25/02/2015
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Activités étrangères dans l'Empire Listonien

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Activités étrangères dans l'Empire Listonien

Ce topic est ouvert à tous les joueurs possédant un pays validé. Vous pouvez publier ici les RP concernant les activités menées par vos ressortissants en Empire Listonien. Ceux-ci vous permettront d’accroître l'influence potentielle de votre pays sur les territoires locaux. Veillez toutefois à ce que vos écrits restent conformes au background développé par le joueur de l'Empire Listonien, sinon quoi ils pourraient être invalidés.
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Albigärk. Albigärk. Ton nom sonne comme un rêve délavé, si proche et déjà si lointain. Je le vois dans mes songe mais éveillé, je peine à le saisir. Albigärk. Ville de fantasme et d’incrédulité, tout ici semble dire « nous sommes d’un autre monde » et ce monde est à portée de main.

Occupant une place fondamentale dans l’imaginaire des nations de l’ancienne Royauté d'Albi, Albigärk la capitale des arts et des sciences s’était parée d’une aura de mystère depuis sa prise par l’Empire Listonien, plus de cinquante ans auparavant. Tranché d’un coup sec ce lien du cœur, les frontières s’étaient refermées comme des guillotines et la cité estudiantine que les anciens avaient connu pendant leurs jeunes années avait pris des allures de fantasme interdit depuis que des étrangers l’avaient rendu inaccessible.

Du moins, c’était ce que la pop culture pharoise aimait à raconter.

Dans les faits, les mouvements de population entre les anciennes terres d’Albi et leur ex-capitale n’avaient jamais vraiment cessés. Malgré la prise de la cité, les locaux ne s’étaient pas évaporés du jour au lendemain et à Albigärk on parlait bien plus le tapiolais, le genevois et le vieux pharois que toute autre langue. Les difficultés d’approvisionnement faisaient qu’on y mangeait de la cuisine traditionnelle d’Albi, avec des produits régionaux et qu'au quotidien, c'était encore principalement un mode de vie d’Eurysie du nord qui prédominait. C’est qu’on n’efface pas des siècles de culture en quelques décennies, surtout quand cette dernière avait été en son temps l’une des plus riche et précurseure de la région.

Les habitants d’Albigärk, intégrés à l’Empire Listonien, avaient continué à passer au Syndikaali qui prenait grand soin de laisser ses frontières ouvertes et si l’inverse n’était pas aussi simple, au Syndikaali on se rendait à Albigärk, un commerce structuré de passeurs et contrebandiers veillant à rendre le passage le plus confortable et sans risques possible.
On allait à Albigärk pour trois raisons principalement : la première était le tourisme. L’ancienne capitale d’Albi possédait une architecture typique de la région qui tranchait avec l’esthétique plus brute de la plupart des autres villes du Syndikaali. La deuxième raison était le commerce : incapable d’être autosuffisante, bien éloignée de la métropole listonienne, Albigärk ne pouvait se passer du commerce avec ses voisins qui après un petit temps d’adaptation suite au changement de propriétaire, avaient tout simplement continué comme avant. Business is business.

La troisième et dernière raison de se rendre à Albigärk était l’espionnage.
Nation longtemps secondaire dans la grande foire géopolitique internationale, le Syndikaali bénéficiait néanmoins depuis fort longtemps d’un problème gênant : son inhospitalité. Composé en grande partie de marais impropres à la culture et d’une météo infernale alternant entre les tempêtes marines, le gel et le blizzard, l’hiver au Syndikaali était une vraie plaie qui malgré le caractère résiliant des Pharois les avait de tout temps poussé à émigrer. En résultait le paradoxal avantage que depuis fort longtemps des diasporas pharoises existaient ici et là à travers le monde, travaillant principalement dans les ports en tant que marins, marchands, explorateurs et mercenaires.

La Couronne d’Albi la première avait perçu l’intérêt stratégique de cette situation et pour compenser la pauvreté de ses sols et sa démographie en berne, s’était spécialisée dans la collecte d’information. Littéralement de l’espionnage, qui pouvait aussi bien passer par de l’infiltration des douanes, le recueil de ragots de tavernes permettant de préméditer des actes de piraterie, ou bien l’attaque des premiers navires postaux pendant le XVIIème et jusqu'au début du XXème siècle. La Couronne encourageait ses ressortissants à déstabiliser les nations qui la menaçaient et payait rubis sur l'ongle toute information stratégique cruciale.

Le Syndikaali avait gardé cette tradition. Mieux : il en avait fait l’une de ses principales forces. Rares étaient les pays à pouvoir concurrencer la densité des réseaux d’espionnage pharois en Eurysie et depuis les premières communications par ondes radios au début du siècle ces dernier se faisaient un malin plaisir de laisser trainer leurs capteurs et antennes paraboliques camouflées comme autant d’oreilles indiscrètes disséminées dans la région, pêchant à la volée des secrets inavouables.
De tous ces réseaux, aucun certainement n’était aussi puissant que celui d’Albigärk. La ville se trouvait littéralement au cœur du Syndikaali et dépendait de ses exportations. Les occasions ne manquaient donc pas d’introduire dans la province le matériel et les agents nécessaires pour garder un œil sur elle. Le Syndikaali pouvait au demeurant compter sur une certaine loyauté de la population locale à son égard. Si Albigärk avait été indépendante pendant plus d’un siècle, la frontière réelle entre elle et le Syndikaali n’avait jamais été très évidente au quotidien et passer de l’une à l’autre signifiait simplement passer d’un régime de loi à un autre assez similaire, comme on changerait de bureaucratie. Du reste, culture, langue et même monnaie étaient restés les mêmes.

Face à cela, l’Empire Listonien ne pouvait apparaître que comme d’un dépaysant exotisme sudier. Pays de culture latine, venu d’Eurysie méridionale à plus d’une dizaine de milliers de kilomètres de distance par voie de mer, le choc culturel était rude, y compris pour les Listonien eux-mêmes qui durent s’acclimater aux températures de la région, bien plus difficiles à supporter qu’en métropole.
Plusieurs choses pourtant rapprochaient Pharois et Listonien à commencer par leur goût pour la navigation et le voyage. Mais cela pesait-il suffisamment pour faire accepter la présence d'un envahisseur à une population conquise ? Sans doute pas complètement.

Pour ne pas faciliter les choses, dernier détail mais non des moindres, Albigärk avait été dirigée pendant un siècle par un régime anarchiste. Si cela expliquait malheureusement sans doute sa relative incapacité militaire à se défendre, il n’empêchait que la transition entre la permissive, festive et autonome cité estudiantine vers une province assujettie à une monarchie expansionniste n’allait pas de soi.

Tous ces facteurs avaient indiscutablement joué alors que la flotte du Syndikaali était balayée par le puissant Empire Listonien, ses agents revenaient pas la petite porte truffer le tissu économique et social de la ville d’espions et d’agitateurs. Pendant plus de cinquante ans, Albigärk était devenue le laboratoire d’expérimentation de la doctrine d’espionnage du Syndikaali, d’abord balbutiante puis apprenant de ses échecs, de plus en plus efficace.

Et dans l’ombre des ruelles, dans les caves enfumées des bars, à l’abri des soutes humides des navires à quais, dans les locaux poussiéreux des universités historiques, quand la nuit tombait sur Albigärk, cela chuchotait, cela conspirait, parlant à voix basse dans l’ancienne langue, le vieux pharois, des propos inaudibles pour l’envahisseur, grouillant d'espoir et de secrets.
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Aatami : Mesdames et messieurs bonsoir, bienvenue dans cette nouvelle émission de Syndikaali Aujourd’hui, la chaîne de débats qui fait le point sur l’actualité internationale et la part belle à tous les points de vue, ici on cause des vrais sujets, sans se cacher derrière son petit doigt.


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♪♫ Jingle ♪♫


Aatami : Aujourd’hui on revient sur le statut de la ville d’Albigärk que le Gouvernement pharois propose de faire évoluer. Dans quel sens ? Quels sont les enjeux ? Je vous propose d’en débattre tout de suite avec nos deux invités de ce soir : madame Inkeri Salonen et monsieur Maximiliano Dolores, bonsoir à vous deux, merci d’avoir accepté notre invitation.

Inkeri Salonen : De rien, c’est toujours un plaisir de débattre avec vous Aatami.

Maximiliano Dolores : Bonsoir à vous et merci.

Aatami : Inkeri Salonen, vous êtes née à Albigärk, de nationalité listonienne donc mais vous vous déclarez « albienne » d’abord. Vous êtes porte-parole de l’association de l’amitié Albienne et militante au parti Cœur d’Albi, vous soutenez une réunification des quatre territoires de l’ancienne Couronne au sein d’une Confédération, je ne me trompe pas ?

Inkeri Salonen : Pas du tout, c’est un portrait très juste !

Aatami : Et vous monsieur Dolores, vous êtes professeur d’histoire agrégé de l’université d’Albigärk, mais natif de Listonia et résident à Albigärk depuis douze ans, vous êtes spécialiste de la colonisation listonienne au XIXème et XXème siècle, merci d’avoir accepté de nous apporter votre éclairage.

Maximiliano Dolores
: C’est un plaisir, je trouve cela important d’informer nos concitoyens sur leur propre histoire afin de dissiper certains malentendus ou idées fausses et permettre ainsi de recontextualiser certains évènements.

Aatami : Alors Maximiliano Dolores je commence avec vous, vous êtes un spécialiste des questions coloniales pendant les deux derniers siècles, c’est donc la seconde vague coloniale listonienne si j’ai bien compris ?

Maximiliano Dolores : C’est exacte, oui, du moins en termes d’importance.

Aatami : Une vague tardive, c’est cela ?

Maximiliano Dolores : En effet, même s’il est difficile de vraiment parler de colonisation pour l’Empire Listonien au XIIème siècle puisqu’il s’agit plus de l’établissement de comptoirs marchands que de colonies de peuplement comme on en verra à compter du XVIème siècle, la question de véritablement occuper ces territoires en tant que colonies de peuplement viendra plus tardivement dans l’histoire.

