Et soudain, la fête est finie
Depuis les îles polaires de l’océan du nord, ces froides contrées eurysiennes, là où le soleil ne brille que six mois par ans, la machine de propagande pharoise s’est mise en branle. Forte de son expérience de déstabilisation sur de nombreux théâtres, Kotios, Vogimska, Prodnov, Jadis, Port-Hafen, Shibh Jazirat Alriyh, Empire Latin Francisquien, la C.A.R.P.E. entend souffler le chaud et le froid sur le Pontarbello. Comme l’ont souligné plusieurs spécialistes, elle bénéficie pour cet exercice d’un grand nombre d’avantages, parfois quelque peu contre-intuitifs.
Le premier d’entre eux est sa capacité à appuyer sa propagande sur la langue et la culture partagée entre le petit Etat pontarbellois et plusieurs de ses alliés. Si le Pontarbello pensait pouvoir offrir un contre-modèle culturel face à la machine de guerre pharoise, c’était sans doute en oubliant que la démographie et l’expertise ne sont pas en sa faveur. Caprice Coaste, Porto Mundo, Albigärk, sans oublier les autres colonies listoniennes et la proximité qu’entretiennent les Pharois avec l’Empire, le Syndikaali peut compter sur plusieurs millions de citoyens de culture listonienne et de langue lusophone. En face, le Pontarbello aligne péniblement un million cinq habitants, et un appareil de diffusion culturelle complétement passé à la trappe en comparaison des dépenses militaires engagées par la dictature depuis son arrivée au pouvoir [ndlt : aucune usine culturelle pontarbelloise].
Plus dangereux encore pour le Pontarbello, l’expertise albienne, ressuscitée dans les grandes universités de psychologie, anthropologie, communication et autres disciplines particulièrement utiles pour la propagande, peut s’appuyer sur une large population pharo-listonienne, dépassant à elle seule l’ensemble des habitants du Pontarbello et particulièrement active et militante, étant en grande partie composée d'étudiants.
Le monde est entrée dans l’ère internet et faute d’avoir mis en place des dispositifs de filtrage de l’information – la dictature en a-t-elle seulement les moyens ? – la propagande anti-régime a le champ libre pour se déployer. Face à elle, les mégaphones militaires et allocutions télévisées du général Leopoldo Sapateiro rabâchent des messages nationalistes et virilistes qui peinent à se renouveler.
Des angles morts dans la propagande pontarbelloise, dont le Syndikaali compte bien se servir pour mener son offensive de soft power, une attaque qu’aucun radar, aussi moderne soit-il, ne peut réellement mesurer…
Forte de son expérience, la C.A.R.P.E. entend faire feu de tout bois pour déstabiliser le régime de Santialche
«
La piraterie, c’est avant tout un opportunisme » dit une phrase célèbre au Syndikaali. Une maxime astucieuse qui trouve son sens au regard des pratiques des services secrets pharois : tout est bon, tout est à prendre, il en sortira forcément quelque chose.
Forums, réseaux sociaux, groupes de parole, de réflexion, newsletters, blogs, discussion de bar,
toute l’infrastructure économique et sociale héritée de l’ancien Empire, dont le Syndikaali a une parfaite connaissance grâce à son expérience dans les colonies et
la collaboration des autorités listoniennes, est mise à contribution pour relayer un doute. Un simple mais terrible doute :
et si le régime de Santialche avait failli ? Et si l’indépendance était factice ?Cela peut sembler difficile à croire, au regard de la situation actuelle du Pontarbello, mais dans les premiers moments du projet indépendantiste, construit
en se comparant à la trajectoire de la République Hafenoise qui s’émancipait de l’Empire grâce au referendum, les forces pontarbelloises pro-décolonisation
rêvaient d’autonomie. Autonomie politique, et autonomie commerciale surtout, des ambitions qui désormais contrastent cruellement avec le devenir réel du Pontarbello. Le tableau est volontairement sombre, mais réaliste :
Etat client, totalement dépendant et soumis à la présence de mercenaires Alguarenos, la junte militaire pratiquant la terreur et légitimant son pouvoir grâce à des crimes de guerre, le projet nationaliste pontarbellois a assurément du plomb dans l’aile et
les lendemains qui chantent semblent s’éloigner un peu plus chaque jour.
