Les Grands classiques de la littérature cantaiseLa Revue Littéraire vous propose de redécouvrir les grands classiques de la littérature nationale cantaise dans sa nouvelle formule en vous proposant un chapitre d'une histoire inédite de nos grands auteurs : Mathilde Wanon, Jürgen Schreiber, Martina Schulze Jens Koehler ou encore Ursula Berg.
Aujourd'hui découvrez le premier chapitre de la nouvelle exclusive de Jan Schneider, notre plus grand nouvelliste francophone, et sa nouvelle policière "Bernard et le notaire"
Aujourd'hui devait être un dimanche d'élection banal pour Bernard Maix, le réveil sonna à 7h et sa femme comme tous les jours se leva sans faire de bruit et sans allumer la lumière. Elle alla dans la salle de bains, se passa une robe en cotonnade bleue claire après un brin de toilette puis rejoignit la cuisine. Pendant ce temps, Bernard restait dans son lit à savourer la chaleur des draps et des couvertures, loin de la semaine pleines de crimes, de petites frappes et de femmes vénales. Chez lui il n'était plus le commissaire le plus célèbre de Canta, il était Bernard Maix, un tranquille bonhomme de 55 ans avec son embonpoint qui savoure les plaisirs de son logis. Vers 8h il entendit son fils Louis entré dans le séjour et dire à sa femme Mathilde :
- Maman je descends à la boulangerie chercher une baguette fraîche et des viennoiseries. Sais tu si Thérèse a passé la nuit ici ?
- Mon chéri, ta sœur a bien passé la nuit ici et une fois n'est pas coutume elle est seule. Bernard entendit son fils claquer la porte comme il le fait toujours et pensait comme souvent dans ces moments-là à ses deux enfants. L'aîné Louis était un très beau garçon, aimant beaucoup l'exercice physique, qui avait toujours réussi ses études. Cependant Bernard avait toujours du mal à accepter qu'un garçon tel que lui décide de faire des études de droit au lieu de rentrer dans la police.
Il préférerait voir son fils prendre sa relève que de le voir enfermer dans son bureau du palais de justice, prendre un air sombre dans une robe de soie noire. Sa fille Thérèse était aussi une charmante jeune femme pleine de vie mais elle avait beaucoup de succès auprès des garçons mais elle a de plus en plus tendance à ramener ses conquêtes à la maison. Le pire dans tout cela c'est que Bernard avait déjà eu affaire à certains d'entre eux dans des petites affaires de délinquance.
Il se décida enfin à se lever, enfila une robe de chambre puis alla dans le séjour. Il ne fut pas surpris de découvrir Mathilde et Louis parfaitement âpreté mais il ne s'attendait pas à voir Thérèse parfaitement habillé et maquillé à une heure aussi matinale. Il avala rapidement le copieux petit déjeuner que Mathilde avait préparé puis regagna sa chambre et la salle de bains. Mais avant cela il grogna :
Dépêchez vous de vous habiller on doit aller voter.
Ceci amusa les trois autres occupants de la table puisqu'il ne restait plus que lui à se préparer. Comme chaque dimanche il reste un certain temps dans la salle de bains à profiter d'un bon bain, il se rasa et enfila son traditionnel costume gris trois pièces du dimanche. Il retourna dans le salon, Mme Maix avait enfilé un grand manteau et mis un petit chapeau, Thérèse en fit de même et Louis avait enfilé un grand imperméable beige qui lui donnait une allure très distinguée. Ils allèrent à la mairie du IIe secteur à pied. Une petite queue s'était formée et des passants venaient saluer leur illustre voisin. Bernard glissa en premier son bulletin dans l'urne, alla saluer les élus puis se fut au tour de Louis, Mathilde versa une petite larme, tout émue de voir ses grands enfants voter pour la première fois.
Ils regagnèrent ensuite l'appartement de la rue des iris, en chemin Mme Maix décida que toute la petite irait passer l'après-midi au bois de Vincennes et que l'on prendrait le déjeuner dehors. Une fois à l'appartement, Louis changea de veste et Thérèse se de façon plus légère prépara pour sortir.
