"Mais appelez Raxington, je vous assure que je fais partie de l'équipe et que j'accompagne Kaname Chang" s'exclamait Min dans un Français approximatif
Et Kaname répondait dans un soupir "Oui, encore une fois, je confirme qu'elle travaille officiellement en tant qu'interprète du Cantonnais vers le Zélandais au nom du Haut Château pour les Liaisons"
"Moi, je n'ai pas son nom dans les dossiers, et c'est une réunion plutôt sensible, je peux pas laisser entrer l'interprète. Si c'est une espionne de l'ONC, j'aurais bien l'air fin à faire l'aveugle"
"Mais je vous ai passé ce contact, il est devenu quoi ? Je me porte garante d'elle, appelez le Haut Château pour les Liaisons, mais faites vite, la réunion a déjà commencé"
"Et même si elle me dit que c'est quelqu'un avec son nom ? Qu'est-ce qui me dit que c'est bien elle ? J'ai pas de rapport d'enquête, d'aucun service de contre-espionnage. Évitez les prestataires extérieurs, c'est toujours le bordel avec eux !"
...
Il va encore falloir un peu de temps pour se dépêtrer de ce bordel et Min va perdre patience et crier très fort en cantonnais au grand étonnement du gardien. D'ici-là il y a moyen de parler de Kotios. Et de Min, parce que les interprètes ne servent pas qu'à traduire.
Pour Min, c'est la première visite de la ville, et la première fois même qu'elle voyait l'Eurysie. Le décalage horaire avait laissé sa marque et elle se sentait complètement désorientée, dépassée par la masse d'informations nouvelles qu'elle se prenait de cette ville vibrante et loin d'être réellement stable. Les jardins s'entrelaçaient entre, sur et dans les immeubles, les rues tentaculaires fourmillaient de foules hétéroclites partant dans toutes les directions possibles et se posant partout où il était possible de se tenir. Kotios, c'était une de ces villes qui au premier abord, semblaient chaotiques. Le genre de villes où on se perdaient. Min, elle se lançait dans le plaisir mélancolique de la contemplation des rues. Kaname, c'était aussi la première fois qu'elle visitait la ville... Enfin, en quelques sortes : elle connaissait un peu l'Internet kotioïte. Elle avait déjà discuté avec des kotioïtes, qi lui écrivaient sur les transformations de de la ville, les luttes qui traversaient la ville de multiples tremblements invisibles. Elle pouvait les voir, c'était toutefois autre chose de voir ce que ça donnait sous le vent et la lumière changeant du soleil. Les quelques gouttes de pluie tombant sous la lumière diffuse du soleil, l'odeur d'iode de la mer, rendait la ville accueillante, elle aimait beaucoup, ça lui avait manqué dans le Sud glacial glisois et shuh.
Alors, les deux se son posé sur un quai du port, ont regardé la mer, et discuté :
"Comment tu trouve Kotios ?" demanda Kaname
"C'est... Bah je sais pas en fait ! Je peux même pas dire ce que j'en pense. Et toi ?" répondit pensivement Min
"Ça me rappelle un truc, une discothèque qui avait fermé sur Saamkeoidou, c'était un bâtiment en bon état, il a très rapidement été occupé. C'est devenu un coin pour un peu tous ceux qui avaient été évincés de leur communautés. J'avais une pote là-bas. Son petit ami l'avait largué du jour au lendemain, et pas de chance, c'est lui qui avait le bail du loyer. Alors, elle c'est retrouvé là, je venais la voir et on voyait les habitants s'organiser pour maintenir la maison à flot, et ne pas laisser les flics les évincer. On aurait pu se croire dans une ruche, un peu comme ici !"
"Ça devait être incroyable ! C'est devenu quoi ?"
"Les flics les ont évincé. Ils ont détruit la discothèque, et le terrain est passé de promoteur en promoteur jusqu'à la Révolution"
"Et ta pote ?"
