05/06/2013
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[DOC HISTORIQUE] Dossiers de Kayawa : Massacre du 18 août 1959 - Page 2

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Les rescapés du 18 août 1959


Quelques personnes ont pu échapper à la tuerie. Certains jeunes gens qui, à cause de leur âge, avaient évidemment tout à redouter de la part des soldats, se sont cachés dans leur domicile dès l'arrivée de ces derniers, puis se sont enfuis, la plupart en franchissant les barrières des jardins situés derrière leur maison. Certains ont pu aisément gagner la campagne.

C'est ainsi que M. Date, âgé de 22 ans, qui était réfractaire, n'a pas voulu aller sur le lieu de rassemblement, est resté chez lui. Les soldats ont tenté de le brûler vivant dans sa propre demeure. Il nous a déclaré :

« J'ai vu de ma fenêtre, abrité derrière mes jalousies, mes parents se diriger vers la place de Kadwak. Je me suis alors réfugié dans l'atelier, situé derrière ma maison. Celle-ci ayant été atteinte par l'incendie, j'ai tenté de sortir de ma cachette pour essayer de sauver quelques objets et papiers auxquels je tenais. Des soldats m'aperçurent et m'obligèrent, sous la menace de leurs armes, à regagner ma retraite. Ils montèrent alors la garde devant la porte pour m'empêcher de fuir.
Voyant que les flammes menaçaient la pièce dans laquelle je me trouvais, je réussis à tromper la surveillance dont j'étais l'objet et à m'échapper dans le jardin où je me dissimulai dans un carré de légumes.
Soudain, la toiture s'étant effondrée, les soldats m'ont cru mort et sont partis. »

De son côté, M. Dakima signale :

« Un prisonnier rapatrié, M. Iwa, m'a raconté qu'alerté, lors de l'entrée des soldats dans le bourg de Kayawa, il a pu gagner la campagne et, pour se cacher, il s'est précipité dans une zone marécageuse. Il y resta dissimulé, sa tête seule émergeant de l'eau. C'est ainsi qu'il a vu passer près de lui deux soldats discuter, et l'un dir à l'autre : "Moi, j'en ai tué dix-neuf". »

M. Makima qui habitait une maison située sur la place de Kadwak, a été prévenu en temps opportun du danger qui le menaçait :

« J'ai pu, nous a-t-il déclaré, lors de l'arrivée des soldats à Kayawa, être alerté à temps et m'échapper à travers les savanes. Ma femme, qui m'avait conseillé de fuir et qui négligea de me suivre, se rendit sur le lieu du rassemblement. Mais hélas, je ne devais plus la revoir. »

Ajoutons à ces noms de rescapés ceux de : M. Bako, âgé de 19 ans, qui se dissimula dans son verger ; de M. Onima, charron âgé de 24 ans, qui voyant que son jardin était cerné, se cacha dans les combles de sa maison puis put fuir par la suite ; et de M. Nakiyo, âgé de 16 ans, qui s'abrita dans un réduit de son habitation.

Toute une famille a pu, par miracle, éviter le sort tragique de ses compatriotes : le mari, la femme, les enfants, ainsi qu'une amie de la famille. Ils résolurent de ne pas se rendre à la place de Kadwak et demeurèrent chez eux.
Un soldat, survenant, fouilla leur maison. Il découvrit les deux dames et les enfants et les conduisit vers le lieu du rassemblement. Le mari, caché dans une chambre, avait échappé à ses investigations, mais un nouveau soldat le surprit dans sa cachette et l'en fit sortir non sans forces. Il se retrouva dans la rue avec deux femmes et les deux enfants. Accompagné par un soldat, puis remis entre les mains d'un autre, le groupe parvint par une habile manœuvre à échapper à la surveillance de ses gardiens et à gagner les bois environnants.

