17/02/2017
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Activités étrangères à Carnavale - Page 4

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Passe-passe

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Dans le reste de l’Eurysie l’on dit parfois que c’est la constante anormalité de Carnavale qui mesure la normalité du reste du continent. C’est une façon de jeter la Babylone au bout de son promontoire de granite, là-bas vers la mer, tenue à distance par la solitude de sa kleptocratie frénétique et le dérèglement interne qui en découle. Tant que rien ne va à Carnavale, tout va bien ou presque dans le reste du monde ; c’est ce que l’on a pu se dire dans les savants bureaux d’experts des grandes métropoles du Vieux-Monde lorsque, avec la surprise de sa constante imprévisibilité, Obéron Industries se félicitait d’avoir pulvérisé au missile une cathédrale en Aleucie – tant que Carnavale restera absurde, nous sommes en sécurité, calculèrent les crânes d’œuf de la plus grande organisation interétatique au monde en orchestrant contre l’isolé phare de la folie une intimidation de représailles insincère et de pure forme, renforçant plutôt qu'affaiblissant la publicité commerciale des industries balistiques qui, tant qu'elles resteraient concurrentielles, se garderaient espérait-on d'être une menace sérieuse. Tant que le marché s’y saisit de tout, l'Etat n'y comptera pour rien, et de géant militaire, on aura fait un nain politique ; pensent ceux qui oublient parfois que le degré ironique est un atout sur le velours vert de la table ronde, où cartes cachées et masques de fête densifient un jeu à la finalité mortelle.

L’orage était revenu comme pour s’y acharner. Ses gros rouleaux tonnaient dans l’ombre du ciel et Yu s’était précipité à l’abri car en cette période de production montante dans les secteurs industriels des explosifs et des produits d’entretien, la qualité de l’air doublée d’une météo humide met en grande souffrance les surfaces sensibles à l’acidité. La pluie acide tombe comme la pluie normale mais à la façon dont les gouttes en ruissellent de rigoles percées, trouées, démontées, on comprend qu’il vaut mieux ne pas se tenir longtemps dessous.

La pluie acide est un phénomène saisonnal ; elle arrive aux périodes humides conjuguées aux contrecoups des gains boursiers du secteur pharmaceutique. Le Lofotexit ayant conduit la puissance nordique à sortir du monde, les industriels Carnavalais se retrouvaient en position maîtresse sur le marché du détartreur à oléoduc, du vinaigre ménager, du propyzamide et du dimoxystrobin pour la toux légère, ou encore de l’hydroxyquinoline pour résoudre les problèmes d’impotence, toutes marchandises dont quoi que pouvaient en faire les bien savantes autorités sanitaires des Etats membres d’organisations commerciales diverses, raffolent les gens car ça marche bien quand on en met assez. De cet attrait pour les molécules Dalyoha résultait un accroissement des cadences de production et certes peut-être le dépassement de certains niveaux que le Conseil Municipal, s’il avait été moins bête ou moins corrompu, aurait prévu de mesurer ; et quand l’air saturé de dioxyde de soufre provenant de la cuisson des matières premières était pris dans les précipitations météorologiques fréquentes sur la côte occidentale, il en résultait une pluie bouillonnante, dont la mesure du pH aurait fait frémir les chimistes les plus hétérodoxes des centrales du Drovolski.

Abrité dans la boutique Yu regardait l’eau tomber dans la rue. Une vague de chaleur humide se heurtait au froid sec descendant du pôle et en se tournant autour les deux masses atmosphériques se frottaient l’une à l’autre, s’arrachaient des électrons comme des amants qui se battent, et dans cette tension éclatait des pics foudroyants qui lézardaient comme des éclairs la surface écartelée du ciel. Elle tombait chaude et dégueulasse cette pluie, délivrant une odeur d’ozone mâtinée d’autres composants qu’à coup sûr les ingénieurs de Bourgléon mettraient un point d’attention à mesurer, non pas par souci de santé publique, mais par intérêt scientifique ; les Jardins botaniques, loin de s’en plaindre, s’en glorifiaient. Ils ouvraient obscènement leurs feuilles larges pour la laisser dégouliner, cette huile sale, cette saloperie, jusqu’au fond de leur trachée végétale, imbibant leurs feuilles recouvertes d’une chitine surnaturelle, saturant leurs racines plongées dans ce que la terre compte de plus innommable ; à Carnavale les enfants du vice se reconnaissent dans la pisse du Diable et y ouvrent grand la gorge.

— Maïs grillé ?

L’odeur appétissante provenait d’un vendeur à la sauvette qui, s’étant aussi réfugié sous le hauvent de la quincaillerie, avais soufflé à nouveau sur ses braises pour reprendre son petit commerce. Yu le regarda mais tourna les talons, rejetant l’offre ; quelqu’un d’autre au contraire s’avança pour échanger contre deux pièces argentées un en-cas sous la pluie.

— Le trafic est interrompu entre la place des Epaves et la porte des Echassiers pour cause de submersion de la voie. Veuillez vous référer aux autres itinéraires proposés…

La voix synthétique raisonnait dans le pôle multimodal de Capricorne-Princesse Eugénie. La gare était un grand hall sombre traversé par une foule souffreteuse. Des êtres informes poussaient devant eux des caddies ; dans les coins de carrelage malodorant dormaient des cocons de couvertures rempliées sur des sans-abris ; on se pressait dans les allées pour rejoindre les correspondances. Le tram était interrompu, constata Yu. Il se mordit la lèvre en pestant intérieurement. La pluie dehors redoublait d’intensité, interdisant tout trajet à pied. Mais pour la quarante-quatrième avenue, il n'y avait rien d’autre à faire qu’attendre que le trafic reprenne, ou bien prendre le passage souterrain qui menait à la station jumelle, de l’autre côté de l’autoroute.

— Copium ?

Une figure ravagée le regardait. Les cernes étaient marqués par l’amincissement d’une peau en état de décomposition. Le dealer gardait une main sous son manteau qui aurait très bien pu tenir une arme.
Yu fit non de la tête. L’autre cracha par terre avant de s’en aller. Les sachets de copium, savant élixir délivrant jouissance physique et calme psychique, permettaient au corps de s’abstraire de son état pour retrouver la chambre silencieuse du monde mental ; là, entrant en méditation devant le gong de la force spirituelle, le toxicomane profitait d’une accalmie que plus rien d’autre ne saurait lui fournir dans ce monde sans fin, sans tête, sans trêve.

Vivre à Carnavale devait être une gageure pour rester sain d’esprit ; c’était ce calcul que faisaient les grands empires autant que les Maisons Nobles ; tisonné comme un poulet sur les braises, le peuple, assailli par toutes les maladies, les catastrophes et les folies possibles, n’en représenterait que davantage une pâte élastique, malléable à l’envi, dont on retirera la substantifique moelle de la plus-value avant de le jeter, comme un détritus dans un bac de terreau, pour qu’il se régénère en hargne de réussir et appétit d’intérêt aisément manipulable au fond des rez-de-chaussée de la ville.



* * *



Les bulles pétillaient dans la coupe ; elles se glissaient, toutes réjouies à travers le liquide doré, jusqu’à la surface du ménisque où s’amoncelait une douce écume blanche comme la peau d’un Blême. Le parfum fruité et les vapeurs délicates de l’alcool demeuraient contenues dans la forme évasée du verre de cristal, que Phlalie tendit à Coranthym.

Une musique associant rythme sableux de la danse et calme mélodique d’une guitare tropicale étoffait l’appartement d’une atmosphère décontractée et rafraîchissante. Les convives, debout ou bavardant indolemment sur les fauteuils du salon, dégustaient des cacahouètes enrobées d’un caramel au matcha fourrées avec une substance noire qui aurait aussi bien pu être de la pâte de sésame salé que du nécromélange. La façon qu’avait la marque de revisiter les spécialités culinaires mondiales dans ses biscuits apéritifs aurait occupé sans doute l’essentiel de la conversation s’il n’y avait pas la course aéronautique du Grand Trophée Castelage à commenter. Mais d’une caresse aussi sincère qu’autoritaire, Phlalie détourna Coranthym qui s’apprêtait à briller devant les invités pour lui murmurer à l’oreille.

— Chou, tu voudras bien mettre les œufs à réchauffer.

Il sourit bizarrement mais s’exécuta car sa mère baissant les paupières confirma l’ordre de sa fiancée. A vingt-deux ans on a juste l’âge d’obéir à la puissante femme qui régentera votre vie ; le jeune homme, aux cheveux teintés de reflets blonds et à la peau dorée par les rayons orangisants d’un salon de beauté idéalement situé sur l’une des tours des Luminaires, se dirigea vers l’arrière-cuisine. Il saisit les plateaux de petits en-cas, des fœtus de chat grâtinés au basilic et à la moutarde, pour les enfourner.

— On n’attend plus personne ? demanda Agartha à Phlalie.

— Si, une personne.

Phlalie reporta son regard sur les convives. Les hommes arboraient une coupe gominée ou un smoking blanc encravaté de couleurs, selon une mode bien propre aux quartiers ouest proches de la plage. Les femmes avaient un chignon lisse et bien relevé au-dessus de leur tête, qui leur donnait l’air d’ampoules géniales. Ceci fait, Coranthym saisit une coupe et s’approcha de ses amis qui contemplaient, à travers la baie vitrée du balcon, la vue sur Carnavale.

— Alors, Martrein, tu regrettes pas trop ?

— Ah, putain de salope !

L’intéressé pesta ouvertement sans se soucier de politesse de langage car à Carnavale les mœurs ne sont pas aussi guindées que dans les fêtes ennuyeuses de la vieille société eurysienne. Autour d’eux, quelques amis rirent ; l’intéressé se récriminait contre la décision stupide qu’il avait eu d’investir dans Zamour & Associés, l’un des plus grands cabinets d’avocats du pays, quelques jours avant la retentissante nouvelle de la décision du Tribunal Populaire dans le litige Obérons Industries v. Laboratoires Dalyoha, motivée par l’interférence entre les ondes de brouillage de leurs appareils et celles de l’implant neuronal des pilotes, et qui avait abouti à donner raison à la partie défendue par Macqueusais® contre celle représentée par Zamour & Associés ; de cette décision il avait résulté une chute du cours de Zamour dont se détournaient les investisseurs vu sa défaite dans les tribunaux. Celui qui échoue à défendre une Noble Maison perd en général son statut sur la place de Carnavale, où les arbitrages judiciaires sont aussi courants et nécessaires au bon fonctionnement de la société que la masturbation vespérale l'est à la détente de l'organisme ; à la fois rouages du système (qui autrement sombrerait dans la guerre civile, comme il y a un siècle) et contentieux intenses en spéculations (qui attirent mouches, abeilles et frelons financiers), les litiges inter-maisonnées provoquent régulièrement des fracas d’armes numériques et boursières affolants. En d’autres termes, à peu de choses près, Martrein s’était ruiné ; si le cours continuait à dévaler la pente, il ne serait même plus invité chez Coranthym. Lequel, d’ailleurs, se détourna bientôt de lui en entendant la sonnette.



