Ethrasyl et Eddonna écoutèrent en silence leurs interlocuteurs. Tandis qu’Hawaya puis Siska leur présentaient les possibilités d’échanges entre le Wanmiri et le Negara Strana, eux réfléchissaient.
Au pays, les Wanmiriens manquaient de tout. Toutes les productions avaient été désorganisées par la guerre et, presque deux années après la fin de celle-ci, la reconstruction tournait encore au ralenti. Si les îles étaient toujours aussi florissantes, et que les trois plus grandes villes, à savoir Sivagundi, Talo et Aaethalio s’étaient bien rattrapées, ce n’était pas le cas des campagnes et des villes moyennes. Ce qui accentuait les inégalités et causait d’autres problèmes… D’autant que plus l’écart se creusait, et plus la tendance s’accélérait… un cercle vicieux en somme, qui ne pouvait que mal se terminer. Il fallait que cela change, et vite. Et le Negara Strana pouvait les y aider.
Ethrasyl se demanda quelle était la priorité. De quoi avait-on besoin urgemment ? Il passa mentalement en revue les différents rapports qu’il avait reçu du CRENWA et d’autres organismes de recherches, puis sortit quelques notes qu’il relut rapidement. Bon. Il fallait industrialiser le pays, voilà la priorité.
Une petite note tomba de ses affaires, et passa sous sa chaise. Alors qu’il allait la ramasser, sa sœur le prit de vitesse, et lui rendit le papier.
“Pas assez rapide, petit scarabée” lui murmura-t-elle.
Il lut la note, et changea vite ses priorités. Celle-ci indiquait une pénurie alimentaire grave qui touchait le sud-ouest du pays. Bon, et bien la voilà la priorité. La nourriture.
Siska termina sa présentation, concluant sur les exportations du secteur primaire, et tertiaire avec le tourisme. Ethrasyl sourit, puis prit la parole.
“Excusez-moi si je ne réponds pas dans l’ordre, votre présentation était assez complète et je n’ai pas forcément tout retenu. Il jeta un coup d'œil aux graphiques, et remercia mentalement Siska de les avoir sortis. Je vais commencer par m’occuper en priorité des urgences. Comme vous l’avez dit, vous ne savez pas tout de l’état de notre économie, et cela est normal. Il me semble que nos pays sont assez proches, aussi me permettrai-je d’être franc.”
Il se servit un verre d’eau, but quelques gorgées, puis reprit la parole.
“Vous savez logiquement que l’ensemble de nos productions ont été désorganisées par la guerre et le chaos qui a suivi celle-ci. Récemment, cela s’est fait ressentir dans le sud de notre pays par d’importantes pénuries alimentaires. Je ne vous cache pas que cela est une priorité absolue pour nous, et que ceci est d’une extrême gravité. Aussi, vos propositions d’exports dans le secteur primaire, avec notamment du riz et du soja, nous conviennent à merveille. Nous aimerions en commander assez rapidement, et conclure une première commande au cours de cette réunion nous arrangerait ou, du moins, que vous puissiez nous orienter vers les agents compétents pour cela. Il nous faudrait aussi un soutien économique pour permettre au secteur primaire wanmirien de se développer, afin de pouvoir subvenir à nos propres besoins, et surtout exploiter les richesse dont nous disposons mais qui restent pour le moment hors de notre portée, mais cela viendra probablement plus tard.”
Il se tut et laissa la parole à Eddonna.
“Dans un deuxième temps, nous souhaiterions industrialiser le Wanmiri. Vous savez que le régime précédent, l’Empire, dit-elle difficilement, comme si ce mot lui brûlait la langue, était resté depuis plus d’un siècle sur une politique isolationniste, et que le désintérêt des puissances eurysiennes pour son territoire et la résistance farouche des armées impériales à la colonisation n’ont pu le contraindre à s’ouvrir, comme cela s’est vu ailleurs dans le monde. Aussi, à la sortie de la guerre civile, nous accusons un retard technologique immense. Pour parer à cela, nous voudrions lancer un vaste projet d’industrialisation, et nous pensons que vous pourriez nous y aider.”
