Cette première rencontre entre la Fédération d'Albel et l'Empire Ancalagonais se déroulait dans un contexte, tant bilatéral que mondial, assez particulier, alors qu'un certain passif diplomatique avait déjà commencé s'accumuler au cours des dernières semaines entre les deux États. Tout avait commencé avec les déclarations tenues par le Mega Basileus d'Ancalagons dans la presse nationale de son pays, au cours desquelles il avait fustigé l'intervention d'Albel au Varanya, la comparant à l'ingérence opérée sur place par les Îles-Fédérées d'Arkencheen, et prêtant au gouvernement fédéral albelais des intentions impérialistes. Bien que ces propos ressemblaient alors davantage à une mauvaise excuse du pouvoir impérial ancalagonais pour ne pas se risquer à apporter son soutien à l'Empire de Varanya, alors que son état-major se trouvait partagé sur la question, menaçant la stabilité du régime en cas d'intervention militaire, la réponse de Paradis ne s'était pas faite attendre, Albel demandant à Sa Majesté Sacha Ier de renoncer à ses ambitions stériles d'expansion territoriale sur les terres de son voisin rémien, pour concentrer ses forces sur l'endiguement d'une menace bien plus tangible, s'agissant de l'établissement d'un nouveau régime au Varanya, dont les liens avec le communisme croissant à l'échelle mondiale demeuraient bien flous.
À cette invitation albelaise à la coopération, le Mega Basileus avait répondu par une missive poursuivant sa critique de la politique albelaise au Varanya, tout en requérant toutefois une entrevue diplomatique avec le gouvernement fédéral, dans l'optique d'adoucir ses relations avec Paradis. La réponse des intéressés aurait pu être favorable si, au même moment, la diplomatie ancalagonaise ne s'était pas fendue d'un nouvel affront de taille à l'égard d'Albel, s'agissant de l'invitation d'une délégation en provenance de la dictature communiste du Lougkag à un défilé militaire national, au cours duquel l'une des grandes pontes du régime impérial n'avait pas hésité à qualifier les membres de la classe politique albelaise ni plus ni moins que de « menteurs », en qui il était impossible de placer toute confiance. Sans aller jusqu'à manifester une hostilité franche vis-à-vis du pouvoir ancalagonais suite à cette insulte, Paradis s'était alors contenté de refuser poliment l'entrevue proposée par le Mega Basileus, prétextant un contexte international inadéquat. L'intéressé sembla avoir compris son erreur, sans toutefois que l'orgueil profond que son régime portait en son essence permette à son empereur païen, à qui toute notion d'humilité chère au monde chrétien devait certainement demeurer étrangère, ne lui permette de s'humilier à présenter des excuses au gouvernement d'Albel.
Sacha Ier s'en sortit en qualifiant la réaction de son état-major comme « prématurée », avant de présenter à nouveau sa proposition de rencontre au Président Charbonneau, lequel choisit de l'accepter, alors que la diplomatie ancalagonaise semblait devenir plus raisonnable. Les enjeux de ce sommet étaient multiples pour Albel, dont le gouvernement espérait voir l'Empire Ancalagonais joindre ses forces à l'effort de guerre fournit par la coalition albelo-cémète au Varanya, permettant de relâcher les tensions qui pesaient sur l'isthme leucitaléen du fait des menaces proférées par Ancalagons à l'encontre de l'Empire Rémien, et ainsi permettre à la Principauté de Cémétie de s'impliquer sereinement dans la guerre civile varanyenne, où la victoire du Shah restait loin d'être acquise. Par ailleurs, Paradis espérait également que ce sommet marque l'adhésion d'Ancalagons au Pacte Anti-Bolchévique, qui représentait pour le Mega Basileus une occasion d'adopter une ligne diplomatique plus cohérente vis-à-vis de son discours, marqué par un anticommunisme très explicite. Une telle disposition signifierait par ailleurs une rupture de l'Empire avec son voisins du Lougkag, qui semblait avant tout être un mal pour un bien, s'agissant de délaisser un partenariat contre-nature avec un vieux voisin moribond pour acquérir de multiples nouveaux partenaires partageant une cause commune.
Ségolène Poltanova, Secrétaire d'État aux Affaires DiplomatiquesSoyez le bienvenu à Paradis, Votre Majesté. J'espère que cette rencontre permettra de mettre au clair tous les dossiers en cours et d'amorcer une coopération franche et concrète entre l'Empire Ancalagonais et la Fédération d'Albel. Vous pouvez être assuré de la pleine intention de notre gouvernement à agir en ce sens.
Avant de poursuivre, je vous prie d'excuser l'absence du Président Ignace Charbonneau à cette entrevue. J'ai cru comprendre que vous vous attendiez à le rencontrer, et c'est effectivement ce que prévoyait le protocole. Cependant, il s'est retrouvé retenu au dernier moment par une affaire d'une extrême urgence et ne pourra donc pas prendre part à nos discussions dans l'immédiat. J'espère qu'il parviendra à résoudre ce contretemps avant votre départ afin de pouvoir se joindre à notre entrevue, mais d'ici là nous aurons certainement le temps de traiter les sujets qui nous préoccupent.
Le premier d'entre eux est bien évidemment la Guerre du Varanya, que nous avons pu évoquer plusieurs fois déjà au cours de nos échanges épistolaires. La Fédération d'Albel et ses partenaires dont aujourd'hui tout leur possible pour défendre la souveraineté de l'Empire de Varanya, sur le sol duquel vingt soldats de l'Ordolibertas ont déjà trouvé la mort en se battant au nom de la préservation de l'ordre naturel et de la lutte contre le communisme international. Cette idéologie étend son influence partout dans le monde, et notamment sur votre continent. Je comprends qu'il puisse exister des contentieux historique entre votre nation et l'Empire Rémien. Toutefois, je souhaiterais vous soumettre un nouveau regard, à la fois extérieur et pragmatique. À l'heure actuelle, l'Empire Ancalagonais ne dispose objectivement pas des moyens militaires nécessaires à l'accomplissement de ses objectifs en terme d'ambitions territoriales. La puissance de l'armée rémienne est au mieux équivalente, au pire supérieure à celle de votre empire, si bien qu'un conflit direct, s'il n'aboutirait certainement pas à une victoire rapide de votre part, risquerait au contraire de déboucher sur une occupation partielle de votre territoire, voire d'une amputation d'une partie de celui-ci, en fonction des ambitions et du succès de l'Empire Rémien.
Dans les circonstances présentes, et malgré le potentiel militaire qu'il a pu accumuler, l'Empire Rémien se trouve dans une situation de léthargie politique, du fait de laquelle il ne peut pas représenter la moindre menace pour Ancalagons. Ce n'est guère le cas en revanche du monde communiste, dont l'influence s'étend peu à l'ensemble des pays du globe, à des échelles différentes. En rejoignant Albel et la Cémétie dans leur lutte au Varanya, non seulement vous contribueriez à repousser cette menace, mais vous vous doteriez également d'alliés en position de vous soutenir demain si votre nation se trouvait sous le coup de la menace rouge, ou même agressé par l'un de ses voisins.