* * *



Yu s’engouffra dans le funiculaire au moment où la pluie, soufflée par une brise de terre, était chassée vers l’océan. Bourgléon en recevrait quelques gouttes ; la cabine démarra son ascension le long du câble qui conduisait à l’Elysée, un groupe d’immeubles de deux-cent étages environ construits dans les années 1930 par l’architecte et fameux styliste Erwin Bergliora ; leur silhouette élégante et Art Nouveau, scintillante sous les rayons du soleil qui parvenaient parfois à transpercer la voûte épaisse et nuageuse du ciel, donnait un aperçu du rêve mégalomaniaque de celui qui avait pensé un habitat par et pour les plus riches, dans le confort et la paix de la lumière, à une hauteur depuis laquelle les tréfonds de la ville basse sont dissimulés l’essentiel de la journée par un brouillard de condensations marines et de particules fines. Le funiculaire permettait d’accéder à une plateforme « en altitude », perchée au-dessus du marasme infernal dans lequel gangs, paroisses militarisées et chiens sauvages s’affrontaient ; plusieurs étages, complètement obstrués par une épaisse couche de béton, séparaient le monde des vivants – en haut – de celui des morts ou presque – en bas. Le coûteux ticket de funiculaire permettait d’arriver à ce salon digne d’un zeppelin lofotène où l’on pourrait ensuite retrouver son chemin vers les passerelles intertours et le réseau d’ascenseurs. Il s’y trouvait aussi des centres commerciaux, constamment ravitaillés par un grand aspirateur pneumatique, où les habitants de cet habitat doré comme un nid d’aigle pouvaient à loisir trouver cosmétique, électroménager et produits raffinés du monde.

Arrivé à la plateforme, Yu vit s’ouvrir devant lui les portes du funiculaire et ses occupant en vider la cabine. Le carrelage étincelait sous la lumière artificielle ; il se glissa dehors. Passant devant un magasin de diététique qui vendait des herbes biologiques pour soigner les maux du corps, il songea qu’apporter un petit cadeau n’était pas de trop ; à l’intérieur, il choisit une crème à base d’orties délicates directement cultivées dans la fraîcheur des serres Dalyoha.



* * *



— Oh, Yu ! On n’attendait plus que vous.

La porte s’était ouverte sur le visage amène et pâle du jeune homme ; c’était Phlalie qui s’était exclamée, derrière l’épaule de Coranthym dont la main était toujours sur la poignée de la porte.

— Yu Beyazkedi.

Ils se serrèrent la main.

— Coranthym Beurce. Enchanté.

La jeune thésarde, le teint légèrement rosi par la poésie lubrique de faire se retrouver l’un en face de l’autre deux hommes dont elle a partagé la couche, invita le dernier arrivé à se joindre aux festoieries. On avait déjà entamé les fœtus de chats, dont la texture gluante ravissait les papilles insatiables de la grande bourgeoisie aux instincts prédateurs.

— Yu Beyazkedi est mon conseiller fiscal, avoua Phlalie en mentant à ses invités, toute effronterie ayant quitté son regard pour se réfugier dans les spasmes amusés de son ventre. Je l’ai invité pour faire mieux connaissance. Après tout, comme le dit le dicton : votre conseiller fiscal, c’est un ami vital !

Agartha leva un sourcil interrogateur. La jeune femme y répondit, diplomate.

— J’ai demandé à Monsieur Beyazkedi de me faire part de son analyse avant la première audition du procès.

— Je suis expert en question successorales.

Coranthym et sa mère regardaient l’intrus avec circonspection. Le litige qui les opposait à Obéron Industries devait rester relativement discret. Il consistait en la possibilité, pour la famille Beurce, de récupérer certaines participations au capital de l’entreprise qui avaient appartenu à Philippus avant sa mort. Philippus était le père de Coranthym et après son décès, l’entreprise à laquelle il avait dédié sa vie avait refusé de rétrocéder à son fils et à sa veuve plus d’un tiers des parts auxquelles ils prétendaient avoir droit au titre de l’héritage, valeur cardinale qui ne saurait être remise en cause ; plaidant cela, les Beurce n’avaient obtenu que silence de la part de la grande institution, et s’étaient trouvés dans l’obligation de déclencher une procédure devant un juge pour qu’on décrète leur droit à accéder à ces parts qui représentaient tout de même plusieurs milliers de chèques carnavalais. En monnaie de singe, ça fait beaucoup.

— Et vous êtes de quel cabinet, monsieur ? demanda Agartha, un peu inquiète de l’idée extravagante de sa future belle-fille d’avoir choisi un tel jeunot comme conseiller fiscal.

— A mon compte, madame ; je suis indépendant.

— Indépendant ?

Madame Beurce se mit à réfléchir à toute vitesse, soudain déstabilisée. Un conseiller fiscal indépendant ? C’est-à-dire… non côté en Bourse ?

— Je ne savais même pas que c’était autorisé, admit-elle.

— Yu est un professionnel de la négociation avec Obéron Industries. Pas vrai, Yu ?

— J’ai travaillé pour eux en tant que consultant, ajouta-t-il.

Sceptique mais silencieuse, Agartha tourna les yeux vers son fils qui mangeait des olives.

— Si cela peut nous permettre d’augmenter nos chances… soupira-t-il.

— Monsieur Beurce, croyez-moi, vous avez toutes vos chances. Phlalie m’a mis au courant des détails du litige. Obéron Industries semble avoir supprimé le profil de leur ancien salarié de leur base de données, mais vous pouvez encore prouver que votre père a existé. Ainsi, vous débloqueriez le droit à la succession qui, normalement, devrait lever tous les verrous pour que vous puissiez toucher les participations de monsieur Philippus Beurce, votre père…

— Et vous sauriez faire ça, prouver l’existence de mon mari ?

— Les juges ne s’intéressent pas à vos témoignages personnels. Vous pourriez leur proposer de visiter sa chambre, son bureau, montrer ses anciennes photos, son permis de conduire ou le trophée de chasse de ses vingt-trois ans, ils pourraient en conclure que le faisceau d’indices est insuffisant. Ce dont les juges ont besoin, c’est d’une copie du registre de l’entreprise…

— … Ce registre qui ne contient supposément aucune trace de mon mari, fit remarquer Agartha.

— Parce qu’il en a été supprimé, madame, voilà tout. Mais je sais comment accéder à la version antérieure. J’ai, pour cela, ma petite technique… qui a fait ses preuves dans les litiges précédents.

Un silence tomba. Phlalie avait les yeux qui brillaient. Elle prit la main de Coranthym, dont le cœur était saisi de l’espoir d’accéder enfin au pactole de la succession et en même temps tordu par un étrange sentiment vis-à-vis du conseiller fiscal qui, malgré son sérieux, avait un nom un peu bizarre…

— En tant qu’ancien consultant d’Obéron Industries, Yu connaît leurs méthodes de travail. Avec un petit tour de passe-passe, il saura retrouver le registre dont nous avons besoin…

Phlalie avait exprimé tout haut l’essentiel de la stratégie.

— Pour cela, il me faudrait un accès au bureau de monsieur Philippus… Pour copier ses données et les réinjecter dans la base d’Obéron Industries. Et ainsi, figurant à nouveau au registre, son existence deviendrait indiscutable.

— C’est possible, ça ?

Coranthym ne savait plus quoi penser. Phlalie insista.

— Le verdict est le mois prochain. Qu’avons-nous à perdre ?

Ils se turent pour réfléchir, quand soudain un

— Oooooh !

Tous les visages se tournèrent vers l’extérieur. Quelqu’un désignait du doigt un élément du paysage. On se pressa vers la baie vitrée. Dans le tableau gris et bleu de Carnavale, dans un coin du damier, un nuage de fumée se soulevait en même temps qu’un bâtiment disparaissait comme dans des sables mouvants.

— C’est quel coin ?

— Les Epaves, ça, non ?

Rongé par la pluie acide, fragilisé jusqu’au noyau de sa structure, un immeuble de trente étages venait de s’affaisser dans l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale, pour le plus grand plaisir des bourgeois qui applaudirent à ce fabuleux spectacle. En contemplant des hélicoptères de touristes richissimes surexcités à l’idée de survoler la ruine pleine de fourmis affolées, Yu se resservit de cacahouètes, et but un trait de champagne.



Suite...
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Remise des Prix du Championnat du Monde de Guerre Mondiale d'Icama-Chan
-- Edition 2016 --


Une fois que le génie est sorti de la bouteille, il est impossible de l'y faire rentrer à nouveau ...


Après moults délibérations et observations, le sacro-saint comité des juges d'Icama-Chan nommées dans le sérieux le plus strict des procédures démocratiques civilisées utilisées par les institutions catholagnes convie ses félicitations les plus sincères à ...

CARNAVALE

Leur engagement sans faille en faveur d'une ouverture toujours plus grande et démocratique* à la prolifération balistique, chimique, bactériologique et chrétienne** a véritablement tapé dans l’œil des observatrices aguerries d'Icama-Chan. La plus grande communauté d'aficionados de la bordélisation internationale salue les efforts de la plus grande nation eurysienne !

Merci pour ce feu d'artifice digne d'un véritable nouvel an catholique !


Félicitations ! Bravo ! Bravissimo, même, dans la langue d'Enzo Cavallino*** !

Pour marquer cette remarquable occasion ...

Pervenche Obéron

Blaise Dalyoha


Arthur Castelage
Sont cordialement invités dans l'honorable capitale icamienne de ...

Tàvusu Pyàhu

... pour être reçus lors d'une réception exceptionnelle, tous frais payés, à la hauteur de l'extravagance de véritables artisans de la discorde mondiale !
... Camille Printempérie ...

Est aussi convié, en sa qualité de facilitateur. L'auguste comité des juges le trouve cependant un brin trop ... porté sur les élucubrations et bondieuseries****.

Une jolie médaille est néanmoins prévue s'il accepte de se flageller sur le parvis de la Grande Synagogue d'Ibishima.*****
Dans l'attente de ces réjouissances, permettez à Icama-Chan de vous expédier à chacun un kit de survie "Thémiasmien Futé" niveau PLATINE d'une valeur incroyable de 187 987,99 imas, comprenant notamment :

  • 38 tonnes de petit bois, pour faire du feu l'hiver !
  • 17 tonnes de "Chocs à pique"™️, la célèbre marque de céréales Teylaises au chocolat acidulé, pour le petit déjeuner des enfants !
  • 25 kilomètres de grillage électrifiable, pour bien délimiter le jardin ! (générateur fourni séparément)
  • 2 ans de réserve de farine sans grumeaux, pour les célèbres quiches à la tomate et aux petits lardons de Madame !
  • 1 niche mobile-home de 120 mètres-carrés pour le chien, car rien n'est trop beau pour nos amis canins !
  • 8 kilomètres de laisse accompagné de leur auto-enrouleur industriel, pour une promenade douce mais responsable sans quitter la protection de son abri !
  • 8 tonnes de riz basmati Jashurien, avec des seaux, parce que c'est tellement bon qu'on pourrait en bouffer de pleines plâtrées !
  • 7 500 verres en pyrex, car on est jamais trop sûr de pouvoir boire de l'eau décontaminé tranquillement, avec ces missiles qui nous tombent sur la figure !
  • 35 000 canettes de Guaraná Niverea, élue encore cette année "Meilleure Boisson du Monde" au Salon de l'Agriculture de Manticore !

Et puis, car on ne peut jamais vraiment compter sur son véhicule dans des situations aussi dangereuses :

  • 12 Voitlodur issues des stocks personnels de Lorenzo Geraert-Wojtkowiak, avec leur contrat certifié d'origine, et leurs autoradios de qualité militaire loduarienne !

Icama-Chan vous souhaite bonne réception, et espère vous voir nombreux !


ET BONNE ANNEE !