Quelques habitants ont eu la vie sauve parce qu'ils étaient absents de Kayawa au cours de cet après-midi-là. Parmi eux, deux personnes qui avaient décidé d'aller à la pêche, ainsi que des artisans qui travaillaient dans les environs.
Épisode du chemin de fer urbain


Deux trams en provenance du sud de la ville sont entrés dans le bourg au cours de l'après-midi. Un train d'essai est arrivé le premier. Seuls, quelques employés de la Compagnie y avaient pris place. Un de ceux-ci, M. Shintao, en descendit.
Il fut abattu d'un coup de feu alors qu'il passait sur le pont. Les soldats se débarrassèrent en le jetant dans une mangrove non loin de Kayawa, où il a été retrouvé. Le tram a ensuite été refoulé vers le sud.

Un second train, mais celui-ci de voyageurs, apparut vers 17h 45, c'est-à-dire pendant l'incendie du sanctuaire et d'une partie du bourg.
Mlle Ahanaca, qui se trouvait dans ce tram, nous a fait le récit suivant dès son arrivée à Kayawa :

« Ce train de ville fut arrêté à l'embranchement de la route du Tapir par les soldats qui nous enjoignirent de rester dans les voitures. Un soldat partit à bicyclette vraisemblablement pour demander des ordres. En revenant, il fit descendre tous les voyageurs. Nous fûmes, au nombre de 27 ou 28, conduits, sous bonne escorte au hameau du Saïmiri. On nous fit traverser les savanes inondées sur d'étroites passerelles faites à l'aide de planches de bois ; puis, nous fûmes dirigés vers un carbet où se trouvait une sorte de poste de commandement.

On arrête alors notre groupe au beau milieu d'une clairière trempée. Le gradé qui commande le détachement s'entretient avec l'officier de poste. Les hommes sont séparés des femmes, on vérifie leur identité, puis on nous réunit à nouveau. On hésite, on parlemente. Soudain, les soldats s'avancent, font cliqueter leurs armes, forment un demi-cercle autour de nous. Nous comprenons tous qu'à n'en pas douter, il s'agit là de préparatifs d'exécution. Ce sont des minutes interminables d'angoisses et d'épouvante.
Enfin, après une explication un peu vive entre l'officier et le gradé, on nous annonce que nous sommes libres. Aussi bien nous empressons-nous de gagner les bois. »

Une bicyclette, d'ailleurs volée, est remise à une jeune voyageuse par des soldats républicains pour qu'elle puisse regagner plus vite son domicile situé dans les environs.
Pillage et incendie du bourg de Kayawa


En même temps qu'ils effectuaient leur tuerie, les soldats républicains entreprenaient un pillage en règle de la ville. On pense que celui-ci a commencé pendant l'heure qui s'est écoulée alors que le groupe des hommes attendait sur la place de Kadwak. Chaque maison a été soigneusement visitée et vidée de son contenu. Le village était riche et le vol ne pouvait être que fructueux. Argent, linge, provisions, objets précieux, rien ne manquait. Les camions ne sont pas repartis vides. Les coffres-forts ont été minutieusement examinés.

Le maire de la ville, désigné comme séquestre des biens récupérés à Kayawa, nous a donné à cet égard l'attestation suivante :

« Coffre-fort en fer et ciment trouvé à Kayawa chez M. Dokoma, marchand de soie. Ce coffre possédait sa clef mais n'a pu être ouvert immédiatement par suite de l'action causée par la chaleur. Nous avons dû le faire éventrer. Nous avons alors pu constater qu'il était vide. »

Sur les autels du sanctuaire, on n'hésita pas à prendre les vases sacrés. M. Mako, chaman de Kyugawa, rapporte ce qui suit :

« Le matin du lendemain du drame, les soldats reviennent et font disparaître des quantités de cadavres dans les grands trous creusés en hâte. Le soir même je suis entré dans le sanctuaire et n'ai pas pu savoir ce qu'étaient devenues les objets de valeur. »

Dès qu'il a eu connaissance de ces faits, M. Mako a écrit au président de Maronhi, une courageuse lettre de protestation dont nous extrayons le passage suivant :