La petite famille pris le métro vers la porte des champs, mangea sur le pouce un petit sandwich acheté dans une brasserie puis on flâna un peu dans les allées du parc. Louis s'était mis à échanger quelques balles avec un garçon de bonne famille qui lançait des regards en direction de Louis que Mathilde trouvait plus que déplacé. Bernard oublie complètement que demain sera une journée difficile ou il devra sérieusement se pencher sur cette affaire de voleurs marocains. La petite famille retourna rue des iris dans une ambiance légère et détendue. Mme Maix voulait préparer une de ses délicieuses quiches lorraines dont elle a le secret. À la fin du repas le téléphone sonna et Thérèse coupa la radio où les premiers résultats des élections furent annoncés. Tout le monde compris qui appelait, Bernard pris soudainement son air sérieux, son regard noir, ses instants ou on a l'impression qu'il devient deux fois plus massif. Il se leva puis d'un pas lourd décrocha le combiné :
"Allô ! Oui c'est bien moi. Comment ça ? Maître de St Clerc dans son étude ? Quelle adresse ? Rue du IIIe régiment ? Très bien j'arrive au plus vite. "Comme le pensaient les quatre occupants de la maison, c'est bien un policier qui téléphone que le célèbre commissaire Maix enquête sur une nouvelle affaire.
Les enfants, un notaire a été retrouvé mort ce soir dans son étude. Comme vous vous en doutez je dois aller sur les lieux.
Personne ne répond puisque chacun avait l'habitude de ce scénario de belle soirée gâchée par un sale type qui avait tué ou volé dans Paris. Bernard enfile son lourd pardessus usé par le temps, une fois sorti de chez lui il va sur les quais de Seine pour trouver facilement un taxi et rejoint l'avenue Victor Hugo.
Arrivé sur place une foule compacte de curieux s'est formée devant ce bel immeuble haussmannien, des sergents de ville écartent la foule pour permettre à tout le cortège habituel qui suit un crime d'arriver. Les journalistes sont déjà là, Bernard les répugne et se demande comment font ils pour toujours être les premiers arrivés sur place. Les camions de l'identité judiciaire sont également garés le long du trottoir ainsi que les grosses berlines du juge d'instruction et du substitut. Les quatre plaques de cuivre à l'entrée de l'immeuble indiquent que cet immeuble accueille un notaire, deux médecins et un avocat. Le premier réflexe de Bernard est d'interroger la concierge, une petite bonne femme rondouillarde d'une cinquantaine d'année aux cheveux poivre et sel en bataille.
Êtes vous sorti cet après-midi ?
Oui, j’ai fait une petite commission à la pharmacie pour mes petits locataires du 5e, vers 16h30 sinon j'ai été là toute l'après-midi.
Pas de ménage dans l'escalier ou de courrier à monter ?
Non aucunement, je fais toujours cela le matin quand il y a moins de monde.
Quand on voit le nombre de plaques sur la porte je suppose que les allées venues sont nombreuses ?
Oui, surtout l'après-midi, comme un certain nombre de clients de ces messieurs sont des grands de ce monde je fais rarement attention aux personnes qui entrent et qui sortent.
Vous n'avez pas vu de types ou de comportements suspects devant l'immeuble ces derniers temps ?
Pas du tout et pourtant j'ai l'œil pour ces choses là en décembre 1929….
Bernard tourne les talons et monte l'escalier, la concierge ne lui apprendrait plus rien et c'est ce genre de femme dont on ne peux plus se lâcher une fois lancée. L'étude est au 1er étage, dans l'entrée Bernard trouve son brigadier Hercule Avril.
Alors mon petit qui est ce brave homme ?
Gustave de St Clerc est le notaire le plus prisé de l'Ouest parisien, le substitut a demandé qu'on saisissent les dossiers des clients. De ce que j'ai pu voir se ne sont que des grands propriétaires ou notables parisiens.
Gustave de St Clerc… ce nom me dit quelque chose.
J'allais y venir, Gustave de St Clerc était le candidat de la fédération républicaine aux législatives d'aujourd'hui. Les résultats de la Seine ne sont pas encore tombés.
Bernard continue son petit tour de l'étude, salue les autres personnes présentes et entre dans le bureau. C'est un magnifique bureau avec une précieuse tapisserie persane au sol, des meubles en acajou, des fauteuils tendus de cuir vert, une librairie aux livres reliés d'or. La victime est encore assise sur son fauteuil, la chemise tachée de sang, il est facile de deviner qu'elle a reçu plusieurs coups de couteau en plein cœur. Le sol est également recouvert d'une grande tache de sang. Un mode opératoire assez classique que n'importe quelle personne aurait pu réaliser. Un détail frappa cependant Bernard, le bureau est absolument vide, pas un seul papier n'est posé dessus. Même les tampons et stylos si utiles à un notaire ont disparu.
