POV
POV, le journal de midi !
Yeleshev Zakharovich et Polivanova Antonovna, présentateurs vedettes du JT de POV.Antonovna : Bienvenue sur
POV, première chaîne d’information de la République de Peprolov, je suis avec Yeleshev Zakharovich mon collègue de toujours, Yeleshev Zakharovich vous allez bien ?
Zakharovich : Excellemment bien Polivanova Antonovna ! D’autant que les nouvelles sont bonnes !
Antonovna : Ah c’est assez rare pour le souligner, en effet nous ouvrons immédiatement ce journal du midi avec la dernière actualité de la journée : les premiers rapports de l’audit d’Albigärk sur la situation économie de Peprolov viennent d’être rendus publics… !
Zakharovich : Et ils sont bons Polivanonva Antonovna, en tout cas l’avenir dépeint semble plutôt positif pour le pays puisqu’en cette fin d’année 2008 la République de Peprolov pourrait atteindre un PIB de cent milliards – équivalent or !
Antonovna : Alors pour nous aider à contextualiser un peu ces chiffres nous accueillons notre invité du jour : Tamakhin Victor Artemovich ! Bienvenue !
Artemovich : Merci.
Tamakhin Victor Artemovich, professeur d'économie, ex-reponsable prodnovien de la planification pour la région de Peprolov, membre de la commission albienne de recherche et d'étude sur l'économie peprovite.Antonovna : Tamakhin Artemovich vous êtes chercheur en économie, vous avez travaillé pendant plus de vingt ans au sein du Parti Communiste du Prodnov pour aider à la planification quinquennale, aujourd’hui vous avez rejoint l’équipe de recherche albienne chargée de l’audit de la situation économique de Peprolov, alors ? Les chiffres sont bons.
Artemovich : Très bon, très bon. Le modèle hybride actuellement mis en place semble porter ses fruits, en tout cas si on en croit les données. Bien sûr elles sont à contextualiser au regard de la situation…
Zakharovich : Vous êtes là pour ça professeur.
Artemovich : Bien sûr bien sûr. La première chose qu’il y a à comprendre c’est qu’un pays qui s’ouvre sur l’économie extérieure connaît toujours un boom rapide de croissance. C’est un phénomène assez logique : de nouveaux marchés s’ouvrent, ce qui favorise l’entreprenariat, les pays étrangers investissent chez vous et vous bénéficiez des effets positifs de la concurrence sur les prix grâce aux importations. Il faut voir ça comme une tuyauterie dont les travailleurs sont des moulins, à chaque fois que l'eau passe, c'est le circuit de la monnaie, les travailleurs produisent de la richesse grâce au travail, le mouvement des palmes du moulin. Quand vous êtes en circuit fermé, la vitesse de circulation de la monnaie est limitée puisqu'elle doit faire tout le circuit pour revenir actionner le moulin, c'est à dire financer le travail. Mais si vous introduisez de nouvelles arrivées d'eau, même si celle-ci ressort plus loin dans le circuit, les palmes tournent beaucoup plus vite, elles n'ont pas besoin d'attendre que la monnaie ait circulé dans toute l'économie. Je ne sais pas si je me fais très bien comprendre...?
Antonovna : Vous nous dites donc que la croissance de Peprolov est un phénomène naturel ?
Artemovich : Alors. Oui. Mais il y a deux choses à prendre en compte. Déjà, l’enjeu pour un pays qui se libéralise est d’encaisser le choc de "l'arrivée d'eau", si vous voulez. Une économie qui a trop longtemps tournée en circuit fermé s'est habitué à une certaine cadence, une certaine production. Augmenter soudainement l'activité générale du tissu économique c'est à double tranchant. Les débuts peuvent être extrêmement prometteurs, puis, s'il n'est pas régulé, le marché va s'emballer, la monnaie ne pourra pas être correctement canalisée à l'intérieur du circuit, sans parler des fuites de capitaux, et tout cela va mener à la concentration des richesses entre quelques mains, ce qui appauvrit tous les autres. De la même façon, la concurrence forte au départ va pousser à la guerre des prix, chaque entreprise baisse ses prix de vente pour être plus concurrentielle que les autres ce qui va progressivement les pousser à la faillite, puis il en reste de moins en moins et la situation revient à une forme oligopolistique voire monopolistique qui est naturelle dans les économie organiques. A ce stade, les bénéfices qu'avait apporté la concurrence sont balayés.
