Posté le : 03 sep. 2022 à 05:37:37
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L’extrémisme est une chanson douce.
Plus travailleuse que réellement douée, Antigone avait fini par trouver ses fascistes à force d’efforts et d’habitude. Bien qu’elle aimât à répéter que l’habitude était son ennemie et qu’un jour, il aurait sa peau. Chose qui ne se vérifierait qu’au dernier moment, mais qui semblait plausible : il ne faisait pas bon être un espion prévisible. Mais encore, elle n’était pas un espion. Elle n’était qu’une reporter en voyage officiel. Tout était en règle chez elle et on s’attendrait à la voir tracer comme un chien de chasse, sa proie à l’odeur du sang qu’elle laisse dans son sillage. Où il y aurait de la violence, il y aurait inévitablement ces parasites de journalistes pour se coller aux plaies, et boire le sang qui en échappe. C’était comme ça qu’ils survivaient, en vautours ou, pour les plus doués, en vampires.
Si on s’en tenait à son apparence, Antigone devait appartenir à la seconde catégorie. Plutôt élancée, avec un look garçonne et un teint qu’elle s’était habituée à croire pâle mais que son récent retour au Grand Kah avait achevé de bronzer. Bien entendu les latitudes Loduariennes l’aidaient à peu à peu perdre ce marqueur si inhabituel dans cette partie de l’Eurysie, sinon chez les femmes de haut-fonctionnaires profitant de leurs privilèges dans les solariums du parti, et les travailleurs, les vrais, ceux se cassant le dos sur les chantiers et dans les ports. Elle n’était ni l’une, ni l’autre. Mais elle était étrangère, et son accent la trahissait encore un peu. Raison pour laquelle elle était restée à Lyonnar, cet antre absolu du mal. L’un des derniers bastions en Eurysie de la vieille expérience communiste. La grande bouffeuse d’hommes qui refusait de crever pour de bon. Elle ne s’y sentait pas à sa place, et pour cause. En temps normal, on s’arrangeait pour lui trouver un appartement de location lorsqu’elle arrivait dans un pays étranger en qualité de Tulpas. Ce n’était pas vraiment compliqué, son service avait un budget conséquent et elle était la chouchou de Styx, qui la malmenait autant qu’elle veillant à son bien-être. Ici ça ne servait à rien : le système communiste n’admettait pas vraiment l’existence d’appartements de location. Ou plus précisément, il fonctionnait comme une forme particulièrement dysfonctionnelle de capitaliste qui n’aurait pas admis qu’un de ces appartements soit loué à une étrangère. Elle s’était donc retrouvée cantonnée à son hôtel, le Lux, qui pour confortable demeurait une cage dorée à n’en pas douter parcourue par les espions et agents du contre-espionnage local. Lyonnars, du reste, était ce qu’on pouvait trouver de plus développé dans le pays, ce qui signifiait une ville pauvre et grise.
Si sa défense du fascisme avait tout de la mauvaise foi, l’analyse qu’Antigone faisait des régimes communistes était bien souvent très juste, assistée par son éducation kah-tanaise qui lui avait laissé quelques belles traces, et un rejet instinctif de l’application autoritaire de l’égalitarisme. C’était cette justesse qui faisait sa dangerosité. Les politiciens et penseurs libéraux étaient prêts à la voir comme une personne acceptable, avec qui on pouvait travailler, et ce même si elle racontait les pires horreurs. Après tout, n’avait-elle pas raison sur son traitement des bolchéviks ? Mais si, bien souvent, si.
