25/02/2015
03:37:00
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Activités étrangères au Carnavale

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Activités étrangères au Carnavale

Ce topic est ouvert à tous les joueurs possédant un pays validé. Vous pouvez publier ici les RP concernant les activités menées par vos ressortissants au Carnavale. Ceux-ci vous permettront d’accroître l'influence potentielle de votre pays sur les territoires locaux. Veillez toutefois à ce que vos écrits restent conformes au background développé par le joueur au Carnavale, sinon quoi ils pourraient être invalidés.

Personnages carnavalois immunisés contre les manoeuvres hostiles ennemies 1/3:
-Blaise Dalyoha.

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Long manteau blanc, béret noir, lunettes de soleil et chewing-gum, c'était Alasdair Dubh. Certains diront qu'il a fui la guerre civile damann, mais lui dira juste qu'il est parti car il n'avait plus rien à y faire. En effet, Dubh était un idéologue communiste, et l'entrée en fonction de Sineag Buiseid, une amie de longue date, lui assurait que le Communisme prendrait bien ses racines au Damann. Buiseid était une femme forte, et intelligente - d'ailleurs, Dubh adhèrait à presque toutes ses idées.

Et pour continuer sa mission de libération des peuples opprimés par la folie du Capital, Alasdair Dubh avait choisi Carnavale. Ce ne devrait pas être compliqué de trouver des partisans dans le chaos qu'est cette cité-état déchue et ruinée. Il voyait déjà se lever le drapeau d'une République socialiste de Carnavale.

Dubh arriva alors discrètement dans l'un des pires quartiers - il avait le goût du risque ! - et l'établissement d'un réseaux de partisans devrait se faire rapidement.
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Le Scorpion

C'était ainsi qu'on appelait Erak Nelkah, un contrebandier de première espèce arrivé il y a de cela, dit-on, une demi-dizaine d'années, dans le port délabré de Carnavale. Recherché activement par son pays d'origine, le Banairah, dont il avait hanté plusieurs années le désert sud-est, connu pour ses villes abandonnées depuis la fermeture des plus anciens puits pétroliers, Erak ne risquait maintenant plus grand-chose : il était maintenant un expert pour se faire perdre par les autorités, et contrefaisait fort bien les papiers d'identité. A l'abri à Carnavale, véritable nation criminelle et corrompue à tous les étages, il pouvait s'adonner à tous les trafics possibles et imaginables : armes, contrefaçons, drogues et faux médicaments, tout y passait. Mais cette liberté avait un prix : celui de la concurrence. Le Scorpion s'était fait un nom, et avait élargi sa bande de malfaiteurs en recrutant dans les quartiers délaissés les jeunes sans emploi ni avenir, mais devait sans cesse protéger les intérêts de son gang contre les intimidations, voire parfois attaques de ses rivaux. Il avait passé ses premières années à servir un chef de gang local relativement influent. Satisfait par ses services, il lui avait permis de créer sa propre section avec ses camarades banairais et étrangers qu'il avait récupérés au fil de ses vadrouilles dans la mer des Bohrins. Les flux de marchandises étaient plutôt rémunérateurs en ce moment, la situation géopolitique s'y prêtait : entre le chaos de Kotios, ville anarchique peu surveillée de ses nouveaux et nombreux dirigeants et les déserts d'un Varanya en proie à la guerre civile.
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Carnavale : Crimes, corruption et contre-réalité

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Carnavale est la nation symbole de la médecine moderne et tout ça grâce à l'un de ses monuments qui est évidemment le grand hôpital. Emblème de l'évolution de la médecine cet hôpital est doté d'une technologie derniers cris avec des médecins extrêmement formés avec déjà plusieurs années d'expérience. Cette nation qui semble riche et prospère est aussi peut-être le paradis en quelque sorte mais pas n'importe lequel : Un paradis fiscal d'abord ainsi qu'un paradis en faveur du crime et de l'illégalité.

Carnavale, la nation de trois

Depuis ses débuts Carnavale est perdue à la noblesse et à ses profits puisqu'elle contrôle manifestement chaque petit sous dans le pays mais évidemment dire que la noblesse entière contrôle le pays c'est vague, quoi que puisqu'en vérité 3 familles sont "à la tête" du pays : La famille Dalyoha, la famille Obéron et la famille Castelage. À tout moment une guerre entre les trois peut éclater et diviser le pays en 3 morceaux mais heureusement une paix semble présente malgré les rivalités entre les 3 familles cependant le risque 0 n'existe pas.

Contrebande et crimes

Des familles puissantes au plus hauts sommets de l'état qui se sont hissées à leur place grâce à l'argent chercheront évidemment l'argent pour monter encore plus haut et ça les contrebandiers, pirates et businessman qui cherchent à s'enrichir l'ont vite comprit alors la corruption est de masse à Carnavale ce qui profite à presque tous sauf aux 19 millions de citoyens qui y vivent puisqu'environ 500 000 personnes possèdent plus que tout le reste de la population! Avec une justice corrompu, un pays avec une fiscalité presque inexistante et en y ajoutant des criminels assoiffés d'argent vous avez la recette pour créer Carnavale, la nation du crime.
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logo lz

Une fois n'est pas coutume, la L.Z, (initiales de Lofoten Zeppelin), la compagnie de transports par dirigeables des Provinces-Unies, et la seule par ailleurs dans ce secteur d'activités à proposer un service de voyage par les airs autre que l'avion, cherchait depuis longtemps à établir une succursale en Eurysie. La L.Z était à la recherche d'un pays avec des habitants à fort pouvoir d'achat, stable sur le plan politique et économique, mais également présentant certains gages en matière de sécurité.

Si Carnavale ne s'était pas imposé en tant que premier choix, la République de Makt étant un choix naturel par défaut, la petite principauté avait su démontré qu'elle pouvait réunir toutes ces conditions, tant économiques que sécuritaires. Le climat des affaires, favorable à la libre-concurrence et à la libre-entreprise, peut néanmoins se heurter à la main-mise de certains clans et certaines familles carnavalaises qui détiennent une énorme influence dans le domaine entrepreunarial. La L.Z a su visiblement naviguer en eaux troubles et éviter les nombreux eceuils mis sur sa route.
En outre, l'architecture typique et singulière de la Principauté de Carnivale possédait un atout considérable : en effet ses larges et hauts immeubles et grattes ciels possèdent la possibilité de pouvoir créer au sommet de l'une d'elle les fameux pylônes d'attache, indispensable au bon amarrage de ce genre d'aéronef. Mais les Zeppelins nouvelle génération pouvaient également s’amarrer en rase campagne.

amarrage
Dirigeable venant de s'amarrer à l'un des grattes-ciels emblématiques de la ville de Carnavale

La L.Z est une très ancienne entreprise de transports des Provinces-Unies du Lofoten, qui s'était initialement développée lors du boom des débuts de l'industrie aéronautique et de l'engouement suscité par les premiers avions, avant de se tourner définitivement vers les dirigeables.
La compagnie relia ainsi les principales villes du pays, et permit alors d'établir de nombreux liaisons aériennes intérieures, tout en réduisant fortement l'isolement des îles de l'Archipel du Ponant, les passagers appréciant tout particulièrement la douceur du vol, et les services proposés à bord alors de qualité nettement supérieure que les premiers avions de ligne civile.

Malgré un coût deux à trois fois plus élevé que des billets d'avions classique, et un temps de trajet multiplié par 2, les Lofotens n'ont pas pour autant délaissé ce moyen de transport atypique, offrant une vue et un panorama inégalé étant donné les très nombreuses baies et fenêtres qui parcourent la cabine passagers. Aujourd'hui les voyages en dirigeable sont particulièrement appréciés par la classe moyenne supérieure, voir aisée, de la population. Il est également de coutume d'offrir un voyage en dirigeable comme on offre une croisière.

En effet, la L.Z a beaucoup capitalisé sur les très nombreuses prestations à haute valeur ajoutée offertes à bord : restaurant étoilé, salon détente, bar lounge, salle de sport et de relaxation, ainsi que quelques divertissements tels que des concerts de musique, du stand-up, et même un bal masqué pour les grandes occasions.

interieur
Intérieur luxueux de la salle à manger VIP du dirigeable "Rising Star of the Sun"

Désormais, ces nouveaux services seront donc accessibles à une nouvelle clientèle carnavalaise, riche et aisée, qui pourront ainsi rallier la capitale des Provinces-Unies, Pemberton, depuis Carnavale en seulement 18 heures de vol.



En outre, les citoyennes et citoyens Lofotèns pourront également à leur tour découvrir les charmes et points d'intérêts offerts par cette nation eurysienne si particulière. L'entreprise L.Z a ouvert une agence de voyage, ainsi qu'un centre technique à Carnavale, et a souhaité également rappeler à ses passagers qu'ils doivent tout de même s'acquitter de taxes de séjour et des frais inhérents à l'obtention d'un visa. En effet les autorités des affaires étrangères des deux nations respectives n'ont pas signé de convention ni d'accord particulier en matière d'immigration et de séjours touristiques.

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Dirigeable modèle Z-200, en partance vers Pemberton depuis Carnivale
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E

A l'attention de l'évêché de Carnavale



Chers frères,

Je me réjouis de savoir que pour la mission divine, qui m'a récemment été confiée, je serai tout au long du chemin accompagné de frères de Carnavale.
Lors du dernier Conclave, vos frères cardinaux ont su trouver les mots justes et j'ai compris le combat que vous meniez en votre pays.

C'est pourquoi je souhaiterai confier à votre paroisse, 7 nouveaux sièges au collège des cardinaux pour m'aider à ouvrir les yeux de notre Église.
Pour ce faire, je vous invite à me proposer le nom de 7 évêques auprès du bureau de mon camerlingue que vous jugerez dignes de porter la soutane de cardinal.


