02/07/2013
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RP : Journal d'un jeune Clovanien de l'an 2012

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RP : Journal d'un jeune Clovanien de l'an 2012



Le 11 février 2012 :

J'ai trouvé ce petit cahier dans les affaires de mon grand-père. Par sa couverture rouge et ses pages jaunies, il m'a attiré à lui et donné l'élan de l'écrivain soudainement saisi par l'inspiration de sa muse. J'ignore ce que ces feuilles contiendront, j'ignore également qui les lira ou à quel volume seront-elles couvertes d'encre. Cependant, je me laisserai aller au doux son de la plume qui cavale sur le papier, bercé par le flot de mes pensées. J'écrirai ici lorsque les lois du temps infaillible me le permettront, c'est-à-dire lorsque les obligations qui cloisonnent mon existence prendront un tour plus clément. Ce journal sera ma petite dose de liberté. Mais comme les serments occasionnent toujours les plus grandes oeuvres, je promets ici de ne couvrir ces belles feuilles d'aucune rature. J'écrirai simplement au fil de ma conscience, ne corrigeant jamais rien, considérant les mots couchés sur le papier comme des instantanés de ma pensée d'un temps. On ne corrige pas une peinture que l'on contemple dans un musée, n'est-ce pas ? Enfin, l'océan de ma conscience déborde déjà. Peut-être devrais-je commencer ce journal par une brève présentation de ma personne.
Mon nom est Léon Binestre, je suis âgé de dix-neuf ans et j'habite à Legkibourg. J'étudie l'histoire au Collège Prinkov. Il paraît que c'est un assez bon établissement. Enfin, c'est ce qu'en dit ma mère lorsqu'elle parle de moi à ses amies. "Léon ? s'il travaille bien ? Il est à Prinkov !" Je pense qu'elle a raison : tous mes professeurs sont passionnants, et mes camarades de classes travaillent comme des abeilles. Je me sens parfois un peu lâche vis-à-vis d'eux, lorsqu'ils évoquent leur rythme de vie, alternant de justesse entre le travail et les besoins primaires. Ma vie ne diffère pas de beaucoup, à ceci près que la littérature et l'écriture sont du nombre de mes besoins primaires. Par ailleurs, si un homme tombe un jour sur ce carnet, qu'il ne se méprenne point en conjecturant de moi une vanité littéraire. Si ma plume n'est pas excellente sur ces lignes, c'est qu'elle ne prend guère le temps de s'arrêter en chemin pour apporter les fioritures et ajustements qui font la grâce des grands écrivains. Je m'attèle parfois à des tâches littéraires plus ardues, sur lesquelles je prends le temps de fignoler mon écriture, mais elles sont secrètes. J'en distillerai peut-être au cours de ce journal, mais pour cela, il faudra être sage et lire attentivement jusqu'au bout ! Oubliez ces plaisanteries dans lesquelles je m'égare. Ce journal n'est évidemment pas destiné à une lecture académique. Je porte toutefois la prétention de faire survivre ces mots pour les prochaines générations. J'aurai rêvé de trouver un journal intime d'il y a cent ans, deux cents ans, trois cents ans ! Ce ne signifie pas que ces lignes sont tout à fait exceptionnelles, mais qu'elles présentent un aperçu sincère d'une époque, d'une nation à un moment donné. Également pour moi-même, la trouvaille de ce journal pourra s'avérer jouissive : j'aurai un jour oublié jusqu'à la dernière virgule des phrases que je suis en train de composer, et la lecture postérieure de ces dernières me permettra de contempler sans frein l'évolution de ma conscience dans la fleur de ma jeunesse.