Aatami : Alors c’est passionnant mais on ne va pas pouvoir tout évoquer alors concentrons-nous sur la colonisation en Eurysie du Nord c’est-à-dire en 1831 pour les deux provinces du Détroit et plus d’un siècle plus tard la ville d’Albigärk en 1949 : qu’est-ce que cette colonisation là a de spécifique dites-nous ?

Maximiliano Dolores
: Déjà c’est une colonisation de conquête il faut le rappeler, on ne parle pas de terres vierges, où poser ses valises.

Aatami : Vous parlez d’Albigärk là ?

Maximiliano Dolores
: C’est l’exemple le plus emblématique, oui, puisqu’il s’agit d’une ville entière, développée, avec un rayonnement international et qui est prise par la force par une action armée. Mais on pourrait dire la même chose des autres provinces, il y a des gens qui vivent là et qui du jour au lendemain voient débarquer des soldats leur annoncer qu’ils sont Listonien.

Aatami : Alors qu’est-ce que ça implique, dites-nous ? J’imagine que les enjeux ne sont pas les mêmes ?

Maximiliano Dolores
: Oui il y a d’abord la question des populations locales qui n’ont pas disparu et ont donc appris à vivre sous un joug étranger. Alors bien sûr plus le temps passe moins la pression est forte mais tout de même, on estime qu’il faut entre sept et huit générations pour qu’il y ait véritablement créolisation des cultures, et à condition qu’il y ait une volonté du conquérant en ce sens, évidement. Sinon, on out s’attendre, même des siècles plus tard à voir ressurgir des volontés de retrouver une certaine souveraineté sur des terres historiques, la question de l’indépendance, c’est naturel, ou au moins de retrouver l’autonomie perdue, parfois au nom d’une identité fantasmée ou d’un âge d’or pré-colonial, ce n’est pas toujours quelque chose de concret mais cela travaille forcément les esprits, surtout lorsque cela fait à peine cinquante ans que la province a été conquise.

Aatami : Vous dites : « il y a des volontés d’autonomie qui peuvent ressurgir », vous pensez que la question de l’indépendance, c’est une question qui se pose aujourd’hui ?

Maximiliano Dolores : Vous savez toutes les questions se posent, ce qu’il faut se demander c’est en quels termes et pour faire quoi ? Déjà je doute que l’Empire consente à lâcher ses colonies sans réagir, ce serait risqué pour lui et un message dangereux envoyé à ses autres possessions qui risquent de se demander : s’ils l’ont fait là-bas, pourquoi pas ici ? Ensuite cela pose tout de même beaucoup de questions logistiques notamment celle des Listonien sur place. Mais plus généralement, le principal problème que je vois dans tout cela c’est la difficulté de faire émerger des instances capable de faire le lien entre ceux qui veulent l’indépendance et l’Empire, ne serait-ce qu’à cause de la distance.

Aatami : Inkeri Salonen, vous avez sans doute une opinion là-dessus ?

Inkeri Salonen : Oui bien entendu. En ce qui nous concerne avec le parti Cœur d’Albi nous avons une position beaucoup plus radicale sur la question : l’Empire Listonien a profité de certaines fragilités structurelles et historiques des nations albiennes pour s’emparer par la force de territoires sur lesquels il n’a aucune légitimité…

Maximiliano Dolores : C’est la légitimité coloniale.

Inkeri Salonen : S’il vous plait ne me coupez pas la parole.

Aatami : Allez-y.

Inkeri Salonen : Aucune légitimité puisque nous sommes face à une situation de conquête militaire d’un état souverain, il ne s’agit pas, comme vous le dites de « poser ses valises », d’ailleurs je trouve cette conception de la colonisation particulièrement déplacée, il n’existe pas vraiment de territoires vierges, ils possèdent tous leurs histoires, leurs peuples, même si ces derniers ne sont pas directement présents sur place. Que diriez vous si quelqu’un venait planter son drapeau sur une de vos plages sous prétexte qu’il n’y a personne à l’horizon ? On ne « pose jamais ses valises » monsieur Dolores, cela se fait toujours dans la violence et la spoliation.

Maximiliano Dolores
: Alors évidement je ne niais pas la dimension violente de la colonisation, simplement je soulignais qu’il y a une différence fondamentale entre s’installer sur un territoire en apparence inoccupé…

Inkeri Salonen : En apparence, c’est le mot.

Maximiliano Dolores : Oui enfin bon… et prendre une ville par droit de conquête, ça n’a pas les mêmes conséquences à commencer comme je le disais pas la question des populations locales puisqu’il y a le traumatisme de la guerre et la mise en place d’un rapport extrêmement coercitif entre vainqueur et vaincu.

Inkeri Salonen : Ce n’est effectivement pas la même chose mais le fond reste le même, la colonisation est illégitime par principe, je ne laisserai pas dire qu’il y aurait des formes moins dures que d’autres.

Aatami : Donc vous seriez prête à soutenir tous les mouvements décoloniaux à travers le monde ?

Inkeri Salonen : Sur le principe oui, et s’ils en expriment la volonté, je crois que le droit à la souveraineté est absolument fondamental, c’est même le premier de tous les droits puisqu’il ouvre la porte aux autres.

Aatami : Mais alors concernant les positions du Cœur d’Albi, cela va plus loin comme projet je ne me trompe pas ?

Inkeri Salonen : Oui nous militons pour une réunification des quatre entités en une confédération.

Aatami : Tapiolie, Genevier, Syndikaali et Albigärk donc ?

Inkeri Salonen : C’est cela, et tous les territoires qui ont appartenu un jour à la couronne.

Aatami : Et l’Empire Listonien alors, qu’est-ce que vous en faites ?

Inkeri Salonen : Je pense qu’il a vocation à partir des mers du Nord.

Aatami : Monsieur Dolores, cela vous semblerait un scénario envisageable ?

Maximiliano Dolores
: Encore une fois, tout est possible, cela s’est déjà fait et déjà vu. Nombre de pays aujourd’hui parfaitement fonctionnels ont d’abord été des colonies qui ont suivi un processus de rupture. Notez quand même que dans l’histoire, et je ne dis pas cela pour vous embêter madame Inkeri mais en général cela donne des nouvelles nations, on a rarement vu le rattachement à une entité antérieure ou régionale. Les gens qui militent pour l’indépendance veulent rarement retourner sur une nouvelle autorité exogène.

Inkeri Salonen : J’entends parfaitement monsieur Dolores mais le cas d’Albi est particulier, la restauration d’une entité confédérale recouvrant les frontières naturelles de la Couronne serait l’équivalent de la formation d’un nouveau pays, indiscutablement, je pense qu’Albigärk y trouverait son compte, surtout qu’il s’agit de la capitale historique.

Maximiliano Dolores : Oui mais vous voyez que là nous sommes dans l’expectative, je ne vois aucun rapprochement entre la Tapiolie, le Syndikaali et le Genevier allant dans ce sens pour le moment.

Aatami : Monsieur Dolores n’a pas tort et on ne peut pas dire que votre parti fasse de gros scores électoraux dans ces trois pays, est-ce que cela met en suspend la question de la décolonisation jusqu’à ce que vous arriviez au pouvoir ?

Inkeri Salonen
: Tout ce que je peux vous dire c’est que si le Cœur d’Albi arrive au pouvoir nous exigerons l’indépendance d’Albigärk, en effet, mais cela ne veut pas dire qu’il faut nous attendre pour cela, vous savez moi je ne fais pas carrière, si je vois mes idées mises en place par les autres j’en serai heureuse, aujourd’hui je suis ressortissante listonienne par les hasards malheureux de la guerre, mais mon identité est profondément albienne et c’est cela qui compte. Si le Syndikaali, le Genevier ou la Tapiolie disait demain « nous voulons qu’Albigärk soit indépendante » je les soutiendrai assurément, quel que soit le parti au pouvoir.

Aatami : Dans ce cas là on pense plutôt au Syndikaali puisque c’est de là-bas que sont venues les premières exigences pour repenser le statut d’Albigärk. Vous êtes en contact avec des Pharois vous ?

Inkeri Salonen : Bien sûr, notre parti est trans-national donc nous sommes en contact avec des gens dans les quatre pays mais il est vrai que pour le moment c’est le Syndikaali qui semble à l’initiative. Après je pense que si la question d’Albigärk devait se poser sérieusement la Tapiolie et le Genevier voudraient forcément avoir leur mot à dire sur la question et je pense que cela pourrait être l’occasion rêvée pour parler sérieusement d’un rapprochement.

Aatami : Donc si je vous comprends bien il faudrait voir une éventuelle indépendance d’Albigärk non comme le résultat de la formation de la confédération que vous appelez de vos vœux mais plutôt son moteur ?

Inkeri Salonen : Les deux cas de figures nous vont, c’est le résultat qui compte.

Aatami : Mais vous devez bien avoir une stratégie politique tout de même.

Inker Salonen : Moi je suis citoyenne d’Albigärk c’est donc là-bas que je milite et mon agendas est : l’indépendance de la capitale. Maintenant si les autres membres du Cœur d’Albi souhaitent suivre une autre direction je le respecterai, pour le moment sur le terrain nos revendications sont claires néanmoins.

Aatami : Monsieur Dolores, comment l’Empire Listonien peut-il répondre à la crise actuelle ? La plupart des pays décolonisent aujourd’hui, il n’y a guère que la Sérénissime République de Fortuna qui garde ses territoires et un peu le Grand Kah ; pourquoi eux y parviennent-ils ? Est-ce que l’Empire Listonien pourrait s’inspirer de leur exemple ?

