« Hypothèse Bina » : évacuation, contingentement, sacralisation
SECRET DÉFENSE | 26/01/2006
Cartographie des environs directs de l'île de Bina et des ports potentiellement aux mains des révolutionnaires et pouvant servir d'avant-postes.
Le scénario dit de l'« hypothèse Bina », envisagé par les États-membres de la coalition internationale soutenant le régime du Shah depuis l'hiver 2003, est devenu une option concrète afin d'assurer la survie et la pérennité de la monarchie varanyenne une fois l'invasion des territoires loyalistes continentaux complétée par les forces révolutionnaires désormais lourdement épaulées par différentes puissances étrangères cherchant à déstabiliser la région par la chute du régime de Thadamis. Dans l'idée de contrer la manœuvre des forces dissidentes qui consisterait à annihiler toute poche de résistance à un nouveau gouvernement assujetti à une influence étrangère, le maintien d'une force résiduelle sur l'île de Bina pour assurer la sauvegarde physique du Shah et de ses ouailles est l'option concrète mentionnée plus haut dans ce même rapport.
L'escalade militaire ayant eu lieu sur le continent, entre d'une part les troupes cémétéennes nombreuses et bien équipées mais en sous-nombre, et les forces révolutionnaires épaulées par des bataillons étrangers implantés par l'ex-Arkencheen devenu Alguarena, bien plus nombreuses et tout aussi bien équipées. Mais la victoire décisive emportée par les troupes arkenco-sudistes dans le secteur de la ville d'Avahdeh a été coûteuse pour la coalition loyaliste qui a concédé la voie libre aux insurgés pour se diriger vers la capitale et épicentre du régime impérial, Thadamis. Face à la menace, il est évident que l'évacuation à travers le détroit de Bina vers la ville insulaire de Baisul apparaît être la seule solution envisageable pour le moment. Un éventuel départ de la famille impériale vers l'étranger semble cependant peu probable dans l'optique d'un maintien de l'autorité impériale sur Bina.
Cent soixante-dix kilomètres séparent la pointe septentrionale du Varanya continentale du point le plus à l'est de l'île de Bina, distance la plus courte entre le continent afaréen et le nouveau domicile des empereurs varanyens. Peuplée d'un peu plus de cent cinquante mille habitants, quasiment tous de confession zoroastrienne et d'ethnie farsi, l'île de Bina est au cœur du dispositif loyaliste depuis le début du conflit, et même avant : les troupes aumérinoises y sont implantées depuis 2004 et l'île fait déjà partie de l'« hypothèse Bina » de l'opération Behedetite (Μπεδετίτης en hellénique, بهدیت en varanyen), lancée par les forces armées de la Principauté de Cémétie, depuis novembre 2003. La mise en place d'un dispositif forteresse autour du noyau du commandement intercoalisé est un des atouts géostratégiques de la petite île d'une superficie de 15 249 kilomètres carrés.
En comparaison, le delta du Thaon, estuaire regroupant un tiers de la population cémétéenne, fait seulement trois fois la taille de l'île de Bina - soit cinq millions d'habitants sur la même surface en janvier 2003. Le développement économique lié au tourisme international, qui s'est développé sur l'île de Bina depuis l'arrivée permanente de soldats étrangers, a permis un élan dans la croissance locale qui n'est pour l'instant pas encore parfaitement maîtrisé par les autorités provinciales comme impériales ; de même, l'essor démographique du territoire insulaire, étroitement entremêlé avec les déplacements de populations dans le cadre du conflit en cours, a permis à l'île de dépasser le cap des cent cinquante mille habitants - mais là encore, le manque cruel d'organisation des autorités insulaires limite toute mesure de l'évolution de l'île ces dernières années.
