La quiétude des chèvres des montagnes qui vivaient leur existence sauvage à flanc de falaise, au-dessus du Val de Pareng dans la région du Basango, était rarement troublée. Le Val de Pareng était effectivement peut-être l’unique voire l’une des seules permettant le franchissement des hauts sommets mais c’était un chemin qui ne menait nulle part. Les plaines semi-arides et les bas-reliefs qui pullulaient dans le secteur, avaient découragé la plupart des familles paysannes qui avaient fait le choix, sur la décennie écoulée, de venir s’y installer pour travailler la terre. Mais n’en déplaise à nos amis caprins, c’est cette relative désertion du territoire qui attirait paradoxalement les troubles à lui. Les seigneurs de guerre, pourchassés par les forces de la République Sacrée de Mandrarika, étaient en effet contraints et forcés de stationner dans le secteur, alimentant des bivouacs nichés dans quelques ravines capables de les soustraire à la vue des hélicoptères gouvernementaux.
En dehors des troupes gouvernementales de la Mandrarika qui traquaient quotidiennement les Seigneurs de guerre et les soudards à leur solde, il n’y avait rien, strictement rien qui ne justifiait sur ces contrées une attention des paysans, des promoteurs immobiliers ou encore des investisseurs. Aussi lorsque les rares bergers et éleveurs caprins qui animaient la région se trouvaient confrontés à une activité sortant de l‘ordinaire, un certain affolement les habitait, redirigeant leurs hardes de bouquetins qui, précipités avec une certaine grossièreté, entamaient une course bondissante à même le terrain très escarpé.
L’instant d’après, il ne restait plus que les parois nues des falaises abandonnées au passage d’une troupe de combattants aux tenues et aux équipements disparates. Quelques charognards balayaient le ciel les ailes déployées, alors que le destin les avait fait témoins de la scène. La colonne de combattants s’étirait à travers le paysage dominé par une poussière brunâtre, plusieurs d’entre eux fermaient la marche, échangeant des tirs avec ce qui semblait être un véhicule de combat gouvernemental. Malgré la violence de l’instant, les charognards continuaient de tourner en l’air de façon circulaire, sentant manifestement les blessures fraîches portées par certains des fuyards en contrebas, souvenir de leur récente mésaventure qui avait précipité la rencontre entre les forces mandrarikanes et eux.
Au-delà de leurs blessures apparentes, tous avaient les yeux injectés de sang, un teint blême, marquant leur état d’épuisement extrême. Cette course effrénée contre la montre leur avait permis de toucher du bout des doigts la passe du Val de Pareng, avant qu’un tir nourri de mitrailleuse monté sur un pick up, ne les cloue au sol derrière les rochers. L’un d’eux avait tenté un dernier sprint pour s’engager sur le sentier de la passe, où le véhicule gouvernemental aurait été dans l’incapacité de les y suivre. Mais le chemin jonché d’éboulis et de roches tranchantes fit vaciller le pied du fuyard, la cheville foulée. S’évertuant à rester sur pieds, le brigand s’obstina dans sa cavalcade, avant d’être happé par le tir mortel de la mitrailleuse lourde montée. D’une seule rafale, le tireur de l’armée mandrarikane déchiqueta le cou du soudard, désolidarisant sa tête du tronc. Assistant avec effroi à cette tuerie, le reste du groupe des brigands s'aplatit de tout son long au sol pour échapper aux tirs continus de l’engin de mort. Des brigands profitèrent d’un rechargement de l’arme pour échanger quelques coups de feu et inciter les forces gouvernementales à décrocher.
Mais du côté des forces gouvernementales, la puissance de feu leur était acquise et une bonne moitié des brigands tira profit de ce tir de couverture pour décrocher de cet engagement, tentant de rejoindre le sentier de la passe du Val de Pareng et abandonnant leurs frères d’armes à la menace des tirs ennemis ainsi qu’au survol indolent de charognards portés par le vent. Les rares familles paysannes des alentours pouvaient contempler ce balai aérien, auquel se joignaient toujours plus de nouvelles corneilles et vautours, attirés par la promesse d’un festin. Parmi les maraudeurs qui restaient à l’entrée de la passe, se trouvait un jeune homme tout juste trentenaire et qui répondait au nom de Qaasin lorsque ses rares acolytes survivants l’interpellaient. Qassin Andrianjanaka dit “Fennel Cas”, (littéralement le Fennec Rouge en Somali) était le petit frère d’un seigneur de guerre connu de la région, Mukhtaar Andrianjanaka dit “le Chasseur” en référence à la traque continue qu’il est capable d’accomplir pour exécuter ses ennemis.
Contrairement à certains de la bande, le jeune Qassin avait lâché l’intégralité de ses prises de guerre sur le trajet du retour, pour répliquer face aux tirs gouvernementaux et couvrir ses compagnons. Un butin qui trouvait sa provenance dans le sac d’un sanctuaire caaganiste où une demi-dizaine de dévots et fidèles avait été sommairement exécutée par les maraudeurs des frères Andrianjanaka. Qassin, dont le visage était presque rendu méconnaissable par la présence de croûtes de sang sur sa joue, n’avait rien abandonné de sa fougue lorsqu’il fit face à l’ennemi, là où trois de ses compagnons peu courageux avaient eux fait le choix de s’engouffrer sur les sentiers du Val de Pareng, abandonnant à leur sort le frère du commandant. Sous sa tunique bientôt tombée en lambeaux, d’autres blessures sapaient lentement ses forces.
Malgré l’amoindrissement de ses effectifs et la perte d’une puissance de feu face au gouvernement mandrarikan, Qassin et ses maraudeurs pouvaient espérer camper sur cette position avant qu’un bourdonnement sourd ne vienne doucher leurs maigres espoirs. Dans un ciel bleu ensoleillé et à peine nuageux, un point sombre émergea parmi les corneilles, se faisant le nouve annonciateur de la Mort qui arrive. Un Fanafihana Angidimby (un hélicoptère d’attaque FA-51) finit par se montrer ostensiblement, ses pods lance-roquettes bientôt visibles par les hommes du seigneur de guerre qui le virent passer une première fois au-dessus de leur position.
Le bal funèbre qui se jouait au-dessus n’ôtait rien du panache affiché par Qassin lorsqu’il fit une dernière fois face aux troupes gouvernementales, avant de définitivement disparaître ses compagnons et lui sous un écran de fumée et de braises provoqué par le tir de roquettes accompli par le FA-51. Le frère du chasseur est mort, et les trois uniques maraudeurs survivants qui avaient pris la poudre d’escampette sur la passe du Val de Pareng auraient la lourde tâche d’annoncer cette disparition à leur seigneur de guerre.