* Dans la limite des stocks disponibles
** Considéré comme arme neurologique dans les grilles d'évaluation du comité des juges
*** Et l'un des trois mots connus en Icamie, avec les fameux "Stronzo !" et "Vafanculo !", popularisés à la suite du rachat forcé de son officine par Maxime Che Fang. Ca lui apprendra à lui demander de retourner à la cuisine alors qu'il n'est pas fichu de faire des moteurs fiables ! Peuh !
**** Notre Sélène-Mère le Guide !
***** Le voyage sera évidemment tous frais payés ! Vive l'état-providence !
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Réveillon




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Des vapeurs de mystère entouraient le rythme assonnant de l'extérieur. La lampe était allumée, orientée au point de ne créer qu'un très faible espace pâle au milieu de l'obscurité. Elle rouvrit les yeux sur son propre visage, émacié et implacable dans la pénombre, comme la figure d'un masque. Au centre de son univers d'onguents elle se voyait déployée par un triptyque de miroirs tournés vers elle ; deux profils jumeaux face à son ennemie, elle demeura silencieuse comme le marbre. Seul parvenait, comme l'écho d'une bataille perdue dans les limbes du passé, les cris et les coups d'une musique battante dans le hall du Palais.

Elle était presque tout à fait prête. A l'extérieur agents et sbires surveillaient les fragments de l'heure montre pour lui annoncer le temps de se montrer. Le show éclatait en fastes pendant qu'elle patientait face au miroir. Paillettes d'or et jets de diamants couronnaient la performance d'une de ses rivales. Avec calme et maîtrise, elle scruta la perfection de son manteau cramoisi ; les plumes d'un oiseau de proie ; les colifichets transgressés du passé ; la simplicité désuète d'une fraise de hussard, l'allure presque rêveuse d'un serviteur oriental. Des larmes antioxydantes coulèrent sur ses paupières ; elle avait déposé, à la surface du globe de ses yeux clairs, la solution d'éternité qui leur conservaient leur éclat ferme comme des lames. Ses cils pâles d'albinos battirent un instant. Des ailes. Ne restait plus que la pommade magique, le masque des dieux, l'invisible, sublime et invincible Excrément d'Athéna© qui comme une pâte magique s'étira sur ses pommettes, son front, son cou ; une petite touche de luxe, après s'en être enduite avant de s'habiller ; pour le plaisir de ce gel froid, noir, gravillonneux, qui se perdit sur la lisseur de son masque parfait et disparut, invisible, invincible, sublime véritablement, secret de momie, élixir d'Anubis, elle en reposa le vase canope au milieu de son orgue de produits. La cosmétique Dalyéron y côtoyait la médecine Obelage. Les fils métisses d'une technologie poussée à son perfectionnement le plus avancé entouraient sa peau, son corps, ses membres de leur assurance et de leur performance. Nulle part ailleurs n'aurait-on su goûter les plus délicieuses avancées de la science carnavalesque, que des siècles de tradition avaient poussé à sa plus délicate excellence.

— Chérie, ça va être à toi.

Elle referma la boîte de Pandore, oublia sa face parfaite, son corps androgyne, et se transforma en oiseau. Les plumes de rouges même se dissimulèrent à ses yeux lorsqu'elle les ferma ; elle s'avança vers la porte.

— Sur scène dans trente secondes.

Le couloir était encore plus sombre. Seule une ligne de faiblardes loupiotes de sécurité en éclairaient la longueur. Partout la musique était assourdissante. Elle tapait comme un monstre déchaîné à la porte du Palais. Elle était l'Océan même, surpris par les glaces des pôles en fusion, ébouillanté dans les tropiques, couvert des substances immondes qui ruisselaient des métropoles fumantes jusque dans ses eaux multiples et pures, l'Océan qui cessant d'espérer s'était fait Déluge contre Babylone, tumultueux, implacable, déterminé comme les prédictions de la submersion prochaine de l'Humanité, et qui comme le dernier dieu de la Terre s'avançait, ultime, donner le coup de grâce aux démons qui en avaient saccagé tous les trésors. De cette rumeur de colère infinie des pierres et des nuages, était passé un mince filet qui tabassant à travers le tympan des enceintes, emplissait l'air pulsant de la salle ; bientôt sous la lumière immense elle fut comme une flamme cramoisie acclamée. Monarque !

Impératrice des sables ! Fleur de la victoire ! Neige mêlée de sang ! Ils criaient ses titres plus longs que ceux d'un roi crocodile. Des épithètes de gloire, flamboyants comme les mille noms d'Allâh un jour aimé, mais plus forts, plus vrais, plus durs, plus lumineux ; la tête reposant dans les vapeurs de copium qui saturaient l'atmosphère, sous l'oeil ravi et calculateur de ses actionnaires, elle commença sa danse sur le rythme qui se décalait. Une voix enrouée dans le sucre, d'un genre indéfinissable, régalait l'assistance de commentaires épineux. Rires et cocktails rassurés par son apparition se muèrent en regards curieux et désabusés. Le plus grand des peuples, les maîtres, la contemplaient comme une relique ; relique sacrificielle, mémoire de temps réjouissants, l'ancienneté de son corps pour toujours juvénile, l'ambivalence de ses muscles d'albâtre, la beauté de sa dureté forgée par le devchirmé réjouissaient les participants à la fête. Pour leur complaire, elle demanda, d'un geste souple et coupant d'ongles longs comme des ciseaux, le silence. Un micro, comme à l'époque ; elle chanterait. Les enceintes baissèrent et se turent et l'énormité cotonneuse du vide emplit l'espace indéterminé de la salle claire-obscure. Le silence rendit l'instant limpide. Des masques, partout, contemplaient les signes fuyants d'une orgie permanente ; de leurs faces mi-riantes, mi-hurlantes, émanait la douleur d'acteurs dramatiques. Cela se poursuivait jusqu'au loin. Le projecteur braqué sur elle, sa lèvre à peine fébrile, Ozymandias, drapée de Cramoisie©, luisante comme de l'or pharaonique, mêlant à sa froideur d'esclave pluricentenaire une arrogance d'émir des plaisirs, délivra à l'auditoire du Palais de la Victoire une performance dont la drag scène de la Principauté frissonna de plaisir, ivre de sa puissance, de son triomphe incontestable, le corps pâle et comme un insecte éternisé dans l'éther du Djinn écarlate en apportant sur scène la preuve incontestable. Derrière les rideaux artificiels de la lumière et de l'ombre se trouvaient le spatioport de Bourgléon, le Désert Botanique saturé des poussières toxiques mais finalement efficaces de la Première Maison Noble, le Pont-Sainte-Pervenche arpenté par un train à suspension électromagnétique, et l'Archipel des Îles Immortelles, toisant la mer saumâtre depuis lesquelles leurs tours de verre s'élançaient plus vives que jamais, brillant de tout l'éclat de la Pax Carnavalis béni par Sa Sainteté Justin l'Eternel ; mythiques pyramides baignant dans l'atmosphère rouge des gaz de guerre de la belle année 2519.





* * *




— Ta belle-mère a l'air un peu sceptique.

— Ce n'est pas ma belle-mère, je suis pas mariée.

— Ma tête de conseiller fiscal ne doit pas lui revenir.

Phlalie tourna les yeux vers lui, cheveux bruns en cascade hors de son chignon froissé, perles noires adamantines amusées.

— Les Blêmes travaillent rarement dans les bureaux, c'est vrai.

Elle se rhabillait. Une matinée incertaine jouait grisement dehors, au-dessus du monde, à travers la baie vitrée de la chambre d'aigle.

— C'est un peu raciste de dire ça.

Il guetta son éclat de rire, qui ne vint pas. Elle le regarda comme si rien.

— Tu es là depuis quand ? C'est notre marque de fabrique, à nous.

Ce fut lui qui eut un rire blanc.

— C'est breveté, ça ?

— Ouais. Par Dalyoha, alors pas touche, spécialité de Carnavale !

Il se leva, pour passer derrière elle et enfouir son cou dans sa nuque ; une odeur douceâtre de détergent d'hôpital flottait sur sa peau, ses cheveux de chirurgienne.

— C'est injuste, maugréa-t-il en faisant semblant de se plaindre. On m'avait dit que les informaticiens du Drovolski avaient bonne réputation...

— Tu es bien pâle pour être du Drovolski.

Il fit une moue.

— J'y ai fait mes études.

— Je te vois plutôt venir de l'autre côté de la Mer Blême, si tu vois ce que je veux dire.

Ils échangèrent un regard glacé. Yu passa un doigt de secret sur ses lèvres. Puis répondit innocemment :

— Pădure ?

Elle reboutonnait sa chemise, et enfoui son ordinateur portable dans la sacoche, insensible à son petit jeu.

— Tu ferais bien de t'habiller et de partir au travail. Je sais que vous, les nerds, ne travaillez qu'en remote, mais tu as du boulot à faire pour moi, je te rappelle.

— Craquer la sécurité de la database d'Obéron Industries, j'essaie de finir avant l'heure du déjeuner.

Il sourit.

— Et va te mettre ailleurs. Coranthym va bientôt rentrer de sa vague du matin. Je n'ai pas envie qu'il te voie ici.

Yu s'en étonna.

— Pourtant, il eu le temps de me voir cette nuit...

Elle lui jeta une oeillade noire, signe que sa patience était épuisée. Il plissa les paupières, et dissipa son rictus blagueur.

— Va faire un peu de sport, dit-elle alors comme pour se faire un peu pardonner. Entretiens-le, ce corps, il me plaît bien...

Elle saisit la main droite de l'homme, dont elle embrassa le dos, comme un propriétaire vénère son meuble.

— ... un vrai corps de soldat.

Impérissable soit sa chair. L'instant d'après, la porte de l'appartement luxueux claquait derrière elle.

Une brise fraîche soufflait sur le balcon intérieur, entrouvert, abrité de panneaux, de la tour d'ivoire de l'appartement des Beurce. Le paysage immensément gris, minéral de la forêt de tours vieilles comme des cathédrales, se prolongeait jusqu'à la mer plane comme un disque et mate, platinée, soumise à l'éclat blanc du ciel.

Sautillant d'interférences dans le lointain, le monstre de serpent ne tarderait pas arriver. La nuit emplissait l'ombre teintée de mille lumières de la mégalopole. Le quai était noir ; l'hypertrain soudain fut là. Comme un bus en forme de chat, mais aussi discret qu'un fleuve-dragon, il s'ouvrit et une foule morne et anonyme s'extirpa de son silence. La surface étincelante de son métal chuintant à nouveau dans le tremblotement de ses rails ; bercé par le métro aérien qui passa à pleine vitesse, comme un avion battant la pluie tardive, Yu se laissa transporter hors de la zone des Emeraudes, vers le fond noir de la cité gomorrhéenne où grouillait son peuple. La facilité des cartes de transport et des zones tarifaires aurait fait pâlir les plus blondes des présidentes de conseil régional. Du paradis à l'enfer en trois arrêts d'hypertrain ; Carnavale dilate le temps, étrécit la distance, mais pas touche à la structure de classes. Je suis personnellement endetté à hauteur de cinq millions de chèques carnavalais, dit une pauvre dame dans le train au bout de sa visioconférence ; à qui parlait-elle ? Les cellules d'écoute automatique avisaient leurs ouailles désargentées de placement plus lucratifs, et ce n'est pas seulement avec les coffres d'Obéron qu'on avait financé la conquête de l'Afarée pharaonique. A Carnavale, on croise ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, avait dit un ministre étranger en visite dans la Principauté. Deux euphémismes pour le prix d'un. Yu se laissait rêver quand il arriva. Il sauta sur le quai et dissipa le brouillard. Lorsqu'il eut escaladé les escaliers pourris qui menaient à sa piaule au-dessus d'un tas de tôle où s'abritaient des familles de sans-papiers, coursiers véloces, laveurs de vitre que la faim fait surmonter le vertige, se reproduisant comme des rats dans le caniveau. Depuis la fenêtre dont il ferma le store, il entendait les bruits, derrière la cloison, de son colocataire, un ouvrier venu du Nazum du Nord. Une face de guerrier gengiskhanide, le destin d'un employé d'usine pharmaceutique : une peau burinée par les exhalaisons malsaines des cuves expérimentales où se mûrissait un fabuleux projet d'éternité corporelle : un onguent noir comme de la merde de déesse. Dans la solitude de cette boîte en carton où il résidait, dans l'épouvantable Carnavale, Yuumay le Janissaire sentit le chagrin sombrer sur son corps.

