbalète depuis 20 ans.


Plusieurs options s’offraient à Ittgins : Elle pouvait tout d’abord essayer de convaincre un des parlementaires dans un rayon de neuf mètres autour du camp dalliste d’appuyer l’enquête, mais elle avait acquis ce vieux réflexe dans les guerres entre familles de donner sa confiance en le moins d’acteurs possibles. Elle pensait donc à envoyer un de ses glaçons comme rapporteur de la séance, et de le placer à la place du rapporteur, près du camp dalliste.

Quelques jours plus tard, les résultats d’espionnage au cours des différentes séances du Purgatoires furent des plus confus. Si confus qu’Ittgins passa un certain temps à se gratter la tête pour se demander ce qu’il se passait dans le camp dalliste. Si confus qu’elle changea par deux fois le rapporteur chargé de l’espionnage. Pour commencer, chacun d’entre eux lui avaient rapporté des interlocuteurs différents qui ne suivaient aucun pattern d’organisation connue, tout au plus une vague nébuleuse de connaissances qui ne devraient rien avoir à faire ensemble. Pire encore, les rapporteurs étaient terrifiés par certains sons qu’ils avaient capté dans leurs oreillettes : ils s’étaient plaints de sons discordants provenant de tous les instruments que pouvait compter un orchestre traditionnel, de voix désincarnées qui philosophaient sur le jugement dernier… La cerise sur le gâteau ? La voix (contrefaite, elle avait vérifié) robotique d’un Benjamin Dallas monocorde qui donnait des ordres sur l’agenda politique du jour en reprenant des citations connues de l’Ancien Maire. Ittgins choisit alors d’en avoir le cœur net pour s’assurer que les petits jeunes ne profitaient pas de cette mission pour lui rendre la monnaie de sa pièce en matière de sévérité. Elle ne les avait pas ménagés, mais était-ce vraiment au point qu’ils inventent une proto-mythologie horrifique pour lui faire chier ?

Elle finit de se gratter la tête au moment où la séance du purgatoire commençait. Elle s’était installée à la place de la secrétaire, en ayant avisé celle-ci avec une lettre anonyme que son chat avait été enlevée par une organisation anonyme et était détenu à 50km au sud de la ville. Cela avait visiblement suffi pour éloigner la bougre, et Ittgins activa son oreillette à ce moment précis. Au début rien de précis, même une espèce de bouillie de transmission qui s’éclaircissait à mesure qu’elle précisait le canal qu’elle cherchait. A sa grande surprise, elle entendit effectivement une voix robotique ressemblant à celle de Dallas. Mais celle-ci ne donnait pas d’instructions, elle… l’insultait ?

-Regarde… en… haut… Vieille… Peau…

Le rapport qui suivra l’incident parlera d’Ittgins tournant brusquement la tête vers le plafond, avant d’écarquiller les yeux d’horreur et de s’affaler inerte sur son bureau. Inutile de dire que ce fut une des séances les plus courtes du Purgatoire dans sa courte histoire, et que l’enquête des juges commença à piétiner sérieusement après cet incident…
8601
Doutes et sursaut


Sur une table de bureau aux couleurs vives se trouvait la pile interminable des dossiers à traiter aux EAU. Si le pays s’était effectivement libéré du joug des neuf familles plus d’un an plus tôt, entraînant une plutôt bonne répartition des richesses précédemment produites, le pays peinait à aller plus loin que la production de pétrole qui avait fait sa richesse. Il y avait des résistances de tous les côtés au système communaliste, incarnée par des figures locales puissantes n’en voyant pas réellement l’intérêt. Le pays s’était alors transformé en une myriade de petites factions occupant une église, un quartier, parfois même un souterrain. La décentralisation avait fonctionné, le passage à un mode de pensée communaliste, un peu moins. Le résultat provisoire était un peu bâtard, une sorte de tribalisme social, qui respectait certaines règles mises en place par l’organe central et en rejetait les autres.

Molly Harris s’en arrachait les cheveux. Elle avait essayé beaucoup de méthodes pour réussir à faire améliorer la vie de la boule de nerfs qui lui servait de population : limitation et régulation de l’alcool, des cigarettes et du peu de drogues qui passaient la frontière, obligation de changer de leaders locaux régulièrement, éducation à l’égalitarisme… Rien ne semblait marcher autant qu’elle ne l’avait prévu. Pour la première fois depuis longtemps, elle se trompait visiblement sur la méthode, et de manière assez dangereuse puisque tout montrait ceux qui menaçaient la vie de Dallas était loin d’être seuls. Elle tirait à peu près les ficelles du Purgatoire depuis sa création, ayant ses entrées dans tous les partis représentés par le biais d’une grande partie de ses membres qui l’admiraient autant qu’ils la craignaient. Personne n’ignorait qu’elle, Benjamin Dallas et leur faction composaient une troupe d’élite de mécènes, soldats et administrateurs suffisamment influents dans tous les sens du terme pour imposer leur volonté.