Elle s’éventa de la main, et but un peu d’eau. Il faisait décidément chaud ici.
“Concernant vos propositions, nous sommes effectivement intéressés par une aide de BKIS ou des achats à ses filiales. Vous avez raison sur la question du commerce, qui s’effectue de nos jours essentiellement par la mer. C’est pourquoi nous achèterons probablement des navires à Navala. En revanche, au vu du peu de routes bitumées, je ne pense pas que le développement des véhicules individuels soit intéressant. Nous leur préférerions une aide pour la construction de chemins de fer modernes, notamment pour un projet d’envergure qui voudrait relier le Jashuria à Fortuna en passant par les plus grandes villes wanmiriennes, projet qui, s’il aboutit, serait probablement nommé la route de l’Océan au vu de son positionnement.”
Elle marqua une pause le temps de reprendre son souffle.
“Enfin, plus que tout, nous avons besoin de main-d’œuvre qualifiée et de formateurs. Il y a un certain nombre de choses qui nous seraient utiles que nous ne pouvons mettre en place car nous n’avons pas les compétences pour, la faute à ce retard technologique. Pour ne pas devenir totalement dépendant de l’étranger, et particulièrement de certaines entreprises eurysiennes assez rapaces, nous aimerions que certaines firmes stranéennes nous envoient des personnes qualifiées pour former une partie de notre population.”.
Eddonna se rendit compte qu’elle s’était levée lors de sa présentation, et se rassit. Elle but encore quelques gorgées, souffrant de la chaleur. “Décidément, je me suis trop habituée aux températures du Pharois, je ne supporte plus la chaleur” se dit-elle. Ethrasyl reprit la parole pour terminer :
“Enfin, je reviens sur le sujet du tourisme. Nous comprenons l’intérêt que celui-ci peut avoir, cela se fait d’ailleurs bien remarquer au Negara Strana où il commence à percer et donne de bons résultats, et je pense qu’il faut le développer. En revanche, en l’absence d'infrastructures adaptées pour accueillir les touristes, je crains qu’il n’ait du mal à s’implanter. Ce qui nous fait revenir à ce que disait Eddonna : il faut construire des infrastructures. Bien entendu, si Boyaji! veut s’implanter au Wanmiri, nous serions parfaitement prêts à l’accepter, et nous l’aiderons, mais vous noterez que le tourisme n’est pas notre priorité absolue”.
Lieu possédant un fort potentiel touristique, dans les îles
Il se rassit, ouvrit son sac et sortit quelques documents qu’il étala sur la table. Il les retourna pour qu’il soient visibles de Kawaya et de Siska, et dit :
“Nous comprenons aisément que nous ne pouvons attendre sans offrir en retour. Nous avons conscience que ce que nous demandons n'est pas anodin. Il ne s’agit ni plus ni moins que de développer en accéléré le niveau technologique du Wanmiri et de hausser sans précédent le niveau de vie de plus de quatre-vingt-quinze millions d’habitants. Ce n’est pas rien, nous nous en rendons bien compte. Et, bien que nous soyons assez proches d’un point de vue idéologique, et que nous serons probablement de forts alliés l’un pour l’autre, il s’agit de ne pas totalement déséquilibrer la balance. Aussi, nous comptons vous présenter un certain nombre de choses que le Wanmiri aurait à offrir.”
Il regarda sa montre, puis laissa la parole à Eddonna. Celle-ci, prise au dépourvue - elle s’attendait à ce qu’il continue sur sa lancée -, était en train de regarder les documents que son frère avait déballé. Elle lança un regard assassin à son frère, puis, cachant sa surprise avec brio et reprenant habilement un masque neutre, elle entama une petite présentation.