Les techniciens de l'identité judiciaire ont fini leur travail et on décide que les ambulanciers peuvent maintenant retirer le corps. Bernard en attendant fait comme à son habitude dans ce genre de lieu, il touche à tout, prend un livre au hasard et le feuillette rapidement, il ouvre un tiroir et essaye les stylos qui s'y trouvent. Soudainement une clameur retentit dans la rue, Bernard sursaute et court regarder par la fenêtre. C'est la foule qui découvre le corps sans vie du célèbre notaire, les flashs des photographes crépitent et les gens ne cessent de pousser ces pauvres sergent de ville. L'ambulance quitte la rue en vitesse vers la morgue de Paris, la ou le médecin légiste doit être en train de se préparer pour autopsier ce célèbre parisien. Bernard retourne vers le fauteuil où était la victime, il remarque par terre un petit objet brillant et se penche pour le ramasser. Il vit que c'était un petit bout de cristal qui venait très certainement d'un verre.
Il crie alors :
Il y a t'il un employé de l'étude ici ?
Un vieil homme en habit de clerc s'approche alors.
Je suis un des clercs de cette étude, je travaille ici depuis près de 40 ans, j'étais déjà là du temps du père de monsieur le maître.
C'est vous qui avez découvert le corps ?
Non, c'est Christine la secrétaire, c'est une employée qui habite dans une chambre de bonne là haut, et la concierge est allée lui demander d'ouvrir l'étude après qu'elle est reçue un appel lui demandant pourquoi Mr de St Clerc n'était il toujours pas chez lui pour la réception qui était prévue pour l'élection.
Comment savez vous cela ?
C'est elle qui me l'a dit, tenez monsieur le commissaire c'est la femme en tailleur noir avec cette infirmière.
D'accord, je vais la faire interroger demain. Revenons à vous, votre patron avait-il des ennemis ?
Comme d'habitude, il y a d'autres notaires mécontents de perdre des clients, parce que monsieur savait si faire pour trouver des clients, enfin surtout des clientes. Il y a aussi les autres candidats aux législatives mais pour tout vous dire monsieur le commissaire je ne vois aucun de ceux-là faire le coup.
D'ailleurs si je comprend bien vous étiez partis quand le corps de votre patron à été découvert, que faites vous donc ici ?
J'étais chez moi en train de lire quand le premier clerc m'a fait appelé pour me dire de venir ici et rassurer les potentiels clients qui viendraient.
D'accord et parmi ses clients il y avait t'il déjà eu des problèmes ?
Comme je l'ai dit Mr de St Clerc a une clientèle principalement féminine, il arrivait que parfois monsieur soit très proche de certaines d'entre elles, enfin vous voyez ce que je veux dire.
Disons qu'il faisait l'amour avec elle.
Voilà commissaire je n'osais pas le dire.
Bernard a horreur de ce genre de personnes trop pudiques qui font de la sexualité un horrible tabou.
Et vous pensez que le mari cocu d'une cliente puisse se venger ?
Oh non, la plupart d'entre elle était célibataire souvent veuve ou vieille fille.
Bernard se dit qu'il n'avait plus rien à faire ici, il se dirige alors vers la sortie. Soudainement il fait demi-tour et reparle avec le vieux clerc.
Vous avez une cuisine ici ?
Non nous n'avons pas cela, on mange dans une petite brasserie au bout de la rue et monsieur se fait souvent inviter au restaurant.
Alors est-ce que vous avez des apéritifs ? Des verres ?
Euh oui, monsieur a un service pour offrir un rafraîchissement à certains clients.
Pouvez-vous me montrer ce service ?
Très bien monsieur le commissaire.
Le vieux clerc emmène Bernard dans un petit salon aménagé avec le même luxe que le bureau : larges fauteuils de velours rouges, meubles d'acajou soigneusement vernis et moulures. Dans un recoin, un guéridon de marbre accueille une belle bouteille de champagne et cinq flûtes sur un plateau en argent.