L’économie des régimes communistes autoritaires, disons ici des régimes soviétiques par abus de langage, était une forme cloisonnée et stupide (au sens réel de l’handicap) du capitalisme d’État, faisant la part belle aux commandes irréalisables et au manque de flexibilité. Le contrôle ultra-centralisé de tout l’économie par des instances de bureaux et de commissariats tendait à poser un certain nombre de contraintes qui, s’ils étaient anodins seuls (au point de rendre l’économie planifiée au moins viable en théorie, notamment depuis le développement de l’informatique moderne), prenaient des proportions extrêmement dangereuses une fois mélangés aux autres tares de ces régimes autoritaires. La corruption, fille naturelle de toute dictature, qui signifiait que les services mentaient, les chiffres étaient faux, les plans systématiquement en retard et la qualité finale de la production gangrenées par des petites économies faites sur les matériaux ou à d’autres moments de la conception. La paranoïa, qui faisait que là où les secteurs économiques et scientifiques tendaient à communiquer dans une économie normale, dans une économie planifiée de régime autoritaire, il arrivait très fréquemment que différents bureaux développent simultanément les mêmes solutions pour répondre aux mêmes problèmes, faute, paradoxalement, de communication. Gâchis de temps, de moyens. De plus, l’armée y a toujours droit à la part du lion en termes de budget et ce qu’elle produit elle le produit pour elle seule, pas pour les autres, là où ailleurs, toujours, ce que développe l’armée finit par profiter au civil. Entre les bureaux d’étude et de conception civile ce n’est pas mieux : il y a une telle rivalité entre les fonctionnaires, pour avoir droit aux rares privilèges que permettent d’obtenir le profit dans ces milieux, qu’on se mène une guerre de tranchée contre-productive, réduisant en peau de chagrin l’efficacité réelle de ces instances.
Lyonnars, donc, était la capitale de ce système. La "petite" ville vitrine où l’on accueillait les étrangers, les hauts fonctionnaires du parti et tout le luxe que crachotait difficilement le système planifié. On y buvait du café (pas excellent) et de l’alcool (médiocre), on y mangeait de la viande (produite dans des conditions exécrables) et des légumes (de saison uniquement, mais pas par conviction), le pain était dur et les biens de luxe au goût d’il y a dix ans. C’était étonnant de voir ces femmes se parer fièrement de leurs attributs de classe – cette société restait fondamentalement classiste, comme tout régime autoritaire – sans se douter que des modèles similaires se vendaient pour un rien dans les friperies Kah-tanaises. Étonnant et un peu pathétique. Au moins, finit par admettre Antigone, on ne voyait de punks, de gothiques, de pharots ou d’autres créatures post-moderne oubliant leur place et toute notion de bon goût. Les contres-cultures loduariennes étaient invisibles, chassée par un pouvoir central doté d’une idée très précise du beau et du décadent. On pouvait lui reconnaître ça, à défaut de tout le reste : sa société civile inexistante, elle ne pouvait pas être un problème.
Antigone resta presque un mois dans cette ville. Le temps de parfaire son accent et de simuler convenablement son statut de journaliste. Elle s’y prenait bien et il aurait été impossible de vraiment comprendre quelle mission l’animait réellement, à moins d’espionner en retour le Panopticon dont elle dépendait. Et celui-là était installé loin, très loin en Paltoterra, caché dans les replis labyrinthiques du Commissariat Suppléant à la Sûreté. La jeune femme se levait tous les matins vers sept heures, mangeait rapidement en lisant l’actualité du jour, et planifiait ses trajets pour la journée. Toujours accompagnée de son guide, qu’elle avait plus ou moins transformée en associé, elle visitait ensuite des manufactures, des sites gouvernementaux, des lieux culturels, prenait des notes, questionnait, s’infiltrait furtivement par la porte de derrière, à condition qu’elle soit sûre que