Posté le : 18 jan. 2024 à 20:01:41
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Luca Varro, Historien et Politologue a écrit : 13 Aout 2012
La crise de la République: analyse des dérives de nos institutions
Certaines tendances sont rarement perceptibles l’échelle de nos existences. Les dynamiques de l’Histoire sont parfois de longue haleine et des évènements en apparence insignifiants qui parcourent le quotidien de notre cité peuvent chacun et potentiellement, avoir des conséquences qui ne seront pas perceptibles avant des dizaines d’années, et dont les historiens et politologues du futur s’échignerons à décortiquer et analyser avec une question en tête : pourquoi ?
Je me mets à la place de ces « futurs velsniens » parce que, mesurer les conséquences d’évènements passés est mon métier. Pourquoi nous sommes sous habitués à voir des manifestations quasi quotidiennes dans nos rues de la part des plus pauvres d’entre nous ? Pourquoi sommes-nous désormais insensibles aux rixes ayant lieu au Sénat comme cela s’est produit la semaine passée avec l’affaire de Wanmiri ? Pourquoi il y a-t-il un mépris de plus en plus affiché de nos institutions et notre République, parfois de la part même de certains de nos gouvernants ? La réponse est complexe, mais la méthode pour l’obtenir est d’une grande simplicité : la dynamique de l’Histoire.
La dynamique de l’Histoire constitue la somme de tous les changements, de toutes les évolutions politiques, culturelles, économiques et sociales qui peuvent potentiellement mettre à mal les constructions politiques que sont nos gouvernements. Une manière de gouverner peut-être en accord avec la dynamique de l’Histoire cette année pour devenir totalement obsolète dans 10 ans car des facteurs auront influencé la dynamique de l’Histoire. Et notre République est très vieille, vieille de 13 siècles pour être plus exact. Il n’est pas évident de faire tenir une forme de gouvernement sur une aussi longue durée sans l’altérer dans sa forme. La plupart de nos voisins sont désormais des régimes « modernes », des démocraties établies dotées de constitutions et dont les citoyens sont représentés par des élus. D’autres sont des régimes socialistes qui ont compris l’intérêt de fidéliser une base sociale, d’être aimés de la masse du corps civique. Velsna n’a choisi aucune de ces voies. Je m’explique.
Velsna est la seule nation d’Eurysie de l’ouest, et peut-être même d’Eurysie tout court, dont la forme de gouvernement n’a pas changé une seule fois depuis 1300 ans. Et au fur et à mesure que l’Histoire avançait, en particulier depuis quelques décennies, cette forme de gouvernement s’est de plus en plus retrouvée en contradiction avec la dynamique de l’Histoire. Nous sommes gouvernés par un Sénat élu au suffrage censitaire et contrôlé par les mêmes familles depuis des siècles. Les partis politiques n’existent pas, nous n’avons pas de constitution formelle, nous n’avons pas un droit uniformisé sur tout le territoire… Et pendant ce temps l’Histoire a déroulé son fil. Ce système, dans le cadre d’une société traditionnelle où l’industrie n’existait pas encore de façon massive, où les médias de masse ne touchaient pas encore les citoyens, où la télécommunication était encore à ses balbutiements au sein d’une population dépolitisée…ce système pouvait fonctionner dans ce contexte. Mais l’Histoire a déroulé son fil : les citoyens velsniens sont devenus mieux informés et mieux encadrés par des syndicats et des associations politiques. Dans la seconde moitié du XXème siècle, les velsniens de condition modeste ont tout simplement développer des ambitions et une intelligence politique qu’ils ne possédaient pas autrefois. Il s’agit du premier facteur de l’obsolescence de notre République, le premier clou d’une crise sociale dans laquelle nous nous trouvons. Mais ce n’est pas encore suffisant pour expliquer la crise de notre République.