Vous n'avez pas d'autres verres ?
Non c'est tout ce que nous avons.
Sur ce, Bernard prend à nouveau la direction de la sortie. Arrivé en bas il vit un journaliste et demande :
Connaissez-vous les résultats des élections législatives de la Seine ?
Oui une partie seulement est arrivée, vous demandez sans doute les résultats de Mr de St Clerc
C’est exact
Il est ainsi arrivé en tête avec 35% des voix quand son principal adversaire, Arnold von Wertal, a eu 27% des voix
Merci
Bernard se dit alors que cet Arnold aura dépensé des sommes astronomiques dans sa campagne pour finalement être seul au second tour. Il rentre chez lui vers une heure du matin, Louis est parti travailler dans un cabaret, Thérèse et Mathilde sont couchés. Bernard fit alors très attention en se déshabillant sans bruit dans la salle de bains puis rejoint son lit ou sa femme endormie l'attent. Le lendemain, le réveil sonne à nouveau à 7h, à nouveau le même rituel, à nouveau le même repas. Bernard quitte son appartement à 7h45 et 15 min plus tard il est dans le bureau du chef pour le rapport quotidien. Arrivé dans son bureau, toujours autant en désordre, le dossier du médecin légiste et le compte rendu des sommiers l'attendent.
" Gustave de St Clerc, 61 ans, bonne santé, aucun suivi particulier
Sept coup de poignards en plein coeur, la taille et la forme des plaies indiquent que les coups ont très certainement été portés par une pièce unique de grande valeur, la taille des plaies indique une lame d'environ 15-20 cm, l'absence de rouille nous met en présence d'une arme récente ou d'un métal noble. La pénétration importante et nette nous met en présence d'un individu habitué au maniement des armes blanches ou d'une bonne force physique."
Bernard grogne en découvrant que l'enquête ne commence pas très bien avec le profil de l'arme blanche. Le propriétaire d'une pièce unique, qui plus est totalement inconnue, est souvent plus difficile à trouver qu'une pièce de série.
" L'analyse des viscères nous met en présence d'une importante quantité de somnifères ainsi que de digitaline dans l'estomac. La quantité présente dépasse aisément une dose mortelle pour un individu."
Un couteau unique et un mélange de poison trouvable dans n'importe quelle pharmacie, voilà encore une affaire qui commence mal, se dit Bernard.
" La rigidification cadavérique et l'analyse des yeux permet de dater la mort aux alentours de 19h30, l'analyse des plaies au cœur permet de dater les coups de couteau aux alentours de 20h45. Nous pouvons donc en conclure que la mort est antérieure d'environ 1h15 aux coups de poignards dans le cœur."
Bernard est alors très surpris de découvrir que l'empoisonnement et les coups de couteau sont espacés de plus d'une heure. Comme il en avait l'habitude, il se mit à réfléchir à voix haute pour que ses subordonnés de la pièce d'à côté ne perdent pas une miette de ses réflexions et les griffonnèrent sur un bout de carnet. Deux cas peuvent expliquer cela, soit on a affaire à un maniaque qui fait souffrir sa victime en l'empoisonnant puis revient plus d'une heure après pour la transpercer. Le problème c'est que le poison est bien trop violent pour que la victime souffre longtemps pour justifier les coups de couteaux. Ou alors on a affaire à deux assassins, un premier vient pour l'empoisonner avec un poison puissant trouvable partout, on peut parfaitement administrer celui-ci dans un verre d'eau et le faire ingérer à la victime sans problème. Tiens, un verre ! S'exclama t'il. Comme le petit bout de cristal que j'ai trouvé près de la victime. Ensuite on peut imaginer qu'une deuxième personne arrive une heure après, pense que la victime est endormie puis la poignarde et s'en va. Bien-sûr cela paraît rocambolesque mais si on prend en compte le fait que la victime a sans doute de nombreux ennemis ou des personnes voulant régler des comptes avec lui et qu'aujourd'hui devait être le jour de sa consécration. On peut donc parfaitement prendre en compte cette hypothèse.
Bernard se rappelle alors qu'il n'avait pas encore lu le rapport des sommiers.