ça ne passe pas pour de l’espionnage. L’avantage avec Lyonnar, c’est que la ville devait passer pour moderne et agréable, donc on lui lâchait la grappe. Le désavantage avec Lyonnar c’est qu’elle était le centre du gouvernement, donc de l’organe répressif, et qu’on y trouvait que des gens inintéressants ou trop terrifiés par la police secrète pour dire quoi que ce soit d’important. Au final ce n’était pas si grave que ça. Il suffisait de montrer la ville pour ce qu’elle était, une vitrine pleine cachant une boutique vide. C’était suffisamment éloquent et son article – elle allait réellement écrire un article, après tout elle était une vraie journaliste – deviendrait une balle de plus tirée dans la guerre culturelle qu’elle avait théorisée et engagée des années plus tôt. Les boutiques, justement. Parlons-en. C’était pour elle presque jouissif de s’introduire dans un de ces grands magasins et de simplement cartographier les rayons, s’arrêtant devant les paquets anonymes, de papier kraft, et de prendre des vidéos sur sa petite caméra numérique. Riz. Farine. Savon. Il n’y avait pas de marques, tout était lié aux productions d’État. On avait aucune idée de la qualité précise des produits et son étude précise de la question – elle s’amusa à acheter divers paquets du même produit dans divers boutiques – démontra que le poids indiqué ne correspondait jamais réellement au poids final, que la qualité du produit était souvent minimale, et qu’on remplaçait ici comme dans tous les autres pays pauvres, une partie des lentilles par des petites pierres noires. Le savon sentait fort et se désagrégeait en gros grumeaux, la farine faisait peine à voir…
Les appareils mécaniques étaient de meilleure facture. Montres, radio-réveils, pompes, à priori le matériel semblait solide et fonctionnel, malgré une conception qui rendait difficile – sinon infaisable – de les ouvrir pour les modifier ou les réparer. Il sembla à Antigone que c’était là la trace d’un héritage militaire. Ces produits devaient être conçus sur un modèle dédié à l’armée, ce qui expliquait à la fois leur qualité et leur aspect compact. Elle documenta tout ça et, passant par ses canaux personnels, envoya tout ça à son éditeur du moment, qui habitait en expatrié au Jashuria et s’occuperait de faire paraître son reportage si elle venait à disparaître. Cette possibilité se faisait cependant de moins en moins évidente, pour Antigone. Sans aller jusqu’à être en confiance, la froide terreur qu’elle avait ressentie en posant le pied sur le tarmac de l’aéroport international de Lyonnar avait laissée place à un début de confiance. Elle comprenait le fonctionnement du régime, de son système et de sa sécurité. Elle savait maintenant comment agir pour passer inaperçue. Elle savait quoi dire, repérer à qui elle pouvait le dire et se sentait capable de ne pas finir cette mission dans un cercueil ou une prison communiste. Ce dernier point était d’autant plus clair que l’Union avait finalement décidée de s’impliquer un peu plus directement dans son opération. Quelque-chose avait dû changer à Axis Mundis, impossible de dire quoi précisément, mais un beau jour Antigone fut appelée au Consulat, en qualité d’expatriée, pour une affaire de papiers à signer. Justification anodine à une visite qu’elle termina en possession d’un passeport diplomatique. Maintenant, si se faisait attraper par les services secrets ennemis, elle aurait droit à la protection directe et sans concession de la troisième puissance mondiale. Une idée rassurante, mais qui voulait aussi dire que sa mission avait changé d’ampleur.
Rien de tout cela ne lui évoquait quoi que ce soit de bon.
Elle quitta Lyonnar dans une voiture qu’elle avait pu acheter auprès d’un concessionnaire de la capitale. De ce qu’elle savait, les gens du crû devaient parfois attendre des mois pour obtenir le véhicule qu’ils avaient payé. Mais elle était différente. Elle était porteuse de devises étrangères, son argent avait tout simplement plus de valeur pour l’État qui régissait ces questions de répartition.
