Il y avait de la jeunesse à bord du sous-marin rouge, comme si l'entre-deux âges n'existait guère au Pharois : on y était vieux ou on y était impétueux, il fallait choisir son camp. Deux générations de marins dont la première avait pour elle la sagesse d'avoir survécu dans ces mers dangereuses, et la seconde l'énergie de partir à leur conquête. Au milieu, on travaillait, on mourrait, on apprenait de ses erreurs et on se forgeait une réputation. L'âge était un filtre qui bousillait les mauvais, qui liquidait les faibles ou les renvoyait à des métiers plus tranquilles. Au Pharois, même vos années avaient de la radicalité.
N'empêche qu'il y a encore quelques mois, la vue du Citoyen Sakari et du Capitaine Hymveri côte à côte aurait été absurde. Le premier avait de sa main signé l'ordre d'arrestation du second, depuis gracié par le nouveau gouvernement. Quant à la Capitaine Vapaa, elle, personne ne se serait attendu à la voir du tout. Elle avait joué son jeu dans l'ombre et fait d'ombre sa carrière pour n'émerger de la mer qu'au moment où sa faction prenait le pouvoir et cherchait à s'incarner. Toute à l'image de la piraterie pharoise, aussi exubérante qu'invisible, toute ramassée d'un côté ou de l'autre aux deux extrêmes du spectre de la discrétion, Vapaa était passée en quelques jours de l'ombre à la lumière et réclamé aux yeux du monde la juste place qu'elle avait occupé des années durant dans la clandestinité.
Le sous-marin creva les eaux Loduarienne comme un monstre marin. Il était flambant neuf : Hymveri en sa qualité de Premier sous-marinier du Pharois s'était arrogé un bâtiment plus moderne que son précédent (c'était donc son troisième) et justifié la manoeuvre par la discrétion réclamée du gouvernement Loduarien. S'il fallait passer sous les radars, on aurait besoin d'un appareil de qualité, n'en déplaise à ceux qui, en interne, n'avaient pas oublié les exactions du capitaine et rechignaient à lui mettre entre les mains les clefs du dispositif militaire Pharois.
Quelque dispositif ouvrit un à un les pistons de la trappe au sommet de sous-marin, trappe qui pivota sur elle-même pour laisser apparaitre les représentants de la Merirosvo. Au sommet de sa morgue, le Capitaine Hymveri avait paradoxalement abandonné sa casquette militaire pour un uniforme plus Pharois (c'est à dire pas d'uniforme du tout) qui tenait chaud, Sakari se montrait comme d'ordinaire plutôt maussade. Il avait pris en carrure depuis sa dernière visite et le jeune homme de vingt ans qui avait remporté sa première élection au Syndikaali en 2005 laissait désormais place à un adulte affirmé, quoique que quelques traces de juvénilité trahissent encore son accession trop rapide aux responsabilités suprêmes.