Il faut dire qu’outre
les génuflexions désormais devenues quasi quotidiennes de son chef d’Etat qui se met en scène, tout sourire, aux côtés de agents de l’Alguarena, la proximité politique et linguistique avec les Îles Fédérées
n’a pas que des avantages. En comparaison du marasme culturel Pontarbellois,
le poids de la culture alguarenos est écrasant et menace de manière très concrète l’identité listonienne et aleucienne du territoire. Un situation qui ne poserait pas forcément problème si le gouvernement de Santialche n’avait cessé de
mettre en avant les valeurs nationalistes dans sa communication, provoquant progressivement une dissonance évidente entre un discours martiale et ferme vis-à-vis de la souveraineté pontarbelloise, et le constat empirique de la domination de l’Alguarena. Car contrairement à ce qu’une idée un peu grossière pourrait faire penser,
la culture listonienne n’est pas similaire à celle de l’Alguarena. Héritée du système féodale, nobiliaire, c’est une société très hiérarchisée et croyante qui s’est construit sous la domination de l’Empire. Certes les langues sont proches, au point qu’un Listonien comprendra globalement ce que dit un Alaguareno, mais ils n’ont en commun ni leur histoire, ni leur culture politique et quand deux forces se rencontrent,
le risque de la prédation est grand.
Bien sûr l’Alguarena a pour elle un modèle fédéral qui l’a habitué à
faire cohabiter des langues et cultures très différentes sur un même territoire, mais les Listoniens, eux,
n’ont pas ces réflexes. D’ailleurs il n’a jamais été question d’intégrer les Îles Fédérées, pour le Pontarbello, et
ses habitants sont donc en droit d’attendre que soient défendues leurs particularismes ! Or la junte, concentrée sur les investissements militaires et ouvrant littéralement ses portes aux agents d’Aserjuco, ne semble rien faire pour valoriser et protéger les spécificités de la culture listonienne et autochtone. Dans ces conditions, pour le peuple biberonné aux valeurs nationalistes par son gouvernement,
difficile de voir le géant voisin comme autre chose qu’une menace, ou a minima un objet de méfiance. Les discours patriotiques du Général Leopoldo Sapateiro pourraient donc finir par
se retourner contre lui, tant les promesses qui avaient valu le soutien populaire au mouvement indépendantiste tardent à se concrétiser.
Pour l’heure, toutefois,
la junte tient la société par les couilles et il est assez peu probable que celle-ci lâche le pouvoir au nom de valeurs aussi futiles que « tenir ses engagements » ou « incarner une certaine cohérence politique ». Mais le Syndikaali n’a pas pour ambition de décapiter le Pontarbello, non, il désire tout simplement
glisser un grain de sable dans la machine.
Le Capitaine Ilmarinen, mystérieux mais médiatique directeur de la C.A.R.P.E. s’était exprimé de manière générale sur le modèle Pharois et la spécificité de son mode de gouvernance libertaire par rapport à des sociétés plus hiérarchisées. Il peut être utile de réécouter une partie de son interview de 1999, pour le Journal de Pharot :
« On s’imagine souvent qu’une société pyramidale, très dure, est aussi très forte. Les hommes politiques pensent la gouvernance à travers le prisme de l’Etat, depuis le haut : pour eux un état solide, qui tient fermement le pays, avec des moyens répressifs efficaces ou de nombreux leviers d’actions politiques, c’est un outil très efficace pour exercer le pouvoir.
Je pense qu’ils se trompent. Ou en tout cas, qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils manient une arme à double-tranchant. Plus une société est ferme, moins elle est résiliente. Ceux qui se tiennent en haut de la pyramide n’ont qu’une vue très limitée du monde, et bien souvent ils ignorent sur quelle base ils sont assis. Or, tout le monde a déjà joué à ce jeu, avec les morceaux de bois qu’on empile, non ? Une structure pyramidale, il suffit d’enlever un seul élément de la base, et tout s’écroule. Vous savez j’ai… il y a cette comparaison qui me vient en tête, dans le béton parfois il y a des fissures, toutes petites et parfois, une graine se glisse dans la fissure et une plante va commencer à pousser. A ce moment-là, quelle que soit la force du mur, il finit par s’écrouler avec le temps.