Dans l'espoir qu'ensemble nous puissions faire revivre la gloire perdue de notre Église,


S
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Une certaine vision de l'avenir
Un Congrès informel de tout ce qu'il restait d'anti-communaliste, d'ultra-nationaliste, de raciste, de monarchiste, d'irrédentiste et de, pourtant, fermement Kah-tanais. Voilà ce que c'était. Voilà comment Antigone Ornan-Munch le voyait. Voilà comment elle en parlerait, tant aux compagnons du fascisme international, toujours accrochés à ses bons mots, à ses journaux, à ses carnets de voyage, qu'à ces salopards de Tulpas, chiens de l'Union, qui la tenaient en laisse. L'employaient pour surveiller de près les mouvements de leurs ennemis idéologiques. C'est qu'ils croyaient le fascisme mort, les petits salauds. Ils l'imaginaient comme un mouvement zombie. Une chair animée par des tressautements, des réflexes, mais qui ne pouvait plus enfanter de rien. Elle-même, qui représentait une certaine idée de l'ultra-nationalisme, jeune, dynamique, en recherche constante de solution, était venue à partager ce point de vue, à force d'échecs, et d'observer les vieillards hantant les partis. Les morts gouvernent peut-être les vivants, mais pour ce qui était de l'extrême-droite, à fortiori fasciste, à fortiori kah-tanaise, c'étaient plutôt les liches et des momies. Des machins vieux d'il y a trois générations, plus à jour sur quoi que ce soit, qui refusaient obstinément de débarrasser la place.

Et en même temps, après eux quoi ? Qui d'autres que les types qui avaient connu la grande époque sauraient la restaurer ? Bonne question. Quand elle y pensait trop longtemps, elle était prise de vertiges existentiels terribles. Alors en général elle n'y pensait pas. Pour le moment il fallait faire avec les fossiles. Demain ils mourraient. On verrait bien.

Ce n'était pas la première fois qu'elle passait à Carnavale, mais c'était la première fois qu'elle s'y arrêtait vraiment. Quand elle était plus jeune, que sa connaissance des lieux était strictement théorique, elle visualisait la ville comme une ruche dégénérée, imbibée d'eau et d'alcool. Constamment couverte d'une brume opaque et toxique, que traversait sans cesse un sale crachin mêlant eau et goudron.

Maintenant qu'elle y était pour de bon, elle se rendait compte que sa description avait tout juste oubliée les odeurs. Les parfums les plus à la mode côtoyaient une forte odeur et viande faisandée, qui s’immisçait partout, collait aux vêtements comme de la poix. La ville toute entière était comme une fosse commune sur laquelle on aurait érigé des tours. Bah. Ce n'était rien de plus que le capitalisme dans son expression la plus naturelle. Une machine à broyer des corps, qui ne prenait pas la peine d'éponger le sang. Pour ce que ça pouvait lui faire.

Elle regarda par la fenêtre de la berline qui la conduisait jusqu'au Grand Hôpital. Les rues dégueulasses laissaient progressivement place aux jardins publics et aux complexes universitaires. L'odeur de mort laissait place à celle de l'alcool médical. Elle nota quelques mots dans son carnet.

- "Votre première visite ?"

Le conducteur était un ami de la cause. Un Kah-tanais qui avait fui la dernière révolution. Il avait été colonel sous la junte impériale. Maintenant il conduisait un taxi. Le mouvement l'avait chargé, avec les quelques autres de la diaspora loyaliste vivant dans la principauté, d'y créer des contacts, d'y trouver des planques, de se rendre utile. Il avait fait de son mieux. Idéologiquement c'était un ignare, mais il restait un sympathisant du Combat, alors Antigone faisait de son mieux pour lui être agréable.

- "Oui." Elle hésita. "En fait je suis déjà passée par l'aéroport, mais je n'étais pas sortie. C'était pour rejoindre la Damannie."
- "Ah ? Pour quoi faire ?"
- "Pour rencontrer les chefs noirs, écrire sur la révolution nationaliste."

Elle le regarda pour la première fois. Encore un vieillard. Il portait une blouse de laine grise et des gros gants miteux. Son regard, d'un noir profond, chevauchait de sales poches violettes. L'édition mensuelle du Livret Noir, journal réactionnaire international, était posée à la place du mort. Ornan-Munch l'indiqua d'un geste.

- "Tenez, le Livret Noir m'avait acheté les droits de mes récits, par exemple. J'avais raconté toute la bataille de Baidhenor, et fait des comptes-rendus des discussions entre les fascistes et les druidistes."
- "Ah ! Vous êtes quelqu'un, alors !"
- "J'imagine qu'on ne m'aurait pas invité sinon."

L'autre acquiesça, trouvant sans doute que c'était logique. Elle détourna le regard pour le fixer sur les installations blanches du complexe hospitalier. Elle était quelqu'un, mais dans le tout petit monde du nationalisme Kah-tanais. Un monde en perte de vitesse, qui se faisait de plus en plus étriquer à mesure que les anciens rendaient l'âme. L'autre, qui n'en avait sans doute pas pour plus d'une décennie encore, grogna.

- "Saloperie, cette guerre civile. Heureusement que les francisquiens sont là pour écraser cette vermine rouge. Comment elle s'appelle, déjà ? Leur présidente."
- "Oui, c'est sûr. Heureusement qu'ils sont là."
- "Je me souviens plus de son nom. Merde c'était..."

Il s'arrêta dans le parking des visiteurs et l'aida à sortir ses bagages. Il y avait quelques groupes qui discutaient à l’abri de la pluie, sous l'imposant porche du Grand Hôpital. Elle reconnue quelques visages amicaux et se rendit à leur rencontre.
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Ernest Bario Vidal était un duc. Même si ça ne voulait rien dire sans empire et sans terres, il se plaisait à penser qu'il en conservait l'aspect. Qu'il le portait sur lui. Pas tant le titre, mais bien l'appartenance à une aristocratie, toute ancienne ou éphémère qu'elle fut. Combien y avait-il de ducs de l'Empire Kah-tanais, au juste ? Pas énormément. C'était un privilège d'élite. Une pièce rare, d'autant plus avec la chute du régime. Pas comme cette masse épaisse, consanguine, d'une bêtise héréditaire, qui peuplait les monarchies survivantes du vieux monde. Grouillait dans leurs cérémonies absconses, rampaient comme autant de vers dans les corps morts de leurs vieux régimes. Se partageant le gâteau tant qu'il y en avait. Succulent repas, un pays stérile, une viande décomposée. Qui ne tiendrait encore qu'un temps. Lui était un Duc d'Empire ! C'était à la fois une médaille et une cicatrice. Le titre ramenait à la grandeur d'une époque révolue et l'arrachement morbide à l'histoire. N'était pas martyr qui veut.

C'était comme ça qu'il analysait le monde. Se considérant à son sommet. Conscient des causes et des conséquences. Plus encore, du rôle mystique et centrale de l'aristocratie. De la vanité des rois. De la faiblesse des révolutionnaires. Du pessimisme nécessaire à la nette compréhension de la direction qu'avait prise l'humanité. Ernest connaissait sa sublime unicité, le ridicule de ses pairs. Avait conscience que rien n'était allé assez loin et qu'il n'y aurait pas assez d'hommes comme lui pour inverser la tendance. Tout était misérable. Tout était sans conséquente. Tout n'était qu'échelle de valeur. Jugement. Morale. Et tout ce qui lui arrivait était compris sous l'angle du Destin ou du Privilège, selon qu'il appréciait ou non l'évènement.

En d'autres termes c'était un individu détestable, un sale connard prétentieux. Mais il avait l'intelligence nécessaire à camoufler l'état de fait sous de bons mots. Et une mauvaise foi si totale, si absolue, qu'il était impossible de vraiment le situer où que ce soit. Il passait pour un jeune homme brillant. Il l'était peut-être.

Il se plaisait à le penser. Généralement ça le mettait dans ce qui passait chez lui pour de la bonne humeur. Il en était plein, aujourd'hui. L'occasion était exceptionnelle. Il avait toujours adoré les réunions de familles. Surtout quand il était si bien installé pour les analyser. Aldous Sukaretto, le vénérable vieil homme qui servait de tête à la maison impériale, l'avait convié à Carnaval avant tout les autres. Mis dans la confidence de son passage au Grand Hôpital, sans en expliciter les raisons. Rapidement ; Ernest avait compris. En quelques mots seulement, échangés dans une salle d'un blanc stérile, sous la lumière morte d'un néon, entre lui et l'ancien. Il fallait organiser une réunion de tout le gratin réactionnaire. Tous ceux qui se battraient encore pour combattre l'âme du Kah. L'idée était bizarre. En quinze ans les impériaux s'étaient dispersés au quatre vents. C'était pathétique, ces luttes d'influence entre des hommes qui n'en avaient plus. Quand-même : il fallait les faire venir. Le vieux avait quelque-chose à leur dire.

Ernest n'avait pas demandé ce qui l'avait décidé à Aldous. Pendant très longtemps il n'avait été qu'un régent de principe. La tête inutile d'une structure acéphale, anomique, informe. La prétendue armée blanche Kah-tanaise. Il ne lui avait pas demandé pourquoi ce voyage, pourquoi ce désir d'action, après tant d'années, alors que les communes étaient plus que jamais consolidées, et les alliés de l'empire plus que jamais vaincus, écrasés, relégués au rang de puissances secondaires. De nuisibles – et encore. Ce n'était pas le moment. Ce n'était plus le moment. D'un autre côté ça ne le serait jamais plus. Et chaque jour passant, ça le serait un peu moins encore.

Pour le Duc, il n'y avait que deux options. Soit Aldous allait mourir, et voulait passer sa couronne à un autre – ça expliquerait au moins l'hôpital – soit c'était encore ce mystérieux Livre des morts. L'Oracle mystique qu'il avait consulté toute sa vie. Il aurait suffi d'un mot du livre, des vieux ancêtres, et l'autre aurait bondi, arme au poing, pour attaquer seul Axis Mundis. Au moins ça, le Duc en était sûr. Oui, peut-être qu'après tout Aldous avait vu quelque-chose dans l'avenir, quelque-chose d'assez fort pour enfin le ramener dans le camp de l'action. Pas trop tôt. Inutile, mais pas trop tôt.

Alors il avait accepté de l'aider et, rassemblant sa conséquente expérience mondaine et ses quelques réseaux, avait invité tout ce qu'il y avait de fiable dans la réaction kah-tanaise, et assuré avec les autorités locales que la réunion puisse se faire dans les règles. L'affaire de trois poignées de main, de quelques sommes échangées discrètement, de bons mots. De flatterie. Futile. Détestable. Simple d'usage, comme tous les outils.

Maintenant il observait le résultat de son travail, et ça l'emplissait d'une forme apathique mais indéniable de joie. Plutôt de la satisfaction. Comme une pointe de lumière froide perçant sous la glace de son cœur. Éclairant son âme sans la réchauffer. À quoi bon s'agiter pour perdre ? Mais n'était pas mieux que de ne rien faire ?