Maximiliano Dolores : Alors c’est toute l’importance de distinguer les différents types de colonisation. En ce qui concerne Fortuna, elle possède surtout des comptoirs respectueux des identités locales et qui bénéficient – c’est un facteur indiscutable – de la prospérité de la métropole. Ces enclaves sont anciennes et placées stratégiquement sur des voies commerciales, elles n’ont aucun intérêt à retrouver leur indépendance, au risque de subir la concurrence de la Sérénissime.

Aatami : Mais c’est la même chose pour l’Empire Listonien, non ?

Maximiliano Dolores : Alors pour les territoires placés sur le Détroit, indiscutablement, oui. Le problème c’est que l’influence des grandes puissances eurysiennes, Walserreich, Francisquiens et Pharois empêche les Listoniens de rester concurrentiels, l’Empire est trop dispersé pour pouvoir lutter contre des mastodontes économiques qui pèsent de tout leur poids sur cette région spécifiquement.

Aatami : Et pour le Grand Kah alors ?

Maximiliano Dolores
: Alors c’est un contre-exemple intéressant puisque pour le coup, le fonctionnement politique fait que chaque colonie est une commune et jouit donc d’une très grande autonomie locale, là non plus je pense qu’il n’y a pas de volonté sécessionniste tout simplement parce que l’intérêt économique et militaire n’est pas dans l’indépendance : si vous avez votre souveraineté politique et qu’en plus vous bénéficiez du poids militaire de la métropole alors quel est l’intérêt de s’isoler ? Surtout que le monde est loin d’être stabilisé à l’heure actuelle, ce n’est pas forcément le moment de faire bande à part.

Aatami : Et pour Albigärk, dans ce cas ? Quel est le pour et le contre ?

Maximiliano Dolores : Pour ou contre rester dans l’Empire c’est ça ?

Aatami : Oui, par exemple ? Peut-être dites nous les raisons de rester d’abord ?

Maximiliano Dolores : Alors assurément le réseau international, l’Empire Listonien est présent sur les cinq continents, en posséder la nationalité c’est donc une formidable ouverture sur le monde, on le comprend aisément.

Inkeri Salonen : Pardon je vous coupe mais enfin les albiens n’ont jamais été les derniers pour partir à l’aventure. Certes ils n’ont pas colonisé mais dire que l’Empire Listonien ouvre une fenêtre pour le monde c’est prendre les auditeurs pour des naïfs.

Maximiliano Dolores : Reconnaissez quand même que ce ne sont pas les mêmes opportunités d’expatriation…

Aatami : Inkeri ?

Inkeri Salonen : Non je dis que vous exagérez bien trop les avantages par rapport aux inconvénients.

Maximiliano Dolores : Attendez je n’ai même pas pu finir mes explications, et puis il n’y a pas que ça…

Aatami : Inkeri pour vous c’est quoi les inconvénients ?

Maximiliano Dolores : Si on ne me laisse pas parler aussi…

Inkeri Salonen
: Vous avez quasiment monopolisé toute la discussion, attendez !

Aatami : Inkeri allez-y.

Inkeri Salonen : Eh bien la souveraineté, on ne le redira jamais assez, Albigärk est une colonie parmi des dizaines d’autres, isolée, loin de tout et l’Empire souhaite l’isoler d’autant plus en dressant des frontières encore moins étanches avec le Syndikaali, il n’y a pas de vision autre que géostratégique pour la cité, si le destin d’Albigärk est de devenir une grande base militaire les citoyens ne vont pas suivre, il ne faut pas oublier qu’à la base c’est une ville étudiante et un grand centre d’art, les gens ne veulent pas d’un conflit étranger en plein cœur de leur cité.

Aatami : C’est vrai que cela pèse dans la balance.

Inkeri Salonen : Bien entendu, Albigärk est une ville de culture par excellent, une culture que l’Empire Listonien bafoue chaque jour en se comportant en conquérant, sa dernière proposition de changement de nom de la cité en est un exemple flagrant. Cinquante ans que les Listonien sont dans les mers du Nord mais ils n’en ont toujours pas compris l’essence, c’est ce qui les perdra.

Aatami : Maximiliano Dolores vous partagez cette analyse.

Maximiliano Dolores : Je pense qu’il y a eut des maladresses, c’est indiscutable, après il ne faut pas caricaturer le débat non plus, sans enquête d’opinion claire je me garderai bien de prononcer un avis sur les intentions des habitants d’Albigärk. Pour ma part en tant que natif de Listonia je n’ai jamais ressenti d’animosité entre nos deux peuples, en fait la cohabitation se passe très bien et…

Inkeri Salonen : Pardonnez moi monsieur Dolores mais si vous habitez dans les quartiers chics de la ville cela ne m’étonne pas, on y a acheté la paix sociale, allez demander aux étudiants qui peinent à trouver du travail à cause de la politique absurde de visas si la cohabitation avec l’Empire leur réussi.

Maximiliano Dolores : Ne faisons pas les naïfs tout de même, nous savons bien que les frontières sont de vrais gruyères…

Inkeri Salonen
: Du côté Pharois oui, mais pour obtenir un visa de travail listonien c’est une autre affaire.

Maximiliano Dolores : Allons la conversation part dans tout les sens, parle-t-on des pharois en Albigärk ou des Listonien au Syndikaali ?

Inkeri Salonen : Une chose est sûre en tout cas, ça ne va pas aller en s’arrangeant.
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Les frontières existent pour être franchies, voila bien une devise de contrebandier. Normal alors que les Pharois, peuple pirate dans l’âme, leur accorde si peu de considération.

A l’occasion du Nouvel An, c’est comme si Albigärk refaisait un peu partie d’Albi. A l’occasion de la traditionnelle fête du réveillon, c’est plusieurs milliers de navires qui se sont éparpillés dans le golfe pour y tirer leurs feux d’artifice et fêter la venue de la nouvelle année en mer. Des bateaux qui se rencontrent, s’échangent des victuailles, de l’alcool et des stupéfiants, passent quelques minutes ensemble ou bien toute la nuit, telle est la philosophie de cet évènement annuel venant rythmer le calendrier du Syndikaali.

Cette année, Albigärk ne sera pas exclue de la tête. Sous le regard complice des Garde-Côtes – la force d’intervention civile pharoise – les navires du Syndikaali n’ont pas tardé à s’en aller voguer au large de l’ancienne capitale, tirant leurs feux d’artifices haut dans le ciel nocturne pour signaler leur présence. Des manifestations de joie et d’amitié qui n’auront pas manqué d’attirer les curieux et les nostalgiques sur les docks du port. A distance, plusieurs chants traditionnels de minuit ont été entamés en vieux pharois, la langue archaïque du territoire, à l’aide de hautparleurs de chaque côté du port. Moments de communion et de retrouvailles à distance, bientôt suivis par des retrouvailles beaucoup plus concrètes puisque si certains habitants d’Albigärk ont rejoint la flottille pharoise en bateau pour fêter avec elle le passage à la nouvelle année. A l’inverse, passée une certaine heure de la nuit et parfois un certain niveau d’alcoolémie, plusieurs navires ont accosté aux environs d’Albigärk et allumé des feux sur la plage. Une pratique typique des adolescents du pays qui a rapidement transformé certains coins de la côte en véritable piste de danse sur fond de grosse musique diffusée par des enceintes laissées dans les navires à proximité.

S’il n’est pas rare que le Nouvel An pharois transcende les frontières et soit un moment de rapprochement entre des peuples voisins, il n’empêche que celui-ci possède un innocent arrière-fond politique. A l’heure où les tractations entre l’Empire Listonien et le Pharois Syndikaali semblent ne pas avancer quant au sort d’Albigärk, les retrouvailles entre leurs populations sur fond de traditions régionales envoient un message clair à tout observateur politique un peu attentif : aujourd’hui comme hier, Albigärk et le Syndikaali n’ont jamais été aussi proches.
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Il est des évènements qui pour festifs qu’ils soient sont également révélateurs de grands drames à venir. Ce que les médias appellent d’ores et déjà le « double nouvel an » n’a pas fini de faire couler de l’encre aux commentateurs politiques de tout bords. En effet, si une partie des habitants d’Albigärk ont rejoint les Pharois venus fêter le passage à la nouvelle année, une autre a préféré se réunir à part pour célébrer la prise de guerre de la ville. Une même population qui se divise, malgré les paroles pacificatrices des autorités listoniennes le chiffon semble bel et bien brûler entre pro-colonialisme et anticolonialisme. Une fracture que beaucoup soupçonnaient déjà et qui vient de prendre à l’aune de ce début d’année 2006 un tournant beaucoup plus concret.

Le Parti Cœur d’Albi jubile et ses représentants au Syndikaali et à Albigärk ont prévu de se rencontrer dans les plus brefs délais lors d’un sommet appelé « projet de réunification ». Le ton est donné. Si le Cœur d’Albi est militant de longue date pour le retour des quatre entités albiennes au sein d’une même confédération, leurs revendications ne semblaient jusque là pas avoir trouvé de véritable écho au sein de la société. Désormais la représentante du Cœur d’Albi à Albigärk, madame Inkeri Salonen, l’annonce haut et fort « il y a un véritable désir de rupture avec l’ordre illégitime imposé par les listoniens, nous travaillons à présent à bâtir aujourd’hui les ponts qui permettront la réunification demain et le rétablissement d’Albigärk comme capitale légitime de la péninsule. »

Des déclarations qui n’ont pas encore donné lieux à des commentaires du côté du gouvernement Pharois toutefois, bien que les partis Meremme et Alliance Septentionale se soient déjà prononcé en faveur du départ des listoniens.
Difficile pour l’heure de savoir si la population de la cité millénaire suivra, toutefois une chose est certaine, le changement de nom d’Albigärk par les autorités coloniales de l’Empire semble avoir été le déclencheur d’un mouvement de protestation certain. Réveillant semble-t-il un sentiment de frustration quant au sort des albiens qui se sentent de plus en plus citoyens de seconde zone. Un sentiment alimenté par les agitateurs et la diaspora pharoise, massivement présente à Albigärk.