C’est pour cette raison qu’un pays comme le Syndikaali, où le pouvoir est extrêmement diffus voire insaisissable, présente certes beaucoup d’angles d’attaque, mais est aussi très résiliant. Je considère le Syndikaali comme un jardin où toutes les graines peuvent pousser. Cela créé du bazar, c’est certain, mais au moins il n’y a pas de mur à faire s’effondrer. Sans institutions centralisatrices, il n’y a tout simplement rien à abattre, et ceux qui nous veulent du mal ne savent pas où tirer. »
Dix ans plus tard, cette interview sonne comme un écho aux oreilles de ceux qui suivent de près l’actualité du Pontarbello. Une seule graine suffit, et tout peut s’effondrer. En choisissant de s’adresser aux faction libérales et nationalistes du Pontarbello, le Pharois vise
les déçus de la dictature, ceux qui en espéraient plus, soit pour le pays, soit pour eux-mêmes.
Leopoldo Sapateiro, traître ou idiot utile ?
Alors que la solidité du récit national pontarbellois s’effrite face à l’offensive culturelle pharoise,
plusieurs faiblesses du régime apparaissent désormais clairement. La première est évidement
la vassalisation de l’ANPL aux mercenaires Jaguar, pour majorité composés d’étrangers. Un Etat dans l’Etat qui, s’il laisse assez peu de place à l’espoir d’une contre-révolution, n’est pas pour autant satisfaisant pour les cadres et officiers les plus farouchement nationalistes. Or ils sont nombreux, ces militaires à s’être engagés sous les drapeau de l’ANPL en
nourrissant le rêve d’une nation libérée des tyrans étrangers. De tous les tyrans étrangers. Formés aux côtés des mercenaires Jaguar, ceux qui étaient encore hier être des frères d’armes se révèlent à présent être une concurrence évidente pour l’ANPL, qui doit
partager le monopole de la violence avec des soldats mieux entraînés et équipés sur son propre territoire.
Une concurrence qui s’étend y compris sur les succès militaires revendiqués par Santialche !
Car après tout,
qui a vaincu les Kah-Tanais ? L’ANPL ou les Jaguar ? Qui tient dans le creux de la main la politique de défense du pays sinon l’état-major d’Aserjuco ? Et donc, en définitive,
qui gouverne ce pays au fond ? La junte ne tire sa légitimité que de ses victoires et de sa brutalité, or il faut bien convenir qu’elle ne semble finalement n’avoir le monopole ni de l’un ni de l’autre. Pour les officiers de l’ANPL, confrontés quasi quotidiennement à la présence d’Alguarenos et de Jaguar, ou obligés de composer avec eux avant la moindre action sur leur territoire, pourtant supposément souverain,
le sentiment de servir un pouvoir fantoche se fait de plus en plus concret.
Il s’agit certes d’un sentiment diffus, et face au rouleau compresseur dictatorial, difficile de savoir comment réagir ou protester, mais nous parlons ici de militaires, de vétérans, avec
une certaine idée de ce pourquoi ils combattent, et ce pourquoi ils ont mis leur vie en jeu, à plusieurs reprises.
Si la situation pouvait sembler complétement sans espoirs il y a quelques mois, et que les réfractaires et insatisfaits se contentaient alors de ronger leur frein en silence,
l’horizon vient de s’entrouvrir depuis peu. L’appel de José Esteban à former une ligue décoloniale pourrait être une
alternative intéressante à opposer à la vassalisation Alguarenos. En effet, jusqu’ici le Pontarbello était tout entier dépendant de sa surpuissante voisine pour sa survie et sa défense. Une situation qui imposa presque mécaniquement de collaborer puis de se soumettre aux mercenaires Jaguars, pour arracher l’indépendance contre l’Empire Listonien.
Néanmoins, le fait que les ex-colonies listoniennes choisissent de travailler ensemble
les émancipe en partie de la tutelle de leurs alliés respectifs. Elles peuvent désormais porter une voix souveraine à l’internationale, fortes d’une histoire partagée, et compter sur des accords diplomatiques, reconnus par la communauté internationale,
qui consacrent leur indépendance. Plus besoin alors de dépendre entièrement de la protection d’une seule grosse nation voisine, ainsi Port-Hafen, grâce au soutien de l’Aumérine, de Saint-Marquise et du Pharois Syndikaali, peut faire jouer la concurrence pour ne se soumettre à aucun des trois. Pareil pour Jadida qui, forte de ses liens avec le Banairah et le Grand Kah, ne risque pas d’être vassalisé par l’un ou l’autre. Des « deux chemins », celui incarné par la République Hafenoise et la Commune de Jadida
incarnent bien mieux la souveraineté nationale moderne que les coups de menton du général Leopoldo Sapateiro,
archaïques et poussiéreux, qui donnent à voir les gesticulations d'un sordide pantin condamné à ne demeurer que la voix de ses maîtres.