Confortablement installé dans un sofa vert à couture dorée, il observait l'arrivée des gladiateurs et des clowns, pêle-mêle, se rencontrant dans l'arène qu'allait devenir le salon. Le fameux gratin réactionnaire. Des grands désillusionnés et cyniques de services aux vieux trop séniles pour comprendre la situation et jeunes trop inexpérimentés pour en avoir conscience l'impasse du mouvement. Ils arrivaient par petite grappe. Ernest les connaissait tous. Il en avait fréquenté beaucoup – son père était Duc avant lui, très apprécié, grand nom de l'Empire. Lui-même n'avait pas connu la Belle époque sinon dans son enfance. Il en connaissait pour autant tous les reliquats. Les jeunes, aussi. Les nationalistes exaltés qui appréciaient son style. Les solidarites qui avaient voulu le faire revenir au Kah pour participer à leurs mouvements légaux. Les dandys post-impériaux qui prenaient la Réaction pour une figure de style avaient fait de lui, sans lui demande son avis, son pape. Ils venaient tous, amenant avec eux leur lot de discussion. Les mots s'entremêlaient, formaient une symphonie atonale, un brouhaha tout politique, où perçaient quelques invectives et de charmantes retrouvailles.

Il y avait, dans un coin de la pièce, les survivants du mouvement Synarchistes. Tous ceux qui se trouvaient au Kah, qui avaient tenté, lentement mais sûrement, de s'introduire dans ses administrations, ses milieux politiques, militaires, avaient finalement été rattrapés par l’Égide. La sécurité intérieure de l'Union. Saleté. Il essaya de se souvenir du nom de leur chef. Léos… Léos quoi, déjà ? Peu importe ; La Synarchie n'était plus un mouvement, tout juste une idée. Deux gros bourgeois en fuite. Émeric Barbet, Laurent Ange, quasiment interchangeables dans leurs tweeds gris, exception faite de l'imposante calvitie de Barbet. Ils parlaient de la Synarchie, expliquaient à qui voulait l'entendre que c'était pourtant la solution. Qu'il suffisait d'être plus prudent. À quoi est-ce que ça croit, un Synarchiste ? Leur complot est un moyen, pas une fin. D'ailleurs on leur avait dit. Antigone Ornan-Munch. La coqueluche du fascisme internationale. Superstar de l'obscène. Une idéologue qui faisait du fric, avec un romantisme pas déplaisant. Petit air de garçon manqué, avec ses cheveux courts bien coiffés et ses traits un peu durs. Elle portait un uniforme d'officier Damann, qui ne la quittait plus depuis son passage chez les celtes. Au-dessus, une vareuse en laine. Qu'est-ce qu'elle avait fait, déjà? Pourquoi cette réputation ? Il se replongea dans ses souvenirs. Société de l'Iris d'Argent. Mouvement féministe « alternatif », traditionaliste, qui arrivait à exister au sein du Kah malgré le mépris général. Quelques coups d'éclats, mouvements ironiques. Enterrement parodique d'une importante déléguée de l'Union. Après ça ? Création du Club du Renouveau Social. Organisation solidariste visant à réformer le Kah. Rapidement interdit après quelques crimes ridicules ; Belle expérience. Au moins elle avait compris la nécessité de l'Action. Son romantisme la perdrait. Il n'était pas assez total, pas assez absolu. Juste suffisant à la rendre inconséquente. Leur regard se croisèrent, elle la salua et il lui rendit un petit signe de tête.

Il continua de parcourir la salle des yeux. Les murs étaient couverts d'épais rideaux rouges et le sol carrelé de noir et de blanc. Il entendit d'ailleurs quelqu'un s’interroger, bruyamment, sur le style des lieux. Une autre voix lui répondit quelque-chose de vague à propos de la décadence carnavalesque. Le Colonel Kaname qui parlait à ce psychotique de Crevier. Kaname était moins réactionnaire que conservateur. Un vrai de vrai, au sens le plus ultime du terme : ce qui le caractérisait avant tout, c'était son absence totale de vision, sa haine compulsive de ce qu'il ne comprenait pas et sa propension à justement ne rien comprendre. Militaire de carrière, pas moins doué qu'un autre. Il représentait, du fait de ses dispositions mentales si particulières, la plus fine expression du monarchisme Kah-tanais. Il n'avait pas de grand projet de société. N'était animé d'aucune exaltation mystique, politique, sociale. N'envisageait aucun ordre nouveau. Aucune excavation de l'histoire. Aucune mystique de l'être ou de l'homme. Il envisageait simplement l'Empereur. L'Empereur au pouvoir. L'Empire. L'Armée. La Gloire. Point. C'était ridicule, et de toutes les personnes présente il devait bien être le seul à prendre l'Empire – qui n'était qu'un moyen – pour une fin en soi. Il rassemblait dans sa suite tous les monarchistes sans imagination qu'on pouvait s'imaginer. Lui-même en avait bien l'air. Avec ses yeux un peu vitreux, son léger surpoids, son uniforme impeccable, d'une propreté qui aurait pu faire croire que l'Empire ne s'était jamais éteint. Une image d’Épinal, charmante, arrachée à la volée d'une vieille époque où tout avait plus de sens. Crevier détonnait, à côté de lui. Plus philosophe que politicien, ses cheveux qui se dressaient sur son crâne, son aspect un peu cadavérique, lunaire, son regard profondément sombre, son visage marqué par une fatigue inconcevable, ses épaules voûtées par le poids du monde, ses mains plongées dans les poches de son épais manteau, gris-vert. Il s'agitait. Tapait le sol du pied. Lançait des regards partout. Grognait. Pourtant il avait clairement quelque-chose de puissant, de magnétique. Et il écrivait des textes splendides sur l'anéantissement de l’âme. Un vrai artiste. Un vrai torturé. Il haïssait tout d'une haine farouche et ne croyait pas à la politique. Idéologie avant tout. Il voulait une race de sur-homme psychologiques ; Amoraux. Brutaux. Honnêtes. Il était pour la lutte des idées, et croyait vraiment qu'on pourrait renverser le Kah par la culture. Peut-être parce qu'ils se ressemblaient énormément, Ernest ne l'appréciait pas beaucoup. Ils étaient trop similaires sur le plan des idées et trop précisément opposés sur le plan du standing.

Il y en avait d'autres. Représentants de micro-mouvements, de micro-cellules, de diasporas lointaines sans but précis sinon de perpétuer leur existence. On comptait en tout plus d'une vingtaine d'individus. Quelqu'un demandait, sans obtenir de réponse, s'il y avait du café. La voix du Synarchiste Ange couvrit bientôt la question.

C'est une imbécile !

Il échangeait avec un moustachu qui représentait le Parti Impérial Constitutionnel. Tout était dans le nom.

Au contraire je pense qu'elle a tout compris. Elle peut encore vivre au pays, elle.
Et à quoi bon, pour ce qu'elle en fait ? Cracha amèrement le bourgeois.

Ils parlaient sans doute de la princesse Rouge. Rai Sukaretto. La fille du dernier empereur en date, une enfant lors de la révolution. Épargnée par les bouchers, qui avait intégré le système au point d'en devenir l'une des actrices majeures. Membre du Comité de Volonté Publique. Et en quel honneur ? Elle faisait des vêtements. C'était tout. L'Empire avait pour rejeton ultime une espèce de libérale mal dégrossis qui vendait des vêtements. Ridicule. Pourtant elle restait le sang de l'Empire. Dans la mystique réactionnaire elle était l'héritière légitime. Une alliée potentielle. Naturellement les Synarchistes la haïssaient car elle n'avait pas soutenue le mouvement – pourquoi et comment l'aurait-elle fait ? Les constitutionnalistes, eux, s'en moquaient bien. Que l'impératrice soit une idiote les arrangeait presque, eux et leurs délires ridicules de monarchies parlementaires. Plus loin, Ornan-Munch parlait sécurité avec un prêtre shintoïste, qui représentait une association venant en aide aux émigrés nationalistes kah-tanais à travers le monde. Le prêtre parlait d'une voix chevrotante.

Ce n'est pas comme si ma présence était secrète. Le Comité a des yeux partout. Même ici, j'en suis certain. C'est comme ça. C'est inévitable. C'est...
Pour moi c'est inutile d'y penser. Nous devons faire comme si de rien était. La paranoïa de nous amènera...
Oui, oui. Et tout le monde a déjà prouvé son engagement.

Antigone Ornan-Munch acquiesça vivement. Elle tripotait le col de son manteau, fixant quelque-chose derrière l'homme d'église.
À l'autre bout de la pièce, Crevier éclata de rire et attrapa la main d'une femme portant une robe rouge au style moderne.

Le Club du Renouveau Social présentait une bonne première étape ! Je le dis !
Le Club n'existe plus. Vous vous rappelez ? Il a été dissous. Soi-disant à causes d'assassinats. Des actes isolés.
Les solidaristes ce sont des putrides et des cons dégueulasses, tout juste bon à être bouffés par les chiens. Mais ils avaient une bonne idée. Légalisme, légalisme ! Ah ! Il faut assumer ses crimes individuels et protéger le groupe ! Moi je le dis, écoutez un peu, moi je le dis encore une fois s'il le faut. Il faut imprégner la culture. Pas un parti, un Club politique, mais une communauté d'éthique, de pensée. Nous allons les faire éclater sous la pression. Comme ça.
Hmh, oui. Lâchez-moi maintenant.

Le duc en eut assez, se racla la gorge et se leva de son siège.

Et maintenant compagnons, un peu de silence. Son excellence le Régent va nous rejoindre.
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Le Régent n'était pas nécessairement l'homme le plus impressionnant au monde. Même parmi le cirque éclectique et mal dégrossis des réactionnaires en Exil, il n'était pas plus notable qu'un autre. C'est que parmi les monarchistes en fuite, Aldous Sukaretto semblait, au premier coup d’œil, issue d'un modèle standardisé. Vieil asiatique, ridé, croulant, éteint. Habillé à la mode d'une autre époque, mais pas aussi reculée de celle d'où étaient issues ses conceptions sociales et philosophiques. Une espèce de relique qui, en mourant, emporterait dans sa tombe quelque-chose du monde, le rendant meilleur par la même. Pour un passant ne le connaissant pas, le vénérable vieillard n'inspirerait, sans doute, pas une grande estime.