L’autre chose à prendre en compte néanmoins, c’est que par bien des aspects la croissance de Peprolov est tout à fait spectaculaire. Nous parlons tout de même d’un taux de 100% d’augmentation du PIB en un an, moins de six mois en fait pour être précis, ça, ce ne sont pas des chiffres normaux.
Zakharovich : Donc il y a des raisons de se réjouir.
Artemovich : Oui oui. En fait, notre étude porte à croire que le modèle hybride de sécurité sociale forte couplée avec une libéralisation rapide de l’économie est un compromis intéressant pour éviter le piège d’une « thérapie de choc » pour reprendre les termes consacrés.
Antonovna : Qu’est-ce que la thérapie de choc professeur ? Pouvez vous expliquer pour les téléspectateurs ?
Artemovich : Bien entendu, bien entendu. On appelle « thérapie de choc » un phénomène observé dans les anciens pays communistes, lorsque l’économie collectivisée et étatisée est remplacée presque du jour au lendemain par un libéralisme radical. On voit souvent cela après des révolutions réactionnaires, prototypiquement. Le problème de la thérapie de choc est qu'elle plonge une grande partie de la population dans la pauvreté et paralyse l'économie au lieu de la stimuler. Il faut d'ailleurs souvent plusieurs années pour en sortir et retrouver un fonctionnement normal de la société. Le Vogimska est un bon exemple de ce phénomène, son économie est littéralement à l’arrêt depuis des années, la révolution bleue, la libéralisation de l'économie n’a pas apporté la prospérité promise, malgré de bons résultats dans les premiers temps le PIB ne bouge plus depuis 2006.
Antonovna : Comment expliquer cet échec ?
Artemovich : En fait, l’ouverture d’une économie entière au marché amène assez logiquement à une situation d’ultra concurrence qui d’une part plonge les acteurs dans l’insécurité, le marché est très instable, ce qui les pousse à ne pas investir, d’autre part provoque la captation des capitaux entre les mains d’une poignée d’individus. Typiquement cela produit des oligarques. Peut-être… si vous pouvez projeter ma carte… ?
Antonovna : Bien sûr professeur, nous attendions votre feu vert !
Comparaison et projection dans le temps du PIB entre Staïglad, la région de Nazakraina et la République de PeprolovArtemovich : Vous voyez ici une projection de la croissance économique des trois zones prodnoviennes libéralisées au même moment. On constate trois phénomènes. Le premier concerne la zone de Nazakraina, incorporée au Vogimska. Comme le Vogimska subit encore aujourd’hui le contre-coup de la « thérapie de choc », la zone de Nazakraina n’a pas pu bénéficier des bénéfices d’une économie de marché puisqu’elle s’est immédiatement retrouvée agglomérée à un espace économique globalement en berne. On aurait pu s'attendre à ce que le libre marché provoque une sorte d'électrochoc dans le tissu économique régional mais en fait la crise structurelle qui frappe le Vogimska empêche les investissements. Ce que nous avons constater à Nazakraina, c'est le rachat de l'industrie nationale par des particuliers et l'entrée en bourse des entreprises, mais il n'y a pas eu de croissance pour autant, l'argent est simplement passé des poches de l'Etat à celle des actionnaires. Quelques personnes se sont fortement enrichie, et la plupart des gens sont restés pauvres.
En ce qui concerne Staïglad, on voit typiquement à l’œuvre les effets de la thérapie de choc : dans un premier temps une hyper croissance étalée sur quelques mois grâce aux investissements étrangers, puis, presque immédiatement, un arrêt complet de la croissance.
Antonovna : Mais pourquoi cet arrêt ?