Mais voilà, il fallait avouer que les échecs ou semi-échecs s’empilaient. Incapacité à changer le pays en profondeur, incapacité à protéger son clan et Dallas de ses concurrents (Dallas était officiellement enfermé avec ses kangas depuis plus d’un an, mais plus personne de prenait la peine de vérifier)incapacité à trouver, à faire, à être efficace, à accomplir ce pourquoi elle était là. Et cette balafre sur son visage la démangeait, comme pour lui rappeler que la révolution n’était pas finie. Elle écrasa son poing sur la table, faisant sursauter Dallas qui se tenait en face d’elle, moitié penaud, moitié affable. Elle releva la tête vers lui, avant d’asséner avec d’un ton passif-agressif à Dallas.

-Môssieur Dallas. Je sais que votre confinement forcé dans les différentes villas, chambres d’hôtes et maisons abandonnées du pays n’est pas vraiment à votre goût. J’ai fermé les yeux pour les bières apportées en douce, pour les visites impromptues à la bibliothèque, même pour les fois où vous êtes allé voir l’avant-première de je ne sais plus quel film dans une salle obscure, bondée, pleine de possibilités de vous tuer.

Elle marqua une pause, soignant la suite de son discours intérieurement. Elle avait besoin de se défouler, un peu. Dallas ne pipa mot, sachant très bien que ce qu’elle venait de citer n’était pas pourquoi elle l’avait appelé aujourd’hui.

-Mais alors pourquoi alors que vous savez très bien que vous vivez sous menace de mort, alors que vous vous mettez déjà suffisamment en danger comme cela et que j’ai du mal à supprimer les 3 complots contre vous par jour qui arrivent sur mon bureau, POURQUOI ? pourquoi et comment, alors que vous êtes surveillés en permanence par le Purgatoire qui pense que vous allez les scalper d’un jour à l’autre, êtes-vous allé faire un tour à Fortuna pour poser entre autres comme dictateur fasciste pour un jeu vidéo à l’autre bout du monde ? Vous trouvez ça… drôle ?

Dallas observa Molly qui eut un petit rire-soupir découragé alors qu’elle finissait sa tirade, s’affalant sur sa chaise comme si la réponse de Dallas n’importait que peu. Cernes jusqu’aux joues, rouge de fureur, yeux terriblement las. Cela le dérangeait sincèrement de voir son amie aussi mal. Il se gratta la barbe, signe de réflexion interne intense rare chez lui, avant de répondre, son sourire smug et quelque part apaisant de retour sur son visage.


-Je suis désolé. Trop d’isolement, je devenais fou.

Des excuses de Dallas. Peu communes, elles ne résolvaient rien. Il garda néanmoins la parole quand Molly menaça de la reprendre d’un mouvement de main agacé.

-Je pense que le problème que nous avons ici est assez comparable à ceux qui s’accumulent sur ton bureau. Maintenant, loin de moi l’idée de te blâmer, ou quoi que ce soit. Le fait que j’aie été proprement incapable de te dire pendant l’année écoulée ce que je m’apprête à te dire rend la responsabilité partagée. Je t’ai abandonnée à ce pays, sans essayer de remettre en cause ce que tu faisais. Par paresse, par facilité, que sais-je. Maintenant, je pense que tu as compris que ce que tu essayais de faire, autant avec ma situation qu’avec la transformation du pays, ne fonctionnait pas et je pense savoir pourquoi : tu n’occupes pas le terrain. Tu te contentes d’adopter une position de juge, de législatrice, comme si notre population était soudainement devenue raisonnable après la révolution. Tu veux un conseil ?

Molly avait mal à la tête, mais enregistrait bien ce qu’on lui disait. Ça faisait longtemps qu’on ne lui avait pas fait la leçon, et tout ce qu’elle savait pour l’instant c’est que ça lui faisait mal à la tête. Elle acquiesça imperceptiblement à la question de Dallas.

-Prends une semaine, voire un mois de vacances. La situation ne va de toute façon pas se détériorer plus qu’au rythme lent actuel. Ensuite, montre leur. Applique le communalisme là où tu as des soutiens, montre au reste de la population qu’on peut être glisois et apprécier autre chose que creuser des puits de pétrole. Montre-leur que leurs députés ne sont pas des statues de marbres parlantes. En bref, n’essaie pas de stabiliser notre tourbillon, seules les neuf familles y sont parvenues, et je suis sûr que ça n’est pas ton but final. Accompagne-le, fais le tout engloutir sur son passage. Alors seulement, tu deviendras une glisoise, ma fille.

La référence détournée arracha un sourire à Molly, dont les traits se détendirent imperceptiblement. Si seulement Dallas pouvait résoudre ses problèmes de moyens aussi sûrement qu’il savait lui faire reprendre contenance. Un belle métaphore n’aidait pas, pensait-elle. Pourtant, Dallas n’avait pas fini sa tirade et reprit la parole après un silence apaisé de quelques secondes.