Même parmi les siens, il était critiqué. On le disait indécis. C'était vrai. Mystique. Là aussi exact. On le savait, il consultait le Livre des Morts, et d'autres oracles. Une mauvaise blague consistait à dire qu'il ne prenait pas de décision propre, se contentant de suivre les révélations aléatoires de l'ouvrage bouddhiste. Mais Aldous était l’aînée des survivants. Le doyen, le patriarche. Le respect qu'on lui devait, s'il était largement traditionnel, en restait bien réel. Il y avait aussi, bien entendu, le fait qu'il faisait office de juge de paix dans la communauté, avait présidé l'importante communauté économique kah-tanaise au Yuhanaca, connu et personnellement conseillé les dirigeants de la dernière Junte et, plus important que tout, avait une connaissance parfaite et intégrale des secrets de chacun. On ne pouvait tout simplement pas s'en faire un ennemi. C'était trop dangereux. Il le savait. Il n'en faisait pas grand-chose.

Sous sa direction l'exil des Kah-tanais avait été léthargique. La dernière révolution avait été particulièrement traumatisante pour la diaspora des réactionnaires. La décapitation de tant d'entre eux, la poursuite de leurs leaders et décideurs par les tulpas de l'Union, l'abandon progressif de tout les soutiens de la précédente Junte, lassés de voir leurs tentatives d’anéantir l'esprit Kah-tanais rater, décennie après décennie. Aldous avait fait en sorte d'assurer la survie des siens mais n'avait jamais réellement organisé d'efforts de reconquête. D'un naturel laconique et triste, il ne s'était pas amélioré avec l'âge. Il avait assuré à chacun fils et filles de l'Empire une place ailleurs ; De quoi continuer à vivre, préserver l'héritage. Sans entretenir d'illusion sur leur capacité à un jour retourner au pays.

Pourtant, il avait bien organisé ce congrès. Et malgré les rumeurs qui persistaient à dire que l'idée venait en fait du duc Ernest Bario Vidal, c'était bien lui et lui seul qui en avait eut l'initiative. Sans doute inspiré par un accès de clairvoyance, d'ambition, par l'envie de laisser une trace et de ne pas être que le fossoyeur de l'empire, l'enterrant dans l'histoire.

Ou bien, et c'était plus probable, le Livre des Morts lui avait enfin indiqué quoi faire.

Il entra dans le salon, sur un fauteuil roulant. Il n'avait pas tenu à marcher. Les nombreuses opérations qu'il avait subit, profitant de son passage au Grand Hôpital pour changer quelques organes, réviser ce qui pouvait l'être, assurer à sa longue vie quelques années de plus, l'avaient fatigué. Le silence se fit et tous les regards se posèrent sur lui. Le Colonel Kaname, fine-fleure des royalistes, se précipita pour l'aider à se déplacer, l'installant de façon à ce qu'il soit face à toute l'Assemblée, avant se le saluer à la militaire et de rentrer dans le rang. Crevier chuchota quelque-chose à Ornan-Munch, qui sembla d’abord surprise, puis hésiter entre le rire et le dégoût. L'autre, très satisfait, se redressa et planta son regard fou dans celui d'Aldous, qui jauger la foule.

Peut-être qu'à cet instant, l’honorable vieillard réalisa comme il était vain d'espérer contrer quelque révolution que ce soit avec une aussi fine équipe. Des personnalités fortes mais vaines. Des vieillards qui n'avaient plus leur place dans le monde, des fanatiques incapables de réellement exister dans la direction d'un chef, des philosophes que personne ne lisait, des reporters qui survivaient d'une polémique à l'autre. Pourtant, Aldous se décida à parler. Sa voix était ferme. Il conjura l'énergie qui lui avait tant servie, du temps de l'empire, pour galvaniser les foules. Il avait beaucoup parlé, durant la Révolution. Il avait brièvement été chargé de la Propagande du régime. Avant que les guérillas ne prennent le contrôle des principaux médias et centres d'émission radio et télévisés.

 Certains d'entre vous ont fait un long voyage pour venir jusqu'ici. Très long voyage, oui. Je tiens à tous vous remercier d'avoir fait le déplacement. Il me plaît de voir d'une part tous les vieux compagnons qui, avec moi, dirigeaient furent un temps l'Empire. Votre fidélité est héroïque. Il me plaît aussi de voir toute cette jeune génération, qui n'a pas perdu espoir. Pas plus qu'elle n'a perdu le sens de ce qui importe vraiment. Fidélité, justice, autorité… Des mots vidés de sens sous la révolution. Des, des mots...

Il secoua la tête.

Je sais que ma missive était écrite en des termes on ne peut plus sibyllins. Vous devez comprendre comme le sujet est grave. Comme ce qui va suivre est important. Messieurs-dames, mes amis. Nous avons été trop longtemps silencieux, victimes des persécutions que le monde fait subir aux nôtres. Que ce soit au sein du Kah encore rouge du sang de nos amis, ou ailleurs, où l'on qualifie nos pensées de conservatrices, réactionnaires, absurdes. Pfh. Je me félicite d'être qualifié de réactionnaire par toute cette vermine.

Il y eut des approbations et quelques rires. Un prêtre applaudit doucement, accompagnant les « c'est bien vrai, ça » d'un synarchiste. Aldous repris.

La Famille Impériale est le cœur de notre action. Notre point de rassemblement. Le pivot de toutes nos idées. Il y a des différences indéniables entre certains d'entre nous mais personne ne saurait nier que le point central de tout ce que nous faisons, l'élément qui nous donne notre force, c'est la grande tradition des Sukaretto qui au fil des époques ont tenté maintes et maintes fois de sauver le Kah et de rectifier le cours de l'Histoire.

Et moi, vous le savez, je suis sont plus fervents serviteur. Le régent. Pourtant... Je n'ai pas rempli mon rôle comme je l'aurai dû. Le fait est, mes amis, que j'ai été… Défaitiste. Complaisant.


Il y eut un silence. On l'écoutait maintenant avec une grande attention.

Je m'en excuse. Je ne vous ai pas rassemblé ici pour vous demander de me pardonner. Je devais simplement admettre mes erreurs. J'ai laissé les nôtres se fait exiler, pousser à l'exode, sans prendre les décisions nécessaires. La vérité c'est que j'ai été, pendant trop longtemps, un régent sans couronne et sans héritier. Celle qui devrait hériter du trône a depuis longtemps tourné le dos à son héritage.

Rai Sukaretto.


Des murmures. Un militaire racontait comme il l'avait connu enfant. Un fasciste se fit violence pour ne pas cracher au sol. Aldous acquiesça.

Ils la surnomment ironiquement la princesse Rouge, et peut-être ont-ils raison ! Elle est plus rouge que princesse. Trahir son sang de la sorte... Et aucune mesure ne nous permet de la déshériter. Alors pendant des années, la couronne était perdue. Laissée dans le caniveau par cette fausse-fille. Cette ennemie de la justice et du pays réel. Je vous ai rassemblé ici pour vous dire que ce problème... A été réglé. Le Grand Hôpital dans lequel nous nous trouvons, a donné une deuxième descendante à la famille impériale.

Comme il savait qu'une partie de ceux rassemblés n'approuveraient pas le procédé employé, il resta flou à son sujet et enchaîna le plus vite possible.

Il est temps pour nous de nous réorganiser. De retrouver des soutiens. Des alliés. De mener une véritable guerre au Kah sur tous les domaines où nous pouvons encore agir. L'économie. La loi. La culture. La Société du Lis d'Argent était une excellence première tentative.

Antigone Ornan-Munch eut l'air ravi de se voir féliciter. A côté d'elle, Crevier radotait sur le Club du Renouveau Social.

Il faut utiliser tout ce que le Kah permet contre lui. Faire fleurir des dizaines de paroles dissidentes. Rappeler au peuple son véritable destin et ses véritables ambitions. Et pour ce faire, il nous faut un nouveau symbole. Un symbole qui n'a pas trahi son sang, ni son rang. Ce pourquoi vous êtes ici.

Et il prit une grande inspiration. Une infirmière pénétra la salle de réunion, portant un couffin dans ses bras. Aldous l'indiqua d'un air révérencieux.

Que ceux qui veulent sauver le Kah de ses tyrans rouges s'agenouillent maintenant et jurent allégeance au nouveau prince des Sukaretto. Il est temps pour nous d'agir.
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2006

La lumière des lampes vacillait doucement sous le vent et la pluie fine.
Sur le sol détrempé, les reflets de la mégalopole de Carnavale émerveillaient et portaient à confusion. Où était la frontière entre le sol et le ciel ? Au loin les gratte-ciels s’élevaient à perte de vue, sous une brume pluvieuse caractéristique de cette proximité océanique d’Espérance.

Il ne faisait pas si froid que ça, mais l’imperméable ou le long manteau en laine rappelant le ciel dernier sortait des placards en cette saison automnale particulièrement morose.
Sur le quai, de larges grues de chargement et déchargement s’alignaient, comme des mastodontes courbés et endormis. Des centaines de containers de toutes les couleurs s’amoncelaient en une colline organisée d’un côté et de l’autre des entrepôts à perte de vue, jusqu’au centre-ville tout aussi démesuré et d’un monde où le développement sociétale et technologique a travaillé de concert depuis de nombreuses générations.

Les tours affichaient toutes sortes de styles, allant du moderne entièrement vitré et aux courbes arrondies et aux cambrures sveltes au plus ancien d’un art déco dont le classicisme artistique et l’imaginaire étaient enviés de la plupart des nations de ce monde.
Navires cargos de petites tailles ici et là, nous étions à l’écart du port tout automatisé déchargeant les portes containers gargantuesques ; ce quartier pour les « petits » affréteurs était réputé pour le commerce exotique et d’exception, parfait de discrétion.

Et c’est à travers la pluie fine que les barbes emplies de gouttelettes brillaient légèrement, que les imperméables goudronnés mouillées luisaient. Une vingtaine de personnes déchargeaient avec une grue plus petite, plongeant dans la carlingue d’un navire d’apparence quelconque, pour en extirper quelques caisses et les placer aux côtés de camions garés et alignés en parallèle du navire.