“Le Wanmiri dispose de grandes ressources minières, notamment dans les domaines de métaux et des ressources énergétiques. En effet, suite à des relevés de terrain réalisés par le CRENWA, nous avons identifié plusieurs sites potentiellement très intéressants. Tout d’abord, nous disposons de réserves de pétrole et de gaz naturel offshore, au large de nos îles de l’Océan de Perles. Nous n’avons malheureusement pas encore réussi à déterminer leurs capacités, mais nous pensons qu'elles sont suffisantes pour rendre crédible l’idée d’une exploitation rentable. Aussi, bien que nous sachions que l’entreprise raskenoise Apex Energy guigne ces gisements, nous préférerions en offrir l'exclusivité à des partenaires nazumis, d’autant plus que nous savons que vous êtes à la recherche de partenaires économiques dans ce domaine. Évidemment, au vu du retard technologique accusé par le Wanmiri, l’exploitation devra être faite par et aux frais des entreprises stranéennes, mais si nos prédictions sont bonnes, cela se révélera plus que rentable.
Ensuite, des relevés au cœur des terres ont découvert une forte concentration en terres rares, en cuivre, en étain et en zinc dans la région. Leur découverte est une aubaine pour la région, qui va pouvoir se dynamiser. Comme pour les gisements offshore, les investissements pour l’utilisation de ces ressources seront aux frais des entreprises, jusqu’à ce que nous disposions de suffisamment de personnel qualifié et de matériel de qualité pour le faire nous-mêmes.”
Elle s’arrêta pour reprendre son souffle, et lança coup d'œil qui semblait dire “A toi maintenant, chacun son tour de se démerder.” à Ethrasyl. Celui-ci prit la parole :
“Enfin, le secteur primaire wanmirien constitue la base de notre économie. Aussi, il est logique que nous vous en parlions. Notre production de riz est, comme vous le savez, désorganisée en ce moment, mais nous ne doutons pas que la barre se redressera, et avec des techniques modernes nous pourrions nous ouvrir à l’exportation. Ceci ne vous intéresse probablement pas, puisque le Negara Strana est auto-suffisant dans ce domaine, mais nous tenions à préciser que, dans les années à venir, vous pourrez vous tourner vers nous en cas de coup dur.
Nous produisons aussi, et cela devrait vous intéresser, un thé de qualité et un café tout à fait correct, ainsi que - entre autres - du cacao, du caoutchouc et des fruits exotiques qui raviront les papilles stranéennes. Toutes ces productions sont souvent excédentaires, et résultent pour la plupart des goûts luxueux des nobles viswanites. Nous n’en n’avons pas l’usage, aussi nous serions ravis de vous les revendre."
Champ de thé au Wanmiri, photographie, 2011
Rizière à la jonction des plaines du sud et du plateau, photographie, 2011
"Nos productions de coton, dont les plantations ont récemment été développées, pourraient aussi vous intéresser. En effet, la culture du coton est adaptée à des régions tropicales et subtropicales qui alternent climats secs et humides. Avec le climat de moussons du Wanmiri, nous espérons obtenir des récoltes abondantes et de qualité. Notez que le coton, outre son utilisation dans le domaine textile, sert à la production d’huiles végétales et d’huiles alimentaires pour le bétail. La production de sucre est également en développement, et peut vous intéresser.
Pour terminer, je rappellerais la part importante de la pêche dans l’économie wanmirienne. L’industrie halieutique est actuellement en plein “boum”, et il en résulte des productions de poissons et autres produits de la mer totalement disproportionnées au regard de la consommation que nous en faisons. Aussi, je pense que nous pourrions vous vendre les quantités excédentaires.”
Il se tut enfin, et laissa la parole à leurs interlocutrices. Il jeta un coup d’œil par la fenêtre, et constata qu'il était déjà tard. Il leur faudrait soit terminer rapidement, soit continuer le lendemain ou reprogrammer une rencontre pour les autres sujets.