-Deuxième conseil, arrête ma protection. Je prendrai Glenn et Abby avec moi, et je vais me débrouiller.

Il arrêta la réaction de Molly qui s’était dressée d’un geste de la main, puis continua.

-Ma protection engloutit des sommes faramineuses, tout ça pour qu’on découvre plusieurs mois après que notre adversaire, en bon glisois, est une fouine insaisissable qu’on ne peut certainement pas écraser facilement. J’ai eu un appel du Signore Derrizio, tu te rappelles de lui ? Et bah, on se parle régulièrement, et on a eu une idée récemment. Le vieux a un esprit quasi-glisois, c’est assez impressionnant. Bref, je ne vais pas te dire où ni ce que je vais faire, mais la protection du chef de la diplomatie fortunéenne te donne autant de raisons de penser que je suis en sécurité que de justifier mon absence auprès des juges, en plus de te libérer les mains. Plus besoin de chasser à mort le réseau Trinité, juste d’annihiler leur influence, peu à peu. En leur montrant.

Molly était maintenant debout et regardait fixement Dallas, essayant désespérément de trouver une raison de garder son ami près d’elle, mais elle n’en trouvait pas. Et puis, c’était pas comme si elle ne le reverrait plus, il s’en sortirait. Après tout, c’est à deux qu’ils avaient fait émerger une force capable de les protéger des neuf familles, puis de les renverser. Il n’était certainement pas incapable de s’occuper de lui-même. Et pourtant, son cerveau de pouvait pas s’arrêter d’essayer de trouver des moyens de le garder. Comme un moyen de s’exorciser, elle contourna lentement son bureau, prit fermement la tête de Dallas entre ses mains et lâcha d’une voix défaite :

-Tu passeras me voir, hein, môssieur Dallas ?

-Au pire moment, je te promets.

Et ce fut tout. Molly lâcha la tête de Dallas délicatement, ils s’étreignirent brièvement avant que Dallas ne s’en aille, laissant Molly seule s’asseoir sur sa chaise après avoir fermé la porte de son cabinet à clé. Là, elle s’endormit paisiblement sur sa chaise.


Après son soudain évanouissement au cœur du Purgatoire, Harriet Iggins avait passé des mois interminables dans sa chambre d’hôpital, tentant de coordonner les opérations visant à élucider le mystère du parti Trinité. Ses agents était tombés sur un nombre interminable d’os. Ils avaient réussi au-delà de leurs espérances à infiltrer le réseau ennemi, mais la seule chose à laquelle cela avait servi pour l’instant était de mettre à jour à quel point celui qui y donnait les ordres était bien dissimulé et au final, peu écouté. Soudain, elle vit sa supérieure directe Molly Harris, faire irruption dans sa chambre d’hôpital après un silence radio de plusieurs semaines.

-Madame Iggins. Comme vous vous en doutez peut-être, vous êtes guérie depuis des semaines, mais cette chambre d’hôpital était un moyen de protection comme un autre.

Iggins resta silencieuse d’abord, avant d’oser un commentaire agacé :

-Et donc ?

-Et donc, vous allez sortir de là, et on va leur montrer, m’dame Iggins.

Un sourire jusqu’aux joues, Harris à ce moment précis radiait d’énergie et semblait invincible, terriblement puissante. La vieille haussa les épaules, puis se leva pour suivre sa patronne. Cette fois, il lui semblait qu’ils avaient une chance raisonnable. C’était la première fois depuis la révolution.
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Ligne Trinité-Raxington, futur dernier arrêt. Début 2009.

Au sommet de la dent de Menja se tenait une silhouette singulière, qui se démarquait par ses atours. Une petite femme était assise en tailleur sur un promontoire dangereusement étroit, proche de la cuvette des Monts Trinité, toujours en activité. Elle arborait une énorme coiffe stylisée jashurienne dorée qui empêchait une longue chevelure brune de battre au rythme d'un vent glacial et soutenu. Il y avait déjà là matière à se poser des questions si on était pas glisois, mais le reste de son attirail convenait plus à la mairie de Raxington qu'à un pic isolé à proximité du pôle sud: une chemise rembourrée blanche avec cravate, chaussures plates et pantalon noirs, couronnés par une paire de lorgnons de soleil vissés sur le nez. Elle priait on ne sait quoi, maintenant une position parfaitement immobile en refusant l'idée même du risque évident d'hypothermie. Elle était à la place plongée dans ses pensées, se remémorant son enfance dans les rangs des fracasseurs de glace ("ice shatterers" sonne mieux en anglais). Ces journées dans le noir à prier pour le réchauffement de cet endroit, consacrées à la pollution et à la destruction volontaire de sites honnis.

la coiffe.
La coiffe en question.