— ؄؁؃؀؄؁؃؀؄؁؃؀ءد؁

— Je ne vous entends pas...

Le grésillement éteignait la distance. C'était pourtant le signe ténu d'une vie dans ce marasme. Dehors, les chiens étaient de sortie. Les enfants hurlaient de terreur dans leur petite maison en pneus crevés, et leur cris aiguës de flûtes écorchées traversaient à peine la cloison de la tour. Rien que de très habituel ; les meutes ont faim et la nuit leur est propice. Des coups de feu réguliers chassaient autant les canidés qu'ils attiraient les pillards. Les tours, armées de caméras, construites comme des donjons, sont plus faciles à défendre ; à la hache, au couteau ; un jour tu me prendras tous mes biens mais pas ce soir. Patients et redoutables, les riverains veillent à ce que le chaos de la rue, dégoulinant d'horreur, demeure circonscrit dans les douves. Arbalètes, mitrailleuses, tout sera bon pour préserver leur propriété.

— فے؎؃ة؀

Même s'il n'en saisissait pas la clarté des syllabes, à l'intonation à peine perceptible de ce grésillement Yu déjà sentit le calme répétitif d'une psalmodie. La voix, imperceptible, aurait pu être celle d'un robot si elle n'était du plus illustre personnage de son coeur. Au-delà des dorures, des frasques, les yeux fermés en écoute de la lointaine prière captée par l'antenne satellitaire dissimulée dans le manchon de sa dague, le Gardien du Sommeil sentit sa tête saisie par les mains calmes de la confiance. Souvenir tendre d'une liberté ténue, mais invincible.

Après de longues minutes de silence un nouveau cri déchira le silence. Une femme. La mère peut être.

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Yu rouvrit les yeux. Une musique rauque sonnait à travers la cloison de la chambre ; l'ouvrier colocataire devait avoir lancé sur son smartphone une émission de son pays.

... et la miséricorde, et la bénédiction de Dieu...

Il contempla sa vie.

— Il me tarde d'à nouveau faire le dhikr avec vous.




* * *






C'était venu comme une secousse, qui avait fait imperceptiblement trembler son gobelet et son smartphone. A cet instant, Phlalie et son équipe observaient les radios pratiquées sur un patient inoculé, et les formes grises qui proliféraient dans son ventre fertile. Cela venait d'en bas.

— Vous l'avez senti ?

Son directeur de thèse s'était dirigé vers la porte pour regarder dans le couloir. D'autres semblaient un peu alertés. Pourtant il ne semblait s'être rien passé. Presque comme si l'air n'avait fait qu'éternuer, c'est tout.

— Les alarmes ne se sont pas déclenchées.

— Téléphone !

Regardez vos téléphones. Message d'alerte de niveau quatre.

— Au confinement.

Dans le silence et le calme apparent des bureaux de cette unité de recherche du nord de la ville, ils s'étaient précipités, courbés vers l'avant, comme des sortes de cobayes qu'un savant cruel manipulerait vers une souricière, dans les enceintes sur lesquelles s'abattirent des portes blindées épaisses comme la mort. Etanches à toutes les ondes, ces capsules seraient au besoin pulvérisées de gaz mortel ; les enceintes de confinement visaient moins à protéger la ressource humaine des Laboratoires Dalyoha qu'à s'en préserver l'exclusivité, en recourant, dans le cas d'une attaque, au protocole de leur autodestruction.

C'était le jour de Noël 2015. Dans le noir de l'espace exiguë, fixant la lumière rouge de l'alerte, Phlalie avait manqué de perdre son souffle. Une attaque ? en pleine journée ? on n'avait quasiment rien entendu. Même pas le début d'un frisson dans les molécules de l'hiver. L'air manquait à ses poumons ; je vais mourir ? aujourd'hui ? comme ça ? finalement la lumière passa au vert ; la porte blindée vivement se rouvrit, la lumière naturelle reparut.

— Fausse alerte.

— Fausse alerte !

Ils se détendirent. Des agents de sécurité passaient dans les couloirs. Un café, ils reprirent leur analyse des fougères croissant dans les intestins d'un cobaye, et l'après-midi reprit son cours normal.

Ce n'était cependant pas une fausse alerte. C'était un accident. A quelques centaines de mètres de ce site sécurisé des Laboratoires Dalyoha, dans la falaise du Mont Héphaïstos qui dominait l'arrière pays de la métropole jonchée de fumées d'industrie et de déchets, un programme secret de développement balistique, enfoui sous la terre, s'était volatilisé. Le prophénol s'était enflammé comme une princesse et dans l'espace confiné de la base de tests sous-terrains boum. Un Bonne Santé VIII perdu, dont trois ingénieurs et des dizaines d'employés ; leurs carcasses disparues sous l'effondrement de la voûte. Un séisme minuscule pour la surface, à peine une ride sur un gobelet d'eau ; mais une fracture immense dans le coeur de Coranthym.

Inconsolable, Coranthym pleura plus de larmes qu'il n'y avait de pluie sur Carnavale. Philippus, son père, le regardait d'un air désuet, à travers la photographie de sa tombe. Noël 2015, journée noire ; accident ; victime. Une main sur l'épaule du jeune surfeur effondré, Meurtrand, le collègue de son père, n'était pas moins affecté. Les fabricants d'armes tissent en fait entre eux les liens uniques de la complicité que le reste de l'Humanité ne leur permettrait pas d'avoir. Même les baisers de Phlalie n'auraient pu épancher ce chagrin, d'une intensité déroutante pour un Carnavalais.

— Il pleure.

Phlalie venait d'envoyer le texto à Yu depuis sous la table. Coranthym s'était levé. Noël 2016 : un an déjà. Un an enfin. De lourdes cernes creusées sur les joues, Agartha fixait leurs assiettes à peine entamées. De la dinde à la sauce nègre, pourtant ; et la dinde, ce n'est pas un oiseau, avait confirmé le traiteur achosien spécialiste en viandes de lémurien avec un sourire carnassier.

— Soirée de Noël foutue :(

— Et Meurtrand ?

L'ancien collègue de Philippus avait été invité pour le réveillon.

— Il a annulé. Trop de travail apparemment.

Elle déposa son téléphone sur ses cuisses. Agartha la toisait avec un oeil indéchiffrable ; elle se resservait du vin. Phlalie se leva.

— Je vais prendre un peu l'air.




Sous le casque de sa moto elle n'entendait plus rien. La vitesse était un réconfort. Tunnel ; la route lisse comme un ruban de bitume faisait, en grandes enroulades, une piste où friser les quatre cent kilomètres heures. Sur ses reins, les mains chaudes de Yu, malgré les gants et les vêtements de cuir. Dans l'oreillette du casque, sa voix.

— Tu m'emmènes où ?

— Au septième ciel.

Serpentant sur la route éclairée au milieu de la nuit noire, c'était la campagne ; le silence et l'ombre. Seul cette moto, et Phlalie aux commandes, qui comme un point propulsé par un vecteur semblait encore vivre dans l'espace.

Ils retirèrent leur casque arrivés au Barrage. Il dominait la vallée. Au loin, les barres scintillantes de Babylone.

— Sacrée vue.

Il avait à peine neigé le jour précédent, c'était aujourd'hui une boue froide. Ils se mirent à marcher sur le chemin qui passait sur l'arc du géant de ciment. A gauche, des milliers de kilomètres cubes retenus par cette infrastructure spéciale. A droite, le vide.

Phlalie n'avait pas envie de parler, ce que Yu respecta. La brise apportait pour l'instant toutes les réponses nécessaires à son impuissance et au malheur minuscule dans l'océan de jouissance qui les entourait. La nuit était tranquille. Soir de Noël. Son téléphone vibra.

— C'est quoi ?

Il avait marmonné avec douceur, en lui prenant la main. Une notification, un ping de son appli de News. Elle en déchiffra le contenu. Yu regarda au loin. La ville scintillait. Quel dommage, quelle bêtise de la part de Philippus, de n'avoir pas, comme tout le monde, fait copier ses données cérébrales dans un serveur Dalyoha. Quel distrait, cet ingénieur balistique, la tête dans les courbes de trajectoires simulées, ignorant le réel jusqu'à la fatalité. Yu songea que cette bourgeoisie carnavalaise était bien la seule à pouvoir se consoler par l'illusion d'une résurrection clonée, par la possibilité d'une duplication conforme qui n'aurait plus fait de la mort qu'un événément anodin dans la vie d'un homme. Il songea subrepticement à son propre destin. Sans doute était-il voué à une vie courte et intense de janissaire.

— Oh mon Dieu, Yu.

Elle lui ficha l'écran du smartphone sous les yeux.

Prométhée réveillé !


Il eut du mal à déchiffrer.

— Quoi ?

La jeune femme semblait hypnotisée par l'excitation.

— Putain, Yu !

Elle souriait et ses yeux étaient incandescents.

— Mes actions ! Mes actions Obéron !

Fulgurante comme l'ascension d'un corps balistique dans la troposphère, la croissance d'Obéron Industries donna au réveillon 2016 un goût unique. Partout en ville les écrans s'allumèrent de couleurs de nuit. Les gens, portant mouffles et bonnets, se portèrent aux balcons. Là, Papa, tu les vois ?

— J'espère que Coranthym voit ça, soupira Phlalie.

Depuis le Barrage, ils les contemplaient. Etincelantes. Elles montaient vers les cieux. Tel un décompte implacable, un décret divin, les missiles balistiques rougeoyaient par vague, tirés depuis les silos des faubourgs de Carnavale vers le fond de la nuit. Ils s'amusaient à les compter ; la bourse délirait de bonheur.

— Soixante-neuf ! Soixante-dix !

Les deux amants avaient mal à la nuque à force de compter ces étoiles filantes. Les fusées incandescentes semblaient provenir du fond de la Terre. Elles passaient loin au-dessus de la ville de Carnavale, partant comme des comètes, messagères de paix et d'ordre, vers les galaxies de l'univers. Elles signaient la voûte noire de leur morsure terrifiante. La Bible décrit les anges non pas comme des êtres tendres mais comme des boules de feu. Elle était là. Promise par Petitpont, réalisée par Obéron : l'armée des Archanges. Vive Pervenche, cria Phlalie, animée par son coeur de lion. Yu la regarda avec surprise. Son coeur était glacé. Le feu d'artifice de Noël montait avec majesté au-dessus du monde obscur. Il était la promesse d'une vengeance insoupçonnée. Et le visage fardé, énigmatiquement souriant, de Pervenche Obéron que diffusaient les annonceurs en ville n'annonçait aucunement la destination réelle de ces frappes. Prométhée s'est emparé de la foudre, et la retourne contre les dieux. Le souffle de Yu était bloqué. Invisibles, les constellations du désert se cachaient derrière un voile noir griffé par les traits lumineux. Son diaphragme se soulevait pour son Maître et son pays. Entre ses bras, insensible à sa crainte de mortel, Phlalie dévorait des yeux la promesse réalisée du triplement de ses actions — mais aussi, plus obscure, de sa ferveur fanatique. Des centaines de missiles pointaient vers les cieux, et leur lumière enflammait la nuit ; la surface des vaguelettes bouillonnantes reflétait, en une myriade d'éclats, leur scintillement dans le grand lac d'acide.