Notre système fonctionne sur un équilibre précaire entre les différents individus qui composent notre Sénat. Nous vivons dans un système de compétition aristocratique où le sénateur qui achète le plus de partisans possibles. Pendant des siècles, ce système a été relativement stable. Certes, nous avons connu des guerres civiles, des coups, mais la République et son système ont toujours finit par broyer ceux qui ne rentraient pas dans le moule, les sénateurs trop ambitieux pour le bien de la cité. Velsna, grâce à cette République, n’est jamais parvenue à se trouver un maître car le système réussissait à contenir les égos et les individus. Mais les choses ont changé, et paradoxalement la faute revient à un phénomène qui d’habitude serait qualifié de positif par n’importe qui. Ces dernières années, Velsna est devenue riche trop rapidement. Je m’explique. Cette année, la croissance du PIB annuel a été estimée à 12%. C’est un chiffre faramineux que nous n’aurions jamais espéré atteindre il y a encore quelques années. Les raisons importent peu, je ne suis pas là pour faire des éloges, mais cet enrichissement massif a provoqué un retour de bâton extrêmement néfaste pour notre République.
Premièrement, pour aggraver un peu plus la crise sociale de Velsna, si nos élites politiques et économiques se sont enrichies de manière exponentielle, cela n’a pas été le cas du salaire de la plupart des citoyens de Velsna. La mondialisation et la tertiarisation ont forcé à la ruine un grand nombre de petites entreprises qui autrefois étaient le poumon de notre économie et les conventions salariales n’ont pas évolué depuis des décennies. Cette population de plus en plus politisée est donc dans le même temps devenu de plus en plus précaire. Depuis, Velsna vit au rythme des émeutes de plus en plus nombreuses et violentes dans une atmosphère de troubles constants. Mais si cette crise n’était que sociale, je n’en ferais pas un article. Cette crise, par l’enrichissement massif des élites, est devenue également politique.
Souvenez vous de ce que j’ai écrit plus tôt sur le fait que le système velsnien était fait de sorte à pousser nos élites à rivaliser entre elles pour des postes et des honneurs dans le cadre d’un système de clientèle et de compétition généralisée. L’enrichissement de Velsna a provoqué ni plus ni moins que l’effondrement de ce « cercle vertueux ». En effet, au fur et à mesure que les richesses se concentrent de plus en plus au Sénat, certains individus ont progressivement réussi à se détacher de ce dernier, par des revenus dépassant l’entendement même de la plupart de nos représentants. Alors qu’auparavant, les factions au Sénat se comptaient par dizaines, qui s’alliaient et rivalisaient dans un manège incessant, celles-ci ont laissé place à quelques blocs politiques dont les hommes capables de les acheter se comptent à Velsna sur le doigt d’une seule main. La République a perdu le contrôle de ce qu’il y a de plus important : celui de l’égo et de l’ambition de ceux qui prétendent vouloir la diriger. Et avec le contexte social actuel, le peuple y paraît de moins en moins attaché au point, à mon avis, de ne pas être gêné par la prise de pouvoir d’un Homme providentiel. Un Homme qui serait assez ambitieux pour prendre le contrôle total des institutions sans la moindre opposition, à partir du moment où il promet de mettre fin aux troubles.
Comme vous avez pu le deviner, je ne suis donc pas particulièrement optimiste pour l’avenir des institutions républicaines. Pour cause, les perspectives ne paraissent guère encourageantes. Mais deux embranchements sont encore possibles à mon sens. Dans le premier, il arrive exactement ce que je prédis : un Homme seul finira par prendre le pouvoir et réorganisera cette République comme il l’entend. Peut-être même assisterons nous à la fin de notre régime politique. Dans le second cas de figure, c’est le peuple qui parviendra à briser ce cercle devenu vicieux, saura ne pas céder aux sirènes de quelque personnage providentiel et réussira à instaurer une République répondant davantage à la grande dynamique de l’Histoire. Là aussi, je ne peux pas encore deviner quelle faction finira par imposer une vision. Mais dans tous les cas et je l’affirme : la République de Velsna telle que la connaissons ne survivra plus très longtemps. Cela peut-être une question, de semaines, de mois ou d’années, mais cela arrivera.