Quelques personnes ont pu échapper à la tuerie. Certains jeunes gens qui, à cause de leur âge, avaient évidemment tout à redouter de la part des soldats, se sont cachés dans leur domicile dès l'arrivée de ces derniers, puis se sont enfuis, la plupart en franchissant les barrières des jardins situés derrière leur maison. Certains ont pu aisément gagner la campagne.
C'est ainsi que M. Date, âgé de 22 ans, qui était réfractaire, n'a pas voulu aller sur le lieu de rassemblement, est resté chez lui. Les soldats ont tenté de le brûler vivant dans sa propre demeure. Il nous a déclaré :
« J'ai vu de ma fenêtre, abrité derrière mes jalousies, mes parents se diriger vers la place de Kadwak. Je me suis alors réfugié dans l'atelier, situé derrière ma maison. Celle-ci ayant été atteinte par l'incendie, j'ai tenté de sortir de ma cachette pour essayer de sauver quelques objets et papiers auxquels je tenais. Des soldats m'aperçurent et m'obligèrent, sous la menace de leurs armes, à regagner ma retraite. Ils montèrent alors la garde devant la porte pour m'empêcher de fuir.
Voyant que les flammes menaçaient la pièce dans laquelle je me trouvais, je réussis à tromper la surveillance dont j'étais l'objet et à m'échapper dans le jardin où je me dissimulai dans un carré de légumes.
Soudain, la toiture s'étant effondrée, les soldats m'ont cru mort et sont partis. »
De son côté, M. Dakima signale :
« Un prisonnier rapatrié, M. Iwa, m'a raconté qu'alerté, lors de l'entrée des soldats dans le bourg de Kayawa, il a pu gagner la campagne et, pour se cacher, il s'est précipité dans une zone marécageuse. Il y resta dissimulé, sa tête seule émergeant de l'eau. C'est ainsi qu'il a vu passer près de lui deux soldats discuter, et l'un dir à l'autre : "Moi, j'en ai tué dix-neuf". »
M. Makima qui habitait une maison située sur la place de Kadwak, a été prévenu en temps opportun du danger qui le menaçait :
« J'ai pu, nous a-t-il déclaré, lors de l'arrivée des soldats à Kayawa, être alerté à temps et m'échapper à travers les savanes. Ma femme, qui m'avait conseillé de fuir et qui négligea de me suivre, se rendit sur le lieu du rassemblement. Mais hélas, je ne devais plus la revoir. »
Ajoutons à ces noms de rescapés ceux de : M. Bako, âgé de 19 ans, qui se dissimula dans son verger ; de M. Onima, charron âgé de 24 ans, qui voyant que son jardin était cerné, se cacha dans les combles de sa maison puis put fuir par la suite ; et de M. Nakiyo, âgé de 16 ans, qui s'abrita dans un réduit de son habitation.
Toute une famille a pu, par miracle, éviter le sort tragique de ses compatriotes : le mari, la femme, les enfants, ainsi qu'une amie de la famille. Ils résolurent de ne pas se rendre à la place de Kadwak et demeurèrent chez eux.
Un soldat, survenant, fouilla leur maison. Il découvrit les deux dames et les enfants et les conduisit vers le lieu du rassemblement. Le mari, caché dans une chambre, avait échappé à ses investigations, mais un nouveau soldat le surprit dans sa cachette et l'en fit sortir non sans forces. Il se retrouva dans la rue avec deux femmes et les deux enfants. Accompagné par un soldat, puis remis entre les mains d'un autre, le groupe parvint par une habile manœuvre à échapper à la surveillance de ses gardiens et à gagner les bois environnants.
Quelques habitants ont eu la vie sauve parce qu'ils étaient absents de Kayawa au cours de cet après-midi-là. Parmi eux, deux personnes qui avaient décidé d'aller à la pêche, ainsi que des artisans qui travaillaient dans les environs.