Suite...
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Portrait d'un citoyen de Carnavale :
DUZAN

Les cadavres flottaient dans le ciel. Pour sûr, quelqu'un avait dû les jeter là, et aujourd’hui ils gisaient tous d’une manière semblable, épars, sans trop que quiconque souhaitât particulièrement s’en inquiéter plus. Un homme seulement, et un homme d’une relative normalité, du nom de Duzan, l’avait constaté, et plus que de le crier – quoique cela aurait décidément suffi à ce qu’on le considérât fou –, il affirmait que les visages de ces corps étaient tous identiques. Gris, déformés, comme si le temps les emportait peu à peu, comme dans ces toiles incompréhensibles où la dilatation se perçoit comme l’œil s’égare.

« Regardez celui-ci, criait-il, tout à fait étonné que l’on ne suivît pas le bout de son doigt pointé vers les cadavres, regardez celui-ci aussi ! Mais, enfin, ne voyez-vous donc rien ? »

En vérité, personne ne cherchait même à regarder cette scène pourtant terrifiante. C’était, sans nul doute, comme s’il se l’imaginait, que cela n’était pas la vérité absolue, mais au fond que cela le fût ou que cela ne le fût pas, peu de choses divergeaient. C’était sa vision contre celle du monde, et car aucun n’aurait pu en changer, il fallut bien admettre qu’il ne résultait, de toutes les vociférations du monde contemporain, aucun vainqueur dont le titre fût incontestable. Or, on le sait, le titre n’a de valeur que s’il est incontestable, comme la vérité. Ici, ce n’était pas le cas, et de toute manière Duzan était plutôt indifférent aux titres en tous genres, comme les statuts lui étaient égaux. Il fallait simplement qu’il puisse travailler auprès de sa petite administration, qu’on ne le dérangeât que sur de très importants motifs, et qu’on ne le contredise pas trop non plus. Si toutes ces conditions étaient réunies, il n’avait alors plus aucune raison de ne pas être heureux, alors il s’y bornait avec un naturel presque déconcertant.

Ces corps qui flottaient, tout de même, empêchaient sa joie d’être pleine et entière. Leur présence n’était pas ce qui le gênait : le fait qu’il fût seul à voir était pour sa conscience bien plus dérangeant. Il eut beau le crier sur des inconnus dans la brasserie à l’angle de la rue sur laquelle donnait la gare ; il eut beau le murmurer à sa maîtresse ; il eut même beau supplier des passants de le croire, rien n’y faisait, et il demeurait l’unique spectateur de cette réalité. Absurde, tout cela ? Ce n’était pas complètement la question. La question était surtout de savoir s’il pourrait un jour vivre de nouveau heureux, quand bien même nul ne partagerait son constat, lequel était pourtant simple, pourtant évident, car il suffisait de relever la tête.

Ses contemporains, quoiqu’ils fussent des personnages d’une politesse inclinant vers l’obséquiosité, et d’un sens de l’analyse fin, d’autant que ces quartiers de la ville étaient peuplés des plus grands intellectuels du monde moderne, ne semblaient même pas décidés à œuvrer le moins du monde, ne serait-ce que pour avoir le moindre argument tangible à exposer. Le fait que la situation parût invraisemblable suffisait, en somme, à prouver que Duzan avait tort, qu’il mentait. Lui ! Il mentait ! C’était bien la première fois qu’on l’accusait de la sorte ! Mais puisque des objections de cette même nature se faisaient de plus en plus fréquentes, il décida malgré tout de cesser de parler des cadavres. C’était tout décidé : il vivrait avec. Le fait que les autres ne puissent pas voir la mort ruisseler là-haut n’aurait plus d’importance. Il le savait, lui, et quelque part il fallait bien se dire que c’était le plus important.

Une telle complaisance aurait pu donner lieu au confort le plus indiscutable qui soit, et on n’en fut pas si loin, à dire toute la vérité. Seulement, il apparaissait que toute l’affaire n’était pas élucidée – ça, encore, ce n’était pas très grave, car ce n’était pas très utile. À quoi aurait bien servi le fait que l’on puisse expliquer ce phénomène ? Et en quoi aurait-ce été un progrès de comprendre la raison de la singularité du regard de Duzan ? Ce qui remit sérieusement son confort en question, au contraire, appartenait à une toute autre forme de problématique : Duzan tomba amoureux.

Peu de gens tombent amoureux en réalité. Certes, ils le deviennent, mais par un processus soit long et ordinaire, soit hasardeux et ordinaire. Les seuls qui se dérobent à ces coutumes sont les poètes, mais les poètes sont malheureux, et Duzan n’en était pas un. C’était un homme relativement simple, à la fois assez idiot pour se fondre dans la masse, à la fois assez idiot pour en sortir au moment le plus inopportun. La seule chose qui l’extrayait de cette condition d’homme simple était, en tout et pour tout, sa lecture. Y ayant pris goût très tôt, il avait englouti des piles d’ouvrages jusqu’aux plus indéchiffrables, et avec cette attention avec laquelle chaque écrivain souhaiterait qu’on lise ses manuscrits. Il allait lentement, revenait sur les passages qu’il ne comprenait pas, et était toujours prêt à relire l’entièreté de l’œuvre afin d’en extraire jusqu’à la dernière goutte d’intérêt. Seul, parmi beaucoup, il trouvait cela utile. Quand bien même ça ne l’aurait pas été, du moins pas totalement, Duzan était prêt à s’avouer vaincu, à tout instant. Voilà, enfin, ce qui pouvait résumer son caractère dans toute sa complexité : il était affreusement différent. Mais cette différence était telle qu’elle aurait pu inspirer des travaux de psychologie sur des dizaines et des dizaines d’années, sans que jamais aucun universitaire ne s’en lasse, et on aurait étudié des imageries de sa cervelle comme de celle d’un animal. Pour la première fois depuis des siècles, un homme correspondant aux critères de la masse était tout de même traité en animal. C’était un homme différent et inclusif, car différent, mais tout de même stupide.

C’était là ce qu’on réservait tacitement à cet individu, lequel se disait appartenir à un ensemble environ égal à lui : c’était effectivement le cas, car nul ne le surpassait, mais toute son intelligence consistait à démontrer qu’il n’en possédait pas davantage, et ainsi il paraissait, aux yeux des autres, profondément idiot. Les autres, qui ne remarquaient pas que cela constituait alors pour Duzan l’un des plus grands succès qui soient, éprouvaient à son égard une sincère compassion, plaignant une absence de capacité que beaucoup égalaient pourtant sans aucune peine. Effectivement, cela était monnaie courante à Carnavale, et ce que bien des gens se gardaient de dire, c’était que si Duzan était bougrement idiot, il demeurait tout de même l’une des pointures de l’administration de son pays. Il fallait bien avouer que celui-ci n’était pas très regardant quant aux capacités intellectuelles de ses citoyens, et le destin voulut qu’une telle concentration de bêtises donnât, par les miracles les plus incompréhensibles, la puissance géopolitique la plus effrayante.

On le sait, depuis longtemps, l’argent va de pair avec la stupidité. Ce que l’on oublie dans la plupart des cas, en revanche, c’est que dans la plupart des cas, la stupidité va aussi de pair avec l’argent. En ce sens, Carnavale est devenu d’une immense richesse, et a – pour seul acte censé, quoique l’on puisse supposer une erreur donnant lieu au mouvement géopolitique le plus parfait – employé toute cette richesse à la bizarrerie du monde. Les missiles balistiques confirmèrent cette hypothèse, et aujourd’hui tous les grands spécialistes de Carnavale, comme de la richesse, comme de la bêtise et comme de la bizarrerie – ne vous y trompez pas, ce sont souvent les mêmes –, c'est que Carnavale est la plus spéciale, la plus riche, la plus bête et la plus bizarre nation au monde ! (L’histoire ne dit pas, cependant, si cette accumulation fut proposée à son chef d'État comme devise.)

Enfin bref, tout cela pour dire que Duzan était représentatif de l’espèce carnavalesque, car il n’était pas représentatif de l’espèce tout court.

PS : Il faudrait songer à donner des cours aux habitants de Carnavale sur "Comment différencier un corps d'un nuage", mais je dis ça je dis rien :P
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Article de Presse d'actualité en trois colonnes avec une illustration qui est une photographie en demi-teinte ou tramage noir et blanc sur laquelle on voit une manifestation et deux femmes au centre.

Tentative de déclaration de Guerre contre Carnavale !,In Les Nouvelles du Makota, 23/01/2017
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Outremer



https://i.imgur.com/UqSFpCo.png

La lumière du plafond tombait sur elle comme une grosse lune. Le laboratoire était plongé dans une pénombre aveuglante. Sur son siège, le patient désarticulé reposait, d’une inertie cadavérique. Phlalie swipait en attendant qu’on vienne le nettoyer. Sur son écran défilaient les mails. Elle devrait recevoir bientôt le code d’entrée ; elle cligna des yeux et ping, il fut là. Elle ouvrit la notification et accéda à l’espace virtuel. Elle posa son téléphone devant elle comme un petit écran de télévision. La blouse encore maculée de sang et de spores, elle ouvrit un petit sachet de crackers qu’elle se mit à faire exploser sous ses dents. La vidéo retransmettait en direct le discours de Philippe Géminéon aux actionnaires des Industries. Seuls les « grands » avaient eu droit à l’invitation en salle ; en tant que petite il lui était seulement permis d’obtenir le lien de visio. Les micros captaient une voix un peu grésillante, nasillarde, d’un grand type en noir qui s’exprimait au nom du Consortium.

Dehors les rivages bleutés de la mer étaient invisibles. C’était comme une grosse nuit qui plongeait les espaces confinés des Laboratoires dans une pénombre et un calme inédit. Les expériences de l’aile de chirurgie in vivo témoignaient à peine de quelques cris étouffés. Le couloir était désert. Au bout de celui-ci se trouvait l’ascenseur argenté, qui comme blindé faisait briller ses portes closes.

Le Professeur Rhadamante pénétra à l’instant dans la pièce. Il scrutait les données d’une tablette numérique. Derrière lui marchaient deux assistants volatiles comme des ombres. Il marqua un temps d’arrêt devant la dépouille, puis reporta son attention sur Phlalie, qui baissa le son de la conférence.

— Mes félicitations, Docteur Néréide.

L’intéressée sourit ; son cœur se gonfla.

— Isalède m’a mis au courant.

— Merci, Professeur.

L’acceptation de sa thèse était survenue la veille de l’ensevelissement de Carnavale dans les brumes bleues de janvier. Un phénomène non-naturel, une éclipse prolongée de la lumière solaire, donnait aux lueurs artificielles leur plein scintillement opaque. Phlalie Néréide serra la main que le responsable de l’unité lui tendait. Un honneur. L’un des membres du Comité scientifique des Laboratoires.

— Quand est la présentation au jury ?

— En février.

— Hm.

Le crâne bombé et la barbe fournie du scientifique lui donnaient l’air d’un chercheur évolutionniste du dix-neuvième siècle, à l’époque des tubes en verre, des instruments d’optique et du crayon à bois. Phlalie ne le quittait pas des yeux ; son cœur soudain s’était mis à battre.

— Vous écoutez quoi là ?

— Pardon, Professeur.

Elle éteignit et rangea le téléphone ; la voix de Géminéon disparut dans le silence.

— C’est l’assemblée des actionnaires d’Obéron Industries, expliqua-t-elle pour se justifier.

— Ah bon !

