Dolinne : Fort de l’expérience de Merengrad, le Syndikaali ouvre une nouvelle fenêtre sur un marché intérieure communiste
Face au mur de l'économie loduarienne, l'agilité du Syndikaali est préférable aux bulldozers des libérauxLa stratégie économique pharoise a déjà prouvé son efficacité en Lutharovie, le Syndikaali semble à présent vouloir transformer l’essai en Loduarie, dans un espace économique beaucoup moins naturel que les mers du nord.
Le raisonnement économique est aussi simple que lucratif mais pour le comprendre complétement, il est important de prendre un prendre recul sur la situation politique mondiale à l’aube de ce XXIème siècle. Alors qu’un peu partout les nations du socialisme réel semblent, au mieux, dans un état de d’agressivité moribonde, au pire en pleine décommunisation, l’avenir parait sombre pour les économies populaires entièrement étatisées telles que la Loduarie, Lutharovie, Kronos ou Lambroisie. Si le modèle collectiviste avait pu jusque-là tenir, c’est qu’il ne souffrait pas vraiment de la comparaison avec les économies capitalistes concurrentes : la quasi-totalité des nations s’étaient renfermées dans une protectionniste mutique, frontières fermées et routes commerciales au point mort. Dans un tel contexte géopolitique, une économie collectivisée ou une économie capitaliste ne sont guères différentes en termes d’efficacité.
L’enjeu, pour un pays isolé, est d’atteindre l’autosuffisance en termes de ressources, tout en maintenant d’une part la paix sociale, et d’autre part sans se laisser distance scientifiquement et militairement par ses voisins gourmands. Sur le plan des ressources, la différence entre modèle communiste ou capitaliste n’impacte pas, sur celui de la paix sociales non plus, puisque sans contre-modèle auquel se comparer, personne ne souffre véritablement de ne pas avoir accès – pour donner un exemple évident – à la société de consommation. Pour ce qui est de rester concurrent, enfin, plusieurs théories s’opposent, mais il serait mensonger de dire que les pays communistes n’ont pas su, en adoptant une conception positiviste du développement, s’industrialiser et se développer tout aussi vite que leurs voisins.
Sans mondialisation, une dictature communiste est avant tout une dictature mercantile et protectionniste, ce qui, si elle dispose des ressources nécessaires à son développement, ne présage rien de sa capacité à devenir puissante et stable.
La donne cependant change une fois que commence la mondialisation. En ouvrant leurs marchés, les nations du monde entier se comparent, s’évaluent, se font concurrence et soudain chacun se met à pouvoir profiter des avantages comparatifs des autres, à condition de s’en donner les moyens. Une technologie découverte au Paltoterra n’y restera pas cantonnée, un modèle économique prospère se met à faire de l’ombre à son voisin archaïque, une nation démocratique véhicule des idées gênantes chez sa sœur dictatoriale. L’inverse n’en est d’ailleurs pas moins vrai et les représentations acquises de longue date se trouvent rapidement ébranlées par des propositions concurrentes.
Il serait bien naïf de croire qu’aucun démocrate n’a jamais rêvé à « une bonne dictature qui remettrait un peu d’ordre dans ce pays ».
D’un point de vue économique, la chose est encore plus claire : les ressources sont inégalement réparties sur le globe et voilà que si hier l’économie nationale pouvait se contenter d’une production nationale, les pays à avoir rapidement commencé à sous-traiter chez les autres ont pu tirer leur épingle du jeu. Au lieu de s’épuiser à réaliser une hypocrite gymnastique mentale et sociale pour faire cohabiter dans un même territoire des classes aux intérêts politiques et économiques très divers, il devient désormais possible de spécialiser le pays entier autour d’un même projet et de partager un même niveau de vie. Il suffit de refiler le boulot pénible au voisin.
Sans être aussi mesquin, il s’agit peu ou prou de la théorie des avantages comparatifs : différents pays sont efficaces à produire différentes choses. Que chacun produise ce pour quoi il est le meilleur, qu’on procède ensuite à des échanges et tout le monde y gagne !