Enfin, voilà six mois que je suis entré au Collège Prinkov, et il faut dire que je m'y plais plutôt bien. J'y ai quelques amis sur lesquels je peux compter, et qui m'apparaissent tout à fait sympathique sur le plan moral et intellectuel. Toutefois, aucun d'entre eux ne pourra rentrer dans le cadre de mes amis les plus intimes. Les relations que j'entretiens à Prinkov sont avant tout d'ordre scolaire, et la camaraderie qui m'attache à mes congénères ne survivrai pas longtemps dans un tout autre contexte. Comme pour beaucoup, à mon avis, le service militaire est l'expérience qui m'a procuré les camarades les plus solides et les plus sincères. Ces deux ans de loyauté envers la Patrie, ces épreuves traversées dans le froid et la chaleur, toujours avec le sourire, forgent un homme comme peu de choses ici bas. À la sortie du service, j'avais réellement le sentiment d'être passé à l'âge adulte. Même si je vis encore chez mes parents et que je passe encore le plus clair de mon temps assis sur une chaise d'écolier, un tournant a été marqué, autant pour ma propre conscience que dans le regard des gens. Il faut dire que le service dure deux ans ! On distingue facilement un frais garçon de dix-sept années d'un jeune homme de dix-neuf ans, la mine endurcie par vingt-quatre mois dans la boue et sous les tentes. On déduit donc facilement du visage d'un jeune homme s'il a accompli ou non son service, et l'appréciation que l'on s'en fait s'en trouve inéluctablement altérée. Oscar est l'homme que je peux considérer comme mon meilleur ami. Apprenti charpentier, il habite dans le même quartier que moi. Une chance, d'ailleurs, puisque le service militaire est censé mélanger les jeunes hommes de toutes les contrées. Je passe des après-midis avec lui quand mon emploi du temps me le permet. Il faut dire que le sien est assez flexible, ce qui me permet de rythmer la cadence de notre relation amicale.
J'ai aussi une fiancée, Bérénice. Elle était dans le même lycée que moi, à Saint-Pierre de Legkibourg. Nous nous sommes mis ensemble dans ma dernière année de lycée, avant que le service ne nous sépare. Notre amour a tenu bon, nous nous voyions lors des quelques permissions, et l'attente entretenait la flamme de notre relation naissante. Depuis que je suis rentré à Prinkov, notre amour s'est endurci et j'espère l'épouser dans les prochaines années. Je l'appelle ma fiancée bien que je ne lui aie jamais fait ma demande. Simplement, je ne trouve pas d'autre nom qui pourrait convenir à notre relation. Lorsque l'amour est certain, seul le mariage est suffisant ! Bérénice est charmante, avec ses beaux cheveux blonds et ses yeux d'un bleu azur. Elle fait les compliments de mes amis, et la jalousie du monde.
Je ne sais pas encore ce que je souhaite exercer comme métier. Il se trouve que la scolarité me réussit bien, comme le montre l'établissement dans lequel j'étudie, alors je continue dans ce qui me passionne. L'histoire est un de mes principaux centres d'intérêts, bien que le métier d'historien ou de professeur ne me tente guère. Aussi poursuis-je mes études, espérant que le cachet de Prinkov sur mon CV impressionnera un futur employeur, dans quelque domaine que ce soit. Voilà presque une heure que j'écris, et il faut maintenant que je me mette au travail.
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Le 18 février 2012

Je trouve un peu de temps en cette fin de semaine pour consigner quelques unes de mes pensées dans ce carnet. je n'y ai écrit qu'une seule fois et j'espérais en faire un usage quotidien. Cependant, écrire une pensée assez claire et sans redondance chaque jour me semble assez difficile à concilier avec mes études et mes lectures, c'est pourquoi je pense que je ne vais écrire dans ce journal que lorsque le je serai pris d'inspiration, ou que j'aurai une pensée jugée digne d'être transcrite.
