14/08/2013
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Quand le jour décline et que l'ombre recouvre l'espoir

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Quand les soldats arrivèrent


J'aimais mon petit village paisible. Nous étions dans un pays compliqué, je le savais, mais j'étais heureux. Après la Muraille, ce complexe qui scindait le pays en deux, s'étendait plus de 10'000 kilomètres carrés que l'Ordre considérait comme barbare, non civilisé et peuplé de races inférieures. Et pourtant... Pourtant, ma famille vient de la capitale, mais la pauvreté la conduite ici dans les années 1920. Je suis exactement comme eux, du même sang, de la même religion. Bien que parfois, je me demande si c'est bien la même. Je crois aux mêmes dieux, je pratique les mêmes prières, les mêmes offrandes, mais moi, mes dieux ne m'inculquent pas la haine des personnes différentes. Enfin, j'étais tranquille dans ce petit village, loin de l'agitation de la capitale que mon arrière-grand-mère nous racontait. Elle est née en 1914 et si ça ne s'était pas passé comme ça, elle aurait été centenaire dans un an. Mon arrière-grand-mère, Yuliya était une petite femme voutée, les yeux presque fermés, mais pleins d'étoiles quand elle nous voyait jouer, rire, et qu'elle nous racontait des histoires au coin du feu durant les longues nuits d'hiver dans ce coin perdu. Elle avait des cheveux blancs maintenant, elle portait toujours un foulard traditionnel d'où on voyait dépasser deux nattes. Elle semblait avec le temps redevenir une enfant. Nous vivions dans un hameau de deux-cents habitants, reculé et sans nouvelles du monde extérieur, en dehors des quelques voyageurs qui passaient là une fois toutes les décennies en s'étant perdus.

Dans ce petit village, nous habitions à huit dans une chaumière entourée de quelques hectares de champs et d'enclos. Il y avait mon père, ma mère, mon arrière-grand-mère, mon grand-père et mes deux sœurs ainsi que mon frère. Mon frère et moi aidions nos parents aux champs et mes sœurs s'occupaient souvent des animaux. Mon grand-père s'occupait un peu de la maison et de sa mère. Nous n'étions pas riches, oh ça non. Mais nous étions heureux. Même si ici le soleil n'est pas fréquemment présent, que l'hiver dure de début octobre à mars et qu'il nous arrive de rester dans la nuit plusieurs jours, cela n'entamait pas notre énergie. Du moins, jusqu'à ce jour de novembre.

Il faisait particulièrement froid, entre -19 et -15 degrés. J'étais parti couper du bois dans le bois à quelques centaines de mètres de chez nous. J'avais une toque de fourrure, un manteau en cuir de rennes, des vêtements en laine de chèvre, une chemise en chanvre, des gants et des bottes. Je traînais une luge dans laquelle se trouvait une dague, une hache, une lampe à pétrole. Par le froid qu'il faisait, le bois de chauffage ne devait pas manquer et je ne supportais plus rester trop longtemps enfermé avec toute ma famille. J'adorais celle-ci, mais j'avais parfois besoin d'espace.

Je marchais difficilement, mes pas s'enfonçaient dans une épaisse couche de neige. Les assauts répétés de cet ennemi invisible mordaient au plus profond de ma chaire et mes cils se recouvraient de glace. Après avoir marché pendant quelques minutes, j'arrivai à l'endroit où je coupe habituellement du bois, à quelques mètres d'un chemin en terre. Je me suis mis à chanter pour me donner du courage et les coups de haches rythmaient l'air.

𝄞 Rastvitali yablani i grusha 𝄞


J'entendis vaguement des pas dans le vent, mais je n'y fis pas attention. Je continuais à couper mon bois en chantant.

𝄞 Paplyli tumani nat rikoy 𝄞


Je crus entendre un moteur et cette fois, je me tournai, je vis au loin sur la route, quelques lanternes. C'était certainement le père Anatolij et ses fils qui rentraient chez eux après une journée de travail. Le vent m'aurait empêché de leur parler et avec le blizzard, je ne voulais pas m'éterniser. Je ne les saluai pas et je préférai finir ma besogne. Coups de haches après coups de haches.

𝄞 Vykhadila na byerik katyusha 𝄞


Soudain, je sentis une main sur mon épaule. Je me retournai brusquement pour voir le visage apeuré du père Anatolij et d'un de ses fils en retrait.

- Où sont-ils ? Tes parents sont cachés ?
- De quoi parlez-vous Anatolij ?
- Les militaires, ils ont rasé le village voisin... La neige a tout recouvert, je ne sais pas s'ils sont déjà passés.
- Il y a quelques minutes, ce n'était pas vous ?
- FUIS ! Tu le peux encore...
- Mais...
- FUIS !

J'abandonnai mes affaires ici en ne prenant que ma dague, ma hache et ma lanterne. En progressant aussi vite que je le pouvais, j'étais rempli de questions. Qui étaient les soldats ? Était-ce eux que j'ai cru voir tout à l'heure ? Mes parents, mes frères et sœurs, mes grand-parents, ils allaient bien ? J'avançais péniblement à travers les vagues de neige. J'atteignis enfin la sortie du bois et découvris ma maison. J'étais pétrifié. Les granges étaient en train d'être vidées et des soldats avaient jeté des troches sur les toits en chaumes. Mon père était à genou, maintenu des deux côtés par des militaires, ma mère pleurait en étant aux pieds d'un soldat en le suppliant. Mon arrière-grand-mère était maintenue debout par mon grand-père, mes jeunes sœurs étaient embarquées dans un camion. Mon plus jeune frère aussi et mon autre frère se débattait pour les en empêcher. Il poussa un soldat qui tomba à terre. Un autre sorti un pistolet et tira à l'arrière de son crâne. Mon frère s'effondra au sol, la tête tournée dans ma direction, du sang coulant de sa bouche et le regard figé.
Mon père fut embarqué dans un autre camion qui repartit. Les membres de ma famille encore présents furent emmenés dans la grange qui brûlait. J'entendis des coups de feux durant quelques instants, puis plus rien.

Les soldats sortirent, finirent de charger ce qu'ils emportaient de notre maison, nourriture, vêtement, le peu d'argent que nous avions et ils partirent à leur tour. Une fois les soldats partis, je sortis de ma torpeur et courus vers la grande dans laquelle les membres de ma famille avaient été emmenés. Le brasier était intense et la chaleur insoutenable. J'enfonçai la porte pour rentrer. Je vis dans un coin des corps entre les vapeurs et écrans flous des flammes. Je me débâtis pour dégager un des corps, mais en repoussant des gravats, une poutre enflammée tomba à côté de moi. Je ressentis une vive douleur à l'épaule et à l'œil gauche. Je ne voyais plus rien, mais je continuais désespérément. Je me résignai à sortir. Une fois dehors, je me suis écroulé dans la neige. Ma peau brulait, mon épaule me faisait souffrir et mon œil saignait. J'avais reçu des éclats de bois dedans. Le monde tournait autour de moi, les flammes illuminées la cour et je me sentis partir et je m'évanouis alors que les flocons de neiges tombaient toujours sur moi.

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