Janvier 2012, le ministre de l'économie et des finances, Sveend Skaarup, dévoile un projet de réforme visant à réduire la charge fiscale des entreprises dans le domaine de la technologie de pointe. Ce projet prévoit notamment la création de "Zones Economiques Spéciales", les fameuses ZES, à raison d'une par province et une par région fédérale. Près de deux ans après, et en dépit de multiples consultations politiques et civiques, le projet n'a toujours pas abouti. Pire, le 13 septembre dernier il a subit un important contre-coup par le rejet, lors d'un vote consultatif, de la création d'une ZES dans la province d'Etelämanner, bloquant depuis près de deux semaines les négociations.
Dans la même temporalité, le gouvernement a saisit la proposition Halvienne de loi sur la déforestation, par le biais d'une fédéralisation pour introduire un ambitieux projet de loi visant à défendre l'environnement en agissant sur les produits entrant dans le marché intérieur fédéral. Si cette réussite, marqué aujourd'hui par des discussions de projets similaires à propos du travail forcé, de l'esclavage et du travail infantile, témoigne d'une forme d'opportunisme réussie de la part du gouvernement central, l'échec actuel de la réforme Skaarup témoigne, selon certains opposants socialistes d'une "panne de légitimité" du gouvernement fédéral.
Plus précisément, selon eux, cette entreprise politique gouvernementale issue du pouvoir centrale échouerait du fait de son centralisme. A l'inverse, la loi sur la déforestation à de son côté été une réussite du fait de la capitalisation politique sur un sujet issu d'une province, pris en main par les autres et dont les débats ont amenés à un besoin d'une intervention politique gouvernementale. Dit autrement, le premier échouerait du fait de sa verticalité, l'autre aurait réussie par son horizontalité initiale ensuite transformée en verticalité.
La légitimité est ici considérée du point de vue des résultats prévus et annoncés mais aussi sous un aspect procédurale (la légitimité du processus démocratique). Ce sont ainsi les trois facettes de celles-ci : la légitimité du mandat politique, le processus transparent et participatif, et la production d'une politique publique répondant à des objectifs préalablement décidés qui sont pris en compte.
La loi sur la déforestation, une action provinciale qui légitimise l'intervention fédéraleLe commerce est une compétence à la fois fédérale et dévolue. Tanska possède un système de gouvernance fédéral où certaines compétences appartiennent à un niveau fédéral (réservé) et d'autres sont "provincialisées" ou "décentralisés" (dévolues) vers les provinces fédérales (Etelämanner, Halvø et Kyli) et possiblement vers les régions capitales. Une partie des compétences est ainsi seulement dévolue, dites "dévolues provinciales", aux provinces fédérales mais le gouvernement fédéral conserve la main sur celles-ci dans les régions capitales. A l'inverse, certaines compétences dévolues, dites "dévolues intégrales" le sont y compris pour les régions capitales, c'est le cas de l'enseignement primaire par exemple. Le commerce, lui, rentre dans la première catégorie de compétence dévolue provinciale. Comme toute compétence dévolue (provinciale ou intégrale), le processus de fédéralisation permet de renvoyer un projet de loi devant le Congrès Fédéral.
La fédéralisation consiste ainsi en l'envoi à la Chambre parlementaire fédérale d'un projet de loi provincial. Il peut être demandé par une ou plusieurs provinces s'étant saisi du projet. La saisi d'un dossier par une province se fait dès qu'un projet de loi d'un parlement provincial est mis à l'ordre du jour de la Cour Sociale par un autre parlement provincial et que celle-ci en valide la saisie. Le projet de loi sur la déforestation, issu du Parlement provincial d'Halvø a été saisi par les deux autres provinces fédérales. A la suite de blocage dans les discussions entre les trois parlements provinciaux, et de l'intérêt manifesté par le Parlement Central (celui des régions capitale), les parlements ont validés, non sans quelles interrogations, la fédéralisation du processus de loi et son renvoi devant le Congrès Fédéral.
Cette fédéralisation offre de fait des marges de manœuvres au gouvernement fédéral qui doit tout de même tenir compte de l'avis de quatre administrations ayant demandé à consulter la représentation fédérale (et donc le gouvernement). Ainsi, l'action publique fédérale se voit investie d'une légitimité par le bas, mais aussi d'une quête de la recherche d'un équilibre, d'un compromis entre les provinces fédérales. L'imbrication au niveau fédéral de la compétence dévolue lui confère ainsi un capital politique suffisant pour intervenir et trancher dans un débat sans que ce soit au gouvernement de manifester sa volonté première d'intervenir. Il est juge plus qu'arbitre. Certes, plusieurs ministres s'étaient prononcés sur le sujet, mais c'est avant tout les parlements provinciaux qui, face au blocage qui était le leur, ont décidés de fédéraliser le projet de loi.