C’était en tout cas ce qu’on lui glissa lorsqu’elle fit mine d’être surprise de la rapidité avec laquelle elle avait obtenue une voiture auprès de ses "amis" du club Dionée. C’était l’un de ces rares salons simulant vaguement l’existence d’une société civile. En fait un lieu de rassemblement où venaient se mêler affairistes étrangers et locaux, ce qui voulait dire des diplomates et des espions d’un côté, des cadres du parti de l’autre. Une masse grisâtre et sans imagination, qui recevait des groupes de jazz tolérés par le régime et parlaient fort, imbus d’eux-mêmes et des profits qu’ils tiraient de tout ce désastre qu’était le communisme loduariens, sirotant d’un air affecté ce qui passait, sous ces latitudes, pour un bon champagne ou un thé haute gamme. Elle avait de beaux jours devant elle, la société sans classe et égalitaire. Il était évident au premier coup d’œil que les hommes et femmes chargés de sa direction étaient aussi éloignés du prolétariat que le chat de la souris. Antigone les méprisa rapidement, puis appris à les connaître, et revint très progressivement sur certaines de ses positions à leur sujet. C’étaient des hommes généralement compétents – ou en tout cas sortant des grandes écoles du régime. Ils profitaient de leur position d’autorité pour s’autoriser une vie correcte et, franchement, quand on voyait celle que menait le reste de la population, c’était bien compréhensible. La corruption qui minait tant le régime était un impératif moral pour tous ces hommes qui la pratiquaient. On ne pouvait tout simplement pas vivre confortablement, dignement sans elle. Pour autant ils ne rêvaient pas de la fin du régime. On savait – l’exemple du Prodnov le démontrait – qu’une bonne petite thérapie de choc pouvait profiter aux plus aguerries, mais il y avait un confort indéniable au fait d’être un rouage bien installé, même si la machine crachote et tousse. Le capitalisme c’était la guerre de tous contre tous. Ici, au moins, ils ne menaient la guerre qu’au peuple, ce qui demandait moins d’efforts pour des résultats tout à fait satisfaisants. Ce ne fut pas ce qu’ils dirent, mais ce fut ce qui émana de leurs conversations. En dehors de ça, ils demeuraient des êtres humains et il était difficile de les côtoyer sans un peu s’attacher à eux. De telle manière qu’avant son départ, Antigone avait pris l’habitude de passer au club tous les soirs, et devint l’un de ces habitués issus de l’étranger. Elle s’entendait instinctivement bien avec ceux-là, qui souvent partageaient son expérience du monde extérieur et entretenaient donc une compréhension implicite et plus immédiates de sa façon d’être, mais les autochtones n’étaient pas non-plus de mauvais bougres. Une fois qu’on se faisait à leur humour et à leur aspect gras et flasque, une fois qu’on acceptait la faiblesse de leur caractère et de leur physique, une fois qu’on acceptait que même le plus cultivé des loduariens passerait pour ignares, la faute à la censure, on pouvait trouver des êtres humains qui, en d’autres circonstances, auraient pu être utiles à une société civilisée. De plus, et la journaliste ne l’ignorait pas, c’était de cette chair meuble et faible qu’on faisait le fascisme. Les régimes forts avaient besoin d’hommes faibles pour régenter leurs aspects les plus pédestres. Avec leur absence évidente de volonté et leur capacité innée au borborygme patriotique, ceux-là auraient fait des éléments corrects pour peupler les bureaux d’une administration brune. Le reste du temps, ils n’étaient pas très impressionnants. Ce qui était une nécessité dans un régime de ce type. Enfin, Antigone était sûre qu’un ou deux de ses nouveaux amis était du contre-espionnage. C’était normal, on allait pas laisser les gens parler de tout et de rien sans s’assurer qu’ils ne tiennent pas des propos contre-révolutionnaires. Et puis sait-on jamais. Si un jour on voulait se débarrasser d’untel, il y aurait toujours moyen de retourner cs conversations badines contre lui. Les étrangers aussi devaient être auscultés, et Antigone se montrait toujours prudente. Un jour, ça l’avait marqué, l’un des fonctionnaires l’avait approché. C’était un petit bonhomme avec une moustache coupée courte, et une chevelure tristement clairsemée. Il portait un costume gris et une cravate ornée d’un pin du parti, et se présenta comme un directeur des postes et télécommunications. Sans plus de détails. Après quelques-temps, Il intervint dans la discussion pour s’adresser à l’étrangère.
« Et la Loduarie, ça vous plaît ?
– Je suis grand reporter, je suis partout chez moi.
– D’accord, mais la Loduarie, qu’en pensez-vous ?