Artemovich : Parce qu’il n’y a plus d’intérêt à investir. Les investisseurs ont racheté des pans entiers de l’économie où ils sont désormais en situation d’oligopole. Sans pouvoir d’Etat pour empêcher cette situation, ils peuvent désormais se faire des marges sur l’économie réelle en augmentant artificiellement les prix. Il n’y a plus de concurrence pour équilibrer non plus, la guerre des prix l’a tuée au bout de quelques mois, les investisseurs non compétitifs ont mis la clef sous la porte et laissé un boulevard pour quelques entreprises privées en position de toute puissance.
A partir de là, les capitalistes n’ont plus qu’à vivre de leurs rentes et l’économie du pays se trouve paralysée alors que tous les bénéfices produits par les travailleurs sont captés par les actionnaires. Bien sûr les oligarques peuvent continuer de se mener la guerre, mais dans la réalité ils sont souvent placés sur des secteurs différents et non concurrentiels, cela forme une nouvelle caste puissante, organisée autour du pouvoir politique comme une petite cour.
Antonovna : Mais vous dites qu'on ne retrouve pas un tel phénomène à Peprolov ?
Artemovich : Exactement, ce qui nous réjouit. Le démarrage de Peprolov a été plus lent car l’économie n’a pas été libéralisée du jour au lendemain, on voit que tout s'accélère environ six mois après l'indépendance car il a d’abord fallu procéder à des élections et stabiliser le pays ce qui a pris du temps. Ensuite, les Pharois ont forcé l'ouverture de certains secteurs économiques à la concurrence tout en prenant soin de préserver la majeure partie des institutions de protection sociale, voire d’en renforcer certaines en subventionnant largement l'économie. On peut dire qu'ils l'ont tenu à bout de bras, en fait, ce qui a épargné à Peprolov de s'effondrer sur elle même et de se retrouver à la merci des grandes fortunes du secteur privé et des investisseurs étrangers. Résultat, les Peprovites n’ont pas été malmenés dans la période de transition et ont pu commencer à entreprendre avec du recul et l’assurance de ne pas se retrouver sans rien en cas d’échec.
De fait, depuis maintenant cinq mois, la croissance est à deux chiffres, nous progressions de quasiment dix milliards de PIB par mois, c’est assez colossal !
Zakharovich : Mais on voit sur votre schéma que cela reste quand même largement en dessous des chiffres du PIB de Staïglad Tamakhin Artemovich ?
Artemovich : C’est vrai si on compare les sommes brutes mais en proportionnelles, heu… pourriez vous lancer le deuxième graphique ?
Antonovna : Bien entendu Tamakhin Artemovich !
Comparaison et projection dans le temps du PIB/habitant entre Staïglad, la région de Nazakraina et la République de PeprolovArtemovich : Alors sur ce deuxième graphique on voit l’évolution du PIB/habitants, c’est sans doute une représentation plus parlante et aussi plus fidèle des véritables dynamiques à l’œuvre. Bien sûr Peprolov reste plus pauvre que Staïglad en termes de PIB, mais pour ce qui est de la productivité, les Peprovites ont dépassé les Staïgladins et les Vogimskans autour du moins de septembre 2008 et la tendance semble se confirmer. On peut donc dire que notre modèle produit plus de richesses individuelles qu’un modèle libéral pur. Toutefois cela n'indique rien sur la répartition de telles richesses...
Zakharovich : Si je puis me permettre Tamakhin Artemovich, ces prévisions ont l’air très optimistes, n'avez vous pas peur qu'elles le soient trop ?
Artemovich : Ce n’est pas impossible, en effet, nous prolongeons les courbes pour le moment. Le risque pourrait effectivement être d’atteindre un plateau de croissance d’ici quelques mois, si nous n’épousons pas bien le virage libéral. Il y a un équilibre très subtil à trouver et les résultats des élections peuvent complètement bouleverser nos prévisions. Le bon côté des choses c’est que cette incertitude est un freint à l’économie, actuellement…
Antonovna : Je ne suis pas sûre de comprendre, pouvez-vous développer ce point Tamakhin Artemovich ?