Elle se souvenait de cette journée fatidique où, alors qu'elle ramenait le lièvre arctique qu'elle avait fièrement abattu, elle découvrit une partie de son convoi piégé dans une faille récemment ouverte par une banquise en activité constante. La plupart de ceux qui étaient au fond de la faille d'une cinquantaine de mètres n'avaient aucune chance, au vu de la friabilité des parois. La jeune fille avait été brutalement assommée en essayant d'aller les secourir et depuis, quelque chose ne tournait pas vraiment rond. Elle avait du mal à *ressentir* , à trouver à quoi bon se battre contre un géant impitoyable. Elle essayait tout de même, vivotait dans la routine de l'école, de la chasse et de la prière, mais quelque chose lui manquait.


Cette chose, comme à bien des glisois, c'était Benjamin Dallas. Et ça n'était pas peu de le dire, dans son cas. Dallas avait débarqué, comme à son habitude, en sortant de la bouche centrale d'aération en motoneige pile devant elle, qui ne faisait que passer. Il la renversa en passant, provoquant une deuxième chute qui fit directement entrer Dallas dans le trou béant de ses espoirs. D'une manière glisoise, il fallait bien le préciser. Car à partir de ce moment-là, sa foi devint une sorte de mélange de protestantisme mondain hérité et d'admiration sans borne pour une certaine idée du risque, du style et de l'audace dallassien. Son convoi fut témoin atterré une semaine plus tard de son départ fracassant, portant une coiffe légendaire héritée des sept familles, et déjà accompagnée d'une dizaine de suivants. Les mêmes atours qu'aujourd'hui, après avoir parcouru tout ce chemin.

Chemin qui fut difficile, quand on s'appelle Rose Rose, nom ô combien lourd de sens et de puissance, mais aussi de responsabilités dans le régime des 9 familles. Si elle essaya d'abord de se rapprocher de son idole, celui-ci se désintéressa vite de la riche héritière en lui disant avec ce ton désinvolte un peu brutal caractéristique : "Bah non! Faut pas que tu essaies de devenir ma suivante, deviens mon égale, comme elle!" Il avait montré Molly Harris du doigt et balayé son espèce de déclaration de féodalité tout droit sortie d'un livre de comtes, provoquant un troisième choc, qui acheva tout à fait de réveiller l'envie, l'orgueil et l'incandescence de Rose. Elle prit un air hautain, sourit, et partit au pas de course pour faire pire que Dallas.

Et voilà où elle en était quatre ans et une révolution plus tard. Leader à la tête de toute une confédération de casse-cous acquis aux idéaux de Rose, qui se faisait maintenant appeler la Prophétesse (dans une proportion hiérarchique tout niée, il fallait bien rester politiquement correct pour ne pas donner à la mairie des excuses pour intervenir dans "quelque soit le foutoir qui se passe là-bas", comme on disait à la capitale.). Elle avait creusé, creusé, avec des idées complètement stupides en ligne de mire. La première, celle qui attirait les subsides et désespérément la moins stupide, était ce réseau de tunnels à proximité du volcan, qu'on appelait cathédrale pour le formel, qui ressemblait à une cathédrale, mais qui servait de fait comme base d'appui à ce beau monde. La deuxième, qui semblait de moins en moins folle quoique tout de même hors de portée de tout cerveau cartésien, était l'autoroute, qui avançait remarquablement bien, et était presque achevé. Il restait aux fracasseurs un tiers des fonds qu'ils avaient reçu des EAU et employés en " frais divers", qui rassemblait tout ce qui était lié à leur vrai objectif, à la fois inquiétant, inefficace et tiré par les cheveux. Ils construisaient des tuyaux pour déplacer la lave du volcan pour... faire fondre le plus de banquise possible. Ils avaient d'ores et déjà dégagé la rampe d'arrivée de l'autoroute, et semblaient ne vouloir s'arrêter qu'aux côtes du continent. Ils avaient cependant plusieurs problèmes majeurs: le transport de la lave, garder la lave en fusion (donc chauffer la lave au lieu de chauffer directement la banquise, ce qui paraissait stupide à une bonne partie des fracasseurs), mais aussi le prix de tous les matériaux utilisés qui faisaient ressortir le coût exorbitant de l'évacuation d'une surface très réduite en comparaison de la terre des justes.

Les fracasseurs devaient prendre une dure décision. Et ils avaient relevé le défi. Le reste des fonds avait été alloué à une entreprise toute Dallassienne: tout d'abord, utiliser la lave déjà déplacée pour faire un réseau de serres permanentes, pour ne plus être dépendants, et transformer le reste du bâtiment en gigantesque cathédrale-casino-bar-centre de loisirs destiné à tous, pour ce moquer de cette terre où même la chaleur ne se laissait pas apprivoiser. Depuis, on comptait des pasteurs, des fêtards, des enfants en voyage de fin d'année, tous venaient pour goûter au plaisir de risquer sa vie autour de la cuvette, avec alcool ou non, de méditer dans un sauna volcanique, puis sur un promontoire glacial, d'apercevoir des fracasseurs dans leur quête éternelle de combat avec cette satanée banquise, avec leurs atours maintenant si caractéristiques.