La fédéralisation produit ainsi une forme de rupture dans l'horizontalité du projet par l'intégration d'une forme de verticalité qui doit amener à résoudre le problème. L'ambition politique gouvernementale n'est pas à l'origine du projet, pas plus que des idées centralisatrices de l'action publique. C'est bien la base fédérale, décentralisée et dévolue qui investis le gouvernement dans sa capacité à agir publiquement.
La réforme skaarup : une action à l'inverse de la loi sur la déforestationAlors que la loi sur la déforestation a remis dans les mains des pouvoirs publics fédéraux la légitimité à agir, la réforme skaarup est elle en partie perçue comme illégitime d'un point de vue de la gouvernance fédérale. Aux premiers abords, cette perception - avant tout issue des rangs de la gauche dans les provinces fédérales - peut surprendre. En effet, la proposition, si elle émane du pouvoir fédéral, à savoir d'un ministre, concerne avant tout les provinces fédérales. C'était même là l'un des objectifs annoncés par le ministre.
A première vu le projet semble ainsi correspondre aux attentes de légitimité du mandat politique ainsi qu'à la production d'une politique publique répondant aux attentes de la population, en premier lieu des provinces fédérales. Or, c'est bien dans ces provinces fédérales et en particulier dans la province d'Etelämanner, que la légitimité de l'action publique fédérale entreprise est mise en doute. D'autant plus que la province, disposant du Centre Aérospatiale d'Akrak accueillant les activités principales de l'Agence Spatiale Tanskienne pour la Recherche et l'Exploration (ASTRE), et qui intéressait vivement Tanskian Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) doit bénéficier des plus grandes entreprises de hautes technologies de la réforme (ministère de l'économie, 2012a).
La légitimité du processus transparent et participatif semblait aussi être validé. En effet, le pouvoir fédéral a, dès les premiers mois de tractation politiques évoqués le fait qu'il tiendrait des consultations politiques avec les entreprises d'une part, mais aussi avec les parlements provinciaux d'autre part. La possibilité de référendum locaux pour l'installation des ZES étant elle dévolue aux parlements provinciaux, le gouvernement ne pouvait s'y engager mais avait reconnu qu'il "inciterait" ces derniers à s'y atteler. En résumé, l'action semble donc correspondre aux attentes de légitimité de l'action publique fédérale sur tous les points.
Pour ainsi dire, la construction semble même davantage légitime que la loi sur la déforestation qui, initialement, ne prévoyait nullement de larges consultations bien que les sujets abordés (l'environnement et la protection du consommateur) correspondent eux aux attentes des populations (sondage EPCO, juin 2012).
Ce qui semble avoir posé problème c'est une accumulation de plusieurs éléments. Au premier rang desquels se trouve l'origine même de la réforme. Elle vient d'en haut et d'un cercle réduit d'acteurs des pouvoirs publics. Si la loi sur la déforestation venait d'un seul groupe parlementaire halvien, elle était issue de consultations internes à ce groupe et disposait ainsi d'un embryon de base politique. A l'inverse, le projet de réforme skaarup semble émaner de la seule volonté politique du ministre, sans consultation préalable (y compris avec son gouvernement). C'est,
a posteriori que celui-ci semble avoir voulu construire une base politique légitime. D'abord auprès de son gouvernement - sans grandes difficultés -, puis de la majorité parlementaire au Congrès Fédéral et enfin dans les Parlements provinciaux. La verticalité est descendante, là où elle fut ascendante dans la loi sur la déforestation.
Le processus décisionnel ne reposait ainsi pas sur la participation réelle des acteurs concernés (entreprises, parlements provinciaux, syndicats) dans un premier temps. Cette légitimité a été construite après la proposition, et non avant, en émanant d'en haut, plutôt que d'une volonté manifeste d'en bas. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu de perception d'une légitimité de l'action comme en témoigne le bon accueil réservé à la réforme parmi les entreprises et une partie des syndicats.
Néanmoins, du fait de son émanation par le pouvoir central lui-même, la réforme ne dispose pas d'une possibilité d'évolution à la base. Toutes les évolutions politiques ne peuvent émaner que de la décision du ministre à l'origine, pouvant amener à des changements radicaux. Certes, ceux-ci peuvent correspondre à des attentes exprimées par les acteurs concernés, et donc représenter des évolutions légitimes, mais il n'en reste pas moins que l'action n'est pas faite par la représentation fédérale. La prise en compte des dynamiques provinciales et locales est ainsi inégalement représentée. Et, de fait, pour la gauche, la perception est que c'est avant tout les intérêts des entreprises plus que des syndicats et des représentants provinciaux qui ont été pris en compte par le ministre selon plusieurs élus socialistes.