La langue utilisée n’était pas Française et les accents plus marmonnant et rauques, tout comme le style vestimentaire, donnaient quelques précisions sur leurs origines potentielles.
Et descendant de la passerelle, une autre vingtaine d’individus se joignirent à la scène. Carrures plus minces, manteaux en laine qui descendent mi mollet avec une ou deux rangées de boutons, anciennes casquettes ou bérets sur la tête, il y avait une volonté de se fondre dans la masse et le style Carnavalais.
Toutefois quelque chose interpellait, dans cette nuit où les ombres vacillaient au grès des lampes lâches de ces hauts lampadaires. Ces individus, aux visages imberbes, ne parlaient pas et sans ménagement se dispersèrent dans les environs. Rejoignant une voiture garée ici, d’autres disparaissaient entre deux entrepôts là-bas, tandis que le restant montait dans les camions à l’avant, tout comme à l’arrière.

Après quelques longues dizaines de minutes de déchargement et chargement dans les camions, un groupe d’individus munis de lampes torches approchèrent à pied. Habillés de larges imperméables jaunes et de casques de chantiers, ils portaient sous le bras un petit écriteau recouvert de plastique.
Sortant du camion garé en tête, deux individus en casquettes et longs manteaux s’approchèrent à leur tout en faisant un signe de main, écharpe autour du cou et couvrant en partie le menton.

Marchant à leur rencontre, ils se serrèrent la main, les lampes de poche miroitant un temps au fur et à mesure de la conversation pour se stabiliser sur l’écriteau. Impossible de percevoir ce qu’il se disait à cette distance, dans le vent et la pluie, la mer venant amplifier en fond la charge sonore.
Quelques hochements de têtes des gens casqués et ils firent un signe que tout était en ordre.


En toute légalité, en suivant les règles locales, la cargaison entrait sur le territoire Carnavalais.


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Carnavale oh Carnavale, un nom qui sonne comme une promesse.

Une promesse folle, pour des espoirs fous. Dans ces ruelles et ces bas-fonds la pègre domine le monde et le pirate Pharois, craint ailleurs, ne semble ici qu’un tout petit poisson. Il se dit d'ailleurs que le diable marche dans ces rues, et que la ville regorge tellement d'horreur qu'on croirait que c'est un camé parmi les autres. Tout sur cette terre toxique semble inviter à la démence quand chaque pas manque de vous faire chuter. Et ce n’est pas seulement à cause des pavés défoncés des avenues.

Carnavale a autant de marchés que de quartiers, autant de seigneurs et de barons que de rues, et tout en haut de son improbable et gargantuesque hiérarchie, la noblesse démente et richissime, panthéon tout puissant au royaume du fric !

D’un coup de botte dédaigneux, l’un des membres d’équipage repousse un mendiant amputé des deux jambes qui tente de lui saisir le bas du pantalon.

- « Ces gens là se défoncent le crâne à coup de vapeurs d’égouts, qu’est-ce qu’on vient essayer de leur vendre de la came de qualité ? »

- « Bien pour ça que c’est pas à eux qu’on vend pauvre con. »

Armés de mitrailleuses, le visage dissimulés aux lumières rougeoyantes des derniers vestiges d’un éclairage publique ancestral, les Pharois progressent dans les rues des bas quartiers. Motos, voitures sillonnent les avenues à toute allure, peu respectueuses des feux de signalisation dont on a depuis longtemps arraché les fils électriques.

Un nuage de vapeur urticante, propulsé vers eux par les courants d'air sifflants entre les immeubles, leur fait remonter leurs écharpes sur leur nez. L'un d'eux est pris d'une quinte de toux et doit s'arrêter pour vomir de la bile. Organisés, ses compagnons forment un demi-cercle autour de lui, la mains sur leurs armes.

- « J’aime pas cet endroit. »

- « Personne n’aime Carnavale, t’as gueule maintenant, on va là haut. »

La capitaine désigne les hauteurs.

Sur les colline de la ville brillent comme des feux de brousse dans l’obscurité les lumières des quartiers privés, réservés aux aristocrates. Surplombant la cité noire, elle la nargue nuit et jour en faisant miroiter sur les vitres de ses building en ruines les reflets lointains et fantasmés de ses orgies dantesques où rien n’est tabou.

- « C’est vrai qu’ils bouffent des gens là haut ? »

- « C’est plutôt en bas qu’ils en bouffent, mais ça m’étonnerait pas. »

- « Je serai curieux de goûter, pas toi ? »

La capitaine le dévisage.

- « De toute façon on entrera même pas dans le quartier, il y a des endroits spécialement dédiés pour les livraisons, ces gens-là ne se mêlent pas avec nous. »

- « Putain d’aristos ! » grogne un des membres d’équipage.

- « Ouais, en attendant il y a que eux qui raquent aussi cher pour notre produit, alors bougez vous le cul et faites gaffe, j’ai pas envie de me faire cracher dessus par un lépreux. »

Quelque part leur vient le feulement hystérique d'une tripotée de chats qui se disputent un morceau de rat. Un chien hurle, immédiatement accompagné d'un cri qui l’imite, mais humain, et probablement dément. Trois enfants maigres comme des clous traversent la rue en riant, derrière eux une vieille femme torse-nue, les seins couverts d’exéma, agite un couteau de cuisine.

Au milieu de la rue, elle s'arrête, contemple les Pharois, puis maugrée et fait demi-tour. Le chemin est encore bien long à travers les rues de la Cité Noire.


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2007

Les mains plates et droites, elles bougeaient de haut en bas, le bras formant un angle droit au niveau des coudes. Tel un mauvais robot très peu saccadé, la jeune femme faisait ses mouvements au rythme de la musique. La tête se balançait de gauche à droite doucement, les lèvres pincées et les yeux rieurs.


Hop là, elle arrêta de faire le robot et avança son pied et sa jambe, puis tout son corps pour glisser dans une flaque d'eau dont le sol graisseux lui permit une glissade sur presque un bon mètre sans perdre son équilibre. Crasse, l'eau avait marqué ses baskets roses, mais elle n'en n'eut cure et éclata bruyamment son chewing gum de la même couleur que ses chaussures avec un plaisir tout particulier.


Faisant de petits pas au rythme du synthétiseur, elle dansait en secouant tranquillement les cheveux derrière la tête, son casque recouvrant entièrement ses oreilles, le premier bien calé entre les boucles dorées.

Elle écoutait de la musique et donc ne fit pas attention à la main tendue d'un sans domicile fixe ébahi dont la barbe était marquée par des années d'inhalation aux bouches d'égout acides et toxiques. Tout en bougeant son bassin et en se déhanchant sur la musique rétro, elle vit du coin de l'oeil l'homme les yeux écarquillés. Tapant des mains au niveau de son visage comme pour les écouter et avançant de côté, la tête dodelinant un peu plus rapidement, elle s'arrêta et leva les bras au ciel pour les replonger dans les poches et sortir le paquet de chewing gum qu'elle refila nonchalamment à l'homme complètement éberlué.


Bim bam, un passement de jambe autour d'une rigole verdâtre et le pied vint shooter un vieux papier gras d'une chaîne de fast food et les yeux de la jeune fille se fixèrent vers les innombrables lumières tournoyantes de Carnavale, mais aussi de l'allée qu'elle venait de passer, un véhicule de police aux gyrophares bleu électrique, un cordon de sécurité autour d'un homme revêtant un étrange costume noir de très bonne qualité, tel un carbone futuriste. Les oreilles pointues de son masque relevées au-dessus de la tête lui donnaient l'aspect d'une créature de la nuit, toutefois ses membres inférieurs formaient une forme étrange. Non loin du corps à quelques mètres de hauteur, un câble semblait s'être sectionné... une défaillance de matériel sûrement.

Elle n’avait rien vu du tout, plutôt soucieuse de bien claquer des doigts au moment où le synthétiseur de la piste musicale l’enjoignait à basculer son corps en avant et en arrière.
Une vieille dame dont le décolleté en V plongeait jusqu’au nombril commença à lui faire de signe de déguerpir, un doigt d’honneur face à la jalousie et l’incompréhension de la scène. Il suffit d’un petit retournement et d’un moonwalk plutôt bien réussi du fait de la crasse environnante et les bras écartés, les mains bien ouvertes afin de prendre toute la place dans cette ruelle des bas-fonds, afin de calmer le jeu ; la prostituée tournoya un doigt au niveau de la tempe, les fous et folles étaient nombreux ici, une de plus.


La jeune femme farfouilla encore ses poches tout en fixant les lumières de Carnavale avec fascination. La musique parachevait cet orchestre de beauté, lumière et son liés, douceur du sucre fruité d'un malabar bi-goût, jaune et rose, elle se sentait si bien, si inspirée qu'elle en avait sorti son tutu de princesse d’un enterrement de vie de jeune fille pour l'occasion.


Elle reprit un autre cachet et continua sa route du plaisir dans les avenues embellies et prodigieuses de la grande métropole.



10827
Une ambiance extrêmement feutrée régnait sur le palais des brumes. C’était l’hôtel particulier qu’avaient achetés les blancs en exil, une fois leur fidélité envers la régence réassurée par l’un de ces rituels vieux de plusieurs siècles qu’ils aimaient tant répéter à l’occasion, et d’où ils dirigeaient les opérations de leur nouvelle armée secrète. Celle qui devait inverser la tendance. Gagner la guerre par des moyens totalement différents de ceux qui jusque-là n’avaient jamais qu’occasionnés quelques victoires de principe. Ce n’était pas à coup de juntes éphémères et de guérillas désespérées que l’on renverserait la sale union. Cette gueuse assise depuis trop longtemps sur le siège de l’empire. Roman national d’autant plus absurde que l’Empire lui avait succédé, et qu’il était difficile de le présenter comme un état plus naturel des choses quand le naturel du Grad Kah, celui qui revenait systématiquement au galop, était libertaire, profondément. Cela n’avait jamais vraiment embarrassé l’extrême droite. Son culte du secret rimait souvent à culte du mensonge. On n’était pas là pour rétablir un ordre réel et souhaitable, mais pour justifier, pas à pas, la destruction totale de tout les outils établissant le pouvoir d’une majorité, au détriment de quelques-uns. Bien entendu l’homme est majoritairement une espèce intelligente, ou en tout cas consciente d’elle-même. Et cette conscience exige justifications. Le nihilisme abyssal, auto-destructeur, sanguinaire. Cette crise mégalomane qui donne droit de tuer, qui change l’acte d’oblitération en jouissance quasi sexuelle, ne se suffisait pas à lui-même. Et s’il était naturel chez quelques-uns, cet état d’esprit devait être construit chez tous les autres. Alors oui. Même si le but final était d’une insondable nullité : obtenir le pouvoir. Le garder. En jouir. On lui trouvait les justifications les plus profondes. Les plus philosophiques. S’emparant jusque des attraits de la science et de la réflexion. L’apparente respectabilité des grands auteurs, quand bien même ce déguisement servait à justifier la mort. Un projet de mort. Et l’odeur des cadavres qui allait avec.