Car
en se plaçant au ban de la communauté internationale, en ouvrant le feu sur des ambassadeurs, par ses crimes de guerre, son régimes dictatoriale, et le refus de toute diplomatie avec une autre nation que l’Alguarena,
le Pontarbello construit sa propre prison diplomatique. En refusant les alliances et les traités, le pays se rend vulnérable et archi-dépendant de la protection de sa voisine. Un constat qui oblige à se demander si le Général Leopoldo Sapateiro, derrière une apparence d’engagement pour la souveraineté du Pontarbello,
ne travaillerait pas au fond en sous-main depuis le début pour l’Alguarena ?Les soldats de l’ANPL le savent, sans la formation et le soutien logistique des mercenaires Jaguar, jamais leur coup d’Etat n’aurait réussi et si ces choix avaient pu paraître pragmatiques à l’époque, la multiplication des actes de soumission de Sapateiro aux Alguarenos laisse planer le doute sur sa véritable loyauté.
Et si, depuis le début, le prétendu héros n’avait jamais été qu’un pion ?Un comble quand on voit qu’un territoire comme celui de Porto Mundo, pourtant officiellement rattaché au régime du Syndikaali, parvient malgré tout à prendre régulièrement ses distances vis-à-vis du gouvernement de Pharot.
Si Edmundo Estrella en est capable, pourquoi Sapateiro s’obstine-t-il à se comporter comme un laquais ?Quand la peur règne, le courage est une arme politique dévastatrice.
Il n’en faut pas forcément plus pour faire naître la grogne chez les vétérans de l’ANPL, en particulier
ceux qui s’estiment maltraités par la dictature. Dans une pyramide,
il n’y a pas de place pour tout le monde, ceux qui en côtoient le sommet rêvent de se voir monter d’un cran encore, quant à ceux qui végètent plus bas ils en viennent rapidement à se demander s’ils ne mériteraient pas un peu plus de considération. L’être humain est ainsi fait que
rares sont ceux qui s’estiment traités à leur juste valeur.
A mesure que la prise de pouvoir s’éloigne, les impératifs militaires
s’effacent devant le politique et la hiérarchie perd de son sens alors que les menaces se font plus floues, ou sont remplacées par d’autres. Le gouvernement a beau mettre en scène sa « victoire » face à l’enclave pharoise, les militaires sont bien placés pour voir que
tout cela n’est pas aussi glorieux qu'on le prétend : cinquante hommes dont une demi-douzaine de civils ne représentent pas une menace vitale pour le pays. Pire : l’ANPL, pourtant trois fois plus nombreuse et mieux équipée, a essuyé
des pertes proportionnellement beaucoup plus importantes que ses adversaires. Ces derniers se sont certes rendu, mais pour un ratio d’un mort contre deux dans le camp de l’ANPL, cette dernière est
loin d’avoir brillé par son efficacité.
Une humiliation que le gouvernement n’assumera jamais, mais
susceptible d’agacer en interne et qui fait s’interroger sur les choix pris par l’état-major, manifestement
plus préoccupé à l’idée de faire des concessions aux mercenaires Jaguar qu’à moderniser l’armée [
ndlt : l'armée pontarbelloise souffre d'un manque de financement dommageable, en comparaison aux moyens qu'elle prétend être en mesure de déployer].
Il y a là
matière à faire naître des ambitions. Le champ est ouvert pour laisser beaucoup de gens se rêver califes à la place du calife, car l’échec du chef de meute attire la convoitise de ceux qui pourraient prétendre à sa place. La dictature est ainsi faite qu’elle souffre en permanence d’un manque de légitimité et la moindre faiblesse du discours officiel laisse
entrevoir sa grande vulnérabilité et son caractère factice. Or les réseaux de propagande pharoise, passés maîtres dans
l’art de la diffusion d’idées subversives, jouent maintenant depuis plusieurs mois leur petite musique déstabilisante. Objectif : semer le doute, pour prospérer dessus.
Frappes chirurgicales ou pêche au gros, la C.A.R.P.E. multiplie les fronts et les méthodes pour imposer son discours.Le récit Pharois, libre de se diffuser faute d’une contre-proposition véritablement solide ?
La propagande du récit pontarbellois souffre de deux faiblesses qui pourraient bien entraîner rapidement sa décrédibilisation.
La première et la plus évidente est l’archaïsme des discours dictatoriaux au XXIème siècle.