"Gustave de St Clerc : notaire parisien, habite au XX rue de Rivoli, Paris, Seine
Casier judiciaire :
1897 : plainte pour atteinte aux bonnes mœurs déposée par Mlle Adélaïde Motska, classée sans suite
1899 : plainte pour atteinte aux bonnes mœurs déposée par Mr Henri de Deuce, condamnée à six mois de prison avec sursis
1904 : plainte pour adultère déposée contre Mr Gustave de St Clerc et Mme Juliette Ménard par Mr Gaston Ménard, plainte retirée
1910 : plainte pour adultère déposée contre Mr Gustave de St Clerc et Mme Olga Lepuis par Mr Léon Lepuis
1921 : plainte pour extorsion de fond déposée par Mr Hubert Croussin, acquittement
1927 : plainte pour abus de pouvoir déposée par Mlle Françoise Xavière de Hérault
Ce n'est alors qu'une longue litanie de plaintes en tout genre concernant des affaires de mœurs ou d'argent. Bernard ne s'attendait pas à tomber sur un dossier aussi fourni en plainte pour mœurs pour un des députés les plus conservateurs de la chambre. La probabilité que son assassinat soit lié à un règlement de compte ayant pour racines l'argent ou les mœurs, voir les deux devenait ainsi de plus en plus probable
Il avait convoqué ce matin l'employée de l'étude qui avait trouvé le corps , ainsi l'enquête s'affine de plus en plus. Il a convoqué ce matin plusieurs témoins, tout d’abord le vieux clerc, même s' il l’a déjà interrogé hier il veut ses impressions à froid, ensuite Christine, la secrétaire qui a découvert le corps mais également Thomas de St Clerc, le fils de la victime. On toque à la porte et avant même de répondre, l’huissier de l’étage apporte la fiche du vieux clerc puis le fait entrer après approbation du commissaire.
Vous travaillez dans cette étude depuis combien de temps ?
Depuis toujours monsieur le commissaire, maître St Clerc a repris et développé l’étude de son père et mon père était également de son temps le clerc de cette étude. Mon père m’a préparé depuis tout petit à reprendre son poste, il vouait une véritable admiration à cette famille, c’est d’ailleurs eux qui ont financé mes études.
Donc vous aviez de bonnes relations avec la victime ?
Cela fait bizarre que vous désignez maître de St CLerc comme une victime, il…
C’est pourtant ce qu’il est maintenant, coupa sèchement Bernard, reprenez.
Donc oui j’avais des relations, disons, cordiales avec lui. Nos relations étaient strictement professionnelles mais il me traitait avec beaucoup de respect et appréciait mon travail.
Vous n’avez jamais eu de différent ?
Si, ça arrivait, mais ils étaient légers, vous savez c’est ce type de différends qu’un employeur a avec ses employés. De toute façon, c'était toujours lui qui avait le dernier mot. On a d’ailleurs perdu quelques clients à cause de ça.
Et comment ça se passait avec les autres employés ?
Bien, il nous traitait comme un…
Comme un employeur doit traiter ses employés, coupa à nouveau Bernard.
Pouvez-vous me rappeler ce que vous avez fait hier soir ?
Et bien je vous l’ai déjà dit, j’étais chez moi quand Christine m’appelle pour me dire que monsieur est mort puis j’ai fait aussi vite que j’ai pu pour arriver.
Et vous habitez où ?
Il marque un temps d’arrêt avant de dire : Rue de Crimée, en face des Buttes Chaumont.
Vous avez de la famille ?
Le clerc est à nouveau étonné de cette question puis répond : euh oui, je suis marié et j’ai deux fils qui ont suivi mon chemin.
Très bien, c’est tout, je vous remercie.
Bernard accompagne le clerc à la porte puis va dans le bureau des inspecteurs. En effet, pour lui le scénario du vieux clerc ne tient pas debout. Comment en habitant rue de Crimée pouvait-il être avant lui avenue Victor Hugo ? Tout cela ne tient pas debout. Il ordonne alors au brigadier Martin d’aller mener une menue enquête de voisinage rue de Crimée, il attend par ailleurs celle de l’avenue Victor Hugo. Ensuite il fait entrer Christine, la secrétaire qui a découvert le corps.
Quelle relation entretenez-vous avec votre patron ?
C’était un patron disons … normal, ça lui arrivait d’être autoritaire mais c’était passager.
Qu’est ce qui était passager ?