Si le sentiment anti-impérialiste des marchands pharois n’ayant pas digéré la somme toute récente défaite de 1949 est encore bien présent, celui-ci craint de moins en moins de s’exprimer au grand jour et les déclarations d’Inkeri Salonen relégitime le désir d’une réunification.



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Tract d'agitprop retrouvé dans les rues d'Albigärk.
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Quelque part du côté d'Azur

Le Coq se redressa sur son siège lorsque le Bœuf et le Singe pénétrèrent dans l’enceinte du sanctuaire, flanqués du Dragon. A ses côtés, le Cochon fit mine de ne pas remarquer la présence des invités, tout occupé qu’il était à éplucher ses dossiers et à ratifier quelques contrats dont il avait le secret. Dans l’ambiance feutrée de la salle de lecture, chaque pas sur le parquet faisait chanter les lattes telles des rossignols. Quiconque pénétrait dans le sanctuaire était immédiatement annoncé par le doux chant des lames de bois savamment étudiée pour « chanter » à chaque pression.

Le Bœuf prit place à la table et sortit sa tablette électronique. Le Singe ne daigna pas faire de même et alla s’asseoir sur un des fauteuils en cuir noir proche de la fenêtre, non sans s’être servi un verre de whisky dans la commode. Quant au Dragon, il ne perdit pas son temps et s’éclaircit la voix …

Le Dragon :
« Messieurs, madame, si vous le voulez bien, ne perdons pas notre temps en formalités. Nous avons du pain sur la planche. Comme vous le savez, notre gouvernement a estimé qu’il était de bon ton de jouer au bras de fer avec ces bras-cassés de Listoniens. D’ordinaire, la situation ne nous concernerait guère, mais les Listoniens se montrent menaçants et le gouvernement a estimé que … »

Le Singe : « Depuis quand nous mêlons-nous de ce que le Cercle Intérieur veut ? »

Le Bœuf claqua de la langue, visiblement agacée par l’outrecuidance de son confrère.

Le Dragon : « Nous nous en mêlons parce que l’Empire Listonien n’a pas l’intention de lâcher ses prétentions sur les terres de nos ancêtres et celles de nos voisins et que cela menace directement et indirectement notre commerce. Quelle confiance pouvons-nous apporter à des gens nous traitant de sauvages bons à civiliser ? »

Le Singe :
« Vous estimez donc que les Listoniens peuvent nous … menacer ?! Cher Dragon, vous avez de l’humour ! Ce n’est pas deux ou trois patrouilleurs dans les eaux internationales qui sont de nature à vous inquiéter quand même ? »

Le Coq : « Ce n’est pas cela, Singe … Les Listoniens ne sont pas une menace militaire, mais le fait qu’ils trouvent l’audace de contester notre suprématie sur la péninsule est un facteur d’instabilité qu’il nous faut contrôler. »

Le Dragon : « Le Coq a bien compris la situation. Les gesticulations listoniennes mettent à l’épreuve les capacités du Jashuria à maintenir sa domination dans la péninsule. »

Le Cochon releva les yeux de ses dossiers et agita la main d’un air dédaigneux, presque méprisant.

Le Cochon : « Leurs sanctions sont pourtant ridicules … »

Le Bœuf : « Elles le sont, cher Cochon, ça, nous ne le nions pas. Il s’agit typiquement d’un cas où la grenouille cherche à devenir plus grosse que le bœuf. »

Le Dragon : « Tout à fait, mais cette grenouille devient gênante et risque d’éclater au mauvais moment. Les marchés mondiaux nous font confiance pour maintenir la paix dans la région, notamment grâce au Grand Canal et à nos actions en matière d’économie. Si la Listonie veut s’amuser à mettre en doute la suprématie de la Table, ses gesticulations risquent d’instiller des facteurs de doute sur notre capacité à écraser nos concurrents régionaux. »

Le Singe : « Je ne pense pas. L’Empire Listonien est totalement moribond. Ils viennent tout de même de se mettre à dos la moitié des ambassades du monde. Ils sont au mieux une épine dans notre pied. »

Le Dragon : « Certes, mais il faut retirer cette épine avec vigueur avant que la plaie ne s’infecte. Le Cercle Intérieur souhaite que … »

Le Singe : « Docile Dragon, porteur de la voix de ses maîtres … »

Le Bœuf : « Cessez, Singe. L’affaire est importante ! »

Le Singe pris son verre de whisky et le leva en direction du Bœuf, la gratifiant au passage d’une grimace convenue. Tous les invités de la Table n’appréciaient pas les accointances du Dragon avec le Cercle Intérieur … mais en tant que représentant du complexe militaro-industriel du Jashuria, il était normal qu’il soit en contact direct avec les plus hautes instances dirigeantes du pays. Mais le Singe, taquin, ne pouvait s’empêcher de rappeler que la Table n’était pas une succursale du Cercle Intérieur et que si leurs objectifs pouvaient converger, les Invités du Bouddha opéraient seuls.

Le Dragon : « Je disais donc … que le Cercle Intérieur nous « demande » de bien vouloir mettre une pression économique aux ports de Macao et de Iestonie, afin de les déstabiliser. J’attends donc des propositions de la Table allant dans ce sens. »
Le Cochon : « Outre le fait qu’ils se déstabilisent eux-mêmes en se coupant de nos infrastructures, notre commerce n’a pas eu à en souffrir. Les Listoniens ne constituent pas un marché florissant pour nos activités et nos entreprises. En revanche, nous pouvons tout à fait déstabiliser sa monnaie. La Livre Listonienne ne vaut pas grand-chose … si nous utilisons les bons leviers sur les banques mondiales, elle ne vaudra plus rien du tout. Et si la Livre Listonienne ne vaut plus rien, les gens partiront des ports de Macao et de Iestonie. Les gens vont là où va l’argent … et il ne me semble pas que le Jashuria ai appliqué de quelconques sanctions à l’égard des ressortissants listoniens. »

Le Coq : « C’est exact. Nous pouvons facilement augmenter le coût de la vie sans pour autant créer un blocus. Il suffit de montrer aux marchés financiers que la Listonie est un facteur d’instabilité. Nous savons actuellement qu’elle passe plus de temps à acheter du matériel militaire qu’à développer ses industries civiles. Il ne sera pas compliqué de prouver qu’elle est peu fiable et de détourner progressivement les capitaux des ports de Macao et d’Iestonie. »

Le Singe : « Vous oubliez la proposition de médiation de la Parisie. »

Le Bœuf : « La Parisie n’a pas les moyens de s’opposer à nous. C’est un petit pays, très accroché à ses valeurs républicaines, mais qui cherche encore à se tailler une place en Eurysie. L’ambassadrice Preecha va entamer des négociations avec eux. Le Jashuria a tout intérêt à sponsoriser la Parisie et la prendre sous son aile. Mais cela, c’est du ressort de l’ambassadrice. Notre action est totalement invisible car non politique. Tant que nous nous cantonnons à l’aspect financier et marchand, il ne s’agit que de … comment dites-vous déjà ? Ah oui … l’action impartiale de la « main invisible du marché » ! »

Le Dragon : « Et que faisons-nous des Listoniens de Macao et d’Iestonie ? »

Le Coq : « C’est une population assez disparate. On y trouve aussi bien d’anciens colons que des natifs de la péninsule. Les natifs de la péninsule auront tôt fait de partir vers d’autres contrées, étant donné qu’ils maîtrisent les langues et que la plupart effectuent du travail frontalier. Etant donné que nous n’avons pas bloqué les visas, nous pouvons tout à fait, en déstabilisant les marchés listoniens, créer les conditions pour que la population locale migre vers les pays voisins. Non seulement, les provinces listoniennes au Nazum vont s’appauvrir, mais aussi se vider de leur population. A moins que les Listoniens ne les prennent en otage … »

Le Singe : « Ce qui serait un comble ! »

Le Dragon : « Oui, mais qui pourrait tout à fait jouer en notre faveur … »



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Quelques jours plus tard – Port de Macao

« Quoi ?! Mais c’est scandaleux ! 120 Livres Listoniennes pour une baguette !? Mais elle était à 80 Livres il y a une semaine ! »

Mawapee Sarani, petit employé de bureau sans envergure de Macao, était totalement outré ! Le prix du pain avait augmenté en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Son épicier contre-attaqua fermement :

« Ecoute Sarani, arrête de râler ! C’est le prix du pain désormais. 120 Livres Listoniennes ou tu repars sans rien.

- Mais Oliveiro, tu n’vas pas m’dire que tes prix sont normaux là !

- Ecoute moi bien Sarani, c’est pas ma faute si les tiens font que le prix du blé augmente !

- Comment ça les miens ?! »


Oliveiro De La Almas, épicier de son état à Macao, fier Listonien de souche, s’essuya son front de cinquantenaire avec une serviette humide et toisa le petit homme qui lui pompait son air frais. Dans la file d’attente, les gens s’étaient tus.

« Ouai, t’as bien entendu ! C’est à cause des Jashuriens comme toi que les prix grimpent vu que les livraisons baissent. Vous êtes tous de mèche, vous les Nazumis. Alors tu payes tes 120 Livres Listoniennes et tu la fermes, sinon je te sors. Et estime toi heureux que j’appelle pas la garde.

- Mais tu t’entends parler Oliveiro !? On se connait depuis plusieurs années. Je viens toutes les semaines à Macao ! Tu me connais quand même. Tu crois vraiment qu’on est une cabale qui conspire contre toi ?! Mais t’es devenu dingue ma parole !?

- Dégage Sarani ! Tu fais peur au client. Tu veux pas payer ton pain, alors tu dégages ! »


Mawapee Sarani, petit employé de bureau de Macao, se retrouva hors de l’épicerie en moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, poussé à la porte par les Listoniens. Il se retrouva totalement désemparé dans les rues de la ville. Son regard se perdit dans les étals du marché. Il constata amèrement que les prix avaient considérablement augmenté. Les entreprises de la région cessaient progressivement leurs livraisons, préférant privilégier les ports sous bénédiction jashurienne. Les produits devenant de plus en plus chers à importer, le prix des biens de première nécessité augmentait de manière drastique. Si le pain s’était pris une hausse considérable car le blé pousse difficilement sur les sols de la péninsule, que dire des autres biens de consommation !?

