Posté le : 11 août 2022 à 21:37:11
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Rassemblement de la population sur la place de Kadwak : la chasse à l'Homme
Pendant que s'opérait le "ramassage" des pauvres petits écoliers, s'effectuait celui des autres habitants de Kayawa.
Les témoignages qui vont suivre établissent que un à un, ou par groupes, conduits et surveillés par les soldats républicains, ils vinrent peu à peu se masser sur la place de Kadwak, devant le sanctuaire de Kayawa. Mais le soldats ne se contentèrent pas d'y réunir les gens domiciliés dans le bourg lui-même : ils allèrent chercher, jusque chez eux, les habitants des hameaux voisins.
M. Okui (47 ans), qui se trouvait près de celui de Lakha, a fait à cet égard, la déclaration suivante :
« Aussitôt après l'arrivée des soldats il s'est produit dans la région un important mouvement de camions. Quelques véhicules sont allés, dès leur arrivée, prendre position dans la campagne environnante. On en a signalé un peu partout, en particulier autour du hameau de Lakha. D'autres militaires, munis d'armes automatiques et de fusils, en descendirent et encerclèrent la localité, rabattant vers Kayawa les gens qu'ils rencontraient sur les routes et dans les terres. Le soldats circulaient dans les champs et se cachaient derrière les broussailles pour surprendre ceux qui tentaient de s'échapper. Les hommes et les femmes durent abandonner leurs travaux. Des coups de feu crépitaient. Plusieurs personnes furent abattues. »
Un autre témoin, M. Dakima, précise :
« J'étais présent au rassemblement. Des camionnettes apportaient sans cesse des gens des villages environnants qui avaient été appréhendés à domicile. C'est ainsi qu'il y avait là des agriculteurs, cultivateurs et éleveurs de toute la région. Les camions s'éloignaient, puis revenaient, ramenant chaque fois de nouveaux contingents de malheureux vers leur fatal destin. »
15 h 00
« Tous les habitants de Kayawa, continue M. Dakima, finissent par se rassembler sur la grande place du village. Ce sont des femmes en pleurs, d'autres plus courageuses ou confiantes. Certaines portent des bébés dans leurs bras ou les mènent dans de petites poussettes. J'en vois qui soutiennent un vieillard qui, apparemment, sort du lit. Les hommes sont là aussi, quelques-uns surpris en plein travail ; le mécanicien, torse nu, tout noir de suie.
Il y a là encore là les notables, les notaires, les pharmaciens, les professeurs, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les réfugiés, habitants des hameaux voisins, tous accompagnés de leur famille au grand complet. »
Mme Langhya, cachée derrière sa fenêtre, ainsi que nous l'avons dit, a vu passer le lamentable cortège des ces malheureux se rendant sur la place de Kadwak.
« Quel spectacle angoissant, dit-elle, des fillettes pleurent, des femmes sanglotent. Puis voici les enfants des écoles, garçons et filles. Ils se dirigent vers le lieu de leur supplice. J'entend encore le bruit des geta de bois de ces pauvres gosses frappant la chaussée et scandés par le heurt pesant des bottes de leurs bourreaux.
Soudain, le fils du chaman, rentrant déjeuner, arrive en automobile. Il gare sa voiture non loin du lieu de rassemblement. Un soldat qui l'accompagne lui ordonne de se joindre à sa famille.
Son père, le chaman, est soudain interpellé par un officier : "Vous allez, lui dit brutalement ce dernier, me désigner trente otages. Celui-ci, très dignement, répliqua qu'il lui était impossible d'accéder à cette demande. Il fut conduit à l'intérieur du sanctuaire où il restait quelques instants, puis revint vers le lieu du rassemblement où on l'a entendu dire à l'officier qu'il se désignait lui-même et que s'il fallait d'autres otages, on n'avait qu'à arrêter ses disciples. »
M. Dakima ajoute :
« À ce moment-là, nous sommes entourés de soldats, une douzaine de mitrailleuses légères sont braquées sur nous, le mitrailleur en position, et son servant près de lui. Je sens qu'à la moindre tentative d'évasion, nous serions abattu. Nous restons ainsi une bonne demi-heure. »
15 h 30
« Quand toute la population eut été réunie, poursuit M. Dakima, les soldats se divisèrent en deux groupes, l'un composé des femmes et des enfants, l'autre des hommes. Le premier, encadré par deux douzaines de militaires et comprenant les gosses des écoles, fut, vers 15 h 30, conduit au sanctuaire. Les soldats nous dénombrèrent, nous disposèrent sur trois rangs et nous firent attendre, assis sur le bord du trottoir, la face tournée vers le mur.
Je risque alors un coup d'œil derrière moi, malgré l'ordre reçu, et je vois le groupe de nos mères et de nos compagnes qui s'éloigne lamentablement. Ce sont des femmes qui pleurent, d'autres qui s'évanouissent. Elle se soutiennent entre elles. J'aperçois, pour la première fois, ma femme qui, en larmes, disparaît avec les autres au tournant de la rue.
Il fallait trouver un prétexte à l'horrible massacre qui se préparait. Un officier s'avança et déclara : " Il y a ici des dépôts clandestins d'armes et de munitions faits par des terroristes. Nous allons opérer des perquisitions. Pendant ce temps, et pour faciliter les opérations, nous vous rassemblerons dans les granges. Si vous connaissez quelques-uns de ces dépôts, ajouta-t-il, nous vous enjoignons de nous les faire connaître."
Aucun dépôt ne fut signalé, et pour cause, il n'y en avait pas dans le village qui était parfaitement tranquille et où chacun s'occupait uniquement de son petit commerce ou de la culture de ses terres. Je dois observer qu'on n'y avait jamais commis aucun attentat contre les troupes républicaines et qu'il n'existait aucune raison qui pût autoriser de leur part la moindre représailles. »
16 h 00
« Quelques instants après, déclare encore M. Dakima, les soldats nous divisèrent en un certain nombre de groupes qu'ils dirigèrent, mitraillette à la main et avec force menaces et brutalités, vers différents points du village. »
M. Joza confirme ce récit. Il est âgé de 27 ans. Immobilisé par une fracture de jambe qu'il s'est faite en trébuchant dans un lacis de lianes. Il a pu d'une fenêtre du premier étage de sa maison, située sur la place de Kadwak, assister au rassemblement. Il a vu les allées et venues des camions autos-mitrailleuses.
« Ma mère, dit-il, est montée dans la chambre où je me trouvais et m'a annoncé que la population était invitée à se rassembler sur la place du village pour la vérification des cartes d'identité ; mes parents ont tenté de fuit, mais ils ont été ramenés sur la place de Kadwak avec ma grand-mère, ma tante et mon oncle. Aucun d'eux n'est revenu.
À ce moment, j'ai vu des hommes assis sur trois rangs le long de la place et gardés par des soldats armés de mitrailleuses et de fusils. Soudain un officier, paraissant grand et élancé, venant du côté du sanctuaire, alla parler au chaman. Après une brève discussion, les hommes se mirent debout et se formèrent en quatre groupes et deux vers les bas du village. Un des premiers groupes entra dans une grange appartenant à mes parents, à une trentaine de mètres de mon poste d'observation. »
Les hommes furent répartis dans sept granges.