J'ai entendu ce matin à la radio que la Loduarie organisait un blocus contre la Nouvelle-Canaan. C'est dommage, me semble-t-il, d'autant plus que cette dernière venait tout juste d'ouvrir ses frontières. Je ne sais que penser de la Nouvelle-Canaan. Cette contrée m'a tout l'air de provenir d'un autre temps, et ses mœurs plus que rigoureuses rappellent des siècles ombragés. Toutefois, les pratiques de ce pays se rapprochent avec certitude de nos alliés primains, avec lesquels Sa Seigneurie Impériale partage une alliance immémorielle et qui ont fait partie de notre territoire durant des siècles. Prima est sans aucun doute une république sœur de la Clovanie, et il ne fait pas de doute que les similitude qu'elle partage avec la Nouvelle-Canaan la poussera à une connivence amicale et pérenne avec cette dernière. De plus, dans le golfe des Merveilles, une entente avec ce pays qui vient juste de s'ouvrir à la diplomatie ne serait que profitable à la Clovanie. Notre Mère Patrie gagnerait effectivement à ajouter un allié dans l'Eurysie de l'Ouest. Et, qui sait ? Peut-être que la fréquentation des Clovaniens permettra aux Cananéens de s'engager sur une voie moins ascétique et mois dogmatique. Enfin, je respecte de tout mon cœur les traditions cananéennes ainsi que le patriotisme qui anime leur peuple. Ces traditions sont pourvues de plusieurs siècles d'autorité, que l'on ne saurait négliger ou remettre en cause. Ces dernières considérations me font penser qu'une bonne manière d'accroitre l'influence clovanienne dans l'Eurysie de l'Ouest et, par là, d'y instaurer une stabilité durable, serait de faire entrer les Cananéens dans l'Union Médiane des Traditionalistes.
Bref, je pense que la Loduarie a tout à perdre en menaçant ainsi la Nouvelle-Canaan, et j'attends avec impatience les résultats des négociations entamées par notre Empereur avec les communistes, initialement porteuses de grandes promesses.
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Le 20 février 2012

Voilà que je retrouve mon carnet après une longue journée de cours, muni de plusieurs pensées à coucher sur ce papier jauni. Je ne sais d’ailleurs d’où vient ce carnet. Je l’ai trouvé dans le grenier de grand-père, certes, mais il est étrange qu’il n’ait pas servi pendant toutes ces années. Quel est donc l’homme qui a un jour décidé d’acheter ce carnet, pour bien vite l’oublier et ne jamais transcrire ses pensées qui nous auraient été si précieuses ? En tant qu’amateur d’histoire, je ne peux que regretter amèrement ce manquement ! Enfin, la Providence m’a visiblement placé sur le chemin de ces blanches feuilles, afin que je me fasse l’observateur de mon temps, à l’usage de mes descendants ou de quiconque entrera en possession de ce journal.
Je pense bientôt m’engager dans les Volontaires de la Sûreté Nationale, au sein desquels est déjà intégré mon meilleur ami Oscar. Pour les habitants des temps lointains qui auraient oublié l’existence des Volontaires de la Sûreté Nationale, il m’apparaît nécessaire d’en dresser une brève présentation. Les VSN ont été créés par Pétroléon V en 1998 et sont un groupe de secouristes bénévoles destinés à assurer la sécurité de certains événements et à aider les pompiers en cas de besoin. D’après Oscar, les activités sont des plus diverses et l’on y acquiert une compétence solide en matière de secourisme et d’humanitaire. Les VSN effectuent également des maraudes locales pour venir en aide aux plus démunis de leur circonscription. Nous pouvons nous engager dans l’antenne qui se trouve la plus proche de notre domicile, puisque les antennes des VSN sont réparties dans toutes les contrées de Clovanie. Ces antennes sont très indépendantes et ont chacune des fonctionnements différents. Les ambiances de camaraderie diffèrent également d’une antenne à l’autre, ce qui m’a poussé à une longue hésitation, ayant demandé conseil à plusieurs personnes. Mon choix s’est finalement porté sur sur l’antenne du treizième arrondissement. J’y ai fait une première visite afin de découvrir l’équipe de secouristes qui sera la mienne ainsi que les lieux qui constitueront mon second foyer pour les prochaines années, et le lien qui unit les différentes personnes réunies m’a immédiatement séduit. Ainsi, je tenterai de concilier mes études d’histoire et mon service aux Volontaires de la Sûreté Nationale. L’engagement dans cette organisation est très reconnu et valorisé, ce qui me permettra souvent de me mettre en valeur lors d’entretiens ou de concours. Enfin, je ne m’engage pas pour ajouter une ligne à mon CV, mais bien par pur attrait pour la cause nationale et pour la sécurité de mon peuple.