Vivre à Macao devenait de plus en plus impossible, aussi bien pour les Listoniens, que pour les natifs de la région. Si les prix continuaient d’augmenter, alors Mawapee Sarani et de nombreux autres devraient partir de l’enclave listonienne et trouver du travail ailleurs. Et au vu de l’ambiance délétère avec les Listoniens et les contrôles drastiques aux frontières, les frontaliers travaillant à Macao risquaient de tenter leur chance ailleurs, notamment au Jashuria, où le travail payait tout autant … mais où au moins, on pouvait acheter son pain sans se faire agresser verbalement … et sans risquer de vider son compte épargne.


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Appel à manifestation lancé par divers organisations de la société civile pour protester contre les tentatives du gouvernement Listonien de museler l'opposition. Les organisateurs dénoncent "un coup monté" et un "procès politique" orchestré par le pouvoir colonial.


Co-signataires de l'appel à manifester :

  • L'Association d'Amitié Albienne (AAA)
  • Le Coeur d'Albi
  • Les amis d'Albigärk
  • Association de préservation du patrimoine historique albien
  • Syndicat des étudiants, enseignant-chercheur et du personnel de l'université d'Albigärk
  • Association des parents d'élève pour une éducation en langue pharoise
  • Amitié Genevienne
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Vision d'Albigärk la mystérieuse, sous la neige en ce mois de janvier 2006.


A Albigärk, la volonté du gouvernement listonien de ne pas laisser s’exprimer la société civile semble de plus en plus évidente avec la récente interdiction de manifester de plusieurs associations et organisations politiques. Une grogne que le Gouvernement Pharois ne semble pas disposé à vouloir éteindre puisque la petite ville de Naapuri, à quelques kilomètres d’Albigärk mais de l’autre côté de la frontière, s’est proposée pour sa part d’accueillir les manifestants. Les gardes-côtes du Syndikaali, toujours positionnés au large d’Albigärk, ont ainsi laissé passer les citoyens souhaitant rejoindre Naapuri, sous les applaudissements et encouragements.

A Albigärk, l’agitprop du gouvernement du Syndikaali continue de plus belle : financement de campagne d’affichage, dons de fortunes privées aux associations locales, la section Pharoise du Cœur d’Albi a également annoncé l’augmentation du budget de ses dotations à la section d’Albigärk du parti. Actuellement sous le feu des critiques en Listonie depuis l’arrestation controversée de sa porte-parole, madame Inkeri Salonen, que les cadres pharois dénoncent comme une arrestation politique, le Cœur d’Albi n’a eu de cesse d’écumer les pateaux télé et émissions de radios pour dénoncer le non-respect de l’Etat de droit dans l’Empire. Un matraquage médiatique qui semble avoir son petit effet, au moins au sein de la population du Syndikaali chez qui l’intérêt pour « la question de l’indépendance d’Albigärk » augmente de douze points selon un récent sondage.

A demi-mot désormais, le gouvernement pharois semble effectivement pousser en ce sens en validant presque systématiquement les demandes du Cœur d’Albi et de ses sympathisants pour influencer l’opinion publique de l’ancienne capitale, où désormais la question de son rattachement au Syndikaali fait l’objet de toutes les attentions. Pour ou contre, personne n’échappe à la discussion, nourrie par le travail actif de la société civile qui anime quotidiennement le débat à l’aide d’émissions thématiques, de campagnes d’affiches sauvages et de meetings plus ou moins confidentiels.

La menace de dix ans de prison ferme de l’Empire Listonien en cas de rassemblement non autorisés a paradoxalement autant refroidi que remonté à bloc les militants qui critiquent désormais haut et fort l’autoritarisme du pouvoir colonial et sa volonté ouverte d’empêcher la société civile de jouir de ses droits fondamentaux à manifester et se rassembler, en plus d’opérer une discrimination politique et ethnique vis-à-vis des natifs d’Albi. Malgré le danger, l’annonce du Syndikaali de la fermeture de son espace aérien, défendu par la puissante technologie DCA du pays et qui enferme de fait Albigärk au milieu du pays, a redonné du courage aux manifestants qui se savent soutenu par les autorités publiques de leur puissant voisin.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule action du Syndikaali à Albigärk. Fort de son historique réseau d’espionnage au sein de l’ancienne capitale, celui-ci travaille activement à retourner l’opinion publique contre le pouvoir colonial. En ciblant syndicats et associations étudiantes, très nombreux dans la cité célèbre pour ses universités, les services secrets pharois entendent passer sous les radars de la censure listonienne en pariant sur le bouche à oreille pour avancer ses arguments pro-rattachement au Syndikaali. Tracts, brochures, éléments de langage fabriqués dans les cabinets noirs de communication, le matériel ne manque pas aux militants pour vanter les avantages que représenterait la réunification d’Albigärk au « grand frère » pharois.

La machine semble donc lancée à Albigärk, nourrie autant par l’action du Syndikaali que celle de l’Empire Listonien qui semble persuadé que seule une réponse musclée permettra d’endiguer le mouvement de fond prenant place au sein de sa colonie. L’avenir est encore incertain, bien entendu, mais force est de constater que l’enclavement désormais physique de la cité la rend de fait bien vulnérable et isolée aux yeux du monde.
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08 janvier 2006 - Port de Macao
Mawapee Sarani, employé de bureau de son état à Macao, ne vivait pas la meilleure journée de sa vie. Un vieux dicton jashurien disait que les emmerdes allaient par trois. Il en avait déjà rencontré une aujourd’hui.

La situation était quelque peu électrique en ce moment. La méfiance entre Listoniens et Péninsulaires s’était un peu exacerbée depuis les dernières semaines et malgré l’accord trouvé par la Parisie, les Listoniens avaient vécu comme une agression le fait de savoir qu’ils auraient pu être boutés hors de la Péninsule par les Jashuriens si l’envie leur en avait pris. Les Listoniens, de bon droit, en étaient venus à se méfier un peu des Péninsulaires et certains voyaient en eux des gens indignes de confiance. Les regards se tournaient quand les Péninsulaires entraient dans les épiceries listoniennes, d’ordinaire accueillantes. L’ambiance était de plus en plus lourde et malgré le relâchement des tensions au niveau national, il régnait dans les ports de Iestonie et Macao une pesanteur délétère. Celle-ci s'apaiserait certainement, mais l'exacerbation des tensions entre les individus, liée à l'augmentation du prix des denrées, restait encore palpable.

Tandis que Mawapee Sarani cherchait à s’abriter de la pluie battante qui s’abattait sur le port de Macao, il ne pouvait que se lamenter sur son sort. Lui qui pensait que la situation allait s’améliorer et voilà qu’à huit heures du matin, sur un coup de tête, son patron – un Listonien pure souche – le renvoie du poste qu’il occupait depuis maintenant 25 ans. La raison ? Il diffusait une « mauvaise ambiance » dans l’open-space. Pourtant, c’était toujours lui qui amenait les gâteaux préparés par sa femme et sa belle-mère lors des fêtes et personne ne s’en était jamais plaint ! Discret et travailleur, il avait toujours entretenu de bonnes relations avec ses collègues, quelles que soient leurs origines. En 25 ans, pas un regard déplacé, pas un mot plus haut que l’autre ! Et le voilà viré ! Viré sur un motif scandaleux … et sans possibilité de recours puisque le droit listonien ne lui permettait pas de plaider sa cause auprès des prud’hommes.

Viré, il déambulait avec son carton de fournitures de bureau, l’âme-en-peine, dans les rues de Macao. Trouvant un abribus désert, il profita de l’occasion pour sécher ses vêtements et protéger ses objets personnels. Le stress le tenaillait. Qu’allait-il dire à sa femme et ses enfants ? Comment retrouver du travail à son âge ? Qu’allait-il devenir ? Désemparé, il songeait à son crédit, à ses projets de vacances et à la perspective de devoir écrire un CV … Il n’était pourtant qu’un simple employé de bureau. Son truc à lui, c’était de compter les chiffres, de les aligner sur des classeurs Excel et de vérifier que la somme en bas était cohérente. Que représentaient ces chiffres ? Il n’avait jamais vraiment su. On lui demandait d’additionner, pas de commenter. Etait-ce seulement important maintenant ?

Il se débarrassa de son imperméable usé et plongea sa tête entre ses deux mains, complètement abattu. A ses côtés, son vieux carton de fourniture, portant l’imprimé d’une entreprise vendant des bananes et des fruits exotiques. Celui que les Listoniens lui avaient donné … C’était donc ça qu’il additionnait depuis toutes ces années ? La vérité derrière tous ces chiffres dans les feuilles Excel … Des fruits exotiques. Mawapee Sarani, comptable dans une entreprise de vente de fruits exotiques. Et maintenant, Mawapee Sarani, chômeur trempé. Sa vie ne pouvait pas être pire qu’à cet instant. Du moins, le croyait-il ?

« Hey le bridé ! T’as pas du feu ? »

L’ex-employé de bureau releva les yeux et découvrit derrière ses lunettes embuées les silhouettes de cinq jeunes gens. Au vu de leur accent, c’étaient des Listoniens, probablement des jeunes du quartier. Il se souvenait vaguement qu’à côté de son open-space se trouvait un lycée … ou un centre de formation, ou un truc du genre.

« Non … désolé … je n’ai rien pour vous, dit-il d’un air penaud.

- On t’entend pas grand-père. T’as dit quoi ?
reprit le meneur.