C’était bien la tâche à laquelle s’était attelée cette fameuse armée secrète. Justifier ce projet. L’arracher des tréfonds douteux de l’histoire où il avait échoué encore et encore, effacer d’un revers de main et d’une pluie de savants contre-sens son héritage répugnant, parfumer ses atours pour couvrir l’odeur de la gerbe, et faire comme si l’idée n’avait pas été trouvée dans un caniveau, entre une flaque d’urine et le corps abandonné d’un homme laissé à la nuit. En bref : on faisait de la propagande.

Le palais des brumes étaient de ces tours dont plusieurs étages n’apparaissaient pas. On pouvait les compter, et se rendre compte avec surprise qu’il y avait peut-être plus de fenêtres que de boutons dans l’ascenseur. Ou le contraire, ça dépendait des cabines. Son plan devait avoir été conçu par un homme d’une extrême intelligence, ou fréquentant la folie. Dans les faits c’était un peu des deux. Le cabinet chargé de planifier sa construction travaillait, à l’époque, pour un quelconque syndicat criminel, oublié de l’histoire et laissant en héritage ces structures arbitraires et bizarres. Pensées pour la collusion et le secret. Officiellement, d’ailleurs, il n’appartenait toujours à personne. Carnavale était une fille d’être et de secret. Tout le monde se disait tout, personne ne savait rien. Et au contraire, ce qui s’ignorait le mieux se savait pertinemment. A qui appartient le palais des brumes ? A personne. Et ces blancs en exil kah-tanais ? Nul-part. Tiens donc.

C’était un peu particulier. Presque surréaliste. L’un des vieux militariste avait fait remarquer que Carnavale était tout à la fois exemple du pire et du meilleur que pouvait donner l’humanité. On lui avait rétorqué que la ville était pourrie, mais simple à naviguer pour qui en avait les moyens. En tout état de cause, on savait surtout que l’extrême particularité de la culture locale créait comme un écran défensif assurant une maigre mais nécessaire protection aux activités Blanches. C’était ça, ou l’assurance d’avoir un tulpa de l’Union sur le dos. A vrai dire, à Carnavale l’assurance laissait simplement place au doute. Mais le doute sonnait comme un espoir. Peut-être qu’on pouvait agir en secret, donc peut-être qu’on pouvait y arriver. Antigone Ornan-Munch, elle, ne se contentait pas d’espoirs aussi artificiels. Mais c’est qu’elle était l’une des plus jeunes, et aussi des plus actives. Pour elle le fascisme était une notion vivante et malléable. Et si les autres, les fossiles et les royalistes, croyaient qu’on devait l’extraire de l’Histoire comme un fossile ou un corps conservé dans la vase d’une lagune, elle avait l’intime conviction qu’il fallait tout reconstruire. Ça avait été la lutte de toute une vie, quoi qu’encore courte il est vrai. À visiter les fronts, les partis, à produire un impressionnant corpus politique à ce sujet. La doctrine fasciste était souvent mal comprise ; On croyait souvent qu’elle était attirante en ça précisément qu’elle offrait l’ordre, le pouvoir naturel des élites, la stabilité d’un monde sourd et inflexible. On comparait le fascisme à des sculptures de marbre, d’une impeccable perfection, mais dont la blancheur éclatante fait oublier que leurs inspirations antiques étaient couvertes de peintures vives. Tout ça, c’était évidemment des conneries, et elle le savait. C’était la soupe que les fascistes servaient aux bourgeois et aux royalistes pour justifier leurs essentielles alliances de circonstance. C’était ce lotus qu’on avalait pour oublier que ses fondateurs, les premiers faisceaux, étaient tout autant bourgeois qu’anarchistes, qu’il y en avait pour croire au roi et à Dieu, et d’autre en la machine et dans le sang. En fait, c’était simplement cette excuse qu’on employait pour nier le fait que des années durant, le fascisme avait tenté – et sans cesse raté – de s’allier aux socialistes interventionnistes. Simple réalité historique. Les socialistes ne voulaient pas des faisceaux, alors ceux-là se sont vendus auprès de leurs ennemis, et ont usurpé la place que les rouges avaient creusés dans le système. Simple et élégant comme une ratonnade nocturne.

C’était donc ça, qu’il fallait retrouver. Bien entendu il n’y a que les abrutis de la gauche pour hurler du passé, faisons table rase. Et elle ne l’ignorait pas. Mais enfin tout de même, il fallait faire le ménage. Toutes ces vieilles breloques, bourgeoisie, élitisme, roi, patrie à l’ancienne. Tous ces vieux trucs inefficaces. Ces grigris, ces obsessions de riche propriétaire, cette idée vétuste du pouvoir… Il ne suffisait plus de rénover, il fallait raser, reconstruire. Le fascisme avait obtenu le pouvoir par le passé, et était devenu à cette occasion un instrument incapable de le saisir à nouveau. Embourbé dans les réalités du contrôle et de la politique. Le Parti anti-parti, l’option de ceux qui n’en avaient pas, l’idéologie qui était alors si libre d’évoluer, de nier en bloc, s’est retrouvée prise dans une ambre vieille d’un siècle. Et le monde avait évoluée sans elle.

Tout reconstruire. Tout rebâtir. Tout reprendre à zéro. A force d’observation, elle avait documenté toutes les grandes batailles du fascisme depuis sept ans – systématiquement des défaites – elle avait fait une cartographie de la pensée brune. Elle la comprenait parfaitement. Elle avait saisi qu’elle n’était pas exactement fasciste, elle-même. Le terme lui paraissait anodin et creux. Elle était au-delà de ça. Une super-fasciste voilà ce qu’elle était. Une ur-fasciste. Son sang bien rouge et chaud charriait des idées d’une pureté épurée de toute conception conservatrice. La défaite continuerait, inlassablement, tant qu’elle serait seule.

Bien sur cela faisait aussi d’elle une ennemie de ses alliés. Si elle expliquait à toute la clique des blancs que leur heure était passée, leurs méthodes inefficaces et leurs idées stupides, la situation risquait d’évoluer de façon défavorable. Il fallait agir avec plus de finesse et d’intelligence.

On lui avait donné la charge des journaux et sections idéologiques de l’armée secrète. En vertu de ses nombreux contacts, de son expérience de terrain et d’une plume qui lui avait permis de vendre de nombreux livres parmi lesquels ses mémoires de Damannie et de Kotios. Donc, elle était en quelque-chose entrée dans la bergerie. On lui avait donné les armes pour influer, subtilement, sur le débat. Elle pouvait insuffler des idées nouvelles dans le dogme périmé. Elle pouvait commencer lentement mais sûrement l’exercice de sa reconstruction intégrale. Elle pouvait, bien entendu, le faire. Mais cela prendrait des années, et Antigone, pour ses rares qualités humaines et son intelligence difficile à nier malgré ses positions, n’était pas une personne d’une excessive patience. Elle était, en fait, intimement convaincue que sa mort pouvait survenir à tout instant, obsession funeste qui justifiait peut-être son amour immodéré de la charogne, et voulait voir de son vivant l’aube brune et noire, celle qui purifierait la terre et mettrait au feu toutes les vieilleries.

Donc il fallait agir vite. Plus vite que ne le permettait le cycle des idées. La parution des livres, des journaux, des discours, et les élections où cette extrême droite mondiale, biberonnée sans le savoir à ses initiatives, continuait sans cesse de faire de meilleurs scores tout en oubliant jusqu’à ses valeurs premières. Là encore, devenant un instrument d’oligarque plutôt que la main d’un guide messianique.

C’était ce qui lui avait inspiré une solution dont elle avait d’avance qu’elle ferait scandale, mais personne n’avait vraiment les moyens de s’opposer à elle. Du reste, elle avait déjà obtenu l’accord du régent et trouvée quelqu’un pour la remplacer à la tête de la rédaction idéologique.

Elle partait pour le Grand Kah.

C’était un pays où le fascisme n’existait plus. L’Union y avait veillée, et une série de purges, pratiquées avec la minutie d’une dialyse, avait assurée que cette branche spécifique du discours politique soit sectionnée et pour de bon. Ce qui était, en fait, une opportunité incroyable pour tout fasciste un tant soit peu ambitieux. C’était bien simple : sans fascisme préexistant, on était débarrassé de l’héritage qui allait avec l’idée même. Plus besoin de plaire à quelques élites économiques ou politiques, de se placer dans les pas d’auteurs poussiéreux qui n’avaient jamais intéressé personne d’autres que leurs amis. On évitait les poncifs antisémites et on pouvait contourner certaines questions essentielles à traiter pour les fascistes d’ailleurs, mais qui faisaient systématiquement échouer leur mouvement tant le reste de la société avait évolué. On pouvait s’adresser à la masse avec un regard et une voix neuve. Reprendre les fondamentaux. Mouvement de masse. Colère. Patrie. Sang. Futur. Il y avait tant à faire quand on pouvait tout réinventer. Ignorer le passé et ses erreurs. Le Grand Kah était une terre d’opportunité.

De plus, la situation y était extrêmement favorable. Les tensions militaires, la récente humiliation du fleuron de sa Garde, l’instabilité politique, les pensées déjà très radicales, futuristes, maximalistes, qui imprégnaient une partie du discours politique. La porte était ouverte à l’introduction d’idées d’un genre différent, mais violent. Le fascisme avait été populaire. Il avait été presque rouge, anarchiste. Au Diable les vieilles choses. Au diable les bourgeois répugnant. Vive l’art nouveau, la pensée nouvelle, les héros de guerre et le sang qu’ils versent.