Il me semblait aussi nécessaire d’entretenir mon carnet de ma progression depuis le service militaire, c’est-à-dire depuis six mois. À la sortie du service, le choc a été grand. Je suppose que cette étape est commune à la plupart des jeunes hommes de ma patrie, mais elle en demeure néanmoins assez difficile. Ne vous méprenez point : il ne s’agit pas là de dévaluer le service militaire, mais d’en souligner l’intensité et la nécessité. Le service procure une telle énergie, installe un tel dévouement pour la Nation dans le cœur des jeunes garçons, qui deviennent par cette incroyable expérience des jeunes hommes, que la rupture avec la vie quotidienne s’avère brutale. Les enseignements du service sont si mémorables qu’elles insufflent aux participants un mouvement salvateur qui les guide dans toute leur vie. J’ai l’impression que chaque homme tente par ses actes de la vie quotidienne de poursuivre les idéaux qui ont guidés ses membres durant le service. Ainsi, le service donne un sens à notre vie, laquelle se tourne toute entière vers le dévouement patriote et l’obéissance aveugle à l’autorité impériale. Mais le contrepoids de ce grand souffle vital est la chute et le ralentissement des mois qui suivent lorsque vous ne vous engagez pas dans l’Armée Impériale. De cette manière, j’ai ressenti comme un vide lorsque j’ai été forcé de retourner m’asseoir sur une chaise d’écolier les semaines de septembre, pour boire la parole de mes professeurs. Non que je dénie la compétence et l’utilité de ces derniers : je suis élève à Prinkov, et mes enseignants comptent probablement parmi les meilleurs de toute la Clovanie. Seulement, le travail scolaire ne s’accompagne pas d’une réelle activité physique. Nous buvons l’enseignement des professeurs et notre travail est seulement de la digérer. Le véritable travail actif intervient lors des examens, lors desquels nous devons encore nous asseoir pendant des heures entières. À l’inverse, lors du service militaire, les journées étaient parfaitement partagées entre théorie et pratique. Ce que nous apprenions le matin, nous le mettions en pratique l’après-midi. Ce manque d’action m’a causé un certain trouble existentiel, que Bérénice ne pouvait pas comprendre, elle qui avait repris ses études depuis un an et demi. Enfin, cette période ombrageuse est sur le point de passer. Ma régénération se nourrit certainement de l’espérance d’entrer aux Volontaires de la Sûreté Nationale qui m’a habité ces derniers mois. Je vais enfin participer à l’œuvre concrète de mon peuple, ce qui me permettra d’agrémenter mes enseignements théoriques de Prinkov avec des actions réelles et immédiates.
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Le 23 février 2012 :

Le temps passe vite ces jours-ci, au point que je n'aperçois guère les jours passer et s'égrainer, comme les grains du sablier qui coulent doucement dans une chute irréversible. Je m'inquiète pour mon avenir . Plus mes pas progressent dans ma vie d'adulte, plus je constate avec effarement le temps gaspillé ici bas. Non que je considère mes journées d'étude comme du temps perdu, mais simplement que j'éprouve un vague sentiment d'inaction. Comme je l'ai déjà dit auparavant, depuis mon service militaire, il m'apparaît plus que vital de me mettre entièrement au service d'une noble cause. Alors, je culpabilise un peu, pensant que ma place n'est plus à l'école, que le savoir acquis durant mes études est du savoir "en trop", en ceci qu'il n'est pas réellement nécessaire à ma constitution ou à celle de ma communauté. Mon corps est pleinement construit, prêt à se donner une tâche, et je le détourne de sa fonction essentielle, l'action physique, pour cultiver à outrance les facultés de mon âme. Il faut construire un équilibre entre le corps et l'âme, que l'un soit au service de l'autre : une main lave l'autre. Or, je me trouve aujourd'hui dans une situation totalement déséquilibrée. Toute ma journée n'est tournée que vers l'acquisition de connaissances, lesquelles me sont de moins en moins nécessaires. Uniquement le matin, je mets mon corps en mouvement pour faire quelques exercice de renforcement musculaire et pour me placer sous la douche froide.