- Je … j’ai dit que je n’ai pas de feu,
bredouilla-t-il. »

L’un des jeunes hommes fit un pas dans sa direction. Il remarqua alors que l’un des autres se postait à côté de l’arrêt de bus, le regard dans le lointain. Il guettait. Mawapee sentit un frisson lui courir l’échine. Le meneur s’approcha et posa sa main près de la tête du pauvre employé de bureau en se penchant vers lui.

« Ca va pas l’faire le Jash’. T’as pas d’feu, tu vas peut-être nous donner d’quoi acheter un briquet, non ?

- Je … je n’ai pas d’argent. Je viens d’être viré, je n’ai rien sur moi.

- Ben voyons ! Tu m’en diras tant. Hey les gars, le Jash’ dit qu’il a pas d’argent, vous l’croyez ça ? Mon gars, tous les Jashuriens ont de l'argent, on l'sait. Vous êtes blindés et vous voulez pas partager, c'est tout. »


Ses camarades ricanèrent. L’un d’entre eux s’approcha de son carton de fournitures et plongea sa main à l’intérieur. D’instinct, Mawapee Sarani attrapa son carton et le tira vers lui.

« Ne touchez pas à ça ! Ce sont mes affaires !
glapit-il. »

Les jeunes hommes se raidirent. Le plus âgés, celui qui l’avait abordé, prit un ton plus sombre.

« Attend … tu viens d’me donner un ordre là ? »

Mawapee n’eut pas le temps de répliquer ou d’objecter quoi que ce soit. Sa vue se brouilla quand son front heurta violemment la vitre de l’abribus. Les jeunes hommes se jetèrent sur lui et le rouèrent de coups, sous le regard médusé des quelques passants, trop apeurés pour l’aider. Les coups plurent, il cria. Mais personne ne vint à son secours. La dernière chose qu’il entendit avant de sombrer dans l’inconscience fut :

« On veut pas d’vous ici les Jashuriens ! »

2846
08 janvier 2006 – Hôpital du port de Macao
« Ah ! Monsieur … hum … Sarani … Oui oui … mmmmmh … Bienvenue parmi nous monsieur Sarani. Je suis le docteur Leitao. Alors monsieur Sarani, on a fait tout ce qu’on a pu pour vous remettre en état, mais votre jambe gauche est cassée. »

Mawapee Sarani grommela sous l’effet de la morphine. Il avait mal … et le souvenir de s’être fait rouer de coups continuait à marquer sa chair. Enveloppé dans les draps, la jambe tenue dans un plâtre suspendu au lit médical, il essaya de remuer. Ses affaires ! Où étaient ses affaires ? Il essaya de parler, mais sa bouche était telle du coton.

« Mmmmppph…mmmmmh »

Le médecin prit un air agacé. Il reposa le dossier sur le lit médical.

« Ecoutez monsieur Sarani, je comprends que vous soyez pressé de partir, mais comprenez votre situation. Vous avez agressé ces pauvres jeunes gens au niveau de cet abribus. Les pauvres sont terrifiés et ont du être pris en charge par la cellule psychologique de l’hôpital. Je ne vais pas vous cacher, monsieur Sarani, que la police vous attend à l’entrée de cette chambre pour vous poser des questions quant à cet incident. »


Stupeur. Mawapee écarquilla les yeux tandis que son cerveau enregistrait l’information. Lui ? Coupable ? Mais ce n’était pas du tout ce qu’il s’était passé ! Il avait été agressé sauvagement par des Listoniens ! Ils l’avaient insulté, lardé de coups et laissé pour mort dans cette rue. Il remua à nouveau, paniqué, mais entendit un cliquetis à son poignet. D’un regard, il vit que son poignet droit était serti de menottes, fermement arrimées aux barreaux d’acier. Son cerveau paniqua et il s’agita aussitôt dans le lit.

Le docteur Leitao prit peur immédiatement. D’un pas vif et alerte, il appela la sécurité postée à l’extérieur. Immédiatement, deux policiers pénétrèrent dans la chambre d’hôpital plaquèrent le pauvre jashurien sur le lit. Bien que sous morphine, il sentit le choc d’une violente baffe sur son menton. Les gardes le bloquèrent fermement tandis que le médecin laissait place à un Listonien épais en uniforme avec une épaisse moustache.

« Monsieur Sarani. Je suis le commissaire Silva de la sécurité de Macao. Vous êtes en garde à vue pour avoir agressé des citoyens listoniens à un arrêt de bus il y a deux jours. Monsieur Sarani, je ne vais pas vous cacher que les « votres » nous posent de plus en plus de soucis ces temps-ci. Nous ne pouvons pas tolérer que des gens comme vous mettent le désordre dans notre belle cité. Dès que vous serez en état de parler, vous serez interrogé pour que nous tirions au clair cette histoire. Nos services sont actuellement en train d’examiner vos effets personnels et nous avons perquisitionné votre maison. Votre femme est au courant de vos agissements monsieur Sarani. Nous l’avons interrogé, mais elle s’est montrée très peu coopérative, si bien que nous avons du la mettre en isolement pendant 48h. Quant à vos enfants, ils sont en sécurité chez vos beaux-parents en Péninsule. »

Le pauvre homme, tétanisé, ne put que regarder sa vie s’écrouler devant ses yeux. Comment sa vie avait-elle pu en arriver là ? C’était un cauchemar ! Une grossière erreur ! Il allait se réveiller, c’est certain ! Tout était un malentendu. Il devait forcément y avoir une erreur, un témoin, quelque chose !

Nouveau shot de morphine.

Il sombra dans l’inconscience.
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11 janvier 2006 – Port de Macao

« Bonsoir Macaoooo ! On est heureux d’être là avec vous ce soiiiiiir pour le festival de Leokh Saigon !!! Un ! Deux ! Un, deux, trois, quatre !!! »

Yui Wanyu, dit YU, s’élança sur la scène, accompagnée de son groupe. Devant elle, dans la fosse, la foule hurla au premier accord de son titre le plus célèbre « Only With U », qui avait fait de sacrées ventes en Péninsule, et surtout au port de Macao. La Péninsule accueillait ce mois-ci le festival de Leokh Saigon, un festival assez populaire qui produisait les étoiles montantes de la Jash-pop mais aussi des groupes plus atypiques et moins connotés « pop ». Les groupes, plus ou moins connus, profitaient de cette occasion pour faire « salle pleine » et reversaient une partie des gains à des associations de lutte contre les maladies ou la famine. Cette année, le festival était donné au port de Macao dans l’Empire Listonien, mais aussi dans les grandes villes du Jashuria.

Cette année, les organisateurs du festival avaient convenu avec les artistes et producteurs listoniens que le festival principal se tiendrait au port de Macao, afin de fêter l’apaisement des tensions entre les Jashuriens et les Listoniens. Il faut dire qu’à cette période, les réseaux d’artistes listoniens et jashuriens entretenaient des liens de plus en plus confraternels et étroits. En effet, le Jashuria fascinait par sa culture et les récents développements de la Jash-pop, des Jangas et du cinéma d’art et d’essai commençait à attirer l’attention des Listoniens, qui voyaient dans cette production fourmillante un moyen de renouveler leur propre regard sur le monde. En ce sens, le Jashuria fascinait … et la culture jashurienne s’exportait de mieux en mieux à Macao et Iestonie.

YU était de ces jeunes Jashuriennes née dans la fin des années 80 qui avait goûté au développement effréné du nouveau millénaire. Formée depuis toute petite à la guitare, elle avait réussi à attirer l’œil d’un producteur d’Agartha lors d’un concours de chant populaire, ce genre d’évènement qui permettait à des jeunes jashuriens de monter des groupes éphémères. Les groupes de Jash-pop ne duraient rarement plus de 5 ans, le temps de faire des ventes, d’effectuer quelques tournées et de se séparer quand les membres avaient atteint ce que l’on appelait dans le milieu « l’âge de la retraite », c’est-à-dire vers les 25 ans. A ce titre, YU était une curiosité dans le monde de la Jash-pop, car elle avait soufflé sa vingt-septième bougie la semaine dernière, et restait en bonne position dans les ventes. Si bien sûr, elle n’avait pas le pedigree de Naami Jaswarapan ou le charisme de Naoto Hakeshima, son groupe se défendait pas mal et sortait cette année son septième album, sur un ton plus rock que les années précédentes.

La foule s’était massée dans le quartier des fêtes de Macao et profitait avec entrain des différentes scènes. Plus loin, du côté de la municipalité, le groupe We Are réinterprétait son meilleur morceau sur des accords venus du Jinsei. Leur collaboration avec Yujitaka Watanabe, compositeur connu pour la bande son du film d’animation « Un été sans lendemain » avait fait un carton dans les bacs ! Et si l’on penchait la tête un peu depuis la scène, on pouvait apercevoir le groupe Manolo & Bird, un duo listono-jashurien qui mélangeait habilement les sonorités listoniennes avec les instruments traditionnels jashuriens. En bref, il y en avait pour tous les goûts et dans la foule, de nombreux impressarios, disquaires et maisons de disques n’attendaient que le bon moment pour proposer de juteux contrats à de futures étoiles montantes.

De ce côté-là, YU était plutôt chanceuse. Elle faisait partie de ces chanteuses qui avaient pu transformer sa période de groupe « pop » en quelque chose de plus adulte. Son public avait vécu cette période de « maturation » comme une véritable progression, un chemin vers la découverte de son propre style … du moins, c’était ce qui avait été vendu lors des interviews … et les commentaires s’en étaient trouvés plutôt élogieux. Si tout se passait bien, elle pourrait encore profiter de la scène pendant dix ans et progressivement monter sa propre maison de disques.