Elle quitta Carnavale en bateau. Officiellement elle devait simplement réactiver le réseau contre-féministe (officiellement on parlait plutôt de féminisme alternatif) des Iris d’Argent. Sa dernière tentative plus poussée en politique, un mouvement solidariste, avait été interdit par l’Egide après une bête histoire de meurtre, ou quelque-chose de cet ordre. Antigone, cependant, n’était coupable de rien et pouvait encore aller et venir à sa guise. Elle comptait bien employer cette liberté et l’occasion que présentaient les élections pour faire changer les choses.

Si tu n’y arrives pas du premier coup, rationalisa-t-elle en fixant les structures décomposées des rives de Carnavale, et elle n’ajouta rien. Il était question de gagner la guerre.
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Les premiers rayons de l’aube arrosaient l’océan, donnant à son eau verte des reflets rougeoyants. A cette distance, on aurait dit les restes d’une marée noire. Comme une flaque de liquide, huileux et gras, flottant à la surface d’une mer taiseuse. Tout dans l’air respirait le deuil. Maintenant c’était parce qu’on approchait de Carnavale, et qu’elle était moins ville que charnier, tombe commune à ciel ouvert. De fait, il s’agissait peut-être bien des restes d’une marée noire. Personne sur le Kyoko ne tenait à s’en assurer personnellement.

Le navire avait fait un long voyage. Partant des côtes du Grand Kah, il s’était arrêté dans plusieurs communes exclaves. Il ne s’agissait pas d’un navire de fret mais d’un modèle rapide, pensé pour le transport de personnel important. Cela ne signifiait pas non-plus qu’il était un de ces superyacht ultra coûteux et clinquant. L’Union dans son ensemble méprisait ce genre de luxe. On les laissait bien volontiers aux affameurs, aux héritiers, aux millionnaires et plus, grands enfants immatures et cruels qui jouaient jour après jour la vie de millions d’individus pour leur bon plaisir. Ces fortunes ogresques, dévorant out sur leur passage, digérant la matière, la rendant sous la forme de ces luxes ; Ces déjections de la fortune, matière fécale qui n’avait pas beaucoup plus d’intérêt que la merde. Elle, au moins, nourrissait les plantes.

Au Grand Kah on préférait les déclarations d’Intention. Les appareils VIP devaient être justifiés dans leur existence. Puisqu’ils ne transportaient pas de fret – de façon à répondre à la nécessité de rapidité qui accompagnait leur tâche, on en faisait plutôt des laboratoires. C’étaient systématiquement des plans, des maquettes grandeur nature d’un futur qu’on espérait proche. Panneaux solaires, voiles, potagers intégrés. Des designs fins et élégants, des matières renouvelables. Une autonomie aussi élevée que possible. Ces vaisseaux – qu’ils soient avions, dirigeables ou, dans le cas du Kyoko, navires, étaient des lucarnes sur un avenir radieux. Un avenir qu’on présentait aux autres puissances à chaque voyage, chaque trajet, pour leur faire envisager, rien qu’un instant, la possibilité d’une autre forme de luxe, d’une autre forme de développement, d’un autre monde. L’obsession du Grand Kah, quoi que la formule ne signifiait pas la même chose d’un individu à l’autre.

Pour Rai Itzel Sukaretto, ça n’avait de toute façon pas d’importance. Ce qui comptait c’était qu’il y avait pour l’heure, un pays au monde qui essayait, de toutes ses forces, de faire changer les choses pour le mieux. Qui parfois y arrivait. Pas souvent. Le reste n’était que considération idéologique. Elle-même ne s’y risquait pas. Elle préférait largement fixer l’océan, les reflets rouges que le soleil projetait sur ses vagues, et s’imaginer rien qu’un instant, s’il s’agissait de l’aube, de pétrole ou du sang qui s’écoulait de la ville.

Un officier de pont approcha, s’arrêtant à bonne distance. Le gros de l’équipage était issu de la marine militaire. Si le bateau en lui-même n’était pas un appareil de guerre, on avait tenu à ce que la membre du Comité de Volonté Publique ait une escorte en mesure de la défendre au cas échéant. Ainsi donc, une dizaine de fusiliers marins lui servaient d’aide de camp. Elle acquiesça pour lui indiquer qu’il pouvait parler. La hiérarchie n’existait pas au sein du Grand Kah, et il ne s’agissait pas tant d’une notion d’obéissance au supérieur que de respect élémentaire. Après tout, il venait d’interrompre une artiste dans une contemplation du monde, ou peut-être suivait-il un raisonnement de cet ordre. L’officier parla d’un ton clair.

Salut et fraternité, citoyenne. Nous approchons de la citadelle.

La citadelle ? Ils ne lui ont pas donné de nom ?

Pas encore. Ils attendent que tout le personnel soit présent pour lancer les votes.

Oh !

C’était logique, après tout. Pour le moment seul dix pourcents du personnel total s’était rendu sur place. Le gros de la "citadelle" encore habité d’ouvriers, techniciens, ingénieurs de tout ordre. Une petite ruche d’individus perdus à la surface de l’eau, occupés à réaliser l’un des projets militaire et architectural les plus fous des trois dernières décennies. La création d’une île artificielle capable de remplir des fonctions de base aéronavale majeure.

La citadelle. Une citadelle pour nous défendre de qui, selon vous ?

Des eurysiens, citoyenne ? Enfin je suppose. Vous le savez sans doute mieux que moi.

Des eurysiens, donc. Je suppose que ça doit être ça.

Il ne semblait pas trop comprendre où elle voulait en venir. Il fallait le dire, Rai n’y comprenait que le strict minimum en termes d’affaires militaires. Elle avait un certain talent pour acquérir des compétences en observant les autres faire, et ces longues années à servir au sein du Comité de Volonté Publique n’avaient pas été perdue. Notamment parce qu’elle s’était attachée à une certaine Actée, qui lui avait inculqué avec une patience de sainte les bases de la géopolitique, et l’avait traînée aux quatre coins du monde dans divers réceptions importante. Elle devait sans doute avoir besoin d’une auxiliaire fiable, et comme elle ne supportait pas, à titre personnel, beaucoup des citoyens du Comité déjà compétents en la matière…

Tout de même, la création de cette base navale demeurait assez mystérieuses dans ses fondements même. Bien-sûr personne n’allait nier qu’une base navale était toujours utile. La capacité de projection, éternelle obsession des Directeurs de la garde. Et puis il y avait sa position avantageuse, à l’entrée d’une mer, face à la façade océanique de plusieurs puissances locales. Maintenant quand on voulait creuser, obtenir des réponses quant au "pourquoi" réel de l’existence de la Citadelle, quand on essayait de comprendre ce qui avait soudain poussé le Comité à s’intéresser à cette région de l’Eurysie, et à y acquérir une concession, on tombait au mieux sur des théories qui, fondamentalement, avaient toutes beaucoup plus de sens que la réalité même. Qui tenait en une phrase simple : on l’avait fait parce qu’on pouvait le faire. Rai y avait veillée personnellement, et personne n’avait rien trouvé d’intelligent à lui redire, c’était donc un consensus par défaut.

L’officier s’était approché de Rai, s’accoudant au bastingage pour fixer l’horizon. C’était un caucasien de taille moyenne, un mètre soixante-dix, sans doute. Visage grêlé, probablement une vilaine acné, et des cicatrices qui semblaient témoigner qu’il avait, au moins une fois, vécu de près une explosion. Peut-être une grenade. Rai avait étudiée les cicatrices des militaires pour une collection de printemps sur le thème de la guérilla. Sa curiosité artistique avait participé à la doter d’une culture générale que certains qualifiaient d’un peu tordue, ou de trop spécifique. Le brassard du fusilier indiquait qu’il était un enseigne-major. Officier subalterne. Elle ne jugea pas inopportun de lui faire la conversation.

Vous êtes déjà allé à Carnavale ?

Personne dans l’équipage, citoyenne. Je ne sais même pas si des Kah-tanais y ont déjà posés les pieds. En dehors de…

Il ne termina pas mais elle acquiesça, car elle comprenait très bien de quoi il voulait parler. Sa famille. Leurs serviteurs et alliés.

Les blancs en exils.

Un sujet qui la gênait moins que ses interlocuteurs, curieusement. Probablement qu’ils voulaient se montrer respectueux en évitant d’évoquer le passé particulièrement détestable de sa famille. Elle trouvait ça un peu touchant. Elle-même ne s’embêtait pas à prendre des précautions pour les appeler pour ce qu’ils étaient. Elle était une fille de fascistes. Pire, une fille de fascistes au pouvoir. Et alors ? Elle s’accouda à son tour sur le bastingage. Désormais la ville ne ressemblait plus à cet amas noir d’ombres écrasées. Les effets conjugués du soleil levant et de la distance sans-cesse réduite entre le Kyoko et les côtes permettait de discerner les silhouettes des tours, des installations portuaires, de cette espèce de charnier à ciel ouvert que la diplomatie internationale s’obstinait à qualifier de "Principauté". Comme si qui que ce soit était dupe.

En fait, reprit-t-elle d’un ton léger, s’il y a les blancs en exil il y a probablement aussi des tulpas.

Eh bien sans doute, oui. Et peut-être quelques marins, ou une diaspora de syndicalistes.

Il faudrait être totalement fou pour venir prêcher le Kah ou ses maladies bénignes dans ce bourbier.

Je veux dire, citoyenne, on a bien réussi aux EAU.

Je ne sais pas. Les EAU ne m’ont jamais semblé aussi...

Elle chercha ses mots, en vain. Décida de prendre une autre approche. Elle se redressa un peu et souris à l’officier, qui la regardait à son tour. Comme elle avait froid, elle extirpa une écharpe qui pendait jusque-là de la poche de son manteau, et l’enfila tout en parlant.

Disons, même si vous n’y êtes jamais allé, qu’est-ce que vous inspire Carnavale ?

Eh bien j’étais à Kotios...

Mais ce n’est pas vraiment comparable, si ?

Un peu, je suppose. Au tout début de la révolution c’était pas fameux. Mais en comparaison à ça c’est une petite commune de campagne.

Et Carnavale, Lac-Rouge.

La Lac-Rouge des villes pourries, si vous voulez mon avis.

Il y a un terme, dans la presse. La Verrue, je crois ?