– Que voulez-vous. » Elle se souvint distinctement avoir souri. « Je ne suis jamais plus à l’aise que chez moi. »
Le trait d’esprit évacua le sujet et fit rire l’auditoire. Puis, pour assurer ses arrières, Antigone décida de faire référence au Miroir Rouge, journal chez lequel elle travaillait, officiellement. L’institution était communiste jusqu’au bout des ongles, et d’un communisme bien révolutionnaire, avec ça. Peut-être un peu trop pour le régime Loduariens, qui franchement n’avait pas les faveurs des libertaires kah-tanais. Mais enfin : le Miroir était un nom connu, un nom respecté et, dans la plupart des pays du monde, un nom toléré par la simple vertu de son important tirage dans une grande puissance. Alors maintenant c’était clair pour le présumé espion : Antigone était officiellement rattachée à un organe de presse socialisant. La doxa officielle du régime Loduarien prônait encore l’internationalisation de la lutte, par conséquent ç’aurait fait mauvais genre de l’embarquer sous prétexte que son socialisme n’avait pas les couleurs locales.
Ce fut paradoxalement le Club qui lui offrit une justification pour s’éloigner de Lyonnar et partir sans éveiller les soupçons vers le nord de la région, où les rapports qu’on lui avait fait parvenir par l’intermédiaire de son "guide" témoignaient d’une importante activité fascisante. C’était lorsqu’elle parlait de sa nouvelle voiture, faisant mine de trouver le moteur exceptionnel et d’autres banalités du genre. Antigone s’y connaissait bien en véhicules. Elle avait été obligée d’apprendre à se débrouiller en mécanique lors de certains de ses reportages de guerre qui l’avaient parfois fait s’assoir derrière le volant de jeeps militaires et d’autres engins un peu capricieux mais bien pratiques pour traverser les horizons boueux des champs de bataille. Du reste, un de ses ex étaie un fanatique absolu des moteurs de course, et les quelques connaissances glanées en sa compagnie faisaient partie des rares choses qu’elle avait gardées après leur rupture, avec quelques bons souvenirs et pas mal de livres. C’était la période où elle fuyait le Grand Kah.
Lorsqu’elle évoqua la voiture, donc, on lui demanda où elle comptait se rendre. On s’était habitué à sa présence de telle façon que tout le monde avait oublié qu’elle n’était que de passage. La capitale n’offrait-elle pas tout ce qu’une journaliste de son rang pouvait chercher ? Oui, bien entendu, mais elle restait une journaliste de guerre. Enfin il n’y avait pas vraiment de guerre en Loduarie, mais la situation à la frontière est…
Mais ne serait-ce pas plus sûre d’étudier la guerre depuis la capitale ? En plus c’est là que les décisions se prennent, là que les ordres fusent. L’Empire, au sud, risque d’envahir la région, disons les choses, et se trouver si près des lignes du front, ça semblait tout de même un peu… Dangereux.
C’était de l’inquiétude sincère. Voir même de la compassion. Antigone en fut surprise, puis touchée. Elle rassura son auditoire en rappelant comment elle avait survécu à la Kaulthie, à la Damannie, à Kotios. Elle jouait avec sa vie ? Mais pas du tout. Et puis il fallait des gens comme elle pour mettre le peuple au courant de son histoire. Elle fit un peu de rhétorique vide, sertis de rappels de sa carrière. Elle était une trompe-la-mort. Pour le moment, en tout cas. Cela sembla rassurer son auditoire, et l’un de ses membres, Maurice Daudel, à la tête d’un bureau d’étude sur la confection de moteurs d’avion, acquiesça l’air grave.
« Vous avez rencontré beaucoup de fascistes durant votre carrière.
– C’est vrai. Dans des prisons militaires. Je ne sais pas si on peut vraiment "rencontrer" ces gens là.
– Ici aussi il y en a. » Et il baissa d’un ton, comme si le sujet était dangereux. « Plus au nord, vers Galaisie, on dit qu’il y a des cellules de terroristes là-bas.
– Des cellules terroristes ?
– Mais oui. Il en reste, même après leur défaite pendant la guerre. »
Elle sembla réfléchir et fit remarquer que mieux valait être en Galaisie, loin du front potentiel qui se préparait avec l’empire, et on approuva bruyamment l’idée. Le reste de la soirée fut sans intérêt.
Trois jours plus tard, elle prit la route.