Il haussa les sourcils au-dessus de ses lunettes.

— Je fais jamais gaffe à ces trucs…

— Le Professeur Géminéon présentait les résultats du Consortium.

— Ah. Oui… j’ai eu le brief la semaine dernière.

Un générateur faisait un bruit persistant quelque part dans un garde-balais derrière la salle de dissection. L’homme tendit à la jeune femme une grosse enveloppe en papier brun.

— Vos habilitations.

Elle manqua de défaillir. Ses doigts ouvrirent vite et délicatement le papier qui lui colla à la peau ; le déchirant un peu elle fit apparaître son diplôme de doctorante. Ne manquait que sa propre signature. Une cérémonie aussi sommaire qu’époustouflante de gloire, comme exécutée à la va-vite, par un besoin pressant.

— Badges d’accès, contrat, pièces administratives. Signez-moi tout ça, s’il vous plaît, il le faut au secrétariat d’ici vingt minutes.

— Professeur ?

Ses yeux tombèrent sur la feuille qui résumait le problème : elle était à présent doctorante, et contractuelle. Les cadeaux du destin ne s’embarrassent d’aucune pompe ; véloce comme des esprits ils vous surprennent à toute heure du jour nocturne, et tombent sur vous comme la nuit bleue.

— Sur mon avis personnel, le Comité a décidé de vous offrir l’occasion de nous rejoindre au sein de l’équipe que préside le Professeur Anésidora. J’ai vraiment… apprécié votre travail depuis les années que vous êtes là. Et le jury n’en a pas fait mystère. Vous continuerez vos travaux au sein d’une équipe transdisciplinaire. Vous aurez tout le loisir d’en apprendre davantage, d’abord il me faut régler les problèmes de paperasse…

Le stylo était déjà dans sa main. Phlalie étudia la situation.

— Vous travaillerez au sous-sol.

Rhadamante la fixa. Elle cilla.

— Aux Enfers ! plaisanta-t-il.




***




Les pulvérisations de sel Dalyoha avaient enseveli Carnavale dans une épaisse brume qui la dissimulait à elle-même. Les photos satellites montraient l’agglutinement de ce nuage énorme et opaque à la surface de la Terre, recouvrant la péninsule occidentale et ses rivages.

Meurtrand poussait la grille de son jardinet lorsque cela s’était produit. Il avait déjà chaussé un masque à gaz dont les battements électroniques et le profil fuselé lui assuraient une pleine sécurité respiratoire. Son chien, devant lui, jappait dans cette muselière adaptée à sa truffe. La laisse en cuir pendait entre eux. Content d’aller chier sur le trottoir l’animal remuait de la queue comme un adolescent.

Il habitait dans l’une des vastes et élégantes demeures des Quartier Féerie, construite à l’époque de la Principauté ; sa haute silhouette, sa façade ouvragée, ses longs arbres bruns et ses carreaux colorés donnant sur la rade conféraient à sa demeure une valeur considérable dans cette zone verte de la mégalopole. Le souffle des dieux émanant de la réaction à la surface de l’eau montait vers eux ; et c’est très tranquillement que parapluie à la main et chien au bout de la laisse, Meurtrand, vicomte de Béryl, entra dans la nuit carnavalesque.

Il avait été prévenu par message de son patron, le directeur technique des Industries Obéron, qu’une manœuvre pyrotechnique serait déployée pendant tout le premier trimestre de l’année en vue d’exercices. Rien d’étonnant vu le calendrier ; en ce moment même songea-t-il le collègue Géminéon ouvrait sa grande gueule devant le parterre des actionnaires endiablés. Un peu vexé de n’avoir pas été sélectionné pour la prise de parole, Meurtrand méditait une vengeance calculée. Il redorerait son blason et éclipserait celui du discourant, qui vantait à tous les prouesses du projet Prométhée. Que n’avait-on laissé les ingénieurs balistiques dévoiler le genre de leur nouveau bébé ! Imperturbable dans la rue, visibilité réduite à rien dans cette poix indigo percée du halo fantômatique des lampadaires, Meurtrand songea à son vieux camarade.

— Ah, Philippus, si tu voyais cela.

Il s’arrêta quelques instants quand il fut arrivé à l’orée du square des Perfections, où son clébard éjecta accroupi une indolente déjection. Le feuillage des arbres se confondait avec la brume. Les grésillements de la clôture électromagnétique, entièrement étanche à toute intrusion malvenue de la part de la plèbe grouillante qui entourait Féerie, étaient à peine perceptibles. Dans sa tranquillité le quartier était calme. Meurtrand longea ce mur de huit mètres de haut, hérissé côté extérieur d’une toile électrocutante et d’appareils de surveillance et de neutralisation sophistiqués. Le chien traçait sa route dans les herbes et les graviers du sentier.

— Il faudrait que nous passions saluer Agarta, soupira-t-il à son épouse.

Elle le toisait à l’autre bout de la table. Au-dessus de leur tête brillaient les perles d’un chandelier. Une longue mélopée de violon s’échappait d’un tourne-disque. Coiffée dignement, enveloppée dans une longue robe noire, Cytise avait relevé les yeux vers lui.

— Ces parvenus, mordit-elle.

— Cytise…

— Pourquoi songes-tu encore à ces mendiants ?

Il se rembrunit.

— Philippus est décoré par le Conseil Municipal, je te rappelle.

Elle pesta comme par dédain.

— Ce sont des plébéiens.

— Cytise, tu exagères.

La vicomtesse de Béryl était d’une ascendance qui ne pardonnerait jamais à la grande bourgeoisie industrielle d’avoir conquis sa place au soleil. Elle se disait apparentée à la Princesse Eugénie, à la maison du Vale.

— J’aimerais que tu gardes ces idées farfelues pour ton travail, à l’avenir, Meurtrand.

— Je leur dois bien quelques témoignages de sollicitude. Cela a été dur, pour eux, de le perdre…

— Cela fait plus d’un an. S’ils ne s’en remettent pas, qu’ils aillent consulter.

A la Noël 2015, un accident survenu dans un des sites expérimentaux des Industries Obéron avait coûté la vie à trois ingénieurs, dont le camarade de Meurtrand, le rigolard Philippus Beurce ; un compagnon de golf autant qu’un collègue, c’était une perte importante.

— Leur fils est encore très peiné, m’a écrit Agarta…

— Coranthym ? Ah, cette fiotte !

Cytise méprisait le jeune surfeur doré de tout son être d’aristocrate. Mais à son endroit le mépris n’était pas seulement d’ordre féodal ; il venait d’une rancœur plus noire et d’une jalousie plus profonde, celle d’avoir survécu. Glomon, le fils des Béryl, avait précédé Philippus dans l’abîme invisible de la tombe, suite à une overdose à dix-sept ans ; un abus des drogues psychotropes les plus dures et les plus extasiantes, survenu chez un ami de Coranthym… L’on ne peut chérir la race supérieure sans aigreur si celle-ci ne parvient pas à tenir sa place au sommet de la vitalité. Cytise maudissait cette déesse infatigable et lugubre, armée d’une faux, qui précipitait rois et manants dans l’insoluble et double mystère de la mortalité et de l’égalité des êtres humains. Poussière, tu retourneras à la poussière, avait proféré le prêtre lors de l’inhumation ; et sous une croix de granite battue par les vents du golfe sommeille depuis lors Glomon de Béryl.

— Il va se marier, fit remarquer Meurtrand en glissant un aliment dans sa bouche jaunie.

— Se marier ?

— Avec une petite des Laboratoires Dalyoha. Néréide, Phlalie Néréide. Une jeune fille prometteuse…

— Je me demande pourquoi elle mise aussi bas.

Cytise tendait cependant l’oreille, et déclara :

— Aujourd’hui, c’est vers le haut qu’il faudrait qu’elle regarde.

Meurtrand cherchait quelque chose dans son assiette de porcelaine maculée d’un prurit qui ressemblait à un dîner.

— Avec la montée de la Bourse, elle pourrait prétendre à mieux… Les Trois Maisons resserrent les rangs, il faudra saisir les opportunités.

— Carnavale a les meilleurs scientifiques du monde !

Il fanfaronnait ; elle eut un demi-sourire, et cet échange les réconcilia.

— Cet exercice semble pétrifier le monde d’angoisse, se réjouit-elle. As-tu vu nos appareils passer au-dessus de la ville ?

— Les trajectoires viennent d’être réajustées. Carnavale est véritablement la maîtresse du monde.

Ils gloussèrent. Les violons langoureux du tourne-disque emplissaient la salle à manger et distrayaient les portraits peinturlurés. Au-dehors l’opacité était encore totale, et tout échappait à la vue – mais pas à l’ouïe. Un grondement passa au-dessus des toits. Si proche et soudain si éclatant qu’il fit frémir les verres en cristal. Le chandelier dodelina au plafond.

— Cet exercice est d’un réalisme saisissant.




***




Il tombait sans arrêts sur la messagerie. Répétant nerveusement l’opération, il essayait de la joindre, en vain. Est-ce que cette sorcellerie de brouillard avait aussi mis les ondes radio H.S. ? Impossible ; sinon ce serait la panique en ville. A moins que Carnavale n’ait développé son propre réseaux de câbles sous-terrains, sous-marins ; mais était-ce seulement possible ? Il descendait les marches de la 13ème avenue, celle qui descend de la colline des Luminaires vers la zone des Echassiers, et qui se présente au milieu des tours comme un grand escalier pâle, digne des contes du roi et de l’oiseau.

Les gens se pressaient, une foule éphémère empruntant les milliers de marches pour descendre aux parkings et aux stations souterraines du métro. Il résonnait entre les surfaces mates des constructions un air imperceptible, comme une voix d’ange ou un écho secret, qui se reflétait de part en part à l’infini. Levant la tête, il tâcha de le capter en vain ; devant, derrière, insaisissable, il s’enfonçait dans la brume avant de reparaître. Le silence des pas et des bruits de la ville pesait sur Yu.

Finalement elle décrocha.

— Allo ?

— Phlalie ? J’ai essayé de t’appeler douze fois…

— Ah- c’est toi, attends !

Les trois bips de l’appel clôturé s’amusèrent sur les ondes. Il fronça les sourcils. Et bientôt reçut un appel entrant d’un numéro inconnu, qu’il décrocha. La voix de la jeune fille était cette fois voilée, en fait modulée et méconnaissable.

— Phlalie ?

— Non. Oui. Soit discret. Qu’y a-t-il ?

— Que se passe-t-il ? Je croyai…

— J’ai eu un peu de travail imprévu au boulot. Désolée.

— Tu arrives à quelle heure ?

— Euh, je n’arrive pas. Je vais rester sur Bourgléon ce soir. Le boulot, on m’a proposé... bref. Aussi, n’essaye plus de me joindre sur mon numéro officiel, ce… ce sera plus discret.

Yu demeura interdit quelques secondes.

— Tout va bien ?

— Euh… c’est tendu. Enfin, moi ? Moi, oui, je vais bien. Très bien même.

— Ah bon.

— Ecoute, je vais vraiment pas pouvoir rentrer sur Carnavale ce soir, ni aucun soir de cette semaine. Il faut… on se revoit plus tard, O.K. ?

— Mais… pour notre petite opération ?

Yu et Phlalie projetaient de s’introduire dans la base de données d’Obéron Industries pour y introduire une légère nouveauté : celle de la réintégration de Philippus Beurce dans le registre des employés, permettant à sa famille de prouver son existence à la justice et de remporter l’arbitrage juridique au-delà duquel brillaient les parts au capital de l’entreprise détenues par celui-ci, pour l’instant gelées, inaccessibles à sa veuve et à son fils.