Artemovich : Eh bien, personne ne souhaite investir dans un pays qui pourrait, du jour au lendemain, nationaliser toute son économie. A l’inverse si demain la sécurité sociale risque d’être démantelée, mieux vaut épargner. Donc actuellement les Peprovites ne sont pas vraiment incités à entreprendre, mais une fois les élections passées, on pourrait assister à un nouvel engouement, puisque les règles du jeu auront été posées plus clairement.
Zakharovich : Tamakhin Artemovich, est-ce une victoire culturelle sur l’ONC ? Sommes nous en train d’avoir la preuve de l’obsolescence du modèle libéral ?
Artemovich : C’est évidemment trop tôt pour le dire. Si l’ONC parvient à faire venir des investisseurs étrangers de manière régulière, l’économie de Staïglad serait dopée, ce serait assez prévisible. C’est comme prendre de la drogue, votre économie ne repose plus seulement sur le travail de votre population et les infrastructures de votre pays, mais peut s’appuyer sur le marché secondaire, la bourse, les fluctuations des actions, etc etc. Tout ça permet de la création monétaire par les banques privées, ce qui dynamise la circulation de la monnaie et favorise les investissements. Même avec un tissu économique moribond, vous pouvez vous maintenir à flot si les investisseurs continuent d’injecter de l’argent. Par contre, gare au moment où les flux de capitaux s’assèchent, si vous n’avez pas préparé la résilience de votre pays, tout peut s’effondrer et la population se paupériser extrêmement vite.
Antonovna : C’est un phénomène qui s’est déjà produit, n’est-ce pas ?
Artemovich : Oui, assez ironiquement chez les pays communistes justement. Après une révolution, il est courant que certaines nations communistes isolées subissent des blocus accompagné d'une fuite de capitaux privés. Dans ce cas, une économie fonctionnelle va se retrouver asséchée en liquidités, vous possédez toujours les infrastructures, mais pas l’agent pour les faire tourner. On est alors tenté d’imprimer de la monnaie dans ce genre de situation, mais gare à l’inflation…
Zakharovich : Mais n’est-ce pas également la situation de Peprolov ? On sait que les Pharois ont promis des investissements très importants, notamment pour les zones portuaires, cela ne fausse-t-il pas les chiffres ?
Artemovich : Il faut distinguer les promesses de dons et ceux réellement effectués. Les Pharois ont reconstruit Peprolov-port, notamment en y implantant leur base navale, mais le reste est encore des promesses. En fait, mon hypothèse et elle est partagée par beaucoup de chercheurs albiens est que les Pharois sont actuellement trop occupés à jouer la course au PIB avec l’Alguarena pour vraiment investir suffisamment massivement à Peprolov. Et vous savez peut-être que le projet de base militaire à Porto Mundo a du retard ? C'est hm... à l'ouest, dans le Détrout. Tout ça pour dire qu'aussi dynamique soit l'économie pharoise, ils ne peuvent juste pas se permettre d'injecter des milliards à Peprolov alors même qu'on ne sait toujours pas va accéder au pouvoir. Imaginez qu'un gouvernement qui leur soit hostile soit élu, cela non plus n'encourage pas à investir.
Là où c’est néanmoins finement joué c’est que ces promesses ont dopé le moral de l’économie malgré tout. Les gens sont persuadés que les infrastructures seront remises à niveau très bientôt, qu’il y aura des arrivées de capitaux étrangers venus remettre en marche des secteurs clefs de l'économie, cela encourage à entreprendre. Il faut juste espérer que les capitaux arriveront malgré tout, sinon certaines entreprises qui comptaient dessus pourraient devoir mettre la clef sous la porte, faute d’un tissu économique en capacité d'amortir leurs investissements.
Antonovna : Ce qui conclut cette interview, Tamakhin Artemovich merci !
Artemovich : Merci à vous.
Zakharovich : Et nous enchaînons tout de suite sur le sport : Peprolov s’ouvre aux compétitions internationales, quel politique publique pour inciter au sport ? que faire de l’héritage communiste ? un reportage POV signé Sapogova Izabella Nikitovna.