Loin d'être un projet pris en main par Halvø, Järvi et Ny-Norja, il reste contrôlé par Norja, et plus précisément par le ministère. Il peut ainsi être perçu comme légitime à Norja ou Kalfafell sans l'être à Järvi. L'accumulation de ces différences de traitement rend l'action publique et la décision publique plus complexe à mettre en œuvre, mais aussi à légitimer. Alors que le contexte économique des provinces fédérales rend plus nécessaire et justifié l'adoption de politiques industrielles, la légitimité de cette action est, au mieux incomprise, au pire mal perçue dans les dites provinces.
Un blocage définitif ? Ces tensions ont une résonnance particulière dans le secteur technologique. Alors que celui-ci est très présent dans les régions capitales et dispose de bases solides dans la province d'Halvø, il est minoritaire en Etelämanner et inexistant à Kyli. Il est pourtant l'un des premiers chantiers de politique publique visant à rendre l'Egalité Fédérale tangible. Tous les scénarios et les tentatives de coordination économique entre les composantes de la République impliquent désormais - sur l'ensemble du spectre politique - une industrialisation renforcée des provinces.
Cependant, c'est dans l'initiative de ces politiques que la légitimité, qui ne pâtie donc pas d'une absence de besoin à la base, est manquante. La légitimité résiderait-elle alors dans l'entreprise de loi aux échelons provinciaux et régionaux ? Il serait tentant, au premier abord, de répondre positivement. Néanmoins, cela omettrait d'autres possibilités plus réussies. Récemment, le gouvernement, plus précisément le ministère des Affaires étrangères et des Droits humains, a entrepris une modification de sa politique étrangère en Manche Blanche. Si il ne s'agit pas, au premier abord, d'une politique publique au sens noble du terme - car avant tournée vers l'extérieur - elle a quand même des relents de politiques publiques par les accords commerciaux, douaniers ou culturels qu'elle peut revêtir, à l'image de l'Espace Noordcroen.
Ce qui est intéressant ici, c'est que la démarche entreprise par Mar Loftsson, provient certes d'en haut (de son ministère), mais qu'il construit une politique horizontale en même temps que son impulsion verticale. C'est ainsi qu'une consultation avec des entreprises, des universités et les parlements provinciaux a débuté à la fin de l'été pour concevoir cette évolution de la politique étrangère dans la région. Si la question de la prise en compte des considérations énoncés pose encore question, la légitimité d'un processus participatif et transparent semble être sur la bonne voie et devrait, si il est abouti, amener à compléter les deux autres facettes. Mais il diffère avec la réforme Skaarup par l'absence d'annonce, de résultats prévus, en bref d'une production de politique publique préalable aux consultations. Ce faisant, le ministre espère se voir conféré un mandat politique définit horizontalement, d'une légitimité à agir, avant d'en définir les finalités.
Avant de sortir sa réforme de la politique régionale - qui devra toutefois passer par l'approbation de la Première ministre sans aucun doute -, Loftsson devrait ainsi avoir été profondément influencé par les parlements provinciaux.
Cette prise en compte de trois cas différents offre des clés de compréhension de la constitution de politique publique, et surtout de la construction de la légitimité de ces politiques. Alors que la décentralisation produit une légitimation de la prise en compte des intérêts des parlements dévolus, la constitution d'une politique, pourtant tournée vers ces territoire, qui omet de les considérer semble pâtir de toute base légitime pour agir publiquement. Cependant, cela ne remet nullement en cause la possibilité pour le pouvoir central d'être à l'origine de la constitution de politiques publiques fédérales. Il est, et reste le seul, à pouvoir le faire bien que la fédéralisation constitue un moyen détourné pour les provinces fédérales d'amener des problèmes publiques sur les bancs du Congrès Fédéral. Néanmoins, cette capacité à agir à l'échelle fédérale ne doit pas oublier la consultation des intérêts provinciaux et éviter la centralisation à outrance et le privilège accordé aux intérêts des régions capitales, bien que la réforme skaarup concerne avant tout les provinces fédérales. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu'elle constitue un cas particulier car elle doit passer par l'approbation des parlements provinciaux. A l'inverse, un certain nombre de politiques publiques fédérales n'ont pas cette nécessité et peuvent être validés par le seul Congrès Fédéral. Ne pas consulter les acteurs concernés en se basant sur la majorité fédérale existante au Congrès Fédéral risquerait d'amener à l'adoption de politiques publiques votée, mais qui seront perçues comme illégitimes dans les provinces et territoires qu'elles affectent.