« Vous comprendrez ma douloureuse indignation quand j'apprends que le sanctuaire de Kayawa a été souillé par l'exécution dans ses murs de centaines de femmes, de jeunes filles, d'enfants et profanée par l'enlèvement des vases sacrés.
La responsabilité de ma charge me fait un devoir de rechercher s'il serait possible de savoir ce que sont devenus ces biens pris au sanctuaire de Kayawa et de les récupérer, non point tant pour leur valeur que pour ce qu'ils contenaient. »

Les soldats non seulement ont effectué le sac de la ville, mais ont même détruit certains mobiliers et ce, sans aucune raison valable, ni aucune utilité pour eux. C'est ainsi que M. Bakupa, âgé de 18 ans, a constaté les faits suivants :

« Me trouvant chez moi, à Kayawa, le jour de l'arrivée des soldats, j'ai voulu m'enfuir, mais le jardin était cerné. Dissimulé derrière une trape, j'ai pu constater qu'avant l'incendie de la maison, les soldats se sont acharnés à briser les guéridons et armoires. »

L'incendie suit toujours le sac d'une ville. Il est de bonne règle de détruire par le feu les traces de pillage. Kayawa n'a pas échappé à cette coutume. C'est la partie haute du bourg qui a été la première la proie des flammes. Pour allumer le brasier, les soldats ont utilisé des grenades, des plaquettes et des balles incendiaire. Maisons, fermes, boutiques, granges, flambèrent et disparurent tour à tour.
Le bourg a été anéanti très rapidement. L'incendie a commencé autour de 17 heures et, à 23 heures, une bonne partie de la ville n'était plus qu'un amas de ruines. Quelques carbets et fermes des alentours ont subi le même sort.
Les jours qui ont suivi le drame


Il existait dans le bourg de Kayawa une maison particulièrement bien approvisionnée en vivres et qui possédait, paraît-il, de vastes combles. C'était celle de M. Olyu, marchand d'estampes. Le magasin contenait une grande quantité d'œuvres.

Les soldats l'épargnèrent lors de l'incendie général. Ce ne fut que le lendemain matin qu'ils y mirent le feu. Ce retard est dû au fait qu'ils voulaient se donner le temps d'en opérer le déménagement et aussi qu'il fallait se réserver un poste de garde confortable pour passer la nuit.
Un groupe de soldats républicains est resté sur les lieux jusqu'au jour suivant et n'est reparti que vers 9h 30 du matin. C'est ainsi qu'après le départ du gros du détachement un certain nombre de soldats ont été vus s'affairant au milieu des décombres. Il est à présumer qu'ils se sont employés à faire disparaître des cadavres imparfaitement consumés et à brûler ce qui ne l'avait pas été.

Le rescapé, M. Geita, déclare :

« Au cours de la nuit, camouflé derrière des branchages, derrière ma maison, entouré de lueurs d'incendie, et entendant toujours des coups de feu, je vis un point lumineux qui s'agitait auprès de moi. C'était un soldat, posté en sentinelle, qui paraissait faire des signaux avec une lampe électrique.
Le lendemain, aussitôt l'aube ayant pointée le bout de son nez, j'entendis les soldats dans le bourg, et j'ai vu l'incendie reprendre du côté de la gare des trains de ville. J'ai pu me rendre compte, par la suite, qu'il s'agissait de la maison de M. Olyu.
Il s'est sans doute, au cours de la nuit, déroulé d'atroces orgies à l'intérieur de ma maison. Quelques heures plus tard, j'y ai trouvé, dans les décombres, les restes d'une trentaine de bouteilles de rhum.
Ils y burent, y ripaillèrent à la manière de porcins, et certaines autres découvertes indiquent assez le caractère monstrueux des scènes auxquelles se livrèrent ces brutes sadiques à la clarté des dernières lueurs de l'incendie. »


Le 19 août 1959.