Comment dire … ses excès de colère, il y a quelques jours il a jeté une table et deux chaises après qu’une cliente, un peu, comment dire …
Pourquoi vous cherchez autant vos mots ?
C’est parce que je veux décrire au mieux la situation. Alors disons que cette cliente a eu un … différent avec maître St Clerc qui a quelque peu perdu son calme.
C’est plus que son calme qu’il a perdu d’après ce que vous me dites.
C’était tellement inhabituel en plus.
Ce n’est pas ce que vous m’avez dit, grogna Bernard.
Oui, mais avec les clients c’est plus rare qu’avec nous.
D’accord, vous avez l’identité de cette cliente ?
Euh sans doute que si je retourne à l’étude…
Laissez, je vais demander à mes hommes de s’en occuper. Mais avant de vous laisser, je vais d’abord vous demander de m’en dire un peu plus sur cette cliente.
Très bien, c’était une femme assez jeune, à peu près 26-28 ans, très chic et propre, à peu près 1m67, habitant sans doute l’avenue de la Grande Armée. Vous voyez un peu ces jeunes femmes des beaux quartiers toujours à l’avant garde de la mode qui feront par la suite un mariage malheureux.
Bernard est surpris de cette remarque et du sens de la précision mais laisse la secrétaire continuer.
Elle est venue mercredi dernier, plutôt vers 16h25 et demanda aussitôt au maître qui la fit tout de suite entrer dans son bureau.
Et savez vous c’était pour quel affaire ?
Je n’en ai aucune idée, mais peut être que quelqu’un sait à l’étude, demandez au vieux clerc, c’est une vraie fouine.
Visiblement l’ambiance n’est pas au beau fixe dans cette étude. Bernard se lève et se rend à nouveau dans le bureau des inspecteurs et demande si le premier rapport sur l’avenue Victor Hugo est disponible. Il fait alors entrer le troisième, Thomas de St Clerc, fils de la victime et notaire de sa propre étude. Le jeune notaire est un grand homme, au visage assez banal et à la carrure élancée. Il a cette manière et ses vêtements de jeune homme du monde.
Comment étaient vos relations avec votre père ?
Pour être tout à fait franc, elles étaient mauvaises. Mon père n’a jamais aimé que j’ouvre ma propre étude et c’est encore pire depuis les élections.
Qu'entendez-vous par pire depuis les élections ?
Disons que je n’ai pas voulu le soutenir et qu’il me l’a bien fait rendre. De toute façon, là ou il est maintenant il ne fera plus rien, de mal … et de bien.
Très bien, je vous raccompagne ?
Thomas est surpris de la très courte durée de l’interrogatoire mais cela l’arrange bien pour la conduite de ses propres affaires. Et une troisième fois, Bernard rentre dans le bureau des inspecteurs et demande à Igor Martin, son inspecteur expert en filature. Son physique peu attrayant : petite taille, cheveux dégarnis, lunettes rondes cassées, voix cassée par les dizaines de cigarettes fumées chaque jour, dentition incomplète… Aussitôt Igor enfile son pardessus rapiécé et emboîte le pas du jeune notaire. Il est clair que Bernard le considère comme le suspect numéro 1, enfin il a plutôt deux suspects numéro 1 : Thomas de St Clerc et le vieux clerc. Il n’oublie pas que le rapport du médecin légiste laisse clairement entendre qu’il y a deux assassins, ou sans doute un assassin et un opportuniste ou un raté.
Midi était déjà bien passé et Bernard décide alors de commander trois sandwichs et une bière à la brasserie du coin de la rue. A peine le garçon de café reparti qu’un sergent de ville apportait le premier contre rendu de l’avenue Victor Hugo écrit par le commissaire d’arrondissement.
“L’enquête de voisinage n’a rien donnée : aucun riverain n’a remarqué de mouvement suspect et la présence d’un autre notaire et de médecins et avocats empêche la possibilité de l’étude des va et viens de l’immeuble par la concierge ou un habitant.”
Tout cela on le sait déjà, se dit Bernard qui n’aimait guère ces formalités pour justifier les enquêtes auprès du parquet.
“Sur demande du commissaire Bernard Maix, nous avons relevé la liste de tous les clients de l’étude et une enquête est en cours pour tous ceux venus dans les 15 derniers jours. Cependant, aucune cliente ne correspond au signalement demandé mais les investigations continuent."