Attendez... Je crois que c’est le « Bouton de Fièvre du capitalisme ! »

Il avait imité le ton caractéristique de Dolores Xi-Chiang, la Fondatrice du Syndicat des Brigades. Une vieille femme qui, pour la citer, n’avait pas passé vingt ans dans la jungle et quinze sur les barricades pour être remisée au placard sitôt la paix acquise ; Et donc fréquemment, elle écrivait ces éditoriaux, véritables discours incendiaires se saisissant de sujets selon l’actualité, démontant systématiquement tel pays, telle personnalité, telle action et, c’était une constante nécessaire et idéologique chez elle, le capitalisme. Toujours le capitalisme.
En tout cas l’imitation était frappante. La citoyenne applaudit gaiement.

C’est bien ça. La pauvre, je ne veux pas imaginer ce qu’elle aurait écrit si elle y avait vraiment mis les pieds.

Et elle retourna à sa contemplation. Verrue. Bouton de fièvre. Les termes ne lui semblaient pas vraiment adéquats. Ils étaient frappants, oui, mais ils rendaient une image de la ville qui ne correspondait pas vraiment à sa nature profonde. Rien qu’à cette distance, on pouvait le voir. Le sentir. Viscéralement. Il y avait cette odeur de fer, de mort, de moisie. Quelque-chose de chimique, aussi. La ville, comme toute grande dame, avait son propre parfum. Un parfum à son image. Dégénéré. Odieux. Car la Principauté n’était pas une ville. C’était une fosse commune, à ciel ouvert. Une immense tombe où l’on aurait jeté pelle-mêles les victimes et survivants d’un grand massacre. Et une masse soumise, écrasées, pliées en deux par un étau économique, psychologique, total et absolu. Qui grouille comme les asticots sur une carcasse. Leurs corps portant les marques des sévices ponctuant leur existence. L’avenir bouché par la fumée des usines, des pots d’échappement, des immeubles. Cette masse qui servait à peine de pions à un grand jeu dont tous les acteurs ont oubliés la nature. Calleux. Prématurément vieillies. Brisés. Brûlés par l’acide et les produits chimiques. Le cerveau liquéfié par les drogues et les effluves. Moins des humains que des martyrs de peinture romantique. Moins des humains que la masse grouillante des pêcheurs, catapultés hors de l’enfer catholique par un mauvais esprit, se répandant dans les frontières d’une ville, pas tout à fait vivant, toujours morts, gueulant, soupirant, attendant la fin de l’horreur.

Et au sommet des tours. Elle les visualisait très bien. Ces princes, ducs, barons, militaires, officiers. Une bonne société si propre sur elle, lisse, impeccable qu’on en oublierait presque la nature réelle. Des vampires. Regardez-les dans les yeux un instant et l’évidence s’offrira à vous : leurs yeux sont vides. Des lentilles de contact qui cachent à peine un trou béant. Noir. Qui ne demande qu’à aspirer jusqu’à la moelle, la substance de tout ce qui les approche. Et cette odeur, quand ils parlent. Tout y est. Ils ouvrent la bouche pour parler, ce sont des mouches qui s’échappent. Leurs dents, leur langue, leur palais, le fond de leur gorge sent la viande faisandée. Un liquide noir coule sur l’émaille. Ils éructent, postillonnent du sang. C’est parfois un morceau de leur glotte, ou de leurs tripes. On les voit bien, sur la table de leurs médecins. On ouvre le corps, on fouille à pleines mains, on jette, dans ce grand hôpital, tout ce qui a pourri. Toujours prématurément. Leurs organismes vieillissent plus vite que le temps lui-même. On jette tout dans la benne à ordure, direction les cantines où dévorent les ouvriers. Et on replace. Un jeune homme sactifié. Ses organes finissent, enfouis dans sous la peau épaisse comme du cuir du noble sur la table d’opération. Là où se trouvaient ses moisissures décomposées se trouvent des organes neufs. Ils commencent déjà à vieillir. On ferme le tour avec du gros fil et une aiguille rouillée, la même depuis des générations. Et ils repartent, claudiquant, vers leurs hautes spires, où l’argent coule liquide, où l’on boit pour dix ans de salaire, où l’on s’entre-tue joyeusement car leur réalité n’est pas celle de la vie, mais celle de la mort. Un peuple de cannibales, régnant sur les damnés.

Rai n’avait jamais mis les pieds à Carnavale, mais elle savait à quoi s’attendre là-bas.

Elle était la fille du dernier empereur Kah-tanais.

Elle avait vécue de près de la réalité du régime.

Elle connaissait le goût, la nature, la forme des oppresseurs et de leurs pions.
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De près, la Citadelle ne ressemblait pas encore à grand-chose, mais on devinait déjà les formes de l’extraordinaire structure qui devait bientôt s’ériger. Déjà, les plans étaient clairs. Les poutrelles métalliques et l’armature qu’elles composaient donnaient une idée très précise de l’emplacement des murs, de leur hauteur, de là où l’on espérait placer des tourelles, des hangars, des quais, des docks, des grues, des silos de missile, des cales sèches. L’ensemble se dressait fièrement vers le ciel comme un immense cadavre de Léviathan, échoué au milieu de la mer, peut-être su un banc de sable ; et qui par une magie obscure comme celle des mythes que peuple le monstre, se recomposerait, étape par étape, autour de ses vieux os. La masse des asticots les rongeant encore, bientôt sera chassée par la chair du monstre. Qui reprendrait alors vie. Et ensuite ? On imaginait pas la créature retourner à la mer. Peut-être qu’elle resterait là, pour toujours, ou peut-être qu’elle partirait ravager les rivages des ennemis de son maître.

En tout cas elle resterait là pour trois bonnes années, si tant est que rien ne venait rompre le contrat entre Carnavale et les Communes Unies du Grand Kah. On avait payé plusieurs milliards en location de terrain et en ouvriers, il n’était pas question que cela s’avère vain. Même si les buts de la manœuvre demeuraient, c’était peu de le dire, assez nébuleux tant que l’Union ne s’était pas dotée d’une flotte. Point qui, on l’espérait, serait réglé dans les années à venir.

L’approche du Kyoko se fit dans le calme et l’ordre des manœuvres militaires d’usage. La grande voile du vaisseau solaire fut rentrée pour laisser la place à ses moteurs électriques. Les fusiliers se placèrent sur le pont en rang d’honneur, et Rai Sukaretto rejoint la cabine du capitaine d’où elle observa la manœuvre avec un intérêt distant, d’apparat. La mer ne lui inspirait qu’une vague notion romantique qu’elle laissait bien volontiers aux Pharois.

Deux petites vedettes militaires émergèrent des quais flottants qu’on avait temporairement amarrés à la structure de la Citadelle. Ils escortèrent le Kyoko jusqu’à ces derniers, et s’éloignèrent pour lui laisser la place s’arrêter le long qu’une passerelle métallique. Ensuite, des marins jetèrent des cordes depuis le pont du voilier, qui furent réceptionnées à terre par des hommes en uniforme de la marine, qui les tirèrent jusqu’à des bittes d’amarrage, firent des nœuds, et s’éclipsèrent discrètement, non sans avoir lancé quelques « Salut et fraternité! » d’usage aux kah-tanais sur le pont. L’opération se voulait certes solennelle – on accueillait tout de même une citoyenne du Comité de Volonté Publique – mais les kah-tanais ne résistaient jamais à la tentation d’un peu de fraternité citoyenne. Alors on se permettait ces écarts qui de toute façon n’avaient rien de dommageable. Le cirque des cérémonies était un peu ennuyant, si on ne prenait pas la peine d’en gâcher la perfection.

Les dockers éloignés, ce furent des fusiliers qui arrivèrent au pas de course et se tournèrent, les uns après les autres, en direction du bateau. Comme quai était flottant et la mer un peu agitée, les silhouettes pourtant très dignes des soldats conservaient un petit quelque-chose d’inégales, s’agitant joyeusement du haut vers le bas selon les vagues qui passaient sous la structure. Un adjudant-maître débarqua à son tour, équipé d’un unique clairon, et joua quelques notes de L’Ode à l’Être suprême. Un hymne officieux du Grand Kah, qui représentait moins le pays – l’Union des Républiques, Communes et Syndicats du Grand Kah, que l’idéologie, le Kah, que la plupart des pays traduisaient en "communalisme" pour éviter toute confusion. Rai, qui aimait bien le morceau et le connaissait par cœur, émergea sur le pont du navire en le humant d’un air joyeux. Elle aimait bien ces cérémonies officielles. On aurait pu croire que c’était lié à son passif, à son éducation de future impératrice, mais ça tenait à autre-chose. Ce n’était pas l’aspect propre, ordonné, parfois qui lui parlait. C’était plutôt la notion un peu artistique d’une chorégraphie, qu’on adaptait selon les circonstances et le milieu pour signifier de façon optimale tel ou tel genre de respect. Par exemple on avait décidé d’envoyer un sous-officier trompettiste claironner quelques notes d’un hymne officieux, ce qui pouvait signifier plusieurs choses puisqu’en soi il ne s’agissait clairement pas d’un impératif protocolaire. De même elle comptait une quinzaine de soldats, insuffisant pour remplir tout le quai, parce qu’après tout il s’agissait d’une petite cérémonie pour une petite visite. Elle nota tout de même qu’ils étaient en uniforme d’apparat, ce qui signifiait une certaine préparation. Si la Citadelle était active, on lui aurait probablement envoyé des hommes en tenue de combat, pour signifier que sa garnison était sur le qui-vive.

Elle traversa le pont du Kyoko, s’arrêta face à la petite passerelle installée pour lier le bateau et le quai, et attendit un instant. Elle voyait un homme en uniforme approcher en trottinant. Il tenait sa casquette sous son bras et avait un brassard d’officier supérieur. Elle devina qu’il s’agissait du contre-amiral Presley, élu à la gestion de la Citadelle le temps de sa construction et qui pourrait sans doute compter sur une réélection une fois la base opérationnelle.

Rai ne s’attendait pas à voir la plus haute autorité militaire dans la région trottiner à sa rencontre, encore moins en tenant sa casquette sous son bras, et encore moins en lui faisant de grands signes de sa main libre. Elle eut soudaine pitié du pauvre homme, et descendit rapidement la passerelle pour se diriger dans sa direction à grands pas. Lui-même décéléra pour l’approcher en marchant, et ils se serrèrent enfin la main. Le contre-amiral était un homme souriant et élégant, qui trouva le temps entre deux grandes inspirations, de la gratifier d’un joyeux "Salut et fraternité, citoyenne ! Bienvenue dans notre petit morceau de Grand Kah."
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