On raconte maintenant que la Prophétesse prépare son prochain coup, et on l'aperçoit parfois fugitivement entrain de déranger la routine déjà chaotique dans son sanctuaire, reconnaissable à sa coiffe. Qui sait à quel point elle ébranlera les EAU...
10908
Nouvel équilibre

Fin 2009

hehe
Raxington, le calme avant la tempête.



Un immense croisement de routes en plein coeur de Raxington, capable comme il se doit de laisser deux églises "flagship" se croiser sans râper les murs. Aujourd'hui, personne n'a vu d'églises se croiser dans ce qui est pourtant habituellement un des noeuds les plus empruntés de la capitale glisoise. En cause? 5 grosses caisses de TNT en plein milieu de la chaussée, installées ici par Molly Harris, qui avait une fois de plus opté pour la solution glisoise au problème qui la harassait depuis maintenant des années. Elle avait enfin, avec l'aide d'Harriet Iggins et de Rose Rose, retrouvé le repaire de la secte Trinité, et il s'avérait que l'emplacement posait encore plus problème que le problème du réseau trinité en lui-même.

Revenons aux sources de la solution, la guerre de consolidation menée par la maire de Raxington et sa camarade enquêtrice qui portait ses fruits, dans le sens que les fusillades anti-fédérales n'avaient maintenant plus lieu ailleurs que dans les vieux sous-sols de la capitale, qui étaient lentement devenus désaffectés à la fin des années 50 avec l'invention des églises. Le problème était que ces sous-sols étaient tentaculaires, dangereux et en grande partie hors de toute carte qui avait la prétention de vouloir en faire l'inventaire. Des anciens tunnels commerçants du premier sous-sol un peu poussiéreux, mais toujours en activité, aux multiples canaux d'aération en passant par les centrales électriques arrêtées sans précaution et les innombrables salles encore à redécouvrir (qu'elles aient servi à un logement, à une usine de métaux lourds ou au stockage d'acide sulfurique), Molly Harris avait hésité à simplement faire appel au sens de l'aventure de ses concitoyens.

Elle était cependant rapidement passée au stade supérieur de la réflexion glisoise en voyant sa collègue Iggins, le visage ridé jusqu'aux fondations, trépidant devant l'inconnu. Évidemment que tout glisois qui se respectait allait foncer sans se retourner quand on leur rappellerait l'existence de ce complexe. Pas besoin de faire une campagne de publicité. Juste d'omettre de fermer certaines portes. Mais alors, que faire du budget qu'elle avait prévu? Elle buta sur cette question pendant une bonne semaine, avant de décider qu'il valait mieux remettre la décision à plus tard, au vu de son planning chargé.

Arrivait en effet à grands pas l'ouverture de l'autoroute des justes, projet complètement fou sur lequel le Kah, à la demi-surprise de Harris qui pensait bien avoir choisi ses alliés mais pas à ce point, s'était greffé pour enjoliver le parcours autrement bien terne. L'addition des deux pays bien connus pour la spécificité de leurs systèmes politiques se passa comme une lettre à la poste, et bientôt les kah-tanais purent voir les églises en quête de grandeur spirituelle dans les monts Trinité s'arrêter pour faire le plein, et bien plus encore.

Du côté de Harris, elle ne s'était arrêtée que brièvement et quasi-incognito (bien que quelqu'un qui était familier avec son visage eût pu la reconnaître) dans la pyramide kah-tanaise, tant la curiosité par rapport à ce qui se déroulait dans les Monts Trinité la dévorait. Les rapports étaient comme d'habitude très confus, autant ne pas avoir de service de renseignement si c'est pour lire des rants alcoolisés sur la perversion de la religion et sur une "catin réactionnaire au masque en or massif".


Au moment d'entrer dans le complexe, l'oeil d'Harris fut attiré un reflet doré sur un promontoire de la montagne qui lui faisait face. La seule entrée qu'elle voyait était semblable à un trou de souris, et plutôt qu'aller d'enfiler dedans, rôle qu'elle attribua à Iggins aux commandes de l'église de la mairie de Raxington, elle conduisit sa moto dans les pentes enneigées des monts Trinité. La vitesse ainsi que les pneus géants équipés de la meilleure technologie glisoise antidérapante conjuguées lui permirent de remonter un escalier de plusieurs milliers de marches, qui semblait être la seule voie pratiquable. Elle montait, montait, battue par les vents et le blizzard qui se levait, guidée par le même éclat doré qui l'obsédait. Il continuait à luire, en dépit des éléments, jusqu'à qu'elle l'atteigne, enfin. Et elle écarquille les yeux de surprise, face à cette gamine bourge que Dallas et elle avaient repoussée sans ménagement quelques années en arrière. Le promontoire sur lequel ils se tenaient était assez grand pour deux personnes, hasard? Rose n'avait pas bougé autre chose que sa tête, toisant ce qu'elle avait pris pour sa concurrente pendant des années. Molly laissa sa moto en équilibre précaire sur les escaliers et s'assis sans piper mot, regardant droit devant elle. Puis elle éclata d'un rire puissant, perçant les hurlements du vent sans effort, un rire infiniment gaillard et communicatif, qui arracha à Rose un sourire un coin, puis un éclat de rire franc, bien qu'un peu... fatigué? Rose perçut cette incompréhension, et entama la conversation pour écarter tout malentendu:

- Ce n'est pas de la molesse ou de la paresse. Ce que tu perçois.

