
par Jehan Lafeyre
Le 31 juin 1778 était un jeudi de grisaille. Ce jour qui aurait pu être ordinaire a marqué le destin d'un pays, la Gallouèse, bien plus que les autres dates annonées par nos cher têtes blondes à l'école. En vérité, c'est tout le monde politique du pays qui est resté bloqué au 31 juin 1778. Car c'est le jour qui a marqué la fin du règne du bon sens, du pater familias et des affaires privées, hérité du droit rémien. C'est le jour où a commencé la Révolution des Robes. Événement peu enseigné aux temps républicains, nos lecteurs les plus âgés ne sont peut-être pas au fait de ce que cet épisode de l'Histoire de Gallouèse représente. La « révolution des robes » est le nom donné par les historiens à la série de boulversements politiques issus de l'abdication du Duc Thémond VI le 23 décembre 1778, et avant cela de la fronde parlementaire de 1778. Cette « révolution » conduit principalement à la fin de l'absolutisme gallèsant et à la mise en place de l'Assemblée des Pajes, la cour de justice suprême du Duché. Mais s'il est un jour qui marque la bascule vers cet état de fait, et qui permet de comprendre pourquoi la révolution des robes a pu entraver le développement gallèsant, c'est, nous l'avons dit, le 31 juin.
Ce jour-là est un jour comme les autres pour le nonquais moyens. Mais c'est le jour où, modifiant l'ordre de séance à la dernière minute, le Parlement de Nonques (comprendre sa cour d'assise) décide de « lire les crimes du Duc Thémond le Sixième ». Et ce faisant, renverse l'ordre des choses respecté mondialement, dans toute les démocraties : le pouvoir judiciaire sera désormais au-dessus du pouvoir politique. L'historien Michal Sarte parle à ce sujet de « naissance de l'absolutisme judiciaire » (Construire un récit de la Restauration : la tâche des démocrates post-88, Léëque, 36ȼ). Absolutisme, car aucune loi ne pourra plus entraver désormais le tribunal, excepté la loi fondamentale, qu’il est le seul à pouvoir interpréter. À partir de cette date, les Duc et leurs gouvernements vont être complètement soumis à l’autorité judiciaire, des parlements de Ligert, Nonques et Holéons d’abord, puis après une guerre civile, par la cour suprême de l’Arrët ohh Paje.
Un régime judiciaire
L’Arrët ohh Paje restera l’arbitre suprême des décisions ducales jusqu’à la chute de la monarchie, en 1952. Même sous le règne autocratique d’Aurvoit Belventôle, l’Arrët ohh Paje parviendra à éviter la dissolution. Il s’agit de la seule institution à avoir traversé les âges. Certes, elle s’est aujourd’hui démocratisée, puisque son chancelier est élu au suffrage universel direct. Mais l’institution judiciaire dans son ensemble détient en Gallouèse un pouvoir qu’elle n’a nulle part ailleurs. Celui d’intervenir en permanence sur les arrêtés des préfets et des comtes administrateurs, voire bien souvent, des élus. Un exemple parmi d’autres : le 6 octobre 2013, en pleine lutte syndicale à l’usine Davrey d’Hôpital-Velpot, le préfet fait interdire une réunion du syndicat majoritaire au sien des locaux de l’entreprise, car il avait estimé qu’elle représentait une menace de trouble à l’ordre public. La décision est cassée par le tribunal administratif d’Arrasints, qui juge la mesure infondée. Deux jours suivant, après des dérapages - attendus par la préfecture - dans les locaux de l’usine, ce même tribunal force la fermeture temporaire du site, et contraint la direction à fournir tous les salaires à ses employés. Un atout majeur dans la lutte syndicale que les ouvriers gagneront d’ailleurs.
Il ne s’agit pas de dire que ces tribunaux prennent des décisions motivées par autre chose que le droit. Mais la constitution et les lois organiques leurs confient un pouvoir trop important, qui ne devrait pas être le leur. Cette mission judiciaire excessive nuit au développement économique, comme l’explique l’économiste Julien Aschaffenstadt. « Un entrepreneur, en Gallouèse, n’a pas les mêmes droits qu’un entrepreneur à Teyla ou à Antares par exemple. Ici, il sait qu’il pourra à tout moment être mis sur la paille par une décision de justice. Il sait qu’il n’aura pas la main sur sa société. Il sait qu’il va beaucoup échanger d’e-mails avec le tribunal ». Conséquence pour M.Aschaffenstadt : les gallèsants n’entreprennent pas et l’économie reste au stade larvaire des commandes d’Etat, qui sont aujourd’hui absolument vitales pour l’industrie du pays.
La Gallouèse et le sous-développement
Vu son histoire, sa géographie, ses infrastructures et ses moyens, la Gallouèse serait presque sous-développée. Le système judiciaire gallèsant n’est pas particulièrement corrompu, mais il occupe une place qui ne devrait pas être la sienne. Cette place, si elle l’occupe grâce à l’histoire qui l’a conforté dans sa conception institutionnelle, elle ne peut y exercer un pouvoir significatif que par la loi qui le permet. Ce corpus juridique, nous le devons grandement, il faut le dire, au règne sans partage du Parti Social pour la Liberté depuis 1990. Surtout à l’administration d’Henri Benfer (1990-1993) et à celle de Michal Trëvenon, qui en cumulé ont fait passer plus de 15 000 amendements contraires à la liberté d’entreprendre selon le décompte du Mouvement Unitaire, seul parti à oser défendre le business avec véhémence. D’autres peut être pourraient choisir de défendre cette voix. Ils le font hélas trop prudemment.
Mais le trëvenisme n'est pas éternel. Un jour, la Gallouèse connaîtra l'alternance. Charge alors au parti qui sera appelé à gouverner de faire tomber se système judiciaro-centré. Les regards sont braqués sur le Parti radical.