La chose devient encore plus complexe mais également plus redoutable quand s’invite la question de la financiarisation de l’économie. Voilà désormais que non seulement la production se sous-traite et se délocalise, mais que les capitaux – l’apport premier nécessaire à financer une entreprise – se dématérialisent et peuvent, par le truchement des places bancaires, venir s’injecter là où ils sont le plus rentables c’est-à-dire en langage capitaliste, le plus utiles.
En quelques années, les économies libérales ont progressé à une vitesse folle. En travaillant à s’interconnecter, elles mettent en commun leurs forces et leurs marchés et soudain la mondialisation prend forme et les nations aux économies fortement voire totalement étatiques se réveillent un matin un peu connement, le boulet national au pied.
Aïe.
Dans un tel contexte, qu’est-ce qu’une économie populaire ? Qu’est-ce qu’une économie étatisée sinon une économie qui s’essouffle, s’embourbe et s’épuise à courir un marathon où ses adversaires capitalistes, grâce à la mondialisation, peuvent se relayer tous les cent mètres ? Une économie communiste, étatique et isolée, est, au XXIème siècle, une économie morte.
Et il suffit de regarder le développement de la Loduarie, de la Lutharovie, du Kronos ou de la Lambroisie pour s’en convaincre. Incapables de tenir le rythme face à des nations pourtant entrées après elles dans la course à la mondialisation, des sommes folles s’en vont à chaque heure dans l’armement, la défense et la menace. La comparaison est criante lorsqu’on oppose ces économies à celle de l’ALguarena, du Pharois, du Grand Kah, du Lofoten ou du Jashuria. Trois d’entre-elles ont conclu des accords de libre échange et sont le fer de lance d’un modèle libéral-autoritaire, ou néolibéral, dans le monde. Le Pharois est également la tête de proue d’une mondialisation informelle ou « noire », quant au Grand Kah, malgré ses valeurs proches du socialisme, c’est l’une des plus importantes place boursière du monde.
Dans un tel contexte géopolitique, les nations communistes se devaient de réagir et voilà que laborieusement, ces grandes nations aux petits bras économiques s’activent pour bâtir de bric et de broc leur propre mondialisation. Un échec. Non seulement chacun va pour son pavillon mais sous-traiter, délocaliser implique des avantages comparatifs or l’ambition du communisme est précisément de viser l’égalité et d’abolir la division du travail en classes. La mondialisation comme elle se construit aujourd’hui est ainsi en opposition totale avec la promesse du socialisme réel.
En effet, si l’Alguarena peut parfaitement faire vider ses poubelles par le voisin pontarbellois, entre la Loduarie et la Lambroisie, aucune différence économique ne vient justifier une telle organisation interétatique du travail. Et pas question – a priori – pour ces chantres de l’anti-impérialisme de s’en aller conquérir le voisin pour lui imposer de faire le sale boulot du prolétariat nationalement libéré.
En ce qui concerne la finance, c’est encore plus accablant : sans acteurs privés, sans classe bourgeoise, pas de circulation libre des capitaux, pas de marché, et donc aucun moyen de recevoir des fonds des voisins, lorsqu’on en manque soi-même.
Contre toute attente, le communisme au XXIème siècle s’apparente tristement à la maxime « chacun sa merde ».
Alors quoi ? Abandonner provisoirement le socialisme, le temps de mettre le pays à niveau ? Mais pour combien de temps ? Et quelles sont les conditions concrètes de sa mise en place ? Au risque que le peuple prenne goût à la société de consommation ou aux sirènes de la démocratie libérale et du soft power écrasant de l’ennemi ?
Et s’il existait une autre voie ? Une voie parallèle à la mondialisation autoritaire de l’ONC et de ses pions ? Une voix discordante et dissonante, ambiguë et risquée ? Une voie… pharoise ?
A celui qui n’a rien, la piraterie est son seul horizon, disaient certains, et pour la Loduarie l’arrivée du Syndikaali à Dolinne pourrait bien ouvrir une nouvelle page du socialisme réel. Un socialiste connecté à la mondialisation, mais préservé de celle-ci. Une sorte d’altermondialisme ? Ou un hack économique permis par le poids des Pharois dans la géopolitique mondiale, à même de multiplier les traités et d’ouvrir pour qui le demande des chemins alternatifs au triomphe de la bourgeoisie marchande et autres épiciers armés ?