— On fera ça plus tard. C’est pas vraiment le moment…

La jeune femme eut un rire à l’autre bout du fil.

— Je te rappelle-

Et à nouveau la voix modulée de Phlalie s’éteignit dans un crépitement de fin d’appel. Yu soupira. Il l’avait attendue pour acheter la puce de connexion dont ils auraient eu besoin pour la manœuvre. Cela coûtait cher sur le marché noir ; la jeune doctorante allait retirer quelques liasses pour la payer. Puis ils mettraient leur plan à exécution…

Les volutes de la nuit ensevelissaient la 13ème avenue. Des ombres passaient sur elle. En contrebas, une foule de taxis et de véhicules serpentaient dans la pénombre ; leurs bruits étaient assourdis par la lourdeur de l’air saturé.

Comme tous les autres habitants, Yu avait chaussé un masque qui nettoyait l’air qu’il inspirait. C’était un étrange objet qui faisait comme une muselière à tous les occupants du métro, morts-vivants apathiques et asphyxiés par l’ennui – presque tous, certains s’étant contentés de masques chirurgicaux ou de simples tissus noués autour du nez et de la gorge. Grand au-dessus de leurs têtes Yu attendait l’arrêt suivant. Lorsque les portes s’ouvrirent il se jeta à nouveau dans ce fluide sombre et fuyant qu’est le peuple de Carnavale, captant des éclats de conversation à travers la foule.

— Je sais pas jusqu’à quand ça va durer…

— J’ai épongé mon sein, il en coulait du lait bleu…

— Ça fortifie les poumons, c’est sûr…

— La police a viré les sans-papiers qui squattaient la cave de mon immeuble…

— J’adore cette couleur…

— Dalyoha a vraiment le sens de la déco…

— Inspiré d’un certain Klein, paraît-il…

— Les Achosiens se scarifiaient à l’indigo…

— Il paraît que c’est un piège électromagnétique…

— Ah oui, je l'ai : bleu cobalt...

— Dans quelque temps, la teinture devrait passer du nuit à l’outremer…

— Et bientôt, à l’azur ?
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Le Petit Continent
Revue de géopolitique en ligne - rédaction basée à Ny-Norja, Tanska.



FAIRE LA PAIX À CARNAVALE EN 6 ÉTAPES
avec S.E. Amir Bey il-ir Usdeli, ex-MAE azuréen

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c2/Vladimir_Putin_and_Serdar_Berdimuhamedow_%282022-06-10%29_02.jpg

La confrontation OND-Carnavale en cours au large des Îles Saint-Marin inquiète légitimement toute la planète. Combats aériens meurtriers et tirs massifs de missiles se sont succédés en quelques heures. La publication de la Résolution 2003 du Conseil Militaire de l'organisation d'un côté, et les slogans de mobilisation « Prométhéens » de l'autre confirment à ce jour l'intention de la coalition OND et de la Principauté de Carnavale d'en découdre sur le terrain militaire, au risque de destructions colossales dont les effets nous sont encore inconnus. L'heure semble venue de la grande conflagration occidentale entre une organisation politico-militaire centrée sur la défense de la démocratie et de son hégémonie, et une entité volatile et menaçante dont la croissance ininterrompue de l'arsenal militaire inquiétait de longue date l'ensemble des acteurs internationaux. Cette « grande guerre bleue », selon l'expression d'un observateur, déclenchée par l'étincelle du bombardement d'une zone désertique d'Afarée occidentale dénoncée comme un « génocide » par les Afaréens semble mener le monde entier au bord d'un abîme dont les tréfonds demeurent insondables. Est-il trop tard pour sauver la situation ? Est-il trop tôt pour envisager la paix ? Nous en discutons aujourd'hui avec notre invité, Amir Bey il-ir Usdeli, haut fonctionnaire azuréen, diplomate et éphémère Ministre des Affaires étrangères du Califat constitutionnel d'Azur durant l'été 2016. En retrait des fonctions officielles qu'il a occupées, notamment pendant l'éclatement de la crise en Ouwanlinda, il nous livre son analyse de la situation et les pistes qui, selon lui, permettraient un compromis de sortie de la guerre.

Le Petit Continent : Excellence, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions dans cette édition. Vous avez été à la tête de la diplomatie azuréenne pendant quelques mois l'année dernière, mais sur une période chargée en tensions. Vous avez donc été au premier plan, dans votre pays, dans l'appréhension de cette crise. Comment la guerre à Carnavale est-elle appréhendée en Azur et que vous inspire-t-elle ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Merci à vous. C'est une question importante. Comme vous le savez j'ai été ministre pendant la période de renouvellement du vizirat c'est-à-dire que j'ai exercé mes fonctions avant l'introduction du gouvernement califal actuel. Mes positions sont donc personnelles. Je me dois de le rappeler. En revanche je peux synthétiser le consensus qui existe à ce sujet dans mon pays. Il est simple : d'abord, ne pas accepter la conquête de la Cramoisie par la Cramoisie. Ensuite et surtout, faire retirer les armes de destruction qui menacent notre intégrité territoriale, ça c'est le consensus global. Vous demandez aux uns, vous demandez aux autres tous tout le monde est d'accord. Pas d'armes de destruction qui pourrait nous atteindre. Pas tant que l'on a pas conditionné la situation de telle sorte qu'on n'a pas une idée raisonnable des intentions du pays Carnavale vis-à-vis de notre continent. Donc ça c'est un consensus. Et enfin troisièmement, éviter que la guerre ne se propage au-delà de sa zone actuelle c'est-à-dire au-delà du territoire carnavalais. En l'occurrence je crois que c'est un point qui fait consensus en Azur et qui distingue l'Azur des pays de l'OND comme Tanska ou le Faravan. Par exemple.

Le Petit Continent : est-ce à dire que vous jugez les deux opérations menées par l'OND, à savoir l'opération de Noël et l'opération Dreamland, comme imprudentes ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Je, euh, le Diwan a été très clair là-dessus, nous approuvons le recours à des actions concrètes pour éviter que Carnavale déploie en Afarée des armes de destruction, et c'est un objectif de la première opération de l'OND, avec le besoin d'articuler cette action concrète dans une perspective normative.

Le Petit Continent : Houria Ben-el-Telja, votre successeuse aux Affaires étrangères, a notamment évoqué la nécessité de construire un droit international sur le recours à la force armée et sur les questions humanitaires.

Amir Bey il-ir Usdeli : Oui, euh, c'est ça. Bon, vous pouvez juger si c'est réaliste en la période, mais sur le principe c'est ça. Néanmoins je voulais rajouter quelque chose. C'est que l'Azur n'a pas dit qu'il s'apprêtait à lancer une offensive sur Carnavale pour cette raison que il y a une incertitude en termes de coût de l'opération. Vous savez bien que Carnavale n'est pas connu pour faire des choses très propres et d'ailleurs nous sommes tous inquiets du jet de missiles, beaucoup de missiles, combien déjà cinq cent ? six cent ? qui a été fait contre la ville d'Estham dans l'Empire de Nord. Donc il faut faire attention avec la guerre. L'OND elle a les moyens de mener cette opération mais en Azur la question ne peut pas être répondue de la même manière.

Le Petit Continent : Alors comment répondre aux actes de Carnavale contre plusieurs pays ?

Amir Bey il-ir Usdeli : C'est le problème. C'est le problème ! Donc il faut avancer avec pragmatisme. D'abord nous ne pouvons que prendre au sérieux les slogans de la télévision carnavalaise. Oui ils y a des menaces de détruire le monde en gros. Qu'ils en soient capables on peut en douter mais qu'ils puissent infliger des dégâts c'est indubitable. Mais il faut partir de la situation concrète. Cette situation c'est à la fois que Carnavale ne peut pas continuer à faire tout ce qu'elle fait...

Le Petit Continent : Votre Grand Vizir a déclaré que Carnavale avait, je cite, brisé l'ordre naturel humain.

Amir Bey il-ir Usdeli : Oui, bon. D'accord. Donc on ne peut pas fermer les yeux, on doit protéger la sécurité nationale.

Le Petit Continent : Vous êtes en désaccord avec lui sur ce point ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Je ne suis pas en désaccord mais j'ai disons des réticences à employer les mêmes termes que Monsieur Afaghani Pasha. Mais si vous le voulez bien je vais poursuivre. Je n'ai jamais dit qu'il fallait tolérer Carnavale et tout lui passer. Ce n'est pas réaliste, ce serait idiot. Il y a des gens qui sont pourtant prêts à le faire et ce sont des idiots. Donc il faut être ferme, et en même temps si vous voulez il faut être pragmatique et ne pas précipiter tout ça dans un chaos où on ne sait même pas ce qui va se passer après. Moi je crois que Carnavale il faut le prendre avec prudence oui une certaine prudence. Vous dites qu'ils sont fous... oui, vous dites qu'ils sont fous, vous avez le droit, moi je ne suis pas médecin, psychiatre ou quoi que ce soit, je suis diplomate donc mon métier c'est de trouver des solutions négociées. Je crois qu'il faut chercher une solution négociée.

Le Petit Continent : C'est un point de vue que vous tenez et qui fait de vous un iconoclaste dans les cercles géopolitiques, surtout ici dans l'Organisation des Nations Démocratiques. En effet, la Résolution 2003 prévoit le recours à la force notamment pour éradiquer l'arsenal balistique carnavalais.

Amir Bey il-ir Usdeli : Oui, j'en ai conscience, j'en ai conscience. Mais moi, je dois dire ce que je pense et je dois me préoccuper d'abord de mon pays. Pas des grandes idées internationales de Monsieur Afaghani Pasha ou d'autres. Mon pays. Que chacun s'occupe de son pays on pourra avancer. Donc mon pays j'ai déjà dit que son intérêt ce n'est pas de faire l'idiot avec la bande des idiots qui croient qu'en étant bien mignons avec Carnavale ils pourront recevoir telle ou telle gâterie. Ceux qui croient qu'on peut s'allier à Carnavale se fourrent le doigt dans les fesses. Cela j'en suis convaincu quoi qu'en disent l'OND, Afaghani ou les autres. Carnavale c'est un pays profondément indifférent au reste du monde. Pour parler sa langue il faut laisser tomber les hypothèses d'alliances et de calculs géostratégiques. Et moi je suis diplomate donc j'essaie de parler cette langue, dans l'intérêt de mon pays.

Le Petit Continent : Comment prendre langue avec Carnavale ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Ce n'est pas évident. C'est difficile, très difficile. Il faut bien l'avoir en tête. Mais c'est possible. Vous vous rappelez comme moi, et je sais qu'à l'OND on en est pas très fier à posteriori, mais vous vous rappelez qu'en fait on a déjà trouvé des compromis avec Carnavale. Quand il y a eu l'accident de la cathédrale Catherine à l'Empire de Nord...

Le Petit Continent : C'était un bombardement, non un accident. On se rappelle que vous étiez alors ministre de la diplomatie azuréenne quand votre ambassadeur a fait le choix de réfuter le caractère agressif de cette frappe en invoquant, au scandale de tous les observateurs, que les dégâts occasionnés par un missile carnavalais dont la mort de l'archevêque étaient dûs à un accident... Vous regrettez cette attitude ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Ecoutez, j'étais ministre je devais servir mon pays. Oui déjà moi j'avais vu le risque d'une guerre de haute intensité si l'OND pratiquait des représailles. Nous sommes aujourd'hui dans cette situation là. Eh bien il fallait désamorcer. Donc oui tenir une position qui permette la désescalade.

Le Petit Continent : Au prix d'une diplomatie insincère...

