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Entrevue secrète entre Ives de Tholossé et le Général Sangaré

- SECRET DÉFENSE -


Illustration Port

29 juin 2011, Port-Franc, Gondo.

Le rendez-vous entre le Délégué Impérial aux Affaires Gondolaises et le chef autoproclamé de l'Armée Démocratique avait été recouvert du secret le plus absolu. Sa tenue n'était parvenue à la connaissance que d'une poignée de haut gradés du système clovanien, et les hommes qui escortaient Ives de Tholossé au débarcadaire 8 du port nord-gondolais n'avaient probablement aucune idée de l'importance de cette courte entrevue pour l'avenir du pays qu'ils foulaient de leurs bottes. Le Délégué, comme on aimait à raccourcir son titre, trop long et évocateur d'une bureaucratie verbeuse, glissait son large corps entre les containers vides, espérant que le secret avait aussi été conservé de l'autre côté. La bonhommie dont il faisait parade la journée auprès du Président Flavier-Bolwou, lorsqu'il épongeait d'une feinte maladresse les gouttes de sueur perlant sur sa tempe sous les coups du soleil afaréen, contrastait largement avec la finesse de son regard, perçant la brume du port ce soir-là. Ses membres, se déplaçant furtivement et précisément, semblaient tout à coup allégés, et même si son obésité était toujours visible dans la nuit, on eut pu le confondre aisément avec un félin s'avançant sereinement dans le silence de la nuit, les paupières plissées cachant deux pupilles dilatées par l'obscurité.

Apercevant l'homme en qui il reconnut celui avec qui il devait s'entretenir, Ives de Tholossé fit signe aux soldats qui l'accompagnaient de rester en retrait. Cette conversation ne devaient être entendue de personne d'autre que ses interlocuteurs.
Son treillis intégral, ses rangers, son béret rouge (couleur du socialisme), apanage des forces spéciales, tout ça était invisible dans l’obscurité du port à conteneurs de Cap-Franc. Yahnik Sangaré avançait furtivement vers le point de rendez-vous, un pistolet à la main. Deux derrière, deux devant, quatre soldats l’escortaient avec des fusils d’assaut, en plus de trois autres positionnés en amont pour prévenir de toute arrivé des républicains. Arrivé au niveau du débarcadère numéro huit, le général confia son arme à son escorte. Il avait demandé à Tholossé de venir sans armes, il ferait de même. En guise de précaution, un fusilier de l’Armée Démocratique veillait depuis une grue. On est jamais trop prudent.

Il se positionna près du quai, de sorte qu’on ne puisse pas le pousser en une seule fois dans la rade mais sans être trop près des piles de conteneurs pouvant cacher un soldat clovanien, afin de laisser les plus larges possible ses options de fuite. Il n’avait jamais exclu que ça tournerait mal. En effet, il ne savait pas à quoi s’attendre de cet entretient. Il connaissait de Tholossé de réputation, c’était l’homme de confiance de l’empereur, un proche du Président, qui avait orchestré les manœuvres militaires de la République Impériale, mais aussi planifié (et on l’avait bien remarqué dans cette région) l’accaparement des ressources touristiques par les clovaniens. Un un mot : l’ennemi. Pour Sangaré, pas forcément l’ennemi numéro un, l’homme à abattre. Mais pour ses hommes oui, ça ne faisait aucun doute. Il était donc dans son intérêt que ce rendez-vous ne soit pas divulgué.

Il attendit cinq minutes avant que Tholossé arrive à son tour, également seul, visiblement désarmé. Sangaré ne savait pas s’il était escorté ou pas. Son escorte à lui avait ordre de ne pas tirer la première.
Il entama le dialogue, avec un ton toujours très policé qui n’en était pas pour autant un signe de bienveillance.

« Bonsoir, monsieur le délégué. Puis-je vous demander ce que me vaut l’honneur de vous rencontrer ? »
Devant la figure imposante du chef communiste dont le pas allait droit sur sa position, de Tholossé ne se laissa pas décontenancer. Lorsque Sangaré fut parvenu à sa hauteur, le Délégué détacha silencieusement ses deux bras de son épaisse silhouette, signe qu'il n'était pas armé et que le Général n'avait rien à craindre.