Mais surtout, il y avait cette proposition de film d’amour jashuro-listonien avec ce réalisateur listonien, qui était plutôt craquant. Rodrigo De Castillo, réalisateur de drames romantiques. Son style était atypique, mais très élégant. Il avait un regard aussi affuté que la voix de la chanteuse et derrière une caméra, il parvenait à sublimer ses plans et ses compositions filmiques. Son agent avait déjà entamé les négociations de contrat et si tout allait bien, elle débuterait les premières scènes au printemps. C’était une occasion en or pour elle de promouvoir son image autrement que par le chant. Les Jashuriens étaient de plus en plus demandés dans les films et les séries en Péninsule et les Listoniens, bien que réticents de prime abord, avaient été plutôt conquis par les talents de Jashuriens comme le ténébreux Malanani Rawane dans « Attend moi » ou encore de la brillante Noriko Tewine dans « L’Auberge des Dix ».

Petit à petit, la culture jashurienne se diffusait dans la Péninsule et Macao, de par sa proximité avec le Jashuria, pouvait profiter des produits de la culture jashurienne. Les artistes et les réalisateurs, les chanteurs et les producteurs, … tout le monde de l’art profitait de l’occasion pour échanger et développer des projets communs. Le Jashuria fascinait par sa culture joyeuse et raffinée … qui plaisait à une certaine élite listonienne locale, mais surtout à la jeunesse listonienne de Macao et d’Iestonie, qui profitait à la fois de la musique jashrienne, la Jash-Pop, mais aussi des Jangas, ces bande-dessinées en noir et blanc publiées de manière mensuelles. Le port de Macao était de plus en plus friand de ces produits de la culture jashurienne. Et les Jashuriens appréciaient diffuser leur culture au-delà des limites de leur territoire. Le monde devait connaître les raffinements et l’hyperactivité de la culture musicale, filmique et graphique du Jashuria. Macao et Iestonie étaient tellement proches qu’il aurait été criminel de ne pas les en faire profiter.

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19 janvier 2006 – Port de Macao

« Et hop, voilà ma p’tite, le dernier numéro « Samurai Countdown» ! fit le vendeur d’une voix enjouée. »

Manuelo Camillo Di Paolo, vendeur de bandes dessinées de son état, fit jouer le son de son tiroir-caisse tandis que la petite demoiselle lui tendait son gros billet de vingt livres listoniennes. Lui rendant la monnaie sonnante et trébuchante, il ne put s’empêcher de constater qu’encore une fois, c’était « Samurai Countdown » qui tenait le haut des ventes dans sa petite boutique de Macao. Le tome 15 venait de paraître et il s’arrachait déjà dans les bacs. Les jeunes Listoniens venaient aux heures de pointe pour le réclamer, et, fort heureusement pour lui, il avait de quoi satisfaire tous ses potentiels clients. Car Manuelo Di Paolo était quelqu’un de prévoyant … et les maisons d’édition jashuriennes étaient aussi très contentes de pouvoir exporter leurs produits dans des boutiques comme la sienne.

Repassant dans les rayonnages, il observa d’un œil expert son stock de bandes dessinées. Les Jangas, ces BD jashuriennes, se vendaient comme des petits pains, à contrario des BD plus classiques, qui attiraient surtout des Listoniens dans la quarantaine. Le public des Jangas, plutôt jeune, était aussi celui qui écoutait cette fameuse Jash-pop – ou J-pop – et il n’était donc pas étonnant que ses bacs de disque de musique jashurienne se vident à la même vitesse que ses bacs de Jangas.

Cette situation le peinait quelque peu. Certes, les Jangas étaient particulièrement attractifs, avec un style graphique étonnant, mais il ne pouvait s’empêcher de penser que, quand même, la BD traditionnelle listonienne avait un charme certain. Il haussa les épaules à cette pensée : l’argent coulait à flots depuis qu’il avait accepté de vendre les romans graphiques et les disques jashuriens. Et cela ne l’empêchait pas d’avoir ses habitués encore friands des bandes dessinées traditionnelles venues de Listonie.

Manuelo se rendit dans la réserve et commença à ouvrir les derniers cartons venus du Jashuria. Il déballa les exemplaires de « Samurai Countdown », pas nécessairement des tomes 15. Beaucoup de jeunes Listoniens avait récemment découvert, par le bouche-à-oreille, cette série d’action. Il fallait donc racheter les premiers exemplaires pour que les acheteurs puissent s’offrir des collections complètes et rattraper leur retard. L’éditeur avait même envoyé une affiche grand format à placer devant la vitre de la boutique pour attirer le chaland. Il n’y avait pas à tortiller, ces Jashuriens savaient bien vendre leurs produits et créer des affiches attrayantes. Elle serait du plus bel effet à côté de l’affiche des « Chevaliers de Listonie », l’une de ses BD listoniennes qui se vendait le mieux.

Il finit de déballer les ouvrages et tomba par hasard sur le journal officiel de Listonie. C’était l’un des rares périodiques qui était imprimé dans les territoires d’outre-mer de Listonie et il faisait figure d’autorité. Les vendeurs le livraient assez régulièrement devant sa porte, mais il ne s’en souciait guère. Or … aujourd’hui, un article attira son attention. L’article était frappé du sceau du Saint Siège de l’Eglise listonienne.

« L’Eglise Listonienne en appelle au boycott des produits jashuriens, réputés sataniques ! Mais c’est quoi ce délire ?! »

Le Saint-Siège venait d’appeler les Listoniens à ne plus acheter les produits culturels jashuriens. Mais pourquoi ? Ca se vendait comme des petits pains ! Les gens étaient contents et en plus, ses finances étaient au beau fixe depuis que les maisons d’édition jashuriennes exportaient leurs produits culturels dans sa petite boutique ! De plus, il allait bientôt pouvoir embaucher, afin d’alléger sa charge, et peut être même de racheter le fond de commerce à côté pour pouvoir étendre sa boutique. Non, vraiment ! De quoi l’Eglise se mêlait-elle ?! S’il ne vendait plus de Jangas, comment allait-il pouvoir finir ses fins de mois !?

Il lui fallait d'urgence passer quelques coups de fil. En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, il avait contacté les différents vendeurs de bandes dessinées et disquaires de Macao pour connaître leur position vis-à-vis de l'Eglise. Certains vendeurs listoniens étaient peut-être des gens certes pieux, mais personne ne pouvait vivre de foi et d'eau fraiche. Les affaires marchaient bien avec les produits jashuriens sur leurs étals. Avec ça, ils pouvaient se projeter dans l'avenir et faire mûrir leurs activités. Il apparut rapidement un consensus : les disquaires et les vendeurs de BD continueraient de travailler avec les fournisseurs jashuriens. Le manque à gagner était trop grand si les commerçants listoniens se coupaient des produits culturels jashuriens.
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20 janvier 2006 – Port de Macao

« Stop !!! Vous pouvez pas faire ça !!! C’est ma marchandise. cria le vendeur à l’adresse de la police. »

Manuelo Camillo Di Paolo, vendeur de bandes dessinées de son état, essayait tant bien que mal d’empêcher la police de Macao d’emporter son stock de disques de j-pop et de jangas jashuriens. La police n’avait pas trainé. Dès l’annonce du boycott des produits jashuriens par le gouvernement, les vendeurs de BD de Listonie et les disquaires s’étaient affolés. Personne ne pensait que le gouvernement prendrait le parti de l’Eglise et se mettrait à censurer puis à détruire les œuvres littéraires d’un autre pays. Visiblement, la police allait se contenter de s’emparer de tous les œuvres jashuriennes sur son territoire et de les jeter à la mer. L’eau avait l’avantage de tout détruire et il n’y aurait nul besoin de tout passer par le feu.

Quoiqu’il en soit, il s’agissait d’un coup dur pour le monde de la culture en Listonie et notamment dans les ports listoniens de la Péninsule. En refusant les produits jashuriens comme les disques de musique ou les œuvres littéraires, c’était tout un pan de l’économie des libraires et des disquaires qui était sabotée ! Leurs jeunes clients voulaient de la musique jashurienne et des BD jashuriennes, pas des produits venus du continent eurysien. Sans ça, Manuelo et bien d’autres étaient condamnés à fermer boutique.

L’un des policiers sortit de sa boutique avec un carton de marchandises à balancer dans la rade du port. Le libraire tenta de s’interposer, en vain. Les policiers le repoussèrent avec le plus de délicatesse possible, afin de ne pas aggraver la situation. Il fallait dire que même pour eux, c’était l’incompréhension. Si l’on commençait à censurer la musique venue de l’étranger, jusqu’où irait-on ?! Bientôt, ce seraient les films, puis après les films, les pièces de théâtre et après les pièces de théâtre, les gens, … Même les policiers listoniens semblaient réticents à l’idée d’exécuter de tels ordres … mais le gouvernement avait tranché. Les produits jashuriens devaient disparaître, qu’importe les conséquences. En guise de compensation, le gouvernement avait racheté le stock qu'il comptait livrer aux poissons. Si le chèque était équivalent à ce qu'il avait payé, il ne compenserait cependant pas le manque à gagner sur le long terme.

Et pourtant, malgré son malheur, Manuelo avait eu beaucoup de chance. Ses confrères, eux, avaient vu leurs librairies vandalisées et incendiées avant même que les forces de l’ordre ne puissent venir récupérer le moindre livre. Si certains groupes armés avaient été délogés par la police, il n’en restait pas moins que de nombreuses librairies et maisons de disques avaient été sauvagement attaquées en ville. Des commerces jashuriens avaient eux-aussi fait les frais de l’autodafé prononcée par l’Eglise. Mais le pire, c’était que la communauté chrétienne de Listonie se félicitait de cette attaque contre la culture ! Manuelo, qui avait dédié sa vie entière à la vente d’imaginaire, ne pouvait que contempler le désastre qui s’était abattu sur ses amis. Et il ne pouvait pas rester là, impuissant, tandis que le gouvernement les arrosait de chèques et de proposition de reconversion.

Mais Manuelo se fichait éperdument d’une reconversion. Pour lui, comme pour tant d’autres, c’était la culture qui le faisait vibrer ! C’était ces longues heures à lire, plongés dans des imaginaires lointains, des histoires fabuleuses, mais aussi le fait de voir le regard des gamins briller de milles feux quand ils découvraient avec bonheur leur personnage favoris surmonter les épreuves ! C’était plus qu’un simple commerce : c’était une passion ! Et le gouvernement listonien leur proposait en échange … une reconversion en dockers et des avantages sur l’électricité ! La belle affaire. Manuelo n’avait pas évité les bancs de l’université et fait sa certification de commerçant juste pour finir docker dans une usine du port !