"On s'est perdus de vu quand je suis entré chez Qundu. Et je le regrette"
"On se rends compte toujours trop tard, comme une entreprise nous lave le cerveau"
"Toi, tu viens de Nij-Amstergraaf ?"
"La seule, l'unique, la zélandienne !"
"Comment c'est là-bas ?"
"Mieux que Hohhothaï je dirais"
"Pas dur"
"C'est très propre, la commune y veille, on peut penser aux quartiers riches à Hohhothaï mais avec des pavillons immaculés et des canaux aux eaux claires, et puis d'autres bâtiments construits dans une architecture faite pour ressembler à des trucs vaguement vieux, mais qui font faux. Tu as deux endroits vraiment sympas, la vieille ville, encore que ça c'est vachement gentrifié, et la forêt, mais il faut bien rouler pour y arriver"
"Ça doit être étrange de vivre dedans !"
"Disons, comparé à Hohhothaï quand j'ai été expatrié, on pouvait faire plus de trucs au grand jour. Vraiment, on est sur la terre de la liberté. On arrête pas de parler de liberté. Alors, on est libre, mais on fait quand même attention à notre réputation. Parce que si les autres nous aiment pas, ta vie est un enfer. On sait que quand on se rencontre à la commune, c'est pas pour s'énerver et s'affronter, on recherche le consensus"
"Tiens, d'ailleurs, ça marche comment la prise de décision ?"
"On fait ça ensemble normalement, ceux qui sont disponibles pour discuter une loi se rencontrent dans une réunion, et on passe les lois. normalement, on fait ça le dimanche, mais ça peut être n'importe quel jour. Quand je travaillais le dimanche, je savais que je ratais une bonne partie des Assemblées de Conseil. Évidemment, si tu es l'organisateur, tu as tout intérêt à trouver un horaire qui réunit ceux avec qui tu es d'accord, et pas tes opposants. Tu poses ta réunion sur les économie d'eau pendant les jours de récolte des riziculteurs, et tu es sûr qu'il n'y en a pas un pour débattre tes propositions. Des fois, ça se voit, et les gens qui ont pas pu venir, ils sont pas contents, alors ça gueule, et crois-moi que 150 riziculteurs qui passent dans ta rue gueuler qu'ils vont pas se laisser enfumer, tu évite de l'ouvrir ou de croiser leur chemin. J'adore ses moments. J'aimerais qu'il y en ait plus ! L'autre méthode pour avoir les votes que tu veux, c'est de bien écrire les différentes options possibles de façon à ce qu'il y en ait une de clairement meilleure que toutes les autres. Tout le monde ne comprend pas tous les termes, après une heure ou deux, à discuter du quota d'au à accorder aux jardins, tu réfléchis moins à ce qui vient"
"Tu coup, celui qui as le pouvoir, c'est celui qui organise les réunions ?"
"Non, c'est un peu plus compliqué. La gestion des trucs au jour le jour, c'est nous. Mais les grands objectifs, ils viennent de l'état. Les grandes décisions économiques par exemple, ils viennent d'un ministère pour ça. On peut discuter longtemps de ce qu'on veut faire, mais au final, c'est le ministère qui dit. En général, le ministère, c'est aussi les entreprises nationales. En gros, on nous donne un objectif de travail à fournir, de ressources à produire, et il nous revient de dire comment on va y arriver"
"Donc vous êtes très moyennement libre"
"Il y a quand même une culture démocratique. Et on se gène pas pour se rencontrer en-dehors des clous. Encore que les communautés officielles, elles aiment pas, mais alors vraiment pas la contre-culture. La contre-culture, c'est un truc que tu trouves vachement plus à Hohhothaï qu'à Nij-Amstergraaf. Aussi, ce que je dis là, c'est uniquement ma vison des choses. Je sais qu'il y a des gens, même des gens que je connais, qui considèrent qu'on a pas trouvé de meilleur système que le nôtre, qui sauront soutenir de manière convaincante que nous somme dans la démocratie la plus complète qui soit, et que notre sociétés, avec toutes ses limitations, sont surtout le reflet de la façon de penser du peuple. En général, je le dis comme ça, mais de mon vécu, c'est plutôt des hommes, et plutôt des Eurysiens. Bon, le fait que je sois resté à Hohhothaï pour participer à la révolution plutôt que de faire la chose raisonnable et demandée par ma boîte, et de revenir, ça te donne un petit indice sur ce que j'en pense"
"Et du coup, Hohhtohaï te semble mieux ?"
