Texte retrouvé dans la chambre d'un prisonnier s'étant suicidé :
Tout cela est très triste lorsqu’on y pense. Tous ces gens qui se battent sans savoir pourquoi, comme un instinct de survie. Les blancs tuent les noirs, les hommes violent les femmes, les adultes méprisent les enfants. On me répondrait sûrement que tout est plus complexe, que cela a des raisons… Je ne savais pas que ces actes pouvaient posséder une quelque justification. En revanche, la raison de cette réponse, qu’un adulte m’a donné pour toute cause à la haine du monde, est que je ne suis encore qu’un enfant.
Dans les rapports entre adultes de même couleur et de même sexe, cela ressemble souvent à une discussion entre humains ou une discussion entre chiens. Soit, ils peuvent aboyer, mais les deux semblent égaux. Lorsqu’on observe une conversation entre un adulte et un enfant par exemple, on peut s’apercevoir que l’adulte se croît humain, et que pour lui l’enfant est un chien. Souvent on m’a traité comme tel, ainsi qu’un peuple face à un dirigeant.
Certains me diront sûrement que mon discours est rempli d’amalgames, que je confonds tout et que ce que je dis ne signifie rien. Cela m’importe peu, je n’ai pas la prétention d’écrire quelque chose avec même un minimum de bon-sens. Je parle de ce que je vis, de ce à quoi cela me fait penser, et c’est aussi simple que cela.
Si les rapports que j’entretiens avec les membres de mon espèce d’un âge plus avancé ne se déroulent guerre bien, ma relation avec mes pairs ne saurait, à son tour, qu’être traitée de chaotique, bien que cauchemardesque soit un terme qui puisse également convenir. Les personnes de mon âge paraissent ne pas comprendre que si je suis étrange par rapport à eux, eux le sont aussi pour moi. Bien que je sois un littéraire, et cela corps et âme, je m’aperçois tout de même que la vie, dans son aspect social, est relativement mathématique, et que les gens ressemblent énigmatiquement à des nombres, ayant un comportement similaire. Quels qu’ils soient, la valeur absolue de la différence entre deux nombres-individus est toujours la même lorsque les deux sont échangés. Le fait d’écrire peut-être, de lire de la véritable littérature et d’écouter de la musique agréable que les gens traitent abusivement de classique constitue une fausse entre ma génération et moi, ou entre moi et elle.
Dès petit, déjà, j’étais différent. Je commençais, peu à peu, à détester le monde. En vérité, j’avais réalisé un immense amalgame, car pour moi le monde se résumait aux gens, comme encore pour beaucoup. Et comme beaucoup, j’ai commencé à rêver. Soit le rêve est un monde d’espoir, un monde au caractère plutôt heureux et optimiste, et le miens l’était, il était aussi profondément cruel et aussi perturbant qu’il était énigmatique.
En plein dans ma jeunesse, la nuit avant de m’endormir, et le jour, à la place d’observer mes congénères masculins se muer en porc à l’approche d’une belle jeune fille, j’élaborais ma théorie étrange, mon hypothèse insensée, mon autre univers. J’avais du mal avec la réalité : je me disais que tout était infiniment complexe, et que les personnes de mon entourage ne pouvaient être les mêmes que celles qui se battaient jadis pour les droits de chacun. Mes contemporains étaient trop stupides, ignobles, et je regrettais d’en faire partie malgré moi. Ainsi, sociabiliser fut un processus d’une ampleur inconnue de quiconque, de moi parfois, tant je ne savais par quel procédé mon corps réagissait de la sorte à des interactions, souvent même banales, avec une telle déconnexion et arrogance. Ma vie, du moins jusqu’ici, fut une œuvre parsemée de crainte et d’actes que tous supportaient hormis moi.
Mon esprit fut marqué par une volonté de croire à un autre monde, un monde plus intelligent, un monde où tout irait mieux par le simple fait que chacun n’agisse stupidement dans son coin et son intérêt personnel. J’ai alors cru, m’égarant dans mes pensées, que mon existence était inscrite dans un vaste domaine, fermé mais trop grand pour le savoir, trop bien organisé, trop bien pensé. Nous, ceux que je côtoyais, n’étions qu’handicapés de l’esprit, défait de raison, et on nous mettait ensemble en nous faisant croire que cela était la vraie vie. Rien ne me permettait de vérifier cette théorie, et bien que je fusse conscient de son caractère peut-être complotiste, le fait que rien ne puisse la défaire me laissa perplexe un bon nombre d’années, durant lesquels les relations avec mes pairs en furent navrée d’un dédain profond, et plus particulièrement celui de mon sexe que j’exècre.