Dolinne, moins qu’une porte, est un sas. Un sas pour faire entrer les capitaux tout en maîtrisant leur diffusion sauvage. Une manière d’appâter les acteurs privés internationaux, requins de la finance et flaireurs de bonnes affaires, sans pour autant les faire entrer dans la bergerie. Une enclave capitaliste dans un monde communiste.
Si les plus sceptiques se demanderont naturellement où cette alliance bâtarde mènera la Loduarie, d’autres, comme à Merengrad, y ont vu tout le potentiel lucratif. Imaginez qu’une brèche s’ouvre sur un marché de plus de quarante millions de consommateurs. Un marché absolument vide de concurrence, où la seule condition pour y pénétrer est d’implanter son entreprise dans une place financière spécifique, où vos fonds et capitaux seront ensuite rachetés par le gouvernement et injectés dans l’économie en échange de dividendes. Certes ce n’est pas vous qui êtes le PDG de la boîte, ni un de vos hommes de main, mais vous détenez désormais des parts dans une entreprise monopolistique, et défendue par la toute puissance de l’Etat et de sa bureaucratie. Un vrai rêve mouillé de néolibéral.
Pour ce qui est des marchandises, le principe est le même : faites vos affaires sur le grand marché de Dolinne, où les prix sont élevés en raison de la demande des acteurs, et vendez à des sociétés étatiques qui, comble du plaisir, prévoient leurs investissements sur cinq ans, voire dix, lors de l'établissement de grandes stratégies de planification industrielle. Payez vous la stabilité du régime en devenant, après quelques batailles pour les prix, le fournisseur officiel de la Loduarie.
Pragmatique, plusieurs questions vous viendront alors légitimement à l’esprit : peut-on faire confiance aux Loduariens ? Ce Lorenzo n’est-il pas un dangereux excité ? N’y a-t-il pas un risque qu’on me nationalise ma compagnie du jour au lendemain ? Et mes capitaux du même coup ? Au fond, ces socialistes, sont-ils de bons clients ?
Voici alors le plus beau : dans toute cette affaire, vous n’avez pas affaire aux Loduariens, mais aux Pharois. C’est le visage souriant de l’enjôleux Syndikaali qui, à Dolinne, règle le marché et tient la boutique. C’est le pavillon pharois qui se dresse en haut des mâts des navires du port, se sont ses cargos qui déversent leurs marchandises à Dolinne, ce sont ses avocats qui signent les contrats, ses huissiers qui attestent de la bonne tenue de l’échange.
Dolinne est un sas, pas une porte, et dans ce sas, le videur est Pharois.
En fait, il n’y a même pas besoin de venir à Dolinne. Dans presque n’importe quel marché du monde, s’il est un peu mondialisé, vous trouverez des hommes du Syndikaali pour faire affaire et immanquablement, ceux-ci parleront de Dolinne, un marché qui n’attend que les investisseurs et où votre argent sera rentable avant même que l’encre n’ait eu le temps de sécher sur la papier. Sauf bien sûr si vous préférez les contrats dématérialisés.
Ainsi se résout le paradoxe de la Loduarie, et celui de la Lambroisie peut-être également du même coup. Ainsi les marchandises étrangères, vendues aux Pharois, finissent-elles en Loduarie et les verrous économiques se relâchent sans céder et le socialisme est réel encore et la sécurité sociale est préservée et le secret des camps de travail aussi ! Et ce cher Lorenzo, si l’envie lui en prend, peut passer commande de télévisions à écrans plats, quand bien même son industrie ne serait-elle pas foutue de produire un téléphone à clapet ! Vive Dolinne et vive l’amitié Loduaro-pharoise ! Puisse-t-elle demain encore offrir quelques décennies d’existence aux dictatures communistes eurysiennes, en attendant qu’un jour, c’est sûr, la révolution mondiale leur donne raison.