Posté le : 29 juin 2022 à 16:27:51
4275
Assis sur sa chaise en osier, le visage dissimulé derrière son impeccable barbe taillée dans le plus pur style colonial listonien, Paolo o Prefeito ne laissait rien percevoir de ce qu’il pouvait penser. Il n’était peut-être pas de nature totalement machiavélique et calculatrice, et il vivait à Listonia des monstres bien plus froids que lui qui préférait lézarder au soleil de l’Afarée en lisant des romans, mais élevé dans l’habitus de la vieille noblesse métropolitaine, chez ces gens là on n’exprimait guère ses émotions et en tout instant il lui était aisé de paraitre calme et mesuré, tout simplement parce qu’il avait vécu une vie de calme et de mesure.
Il accueillit les mots du Général sans sourciller, puis ceux des représentantes de l’Althalj également, esquissant seulement un instant à regard vers la Capitaine Suoma qui paraissait ne pas vouloir se mêler à la discussion. Le Pharois était l’allié de tous les camps, cette lâcheté était parfaitement stratégique.
Les qari avaient fini de s’exprimer et o Prefeito enchaîna tout de suite, coupant l’herbe sous le pied du feu de brousse que risquait de provoquer le Général Cortés s’il lui prenait d’accueillir les déclarations des diplomates de l’Althalj comme une provocation.
O Prefeito : « A n’en point douter, des torts sont partagés. » reconnu avec prudence le Gouverneur. « Et je gage que dans la mesure des problèmes qu’il avait à affronter, chacun ici a su faire de son mieux, avec les moyens dont il dispose. »
Manière élégante de ne pas trop se mouiller. Si l’Althalj souhaitait prendre quelques coups à sa place, le Gouverneur n'était pas hostile à l'idée. Les qari jouaient assurément moins gros que lui.
O Prefeito : « Peut-être toutefois, en ma qualité de tiers dans cette négociation entre grandes puissantes, puis-je être force de proposition. Car enfin les conditions de l’Empire, pour légitimes qu’elles soient, au prix de quelques nuances pourraient tout à fait s’ajuster à celles de nos amies de l’Althalj. »
Il se passa négligemment la main dans la barbe, faussement réfléchi.
O Prefeito : « Listonia, à cette heure, traverse une crise de légitimité. Si celle-ci nous semble exceptionnelle à bien des égards, elle ne l’est guère en vérité. Notre glorieux Empire fut autrefois défait par les forces de Fortuna, n’en est-il pas toujours debout et vif ? Ce que peut-être la métropole perçoit comme un risque majeur pour sa survie, Général Cortés, n’est en fait qu’une péripétie de l’histoire qui nous rendra plus forts en nous forçant à évoluer. »
Il marqua une pause, le temps de tremper ses lèvres dans un verre d’eau pétillante, puis reprit.
O Prefeito : « L’exemple Norstalkien pourrait nous servir de tuteur. Ancienne puissance coloniale, plutôt que la sécession franche comme nous assistons aujourd’hui tragiquement au Pontarbello et à Jadida, il a choisi la voie du commonwealth et entretient désormais une proximité diplomatiques très concrète avec ses anciennes provinces. »
Il s’en alla chercher le regard du Général.
O Prefeito : « N’est-il pas temps pour Listonia de se forger son propre commonwealth ? Et actant, comme l’ont fort justement souligné mesdames les qari, qu’elle ne peut tenir par la seule force des territoires en défiance, bâtir un nouveau pacte qui resserrera nos liens sur une base de lois curatives ?
Citoyen de l’Empire, je le suis, et jamais il ne m’a traversé l’esprit de renoncer à cet honneur. Et les habitants du Shibh Jazirat Alriyh également, à n’en pas douter. Nous sommes ici entre alliés, Listonie, Althalj et Pharois. Pourquoi agir comme des ennemis ? A chacun sa tâche, sachons déléguer. L’Empire ne peut à lui seul assurer et la sécurité et la prospérité de la région, mais il peut lui garantir son patronage et en devenir garant. Le Pharois n’est pas d’ici, mais son commerce irrigue nos marchés et assure que chacun ait du pain. L’Althalj règne sur ces terres, ses missiles et ses troupes sont le bouclier qui nous protège du reste du monde.
Nos forces sont complémentaires et les faiblesses des uns, à l’alliance des autres se coagulent pour empêcher les hémorragies. Tirons en partie, je vous en prie. »
Et contre toute attente, la pharoise leva une main pour prendre la parole.
Capitaine Suoma : « Lors de l'indépendance d'Albigärk, l'affaire a su être réglée en bonne intelligence et désormais, listoniens et pharois cohabitent. Nos pays se sont rapprochés, nos passeports ont fusionnés pour certains et l'Empire est le bienvenue dans les eaux du nord, alors que celles-ci auraient pu lui être fermée si nos deux pays avaient moins élégamment su négocier cette crise qui nous opposait. Le Shibh Jazirat Alriyh pourrait être cette nouvelle Albigärk d'Afarée et bâtir un pont entre trois nations que tout semble sans doute éloigner, mais qui peuvent se rapprocher également, si elles s'en donnent les moyens. Listonia peut se faire une alliée en l'Althalj, ou une farouche ennemie, qu'y a-t-il à perdre à choisir la voix du compromis ? »