(Le tutoiement de l'égal. Accepté par Molly, curieusement. Elle ne s'attendait pas à être considérée de cette manière par une rivale. Ceci réchauffa encore plus le coeur de Rose.)

-C'est plutôt du soulagement, que l'on soit sur la même longueur d'onde.

Molly renifla, semblant soupeser l'entame de conversation, et tâcha de parler simple et convaincant. Et échoua totalement au premier des deux critères.

-Quand j'étais adolescente, je m'amusais à écrire des théories complètement tirées par les cheveux comme entames de romans, du matériel pour d'éventuelles histoires épiques que j'aimais lire. La plus raisonnable était la théorie du Ministre. Elle s'appuyait sur des rumeurs que j'avais eues sur la cour de Xin, au sujet de leur administration. J'en avais eu des échos à partir de compte-rendus pseudo-historiques érigés en romance nationale eux-mêmes transformés en série télé très kitch, dans lesquels les seigneurs féodaux locaux avaient à leur service des tripotées de ministres qui s'aplatissaient en choeur devant leur maitre suprême.

Elle s'arrêta brièvement le temps de mesurer la taille de l'incompréhension dans les grands yeux de son interlocutrice, avant de poursuivre en se moquant gentiment.


-La théorie des Ministres part du postulat que plus un seigneur de guerre Xin emploie de Ministres plus il est puissant. À partir de là, la moi adolescente a tiré un trait parallèle entre les institutions romancées Xin et les oil-boys employés par les 9 familles, qui aujourd'hui encore sont des figures proéminentes et garantes d'un certain état d'esprit glisois. Le théorème est simple: plus un seigneur de guerre - une figure politique officiellement, mais tu conviendras que c'est sensiblement la même chose dans les EAU- possède à sa suite de oil-boys, plus il sera puissant sur notre scène politique.

Rose tiqua à la mention du mot seigneur de guerre, mais convint intérieurement que les escarmouches rituelles auxquelles se livraient les glisois les rapprochaient d'un tel statut. Molly poursuivit, la flamme dans les yeux.


-Maintenant, qu'est ce que tout ça a à voir avec la choucroute? Tu es venue vers Dallas quelques années auparavant en tant qu'apprentie oil-girl (Dans l'idée, précisa-elle avec un sourire narquois). Tu en avais peut-être l'esprit, mais absolument pas les accomplissements ni l'expérience. Entre temps, en revanche... Tu a fait absolument ce que ton coeur te disait, construisant a l'aide de fonds fédéraux, de beaucoup de cran, d'un brin de stupidité et d'un charisme certain ta propre petite base de seigneur de guerre, avec plusieurs oil-boys qui te suivent dans ton aventure.

Elle devint soudain plus sérieuse, comme un prof qui chercherait à captiver son auditoire après un long et chiant rappel des faits.

-Maintenant, tu auras certainement compris que ma visite n'avait pas comme but unique de fêter l'ouverture d'une autoroute qui s'annonce comme un poids infini dans nos finances. Je devine que toi et tes compagnons sont en pause forcée... le temps de trouver meilleure façon de se faire connaître.

Elle avait réussi l'exploit d'allumer sa cigarette par vent tempétueux, et avait pris le temps d'en profiter un peu en cherchant la suite de son discours. Mais l'autre répondit, brisant le monologue de la Maire de Raxington.

-Je t'épargne la suite, je n'ai pas spécialement envie de t'aider à chasser des fantômes, madame la maire. Cette se-

Arrêtée d'un mouvement de main, d'un air impérieux, comme seuls les plus grands des oil-boys font pour interrompre leurs apprentis dans les histoires.

-Je sais où frapper, enfin la direction générale. Ils sont basés dans les souterrains de Raxington, et j'ai besoin de plus de oil-boys que quiconque pour cartographier en premier ces anciennes étendues. Je vous ai vus transformer un massif montagneux en plein milieu de la banquise en une des 7 merveilles de la Terre des Justes, uniquement pour montrer au pays qui vous êtes. Un autre défi vous attend. Celui de ruines tentaculaires et de combats urbains.

Rose sembla soupeser son offre, être sur le point d'accepter son offre, puis se ravisa avec un sourire espiègle. Elle se leva se son promontoire, et se rapprocha de la tête de Molly Harris jusqu'à une distance que beaucoup trouveraient inconfortable. Harris comprit rapidement, et se leva elle aussi. Rose déclara solennellement :


-Si je gagne je veux que ce soit Dallas qui vienne s'agenouiller pour me faire cette demande. Si je perds, je te prêterai main-forte sans contrepartie.