Mais voilà, j'attends, patiemment, que mes années d'études ne se terminent, profitant de la chance qu'elles m'offrent, du confort que mon statut d'étudiant m'octroie, murissant le projet de ma vie future. Celle-ci doit être grande, et conforme à tous les critères de la vertu : dévotion, engagement, vitalité, chevalerie. Si je ne parviens pas à faire advenir une telle conjoncture, il faudrait tout reprendre depuis le début, il en va de ma vie.
J'ai vu Bérénice hier soir. Elle était resplendissante. Plus le temps passe, plus mon désir de bâtir ma vie avec elle s'accroit. Elle dispose de toutes les qualités que l'on pourrait exiger de son sexe. Sa tendresse et sa complète innocence font d'elle un être si gracieux qu'on n'oserait la toucher, de peur de détruire une œuvre aussi parfaite. Je remercie donc chaque jour le Seigneur de m'avoir confié le destin de cet être incroyable ; je tâche toujours de le mériter. Bérénice est aussi quelqu'un de très intelligent et d'une maturité impressionnante. Elle ferait sans aucun doute une parfaite maîtresse de maison. Nous avons déjà décidé du nom de notre premier enfant, mais c'est une chose que je ne saurais divulguer dans ce carnet. Ce projet me rappelle pourquoi ma vie a un sens ici bas. Je dois impérativement, dans les prochaines années, devenir un homme assez complet pour servir de figure paternelle à celui qu'enfantera ma femme.
Je laisse là ce journal, me redirigeant vers mon travail de cette semaine, bien que le cœur n'y soit pas. Quelques mois encore, et les vacances adviendront.
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Le 13 mars 2012 :

La date de la fin de l'année approche à grand pas. Je pourrai sans problème valider ma première année à Prinkov, mais je demeure préoccupé quant à mes perspectives d'avenir. J'ai déjà écrit ici qu'il me fallait un avenir fait d'action, en lien direct avec le réel et qui ait une influence concrète sur ma vie quotidienne ou sur celle des autres. Or, la plupart de mes journées sont composées d'heures pendant lesquelles je suis simplement assis sur une chaise, dans l'inaction la plus complète, et la plus nécessaire à l'enregistrement de connaissances. Heureusement que j'ai commencé mon service aux Volontaires de la Sûreté Nationale, pour lesquels j'ai effectué une première maraude hier soir. C'était une expérience fort enrichissante, au cours de laquelle j'ai pu entrer en connaissance des sans-abris de mon quartier, avec lesquels je n'avais jamais véritablement entretenu de conversation. J'espère continuer de cultiver ce lien social, nécessaire à la préservation d'un sentiment de fraternité qui peut tendre à s'estomper si les citoyens se sentent abandonnés par leurs pairs. Le problème soulevé par cette double activité (VSN / Prinkov) est que de tenir un tel rythme entame mes heures de sommeil. J'étais donc assez fatigué pendant la journée d'aujourd'hui, n'ayant trouvé le sommeil qu'aux alentours de deux heures du matin.