"Pas sûre, c'est très incertain, mais au moins, on ne s'ennuie pas. J'ai l'impression qu'il y a rien de stable. Un jour, c'est les révolutionnaires qui font leurs utopies, le lendemain, les autochtones qui veulent pousser à l'autonomie, le jour d'après, on voit les Triades charger, et encore après, tu as un accord entre les Triades et des villages Meng pour pas laisser les Primains installer un nouveau village alors que les Shuhs du Sud considèrent qu'il faut les accueillir et que les révolutionnaires recrutent chez eux. Et puis, il y a l’Élite des Survivants qui fait des opérations cheloues dans leur coin, et est-ce que j'ai parlé des diasporas eurysiennes et nippones ? Au moins, Nij-Amstergraaf, tu comprends plus vite où, ça va, ce qui rends quand même la démocratie plus facile"
"Tu as déjà été à la métropole ? En Eurysie ?"
"Jamais, ni les autres territoires ultramarins d'ailleurs"
"Tu te vois revenir un jour en Zélandia ?"
"Pas pour me ranger en tout cas ! J'aime le chaos ! Je ne veux plus vivre sans chaos !"
Finalement, ce fut au tour de Chang Kaname et de Peng Min de rejoindre Monsieur Sonderman, le Professeur Severi et la Docteure Ustinov. Kaname s'excusa du retard avant de se faire récapituler les échanges précédents par les deux autres membres du Liberalintern. Elle nota les grandes lignes, remit de l'ordre dans ses pensées, et commença à s'exprimer :
- Je remercie Monsieur Sonderman d'avoir pris la peine de venir à Kotios pour nous aider à comprendre ce qu'est la Zélandia, selon quelqu'un qui y vit et qui participe à son organisation. La volonté de venir à notre rencontre pour discuter ensemble est toujours appréciable.
- Vous savez, avant de venir, nous aimons nous intéresser au pays de nos interlocuteurs. Il se trouve que j'ai eu connaissance d'une encyclopédie qui résumait l'histoire du pays. Si je comprends bien, le régime actuel vient d'une entreprise gigantesque qui a évincé les souverains de l'époque pour appliqué leur système colonial en métropole en déléguant une bonne partie du pouvoir quotidien tout en continuant à en tirer les bénéfices. Pourriez-vous nous expliquer davantage ce que devient cette entreprise ? De ce que j'en perçois, votre gouvernement voire une majeure partie de votre population met grandement en valeur la liberté d'entreprendre, et il existe des entreprises nationales qui construisent des réseaux économiques parmi plusieurs communautés. Pourriez-vous nous expliquer leur fonction dans l'économie, et surtout, la politique zélandienne ? Certaines de ces entreprises sont cotées en bourse, et accessible à bas coût aux acteurs internationaux. J'ai des remontées d'analystes qui m'ont fait savoir que cela pourrait être un signe de crise économique. Pourriez-vous nous en dire plus sur l'état de votre économie ? Le Liberalintern pourrait-il vous soutenir pour protéger le pays de possibles actes de guerre économique ? Une aide matérielle vous serait-elle utile ? Le Liberalintern vise à défendre les siens, que ce soit avec des armées, des mots, du travail, des ressources, ou des avocats.