Activités nationales en Moritonie

En ce dix-huit mars de l’an de grâce 2013, on pouvait alors entendre des bruits de pas rapides et saccadés dans les couloirs de l’aile Est du Palais Doré. Ces pas étaient ceux de la jeune Natashia Kirillovna Ostrovsky : jeune domestique de son état venant tout juste d’être embauchée par l’intendance du palais. Malgré sa récente arrivée ainsi que sa maigre expérience, cette dernière était déjà confrontée à un événement aussi important et haut que les monts Sikurzoï au Nord. Un événement qui allait changer le visage du Tsarat de Moritonie en ce début de décennie.

La jeune Natashia courait donc dans ces couloirs vides dans son uniforme noir recouvert d’un tablier et d’une coiffe de bonne tous deux d’un blanc étincelant, tenant dans ses mains frêles aux doigts et ongles entretenus à la perfection, un broc d’eau fraîche et sur ses poignets minces plusieurs serviettes blanches en lin, gravées à la feuille d’or du monogramme de la maison régnante sur le Tsarat : les Rhèmianov. Arrivant près de la chambre dans laquelle elle devait amener les affaires qu’elle transportait, Natashia pouvait y entendre des sanglots ainsi que quelques prières psalmodiées par le prêtre personnel de la famille impériale. Se tenant maintenant devant la porte de la chambre, cette dernière frappa lorsqu’un majordome lui ouvrit. Ce dernier, voyant cette jeune domestique portée, le souffle coupé, ce broc et ces serviettes, décida de prendre les affaires qu’elle lui tendait afin —qu’il se disait— que cette dernière n'ait pas fait tout ce chemin pour rien dans les méandres du palais. Le majordome lui dit ensuite qu’elle pouvait aller prendre du repos et que les prochains jours seraient sûrement fériés pour les nouveaux domestiques… Avant de murmurer : “paix à son âme”.

La jeune Natashia Kirillovna Ostrovsky ne comprendra pas sur le coup pourquoi ce majordome a-t-il murmuré ces mots. Elle ne prendra alors toute la réalité de la situation en même temps que les un-million-trois-cent-soixante-cinq-mille-huit-cent-quatre-vingt-quatre Moritons, devant le poste de télévision de ses parents, lorsque sera révélée la mort du Tsar Ivan V dans la nuit fatidique de ce dix-huit mars 2013.

Pas un banc de la cathédrale n’était vide. Sur tous, étaient assis des membres importants de chaque maison noble du Tsarat tandis qu’au premier rang, se tenait évidemment la famille impériale. Tous étaient parés de leur plus beau uniforme, leur plus belle robe, leurs médailles cliquetante et étincelante à la lueur des bougies et des rayons du soleil qui filtraient par les vitraux, mais tous portaient aussi à leur avant-bras gauche un brassard noir, par respect et honneur au défunt Tsar Ivan V, décédé dans la nuit du dix-huit mars, mais dont la nécessité de couronner rapidement son héritier avait fait que ledit couronnement avait eu lieu moins d’une semaine après le décès, à savoir six jours, alors que la tradition réclamait un laps de temps d’au moins un mois entre la période de deuil et le sacre. Par ailleurs, pour la première fois dans l’Histoire du Tsarat, des journalistes et des caméras ont été autorisés dans la cathédrale, afin de rapprocher la couronne de ses sujets… Au moins d’une partie d'entre-eux.

À l'extrémité de l’allée centrale, agenouillée devant l’hôtel les mains jointes, se tenait la jeune Anastasiya Ivanovna Rhemianovna. Fille aînée de feu Ivan V, c’est elle qui fut désignée comme héritière par son père, et c’est ce pourquoi le couronnement s’est fait peu de temps après le décès du défunt souverain, afin d’éviter toutes contestations possibles de la part de membres de la famille impériale étendue, ou bien de la part d’autres maisons nobles.

Ainsi commence le sacre. Le patriarche de Tsaryngrad : Monseigneur Vladimir Dvorkovitch Orelik psalmodia des prières aux différents Saints, avant de prendre la couronne impériale des mains d’un page qui se recule le plus prestement possible une fois ses dites mains libérées.
Tenant maintenant l'œuvre d’orfèvrerie, le Patriarche pose alors délicatement la couronne sur la chevelure coiffée d’un chignon bas de la future Tsarine. Une fois, cela fait, ce dernier clame alors de sa voix de baryton :
— “Anastasiya Rhemianovna ! Fille de feu le Tsar Ivan V. Héritière des Empereurs de Rhème et des Grands Saints de Moryakie. Promets-tu de régner avec sagesse et justice et de protéger et mener ton peuple dans la foi et la vertu, et ce, jusqu’à la mort ?”

Cette dernière répond alors d’une voix douce, celle d’une fille devenue tout récemment une jeune femme ; elle n’a alors que vingt-et-un an :

— “Moi Anastasiya Rhemianovna. Fille de feu, le Tsar Ivan V. Héritière des Empereurs de Rhème et des Grands Saints de Moryakie, jure de régner avec sagesse et justice et de protéger et mener mon peuple dans la foi et la vertu, et ce, jusqu’à la mort.”

Et le Patriarche reprit : “Et promets-tu de défendre, et la foi, et les traditions qui nous sont chères, comme ton père, et son père avant lui.”

Anastasiya eut un moment d’hésitation, elle ne répondit pas tout de suite. Les traditions ; certains, mongoles ou slaves, voulaient les conserver, se protéger de la modernité qui arrive telle un raz-de-marée. Et certains sont prêts à employer la force et la violence pour se faire. Mais il y a aussi les autres, la nouvelle génération, dont la nouvelle Tsarine fait partie. Elle répondit alors à voix basse : “Oui, je promets.”

Le Patriarche déclama alors, toujours de sa voix de baryton : “Anastasiya Rhemianovna ! Fille de feu Ivan V. Héritière des Empereurs de Rhème et des Grands Saints de Moryakie. En ce jour du vingt-quatre mars de l’an de Grâce 2013, au nom des Saints et de tes illustres prédécesseurs, Tu deviens dorénavant Sa Majesté Anastasiya II. Tsarine de Petite-Moryakie et Khatan de Moritonie. Que les Saints guident ton règne dans la bienveillance envers tes peuples, tel un pasteur envers ses brebis.”

Suite à cela, le nouveau Tsar, ou plutôt la nouvelle Tsarine se leva, seule, prenant de court, pages et autres aides de camp censées traditionnellement aider le nouveau souverain à se remettre sur pied. Ce geste donna un léger hoquet de surprise au Patriarche, peu habitué à ce que l’on transgresse les traditions, en particulier en sa personne et surtout le jour même du sacre, après avoir fait la promesse de les respecter.

Une fois debout, Anastasiya se retournera et fera le chemin inverse à son arrivée dans l’allée centrale de la cathédrale. Sur le perron, l’attendra une calèche, celle utilisée par tous les Tsars et Tsarines lors de leur sacre respectif. Le véhicule à part ailleurs été restauré à la perfection pour cette occasion. La calèche l’amènera au perron du Palais doré et de là, elle partira pour le grand balcon, d’où elle pourra observer, avec le reste de la famille impériale —étendue— à ses côtés, un défilé militaire organisé par le 1er régiment d’infanterie dit, de la Garde, le 1er régiment de cavalerie ainsi que les cosaques du Rek’, nommés ainsi par rapport à la localisation de leur territoire, en amont du Zolotaya Reka, l’unique fleuve du pays. Ces trois unités militaires seront accompagnées par les Chœurs des Cosaques Impériaux, qui interpréteront

Да живее царя!

en l'honneur de la nouvelle Tsarine.