"Bonsoir Général. L'honneur est partagé. Nous connaissons bien votre mouvement, et nous connaissons surtout son objectif : un gouvernement communiste. Nous pouvons nous entendre dans cette guerre. Je vous propose un pacte. Aucun combat entre nous. Nos ennemis sont communs : le GALK, le MILP, et le MLL. Une fois qu'ils seront hors d'état de nuire, nous nous partagerons le Gondo. Au Nord du Gonda, un gouvernement communiste comme vous le rêvez, et au Sud, la République."
Sangaré était stupéfait. Il n’avait jamais imaginé d’une part que la puissante armée clovanienne tenterais de négocier avec lui. Il n’avait pas imaginé non plus que Tholossé, le perfide, l’avide, laisserait une partie du Gondo de côté. La partie la plus pauvre et la moins développée, certes, mais une partie quand même.

Sangaré était un pragmatique, qui savait se satisfaire d’un compromis quand c’était nécessaire. C’est comme ça qu’il avait laissé de côté son idéal républicain pour un combat communiste, comme ça aussi qu’il avait accepté de partager son influence avec le Grand Kah. Ainsi, si la proposition était révoltante du point de vue de l’idéologie (comment oser traiter avec l’ennemi pour condamner la plus grande partie de ses compatriotes à la servitude ?) elle ne choquait pas le général en son for intérieur. Lui n’était pas communiste après tout.

En revanche, il était né à la Nouvelle-Sphornes, près de Sainte-Loublance, son père et sa mère y étaient enterrés. Il avait combattu pour l’indépendance du Gondo, vis à vis des tyrans et des traditionalistes. Abandonner sa terre aux néo-colonialistes déchirait son cœur de vétéran de l’armée républicaine.
D’autre part, les gondolais les plus susceptibles d’adhérer à l’idéologie socialiste ou communaliste étaient dans les métropoles du Sud, et il ne voyait pas les pitsi s’accommoder d’un régime imposé par des kwandaoui et des étrangers. Or s’il avait fallu consulter ces peuplades du Nord et de la jungle, que l’OCC n’avait pas spécialement libéré de leurs pensées ethniques, ils auraient élu pour une junte, à coup sûr.
Enfin, le partage n’aurait pu être plus déséquilibré. Sainte-Loublance concentre les deux tiers de la population du pays, deux millions et demi de gondolais. Ajoutez à cela Porzh-Erwan et peut être Port-Franc, et la grande majorité des citoyens et des activités économiques passent sous le giron clovanien.
Néanmoins, conscient que le dilemme était cornélien, il préférait ne se fermer aucune option.

« Pardonnez-moi, mais où passe le Gonda, pour vous ? Ici nous sommes au Sud ou au Nord de votre frontière ? »
Tandis que le cerveau du Général turbinait à mille à l'heure, de Tholossé scruta la brume de son regard aiguisé. Son visage ne laissait rien transparaître.

"Nous sommes au Nord du Gonda. Par Nord et Sud, j'entends rives droite et gauche. Cela vous laisserait donc les deux grandes villes de Port-en-Truite et de Port-Franc. Réfléchissez bien, Général. Rien ne sert de se lancer dans une guerre perdue d'avance et qui ne fera que déchirer encore davantage le Gondo. Il faut parfois savoir faire des compromis, et je pense que vous êtes un homme raisonnable. Je n'attends pas forcément une réponse ce soir."
Sangaré réfléchit encore. Il venait de faire, dans sa tête, le constat suivant : de jour en jour, sa légitimité à la tête de l’Armée Démocratique s’effritait, car il la dirigeait depuis vingt ans et que les communalistes avaient la fâcheuse tendance de parler d’alternance et de gouvernance collégiale. Ainsi, il ne se voyait pas suivi par la majorité du mouvement s’il acceptait en loucedé la proposition de Tholossé. Même en passant un accord secret, il lui faudrait l’aval de son État-Major s’il voulait préserver l’AD de la division. Il en parlerait donc à son conseil de guerre.

« Monsieur le délégué, permettez-moi de vous souhaiter une bonne nuit, nous reparlerons de tout ceci. Le temps de me faire idée. Vous partez le premier ? Promis, personne ne tirera. »
Le Délégué savait fort bien quelle importance une telle délibération pouvait avoir dans l'esprit de Sangaré. Aussi, il ne s'étonna guère du délai de réflexion que son interlocuteur s'imposa. L'important était d'avoir semé la graine.

"Entendu. Ne vous faites pas trop long, Général. Un silence radio de votre part se traduira pour nous comme un refus. Bonne soirée."

Ives de Tholossé s'éloigna d'un pas serein dans la brume du port, la conscience emplie de projets et de réflexions.
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