Il est possible qu’elle nous ait menti, et aussitot Bernard griffonne sur son carnet qu’il faudrait surveiller la secrétaire. Il trouve ce rapport bien peu instructif et continue son repas quand il est dérangé par le substitut du procureur. Le jeune magistrat en robe doit tout juste sortir d’une audience, c’est le seul que Bernard apprécie un minimum, sans doute parce qu’il lui rappelle son fils.
Mr le commissaire, avec tout le respect que je vous dois, Mr le procureur m’a demandé de vous donner de nouvelles instructions.
Maudit procureur, qu’est ce qu’il me veut encore ton patron ?
Il veut que vous mettiez tous les moyens sur la résolution du meurte de Mr de St Clerc.
Mais enfin c’est déjà ce que je fais ! hurla Bernard.
C’est bien ce que je lui ai dit, mais il n’a pas voulu m'écouter, surtout que tous les moyens sont déjà censés être sur l’affaire des voleurs marocains…
T’as pas tord. Mais ça m’étonne que tu sois venu juste pour me dire ça.
Bien évidemment, en fait Mr le procureur veux que vous orientez l’enquête vers deux principaux suspects : Mlle Amandine Leroy, c’est une vieille riche héritière qui assure avoir été dépouillée par maitre de St Clerc et Rudy grosse tache, un petit caïd de St Germain des Prés qui aurait blanchi de l’argent grâce à la victime.
Très bien je vais demander à mes inspecteurs d'enquêter là dessus, mais dîtes à votre patron que c’est moi qui mène l'enquête et j’ai déjà des pistes.
Je vais en informer de ce pas Mr le procureur.
A peine le magistrat parti que Bernard retourne à nouveau dans le bureau des inspecteurs pour passer des consignes mais finalement il décide d'aller lui-même sur place. Il commence par Rudy grosse tâche et se rend d’abord au commissariat du VIe et à sa grande surprise Rudy n’était pas en détention, finalement ce procureur réfléchit un minimum à ses pistes. Il se rend alors dans une petite librairie miteuse de la rue du Dragon aux rideaux fermés mais à la porte ouverte et entre directement. La boutique est remplie de livres du plancher au plafond et une femme d’environ 70 ans triquote un petit ouvrage derrière le comptoir et elle reconnait aussitot le commissaire, elle appelle aussitot Rudy. On entend alors quelqu’un descendre les marches quatre à quatre. Rudy arrivé en bas recule un peu et fait tomber quelques livres. C’est un homme d’environ 30-35 ans, ses cheveux et ses yeux sont aussi noir que la nuit, ses vêtemens sont plutôt classique mais son visage est parcouru par une énorme tâche de naissance courant de son oeil droit au cou.
Alors surpris de me voir mon vieux ?
Ouep
T’as pas changé.
Ouep
Un de tes amis a été assassiné, je suppose que tu te doutes de qui c’est ?
Ouep
Tu vas me répondre autre chose ?
Ouep
Alors c’est qui ?
Le notaire des Champs.
C’est exact. Et je suppose que tu vas me dire que tu n’as rien fait.
Ouep
J’espère que tu as un alibi ?
Nop
Et tu faisais quoi hier soir ?
Rien, ’fin rien de bien pour vous.
Ok tu vas me suivre au poste.
Mais pourquoi m’sieur ?
Ordre du procureur.
La vieille femme derrière son comptoir avait l’habitude et salua le commissaire et Rudy quans ils partirent. Bernard retournent au poste avec Rudy et s'installent dans un petit bureau de sergent de ville. Bernard s’assoie et laisse Rudy debout, cinq minutes se passent avant qu’il ne s’assoie et encore 20 longues minutes de silence se font sentir avant que Rudy n’ouvre la bouche en premier.
M’sieur je vous l’ai d’jà dit je rien fait.
Bernard ne répond toujours pas puis ne répond qu’au bout de cinq minutes. Il a l’habitude avec ces types là, il faut les faire mijoter longtemps avant de les manger.
Je me doute mais je préfère aller au bout de toutes les pistes.
Mais ‘fin je peut’ete déconné avec lui mais je l’ai pas tué.
On ne sait jamais. En attendant, tu n’as pas d’alibi et un mobile solide. Par ailleurs, j’ai aucun autre suspect et tu es une piste plausible. C’est exact ?