M. Geita termine son récit en indiquant :

« Le jour venu, quelques heures après les faits, comme je l'ai dit plus tôt, toujours dissimulé dans mon buisson, ayant entendu un bruit de camions et de véhicules motorisés, j'eus l'impression que les soldats s'en allaient. Pendant de longues heures, précise-t-il, je suis resté dans ma cachette n'entendant que le crépitement fait par les poutres et les tuiles qui tombaient dans les décombres des incendies.
Dans l'après-midi, des bruits de sabots se sont fait entendre près su bourg de Kayawa. J'ai compris que des habitants des environs revenaient. Je me suis alors lancé à la recherche de mes parents. C'est à ce moment que j'ai aperçu le cadavre de mon patron accroché à une palissade. Il avait été tué d'un coup de feu dans le dos. Un cheval était attaché à sa nuque par une corde.
J'ai attendu alors, caché derrière derrière cette même palissade, puis je décidai de me diriger vers la maison familiale. J'aperçus le boucher de ma rie, qui m'apprit que tous les habitants de Kayawa avaient été massacrés, brûlés et qu'une grande partie de la ville était incendiée. Toute ma famille avait disparu. »

En regagnant leurs cantonnements, les soldats de l'Armée républicaine emportèrent des objets sur lesquels ils avaient fait main-basse. Ils les chargèrent dans leurs camions.
Arrivés dans un hameau voisin, un problème technique frappa l'un des camions, celui-ci alla buter violemment contre le tronc d'un arbre et capota. Le soldat qui était au volant fut gravement blessé. On le coucha dans le camion. Pendant ce temps, d'autres soldats se précipitant vers le véhicule accidenté en retiraient deux énormes valises lourdement chargées qu'ils transbordaient dans leur véhicule. Il s'agissait de toute évidence du produit de leurs vols.
Cette scène nous a été rapportée par M. Hejima, témoin oculaire.


Le 20 août 1959.

Des soldats sont revenus à Kayawa le 20 août, tôt dans la journée. Ils se mirent en devoir de creuser quelques fosses où ils inhumèrent les restes trop compromettants de leurs victimes. La plus grande dépassait quatre mètres de longueur. Elle fut découverte, ainsi que nous l'avons dit, dans le jardin du sanctuaire, à proximité de la petite porte est de celui-ci. On y recueillit, parmi des restes humains à demi carbonisés et des débris de chair et d'ossements, un certain nombre de corps rendus méconnaissables par l'action du feu.

Les autres fosses furent, ainsi que nous l'avons déjà signalé, creusées dans un petit jardin voisin, non loin de l'une des granges du massacre des hommes. On trouva dans ce charnier des ossements et débris humains plus ou moins calcinés correspondant à une cinquantaine de cadavres. Un certain nombre de cadavres ont, en même temps, été enterrés par eux dans les champs aux alentours du bourg.

En se retirant, les soldats qui constituaient ce détachement tirèrent des rafales de mitraillettes dans la partie basse du bourg. Ils repartirent alors par la route coloniale, laquelle pouvait les conduire également à Kyugawa ou Siwa.
On pense, en effet, qu'ils venaient d'une de ces villes et qu'ils avaient été envoyés à Kayawa pour faire disparaître toute trace trop gênante de cet abominable forfait, ainsi que toute pièce trop accusatrice, et donc compromettante dans la guerre civile qui se jouait à la lumière de l'opinion publique et internationale.

Ce qui est certain, c'est qu'ils ont, ce jour-là, envahi la maison d'habitation de M. Hagita.
Celui-ci était absent depuis une bonne semaine. Quand il voulut rentrer chez lui, vers 8h 45, il entendit des bruits de bottes, des éclats de voix. Il écouta quelques instants et se retira prudemment.
En regagnant son domicile, au cours de la journée, il constata qu'on avait vidé sa sauce soja, qu'on avait utilisé sa cuisinière pour faire du bami et qu'enfin on avait fait main-basse sur son gingembre.
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