Le chef-lieu de l'île, Baisul, situé dans le sud du territoire insulaire, est donc un potentiel poumon commercial pour la région, peut-être préférable à des cités portuaires continentales plus instables comme Thadamis, Herettin et Wamran au Varanya ou Abunaj et Balhaya au Banairah. Situé à plus de deux cents kilomètres des côtes occupées par les insurgés sur le continent, la ville de Baisul reste relativement hors d'atteinte de tout débarquement amphibie passé sous les radars ou de tout bombardement d'artillerie. Les deux menaces émanent cependant de la force aérienne : les missiles sol-sol et air-sol ainsi que les bombardiers. Si les premiers ne sont pas encore présents en grand nombre sur le front, les seconds sont susceptibles de représenter une menace notable si la force de frappe antiaérienne périclite.
En conséquence de quoi, il est préconisé d'organiser des frappes chirurgicales préventives sur le tissu industriel, idéalement loin des zones civiles, afin de paralyser toute mobilisation matérielle supplémentaire. À la stratégie de la terre brulée doit être ajoutée la destruction des infrastructures portuaires majeures à portée des navires de la coalition et susceptibles de représenter un danger d'invasion immédiat : les ports-cibles conseillés figurent sur la carte fournie au début du rapport. Ces ports stratégiques assurent à l'ennemi une présence sur tous les fronts en cas d'un débarquement ; dans une telle situation, Baisul deviendrait indéfendable. Un chapelet de mines navales peut éventuellement être déployé pour contingenter au maximum l'élan conquérant des révolutionnaires vers le nord du pays.
En plus de ce dispositif de contingentement déjà étudié depuis plusieurs années par le génie, l'île de Bina doit être sacralisée : le regroupement de tous les effectifs restants engagés par la coalition loyaliste depuis le début du conflit sur les bases aéronavales de Bina, après évacuation des dernières troupes et matériel restés sur le continent, devrait suffire à anéantir toute aventure malheureuse des insurgés vers l'île-forteresse. Le développement et l'installation de batteries de canons antiaériens et d'artillerie, mais aussi la mise en place d'une menace permanente de missiles antinavires (sol-mer) et sol-sol dirigés vers le continent et le détroit devrait assurer à l'île une dimension d'inexpugnabilité certaine. L'existence d'un quelconque accord diplomatique prétextant la paix ne saurait assurer autrement la survie du régime impérial.
La création d'une flotte interarmée permanente dans la région, chevauchant le besoin de défense du détroit de Bina pour la flottille du Shah d'une part et les intérêts océaniques orientaux de la Principauté d'autre part, est également une idée à approfondir ; les initiatives déployées au Varanya dans le cadre du conflit et de sa préparation ayant permis l'accumulation d'une expérience non-négligeable pour les services princiers comme pour les officiers de terrain, le maintien de ces initiatives désormais regroupées sous la houlette de l'opération conjointe cémétéo-varanyenne Behedetite doit être assuré à des visées de recherche tactique et stratégique. L'île de Bina doit demeurer le pré-carré de la Principauté, qui en tire et continuera à en tirer un avantage géographique notable, servant d'avant-poste des intérêts princiers dans cette région désormais déstabilisée.
Enfin, sur le plan de la sécurité intérieure, il est important d'assurer à la fois le soutien de la population locale au Shah ; si les habitants de l'île de Bina sauront apprécier l'aide internationale ainsi que l'ouverture économique vers différents pays, à commencer par la Principauté de Cémétie voisine qui saura assurer le commerce avec l'île, la présence notable de militaires étrangers ainsi que d'une police politique au service du Shah dont il convient cependant de museler les ardeurs sauront exacerber les tensions entre l'élite aristocratique et ploutocratique impériale et les agitateurs de fond venus du continent pour agiter la population. Un contrôle restreint des institutions du régime mais aussi des canaux informels du pays est à préconiser pour assurer et la survie du régime impérial et le maintien des intérêts de la Principauté à Baisul. La reconstruction de l'État varanyen, avec le soutien de juristes cémétéens, doit assurer la recréation d'un État centralisé, fort sur un modèle potentiellement exportable.