Pas faux m’sieur.
Par ailleurs, même s' il a été poignardé par une pièce unique, il a également été empoisonné. Je sais qu’il y a un an tu avais essayé d'empoisonner ton ex petite amie sans grand succès. C’est exact ?
Pas faux m’sieur.
Et il est possible que cette fois ci tu réussi ton coup.
Pas faux m’sieur.
C’est alors que Bernard se lève, quitte le bureau et se dirige vers le guichet du poste de police. Il demande un papier, écrivit dessus :
Effectuer une nouvelle enquête de voisinage plus poussée, portrait robot du suspect : homme d’une trentaine d’année, cheveux très noir et grosse tâche de naissance sur le visage. Dossier bien fourni aux sommiers sous le nom de “RUDY GROSSE TACHE”
Il donne le papier au policier mais ne croit guère à ce signalement mais applique la procédure réglementaire pour montrer ensuite au procureur que c’est lui qui mène l’enquête. Il demande par ailleurs au commissaire du VIe de garder Rudy au chaud “au cas où”. Juste avant de partir, il laisse un nouveau papier à l’agent d’entrée.
Demander une autorisation de perquisition au parquet,
Une fois dans la rue, il hèle un taxi pour maintenant se rendre au domicile de cette Amandine Leroy. Cette vieille femme habite dans un petit hôtel particulier du VIIIe arrondissement situé au fond d’une cour abrborée. Bernard tire sur la cloche et une petite soubrette de 19 ans ouvre la porte.
C’est pourquoi monsieur ?
Commissaire Bernard Maix de la Police Judiciaire, dit-il en tendant sa médaille, je désire m’entretenir avec Mlle Leroy.
Police Judiciaire ? Mais cela doit être très grave, s'exclama-t-elle. Je vais de ce pas préparer mademoiselle, je vous en prie entrez et asseyez vous dans le salon.
Bernard rentre alors dans la jolie demeure pendant que la femme de chambre monte les marches d’un grand escalier quatre à quatre. Il rentre alors dans un charmant salon typique de ses hôtels du XVIIIe siècle : moulures sur les quatre murs et au plafond, parquet chevronné, gros meubles en marqueterie, larges fauteuils de velours… À peine c’est t’il assis qu’une grande femme distinguée d’environ 75 ans arrive dans le salon, elle porte une longue robe de soie rouge et une grande parure de gros diamants.
C’est la première fois de ma vie que je me fais déranger par la police, je vous le dis tout de suite, vous êtes venus pour rien.
Mais je le pense aussi mademoiselle.
Alors pourquoi venez-vous chez moi ? Coupa-t-elle sèchement.
Parce que je me dois de n'écarter aucune piste.
Dois-je comprendre que je suis une piste ?
Oui, vous…
Vous vous parlez de la plainte que j'ai portée contre cette espèce de petit escroc ?
Oui c'est tout à fait exact, pour être honnête c'est Mr le procureur en personne qui m'a demandé d'enquêter à votre sujet.
Ai-je donc l'air si misérable et désespéré pour que Mr le procureur en personne pense que je serais capable de tuer ce vaurien ?
Le moins du monde madame, mais si vous le permettez j'aimerais vous posez quelques questions.
Faites, je pense que c'est votre travail de faire cela et nous sommes tous les deux des personnes très occupées.
Bien madame, tout d'abord est-ce que vous pouvez m'en dire davantage sur ce… disons différent avec la victime ? Dit il en sortant son petit calepin.
Tout d'abord je tiens à dire que si il y a une victime c'est bien moi. Jusqu'à il y a peu, mes finances et toutes mes affaires étaient gérés par mon fils et je lui accordais toute ma confiance. Cependant ce chenapan est parti se marier à une petite riche américaine, une vraie sangsue cette mégère. Vous vous doutez donc qu’il est parti là bas pour la suivre et qu’il a laissé moi sa propre mère qui lui a tant donné, seule ici. J’ai donc cherché quelqu’un pour gérer mes affaires, vous devez savoir que j’ai un certain capital.
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et continua de parler.
Cette fripouille m’a été recommandée par une amie de confiance et je lui ai toujours fait confiance. Cependant quelques mois après je recevais de plus en plus de lettres de son étude pour me demander des frais de gestion ou des