Enfin, il je pensais nécessaire d'aborder le rythme de mes journées, afin de déceler la raison pour laquelle elles me procurent un certain malêtre. Le matin est assurément la partie de la journée où je suis le plus productif et le plus ambitieux. En effet, je place ma séance de sport juste après le réveil. Celle-ci s'établit entre les quatre murs de ma chambre, au moyen du poids de mon corps, de deux haltères et de ma barre de traction murale. Cette partie de la journée est très structurée : différents exercices sont prévus chaque jours, puisque j'alterne entre deux séances différentes visant des zones du corps différentes. Le lundi, je sors pour courir. Je surveille attentivement ma progression dans chaque exercice, afin de constamment rééquilibrer la difficulté de la séance. En outre, je ne laisse guère de place à l'oisiveté le matin ou à la procrastination. Mes gestes s'effectuent de manière machinale, comme si j'étais obligé de le faire. Chose plutôt étonnante quand je vois la facilité qu'a mon esprit à se complaire dans la récompense instantanée le reste du temps. Après le sport, je me dirige droit vers ma douche froide, éternelle préservatrice d'un mode de vie exigeant. Ainsi, je peux me diriger vers le Collège l'esprit clair et avec une ambition intransigeante, me permettant de tenir les premières heures de la journée. Cependant, ma motivation s'effrite peu à peu au fil de la matinée, et je n'ai alors plus qu'une seule envie : que les cours se finissent. Mon objectif n'est plus de suivre le cours, mais d'abréger d'une manière ou d'une autre la course des aiguilles sur l'horloge. Le temps continue à mon grand désarroi à couler de sa vitesse habituelle, et même à ralentir.
Je bascule alors dans une autre dimension, puisque les moyens d'atteindre mon désir ne se trouvent plus en moi-même, mais en une force qui me demeure totalement transcendante et extérieure. Mon seul désir est de voir ce cours se terminer, or je ne peux en rien influer sur les forces du temps. Si l'on en suit la philosophie Austère, je place alors l'objet de mes vœux dans quelque chose qui "ne dépend pas de moi". Cette disposition d'esprit est très probablement la principale cause de mon désagrément à suivre l'enseignement du Collège Prinkov. Ce que je souhaite retrouver, c'est mon autonomie, et c'est donc dans une discipline qui me plait qu'il me faut m'engager si je veux voir mon désir néfaste se détourner. Pourtant, l'histoire est un domaine qui me passionne. Mais il faut simplement le mettre en relation avec le réel, il faut que son lien utile et complémentaire avec la réalité concrète soit pleinement évident. C'est pourquoi je compte me diriger dans les années qui suivront vers un des métiers touchant à la préservation du patrimoine. Ce domaine me semble idéal pour établir une continuité revigoratrice entre passé, présent, et avenir.
Mais je me suis perdu en cette réflexion - ou plutôt je m'y suis trouvé puisqu'elle m'a permis de réaliser un certain nombre de choses relatives aux soucis qui traversent mon existence. J'établissais originellement une chronologie de mes journées types. Une fois passé l'heure du repas, dans lequel je trouve une satisfaction instantanée qui, bien que néfaste et bestiale, m'apporte une dose de bonheur dans la journée, j'achève ma décomposition mentale. Mes besoins les plus primaires sont satisfaits, la fatigue liée à la digestion s'installe dans mes gestes et sous mes paupières, et je passe l'entièreté de l'après-midi à lutter contre le sommeil et à attendre avec avidité la dernière sonnerie qui me libèrera d'entre ces murs. Une fois mon affranchissement accompli et la rencontre entre mon visage et l'air du soir de la ville effectuée, je me dirige à grands pas vers chez moi, afin d'y trouver toutes les sources de satisfaction instantanée qui me manquaient à Prinkov. Ainsi, je ne fais rien de productif jusqu'au soir, où je téléphone à Bérénice pour m'enquérir de ses nouvelles.
Conclusion : je ne trouve ma véritable forme que le matin, courte heure au cours de laquelle ma volonté est en totale adéquation avec mes actes, et je ne suis qu'un fantôme toute la journée qui suit. Cette forme spectrale se traduit par une dissociation nette entre mon corps qui appelle à l'aide, conquérant la partie la plus basse mon esprit, et la partie "la plus divine de moi-même" qui contemple ma désolation et me hurle de m'extraire au plus vite d'un tel mode d'existence.
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