Molly pouffa devant ces mots, mais qu'est ce qu'était un glisois sans caprice? Après un court signe de tête, les deux femmes reculèrent leur torse et leur crâne, et s'envoyèrent le plus puissant des coups de tête dont elles étaient capables à leur vis-à-vis. Rose vacilla, puis tomba sur la plateforme qui se trouvait derrière elles. Molly, le front en sang, la prit délicatement sur son dos en marmonnant d'une voix agacée:


- C'est pas demain la veille que tu va me prendre sans taper dans ma cicatrice, gamine.


Retour au présent. Après des mois de progression méthodique dans les souterrains de la capitale, l'opération finale était prête. Le QG de la secte Trinité était cerné, mais virtuellement imprenable. Harris avait songé à les laisser simplement mourir de faim, mais il s'agissait d'une manière très peu glisoise de procéder. Elle avait préféré l'approche bourrine et chaotique consistant à faire sauter la totalité du toit de l'ancienne usine d'assiettes en carton qui était enterrée sous ce carrefour.


Le compte a rebours était lancé 10, 9, 8... Rose ajuste son sniper, prête à aligner quiconque bougerait dans les ruines qui allaient s'ouvrir à eux. 7, 6, 5, 4... Iggins ajustait son arbalète à répétition, un choix de coeur qui se trouvait plutôt adapté au tir au lapin qui allait suivre. 3, 2, 1... Harris tombait lentement au dessus du trou, équipée d'un parachute et accompagnée des meilleurs oil-boys de sa garde rapprochée. Deux fusils-mitrailleurs sertis de croix protestantes en argent, elle n'avait jamais trouvé mieux que le contact. Puis une détonation repoussa momentanément tous les acteurs. Comme prévu, les maisons alentour tinrent le coup, ils avaient bien dosé. Le nuage de poussière qui s'éleva du trou fut dissipé en quelques secondes par les ventilateurs industriels qu'ils avaient prévu, et une fusillade légendaire commença dans les rues de Raxington. Les détails furent contés dans les journaux locaux, mais la une de la grenouille rouge du lendemain suffira à rentre compte de l'essentiel: " HARRIS-ROSE-IGGINS: 134-87-85 TRINITY MOVEMENT WIPED CLEAN" Le kill count n'était pas favorable à Rose Rose. Mais elle s'améliorerait. Ces ruines commençaient à peine à être réinvesties, et sa rivalité amicale avec Harris était loin d'avoir produit ses étincelles les plus fortes.

De son côté, Harris pût avoir la satisfaction d'avoir complètement éradiqué le mouvement qui, quelques années plus tôt, s'était fait connaître en attaquant des travailleurs étrangers venus construire l'autoroute des Justes. Mais plusieurs questions subsistaient: comment faisaient-ils pour attaquer les gens via leurs oreillettes? Pourquoi ne l'avaient-ils pas fait pour se défendre? Qui gérait cette troupe armée tout de même conséquente? S'ils n'avaient pas de leader, comment étaient-ils arrivés à une structure hiérarchique aussi horizontale aussi efficacement, largement plus rapide que la transition glisoise qui était toujours en cours? Peut-être tout cela avait-il un rapport avec l'esprit du oil-boy qui semblait unir leurs rangs... Avec une base morale aussi solide, similaire à celle qui prévaut dans le Grand Kah, raaaaah, fait chier! Molly ne pouvait qu'en rêver actuellement. Mais elle avait fait un pas, aujourd'hui.
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Creuser plus profond

Courant 2011

licorneuh.
El famoso Licorne.

Gnn ! Argh. Tac ! Gnn ! Argh. Tac!

Jack n’était pas exactement entrain de se prélasser, ici dans le deuxième lieu le plus chaud de Raxington. Il poussait une caisse sur une plaque de glace prévu à cet effet sur les docks, sa dernière caisse de la journée, ananas importés directement du Kah. Il fallait dire que plus les E.A.U se tournaient vers une économie plus diversifiée que le simple forage de pétrole, il y avait de plus en plus de demande, et donc de plus en plus d’argent pour des petites friandises, des marchandises qu’on ne ferait même pas pousser en rêve.

Gnn ! Argh. Tac ! Gnn ! Argh. Tac!

Jack poussait sa caisse géante, s’arrêtait pour souffler tant ses bras le lançaient, et se réceptionnait sur sa jambe de bois. Il n’était pas bien vieux, il ne faisait pas bien froid. -7 degrés, sacrée chaleur, même en plein été ! Mais Jack y était depuis plusieurs heures, et il lui restait une cinquantaine de mètres jusqu’au dépôt. Peu de machines tenaient une température pareille en extérieur, ils devaient donc recourir aux carcasses du nombre croissant de travailleurs qui préféraient le confort de Raxington.