Le pauvre libraire vit les policiers sortir les uns après les autres avec sa marchandise, arracher les posters et les affiches et repartir avec leur fourgon vers leur prochaine cible. Désemparé, l’homme appela ses confrères. Tous étaient dans la même situation : les livres avaient été emportés pour être détruits et il ne restait plus qu’une liste d’ouvrages autorisés. C’était un vrai scandale ! La censure était revenue dans l’Empire Listonien et les libraires locaux étaient furieux. Il ne fallut pas longtemps pour que les libraires et les disquaires se rassemblent devant la municipalité de Macao, avec de grandes banderoles, pour exiger la restitution de leurs marchandises et le droit de vendre ce que bon leur semblait.

Armé d’une pancarte marquée « Rendez-nous la culture ! », Manuelo Camillo Di Paolo tentait, à son petit niveau, de lutter contre la censure, le boycott et surtout, pour préserver, avec tant d’autres, son gagne-pain ! Debout sur une chaise, il hurlait à l’adresse de la mairie dans un mégaphone plus grand que son crâne, accompagné de la centaine de libraires et disquaires de Macao, rejoints par la jeunesse de Macao, peu disposée à se voir retirer l’un de ses passe-temps favoris. C’était une manifestation pacifique, mais tournée vers un seul but : faire pression sur la mairie pour qu’elle annule l’ordre de boycott.

« Rendez-nous les disques et les livres ! A bas le boycott des produits !!! La culture est à tout le monde, qu’importe d’où elle vient !!! »
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Il en va de la jeunesse comme des vagues : éphémères, elles s’aplatissent sur les berges ou s’écrasent sur les rochers.

Artturi ne comptait pas s’aplatir. Jamais. Se fondre placidement dans l’océan des destinées banales semblait pire que la mort, par bien des aspects. Il avait le verbe haut et sot, une flamme héroïque au cœur et se destinait à mourir jeune pour quelque chose d’important. A quoi bon sinon l’existence ? Les femmes ? C’était compliqué. Les copains ? Ils ne comprenaient rien. Parents, famille, amis, proches, professeur, tout cela s’était fusionné dans un grand moule appelé « système » qui ne parvenait plus à l’atteindre, sinon pour l’emmerder.

Artturi était pétri de mots avant d’être pétri d’espoir, car de l’espoir il n’en avait pas vraiment. Ses idées précédaient le réel et de fait, le réel était l’ennemi car il ne correspondait pas à ses idées. Alors Artturi fuyait le réel, dans une logorrhée affinée au cours des années passées à s’emmerder sur le banc d’un navire école où l’on parlait plus des règles de sécurité et de la bonne conduite en mer que d’histoires de pirates et de conquérants. Artturi rêvait un réel qui n’adviendrait jamais, une utopie lointaine, un idéal qui ne devait pas se concrétiser mais pour lequel il était prêt à tout donner. « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile », il aurait pu se le graver sur le corps, mais il avait préféré les tentacules à l’encre bleue des anciennes croyances païennes, en réaction aux religions ennemies du Christ candaule massacré sans combattre.


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Artturi était un nationaliste pharois, car c’est de cette graine de rêveurs qu’on fait ces gens-là. Un idéaliste, au sens le plus fort du terme, qui croyait aux idées. « Les idées gouvernent le monde » et donc le monde pouvait sans doute correspondre aux idées, à condition de les doter d’une armée. Idées imprécises, idées mal définies, nimbées de mystère puisque le pouvoir est toujours mystérieux. Lointain au peuple, par définition. Il fallait mal définir les choses puisque les choses ne souffraient pas de la controverse, ainsi Artturi parlait « identité », « nation », « culture pharoise », « nature » et « bon sens ». Lorsque parfois il s’essayait à un vocabulaire plus recherché, il pouvait prononcer des mots comme « substantiel » ou « caractère fondamental » sans que cela n’ait autre chose que l’apparence de la complexité. Il n’y a pas de différence profonde entre le mot « nation » et le mot « substantiel » et le mot « identité » et la phrase « c’est comme ça ». C’est tout, c’est comme ça.
C’était des mots incantatoires. Qu’on lui aurait demandé de les préciser qu’il en aurait incanté d’autres. « Qu’est-ce que l’identité pharoise ? » « L’identité pharoise c’est l’anti-impérial. C’est l’insoumission à tout pouvoir institutionnalisé. » « Qu’est-ce que l’anti-impérial ? Qu’est-ce que les institutions ? » « C’est ce qui nous éloigne de notre nature profonde. » « Qu’est-ce que notre nature profonde ? » « C’est ce qui vient tout seul, ce que nous sommes destinés à être, c'est notre identité. »

Boucle rapidement bouclée, l’incantation est faite. Pour le profane, la liturgie du bon sens a quelque chose de mystique : elle ressemble à la vérité révélée. Pour le penseur, elle suscite la méfiance. Si c'est flou, c'est qu'il y a un loup. Ou plutôt, il y a un loup parce que c'est flou. Dans le brouillard des idées naissent les monstres. Dans l'obscurité des abysses de la pensée évoluent les krakens. Mais entre ces gens-là, on se comprend sans définitions. Les mots, puisque c’est uniquement sur cela que repose leur pensée, sont chargés à bloc. Chacun appelle dans son sillage une myriade de nouvelles idées et aucun ne se suffit à lui-même. Paradoxalement si. Le mot est dit : « identité » et tout est dit. Fin de l’histoire, fin du débat, on ne discute pas l’évidence. La bouillie, devrait-on dire.

Mais la bouillie, même insipide, tient chaud au corps et le fait bouger. Artturi avait décidé de bouger. Au nom des idées. Au nom de la nation. Au nom de l’identité pharoise. Aussi avait-il prit la mer, direction Albigärk.
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Froid est l’hiver au Pharois, bien éloigné des climats tempérés du sud, ici les hommes se réchauffent le corps et le cœur avec de l’alcool, des histoires et des passions. Terre étrange au septentrion du monde, anomalie politique et économique, monde atypique, étranger bienvenue, mais n’oublie pas où tu mets les pieds.

Car sous la glace, sommeillent les monstres.

Petit Listonien, si loin de ton foyer, de tes oliviers et de tes vignes, de tes pavés cuits à la chaleur du soleil, des habits légers et des mœurs douces. Dans les rues d’Albigärk la vénéneuse, complexe d’acier et de béton où marchèrent jadis les rois d’Albi, cité universitaire, cité révolutionnaire, berceau des plus brillants esprits d’un continent, nid de dragons et de poètes, tu avances en territoire inconnu. Cinquante années n’ont pas suffit à discipliner le kraken de l’Eurysie et désormais les chaînes ont commencé à céder. Dans les abysses, la bête remue, les hommes parlent sous les néons blafards des entrepôts et des entreponts, dans les amphithéâtres désertés les jeunes gens conspirent à ta perte.
Listonien…
Listonien…

Tu joues avec le feu, à ramener sur ce sol des armées étrangères. A débarquer tes mercenaires. Croyais-tu que nous l’ignorions ? La ville est vaste mais le monde est petit, plus encore pour les services de renseignement du Syndikaali. Au coin des bars, sous les réverbères, Albigärk observe et murmure sur ton passage, des paroles dans une langue ancienne.
Il y a entre ces murs un esprit libertaire qui ne veut pas mourir, cent années d’anarchie et de théorie politique, cent années d’insurrection intellectuelle. L’amour fut déclaré révolutionnaire ici, la joie est devenue une arme de guerre idéologique.

Tu tentes de l’éteindre, petit Listonien, avec les mains.

Ils savent. Ils savent tout. Tes horaires. Tes fréquentations. Dans le blizzard, à quelques kilomètres de ta maison, l’oreille du Syndikaali est tendue. Ses gigantesques antennes paraboliques captent goulument les ondes comme des requins baleines. Au pied des bâtiments, ils scrutent, les espions, les yeux de tes ennemis. Ils savent ; ils savent tout. Sans doute fouillent-ils tes poubelles, les chiens pharois. Les chiens ? Les requins.

Dans la ruelle, un homme marche. Anorak sur les épaules, le visage protégé de la neige de janvier par une capuche en toile imperméable, le visage dissimulé dans l’ombre de l’éclairage public. La Fraternité. L’avais-tu oublié ? Les requins du Syndikaali, les pirates, ils rôdent autour des épaves et emportent avec eux les marins isolés. Pourquoi en irait-il différemment ici-bas ? Les voilà. Tu leur as ouvert tes portes pour éviter l’insurrection. Dos au mur, ils se sont glissés dans Albigärk. Nationalistes, anarchistes, communistes, opportunistes. Différents objectifs, même ambition : rafler la poule aux œufs d’or.

Ils savent. Ils savent tout.

Ils savent que tu perds le contrôle. Que fébrile tu as pactisé avec le diable et fait entrer sur ce sol un corps étranger. Ils savent que tu n’as pas les moyens de tes ambitions. Ils savent que bientôt le festin commencera.

Il n’est pas trop tard pour éviter le pire. Il n’est pas trop tard pour leur jeter en pâture de quoi se détourner de ton épave. Il n’est pas non plus trop tard pour t’enfuir, laisser derrière toi cette ville où tout conspire à te nuire. Rentrer dans ton pays, retrouver tes oliviers et tes vignes, des femmes à la peau douce et la chaleur des après-midis. Il n’est pas trop tard pour empêcher les chaînes de se briser, maintenir la glace en place, sauver les apparences, gagner la paix sociale, comprendre les mœurs, comprendre les ambitions de ce pays étranger.

Non il n’est pas trop tard.

Mais cela arrive.
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