Amir Bey il-ir Usdeli : La diplomatie et la sincérité ce sont deux choses différentes. Bon. Je continue ce que je disais. Quand il y a eu cette affaire, ce problème avec la cathédrale, en fait un compromis a été trouvé entre l'Empire de Nord et le Carnavale. C'est des représailles inoffensives contre la désescalade. Donc l'OND a frappé Carnavale là où elle n'aurait pas mal, et Carnavale en a rigolé. Vous voyez la diplomatie des fois c'est moins compliqué qu'un jeu d'enfants. Là la situation elle est bien différente, donc le compromis qu'on doit trouver sera un compromis entre adultes.

Le Petit Continent : Vous dites "le compromis qu'on doit trouver"... Si l'on veut trouver un compromis, ce n'est pas la position de l'OND jusqu'ici, ni celle de Carnavale d'ailleurs.

Amir Bey il-ir Usdeli : Oui, mais c'est normal, au début on met la barre là. Je pense que les esprits vont un peu se refroidir, en tous cas il le faudra bien parce que sinon ça sera la ruine pour tout le monde. Et je pèse mes mots. Ne me dites pas "oui vous êtes un azuréen, vous aimez les choses tragiques". C'est vrai qu'en Azur on aime bien les histoires tragiques mais c'est surtout parce qu'on les connaît. Vous connaissez l'histoire de Candarhabad.

Le Petit Continent : Candarhabad, c'est une ville azuréenne. Enfin c'était.

Amir Bey il-ir Usdeli : Candarhabad était une ville de mon pays, qu'on disait à l'époque la plus belle du monde. C'était au début du Moyen Âge pour vous. Très grande, très belle ville avec des caravansérails, des jardins, des palais. A l'époque des Grandes Conquêtes, toutes les autres villes ont été assiégées, affamées, conquises sauf elle, la plus belle. Un grand général, Arslan Bey, voulait s'en emparer. Il a offert aux habitants deux choix : soit de résister et de périr, soit de vivre sans qu'aucun mal ne soit fait à leur cité, en échange de leur absolue soumission. Les habitants ont finalement choisi de se rendre. Les troupes sont entrées sans briser le moindre vase. Arslan Bey s'est installé dans le palais royal. Alors que la nuit tombait sur la ville, un enfant a insulté un soldat d'Arslan. Celui-ci s'en est plaint à son capitaine qui lui interdisait de répliquer. L'affaire a été portée devant le général. Lorsqu'il a entendu l'affaire, Arslan Bey s'est levé et a ordonné de raser la ville.

Le Petit Continent : C'est une histoire effectivement importante dans la mémoire azuréenne.

Amir Bey il-ir Usdeli : Les habitants ont tous été passés au fil de l'épée, des vieillards aux bébés. Il paraît que la tour de têtes coupées dépassait le Mont Argad. Candarhabad a été rayée de la surface de la Terre. Même aujourd'hui les archéologues ont peine à retrouver autre chose que du verre brisé et des pierres cuites.

Le Petit Continent : Le sens de l'honneur azuréen ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Vu de chez vous on aurait pris Arslan Bey pour un fou. Pourquoi raser une ville entièrement soumise ? Parce qu'un enfant a insulté un soldat ? N'importe qui aurait passé cela. Mais Arslan Bey avait exigé une soumission totale ou bien une destruction totale. La soumission n'ayant pas été totale, il a simplement honoré sa parole. C'est une histoire qui doit tous nous inspirer sur ce que les mots peuvent encore avoir comme valeur. Pourquoi je raconte cette histoire ? Pour attirer votre attention sur l'objet de notre entretien. Le dialogue avec Carnavale. Nous devons dialoguer en ayant bien conscience qu'un nouveau sac de Candarhabad est possible. Dans un sens comme dans l'autre. Nous devons nous tenir sur un fil, aucun écart n'en étant possible.

Le Petit Continent : Et pour cela, vous avez une piste. Pourriez-vous la détailler à nos lecteurs ?

Amir Bey il-ir Usdeli : Bien sûr, je suis là pour ça. Ce que je m'apprête à dire, c'est une proposition, cela n'engage que moi qui ait l'expérience de la diplomatie, de la paix et de la guerre. Je sais que ce n'est pas la position officielle de mon gouvernement mais je suis libre, et je crois que ce ne serait faire de cadeau à personne que de taire ce qui m'apparaît comme une piste de solution dans un moment aussi crucial. Voilà. Donc maintenant que nous avons compris qu'il faut parler avec Carnavale - j'y insiste, il faut parler avec Carnavale, que nous devons parler une langue qui soit aussi claire que transparente, et que nous avons en tête toutes les préoccupations que j'ai cité sur la sécurité nationale, le besoin de retrouver un équilibre, alors nous pouvons avancer.

Carnavale, aussi folle qu'elle puisse apparaître, ne se nourrit pas que de champignons hallucinogènes. Je crois qu'ils savent que la pente que nous dévalons à ce jour ne leur est pas plus profitable qu'à leurs adversaires. Peut-être ne tiennent-ils pas à ce que leur ville, leurs monuments et leur histoire soit réduite en cendres, ni à infliger les dégâts considérables dont ils fanfaronnent à tant de pays autour d'eux. Non, il faut faire le pari que Carnavale ne souhaite pas davantage que nous la destruction généralisée et que partant de ce constat un compromis pour éviter cette destruction vaut mieux à leurs yeux comme aux nôtres qu'un compromis dans l'extermination mutuelle. Je pèse mes mots car je sais que des Arslan Bey remplissent les conseils militaires de part et d'autre. Ce compromis d'atténuation des dégâts nous devons le bâtir. Le bâtir où ? Comment ? Sur quelles bases ?

Je propose que nous prenions les choses les unes après les autres. D'abord interrompre tout de suite la pente de l'escalade : cessez-le-feu général. Ensuite, rassurer les uns et les autres, en leur permettant de se prémunir les uns contre les autres.

Cela passe par plusieurs questions. Premièrement, les armes chimiques. A mes yeux comme à ceux de mon gouvernement c'est le plus grand danger ; nous devons obtenir de Carnavale qu'elle interrompe ses recherches dans ce sens et qu'à moins de détruire ses stocks, elle intègre un processus visant à faire l'inventaire des molécules en sa possession et en développer des solutions de confinement, et pourquoi pas de traitement médical, pour neutraliser dans les délais les plus bref le danger posé par ces composants chimiques.

Deuxièmement, l'arsenal balistique. Je sais qu'Afaghani Pasha est plutôt sur la ligne de l'OND de tolérance zéro en la matière mais c'est à mon sens une position intenable dans la pratique. En toute hypothèse on n'aura pas le démantèlement de cet arsenal si on veut éviter la guerre. Il faut accepter l'idée que Carnavale conserve son arsenal. Je propose d'en limiter la portée en garantissant que Carnavale abandonne ses projets de développement de lanceurs basés à l'étranger ou dans des sous-marins. Pour cela il faudra un engagement concret de la part de Carnavale.

Troisièmement, la dissémination. Nous savons qu'une grande part de la méfiance que s'attire Carnavale de la part de la communauté internationale vient de sa propension à proposer ses armes à la vente aux idiots qui croient pouvoir en bénéficier. Donc il faut mettre un terme au transfert d'armements par Carnavale : procéder au démantèlement de sa flotte et à l'instauration d'un embargo. Les navires quittant Carnavale devraient être contrôlés par une mission de police maritime internationale permanente.

Vous me direz que Carnavale n'acceptera jamais ces trois points, et vous aurez raison si notre proposition s'y résume. C'est pourquoi j'en propose trois autres qui ne sont pas faciles à admettre pour nous, mais qui pourraient équilibrer la balance de notre compromis.

Quatrièmement donc, assurer à Carnavale le droit à sa propre défense. Lui permettre d'acquérir tout le matériel strictement défensif, c'est-à-dire le matériel antiaérien, antiterrestre et antinaval dont elle aura besoin. Peut-être même qu'on trouverait des industriels mondiaux prêts à l'aider à constituer cette défense qui lui servira de garantie de sécurité. Cela est un gage majeur que ferait la communauté internationale à Carnavale.

Cinquièmement, un second gage consisterait à accorder à Carnavale l'amnistie pour tous ses crimes. J'ai conscience que c'est un point sensible du côté de l'OND autant que de l'Afarée. Mais il faut s'y résoudre pour bâtir ce compromis. Cela signifie qu'il n'y aura aucune poursuite ni vengeance pour la destruction d'Estham ni le génocide au Pays des Trois Lunes. La situation serait considérée comme purgée. Les raisons de s'agresser mutuellement seraient lavées.

Sixièmement, il faut là aborder la question de Cramoisie, cette colonie installée sur le Pays des Trois Lunes. En cohérence avec les points précédents il faudrait autant qu'elle soit vidée des armes offensives chimiques ou balistiques qu'elle pourrait contenir, qu'autorisée à se munir de défenses strictement défensives. Oui, j'ai conscience que mon gouvernement est en parfaite hostilité avec cette idée, mais je crois que c'est une solution de compromis. Cramoisie devra pouvoir exister sans représenter une menace et sans pouvoir être menacée. Les habitants du Pays des Trois Lunes seront autorisés à quitter le pays et à s'installer définitivement ailleurs.

Le Petit Continent : N'est-ce pas un programme trop ambitieux ?

Amir Bey il-ir Usdeli : J'ai conscience que ces points représentent, pour l'OND, Carnavale et les autres pays, des sacrifices importants. Mais je crois qu'il n'y a pas d'alternative raisonnable et qu'une poursuite de la guerre vers une profondeur encore plus dangereuse de la pente que nous dévalons sera bien plus coûteuse que les quelques renoncements politiques qu'exige ma proposition. Evidemment, ce n'est qu'une proposition que je lance dans le débat public. Je la résumerai donc en 6 points : (1) Neutralisation des armes chimiques de Carnavale ; (2) Limitation de la portée balistique de Carnavale ; (3) Embargo sur les transferts d'armes depuis Carnavale ; (4) Reconstruction d'une défense carnavalaise globale ; (5) Amnistie des crimes carnavalais ; (6) Neutralisation militaire mais reconnaissance politique de la Cramoisie. Sans cela, je ne sais pas bien où on ira. Vers une pandémie de peste artificielle aux conséquences démographiques effroyables ? Vers l'oblitération de Carnavale, de ses laboratoires et de ses secrets ? Vers les deux à la fois sans aucun doute ? Je crois qu'il est temps que les adultes dans la pièce fassent un choix raisonnable.

Le Petit Continent : Ces propos sont forts mais ils n'engagent que vous. L'avenir dira si vous avez été un observateur clairvoyant du destin de l'Humanité, ou bien un penseur iconoclaste aux analyses erronées. Dans tous les cas, Excellence Amir Bey il-ir Usdeli, nous vous remercions d'avoir accordé à notre revue cet entretien riche en perspectives. Peut-être que vos propositions inédites attireront l'intérêt d'autres acteurs ? C'est une affaire à suivre.


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  • Inacceptable !
Dégât à l'impact décevant, effondrement du rapport qualité-prix : l'Amicale Balistique Internationale annonce porter plainte contre les lois de la physique pour sabotage.

  • Mathématique ?
Les statisticiens messaliotes sont formels : en matière de coût de revient, mieux vaut acheter un carton de loto qu'un missile balistique.

  • Délicieux !
Moutarde : en enduire vos murs fait baisser le coût des travaux de rénovation, selon les experts esthamiens. Marche aussi avec d'autres organophosphoriques.

  • À l'ancienne !
Hallebardes, machettes et autres arbalètes en rupture de stock : à la cuisine comme à l'armurerie, c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures !
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