Gnn ! Argh. Tac ! Gnn ! Argh. Tac!

Ah, sa jambe de bois. Un souvenir des temps passés, un hiver particulièrement pénible. Sa douzième heure de travail, il était rentré, et ses pieds étaient devenus bleus, puis noirs. Un trou dans sa botte, une négligence qui avait failli être fatale, tant les engelures avaient tendance à s’infecter. Malheureusement, même aujourd’hui, le soir de Noël, il avait choisi de travailler une partie de ses heures de la semaine. C’était un de ses problèmes, Jack n’avait jamais su se mettre au travail. Avant, il n’avait pas le choix c’était gèle ou crève. Gèle et crève, pour une bonne partie. Maintenant, il se consolait en se rappelant qu’il avait fait un tiers de ses heures hebdomadaires aujourd’hui.

Gnn ! Argh. Tac ! Gnn ! Argh. Tac! Clac ! Vvvvvvvvvvvvvvvvvv…

Enfin, cette saloperie de caisse était arrivée au monte-charge de l’entrepôt. Il se changea dans le vestiaire, puis se dirigea vers Raxington… qui avait une allure de fantôme cet année-là. Il se rappelait des années précédentes. Des guirlandes, des routes déblayées des gens qui buvaient même dans la rue pour célébrer la fraîcheur en même temps que le jour de la naissance de Jésus. Cette année, il y avait nettement moins de monde. Surtout des gens qui rentraient du travail dans des endroit un peu trop excentrés de la ville. Mais pour une fois, pour chaque malheur, il y avait un bien.

Tac ! Tac ! Tac !

Jack se dirigeait prestement vers les seuls voies de circulation réellement déneigées de la ville, une porte en béton stylisée par une peinture multicolore, avec une sobre appellation « La licorne ». Ah bah non, pas si sobre en fait. Ce devait être le résultat de la pétition qui visait à décorer les dalles de béton et les noms spartiates qui avaient été données au différentes entrées dans le souterrain de Raxington. La station « Docks » avait été renommée « La licorne », et ainsi fut immortalisée la peinture éphémère de l’entrée, mais de l’entrée vers quoi ?

Tac ! Tac ! Tac ! Blip !

La porte s’ouvrait automatiquement pour révéler un couloir spartiate, mais ô combien prometteur. La première chose qui sautait au visage de celui qui entrait était la chaleur. Les glisois n’avaient visiblement pas encore appris l’économie d’énergie, et on pouvait deviner que les entrées avaient été particulièrement ciblées par les architectes pour pouvoir contrer les pires vagues de froid de l’hiver. La deuxième, c’était le brouhaha en fond. La troisième, les odeurs par milliers. Alors certes, l’un des escaliers à partir delà menait au métro de Raxington, comme dans tant d’autres grandes villes dans le monde. Mais le plus important, là où se trouvait maintenant Raxington, c’était l’étage médian.

Clang ! Tac ! Tac ! Tac ! The warden threw a party in the county jail! The prison band was there and they began to wail…

Et tout à coup quelqu’un, puis un autre, puis des dizaines, des centaines d’autres, dans un gigantesque complexe souterrain. Ce n’était que l’extrémité nord de l’allée principale, mais une scène était là, jouant des classiques aumériniens qui étaient presque devenus des chants traditionnels, grâce à des petites radios très résistantes au froid qui ne pouvaient lire que certains albums de musique, dans le temps. Depuis, on avait des enceintes plus puissantes, plus résistantes. On avait même commencé à en produire avec l’initiative de généralisation industrielle de Molly Harris.

Let's rock, everybody, let's rock !

La prouesse de l’endroit, celle qui avait vidé les rues en surface et drastiquement fait baisser les engelures au quotidien dans la ville, était d’avoir littéralement créé des rues sous terres à partir de vieux complexes abandonnés. Alors oui, il avait bien fallu reloger les quelques dizaines de personnes qui y avaient élu domicile, et envoyer une brigade militaire pour sécuriser les travailleurs contre la faune locale qui avait prospéré et muté. Mais enfin, on était arrivé à quelque chose de comparable à un réseau de rues, accessibles à tous depuis leur maison via un formulaire au groupement communal de Raxington. Actuellement, 95% des habitants de Raxington avait pu se relier au réseau de tunnels, ceux restants étant principalement logés dans les montagnes où le sol était plus long à travailler, ou composé de réfractaires qui avaient formé une commune, la ligue anti-tunnels, qui s’occupait du maintien et de la mise en valeur de surface comme réaction à son abandon.

And I can’t help…

Et Jack n’était qu’un point dans ce quartier qui dansait, chantait et buvait entre eux. Evidemment, ce pays restait les EAU, et on entendait le bruit des coups de feu en arrière-plan. Mais c’était un vendredi comme les autres, pour le Million d’habitants de la ville. Et les glisois creusaient, creusaient, et arrivaient finalement à trouver un endroit hospitalier. Pour la lumière du soleil, c’était une autre histoire…
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