Les rares penseurs de la dictature souffrent aujourd’hui de
la concurrence avec les nations libérales qui offrent un cadre de vie et des garanties de respect des droits
bien plus attractives qu’un régime autoritaire, basé sur la violence et susceptible d’être renversé de l’intérieur comme de l’extérieur. Un calcul qui vaut également pour les investisseurs, la multiplication des marchés, à commencer par celui de l’Alguarena littéralement en face du Pontarbello, laisse peu de doute sur la viabilité d’
une économie moderne basée sur l’arbitrarité du pouvoir. Le libéralisme a
besoin de garantis pour faire des affaires, et le Pontarbello n’en offre aucune, faute d'avoir mis en place un Etat de droit susceptible d'offrir une protection suffisante et crédible de la propriété privée. Si une dictature peut s'avérer économiquement stratégique pour certains investisseurs, un Etat en constant conflit militaire l'est beaucoup moins. Difficile de concevoir, dans un tel contexte, comment celui-ci pourrait prospérer en dehors de l’Empire Listonien,
à moins de se vassaliser économiquement aux Îles Fédérées. Une perspective qui n’enchante assurément pas grand monde, y compris dans les rangs de l’ANPL.
Malheureusement pour la junte Pontarbelloise, son modèle et son discours se trouvent aujourd’hui
bien isolés sur la scène internationale où aucune nation du monde – mis à part quelques Empire Nazuméens et les dictatures communistes – ne fait l’apologie d’un pouvoir militaire armé. Même l’Alguarena, pourtant l’allié logique du Pontarbello, possède un régime démocratique et qui plus est décentralisé car fédéral. Autant dire que la position politique du général Leopoldo Sapateiro est
particulièrement difficile à légitimer.
Pire : l’autre nation emblématique et mondialement connue pour son autoritarisme au XXIème siècle se trouve être… l’Empire Listonien, dont le Pontarbello cherchait à s’émanciper.
Un demi-tour du régime sur lui-même, en quelque sorte, et une rhétorique martiale finalement tautologique : se libérer de l’oppression… pour tomber dans les bras d’une autre.
Privé d’alliés, privé d’écho à l’international, le régime du Pontarbello ne se justifie que par sa force brute, mais celle-ci, décrédibilisée par la place envahissante des mercenaires Jaguar dans l’appareil militaire, tient de moins en moins la route pour ceux qui ont l’opportunité de la contempler de l’intérieur. Forte d’à peine un million cinq d’habitants, l’appareil d’Etat du Pontarbello n’a
pas le luxe de noyer les critiques dans une bureaucratie qui rendrait incompréhensible son fonctionnement. La junte et la hiérarchie militaire sont structurées de telle sorte que
les responsables sont aisément identifiables… et que l’idée qu’il ne faudrait couper qu’une poignée de tête pour faire tomber l’édifice est séduisante. En personnalisant son pouvoir,
Leopoldo Sapateiro s’est rendu terriblement vulnérable à la critique et sa figure cristallise admirablement bien les doutes et les rancœurs.
Pour le peuple qui n’a pas une vision surplombante des rouages du régime,
l’isolement du pays est néanmoins une source de crainte pour l’avenir. Bien que l’émancipation de l’Empire a pu être perçue comme un bouleversement politique majeur et positif, le nouveau régime n’est pas à l’abri d’un renversement similaire puisqu’il possède, au fond, les exactes mêmes caractéristiques que le précédent.
Une incertitude quant à la pérennité de la dictature, entourée de démocraties surpuissantes, qui ne pousse
pas à parier sur la longévité du Général Sapateiro.
Pour les soldats de l’ANPL,
la question d’un nouveau coup d’Etat se pose également d’une manière plus crue puisqu’ils se savent être le dernier rempart du gouvernement face à de multiples menaces. Moins qu’étrangères, celles-ci viennent en réalité de l’intérieure et l’on est en droit de craindre à termes
des pressions politiques ou militaires de la part d’Aserjuco, si la situation au Pontarbello venait à se montrer trop compliquée ou si la communauté internationale faisait pression sur elle.
Isolé et sans alliés fiables, le général Leopoldo Sapateiro ressemble de plus en plus à
un fusible prêt à sauter en cas de problème ce qui n’aide pas du tout à apaiser la situation en interne. Au sein de l’ANPL, on est en droit de se demander s’il
ne vaudrait pas mieux changer de régime maintenant, avant de sauter avec celui-ci. Est-on prêt à mourir pour Sapateiro, lui qui apparaît de plus en plus comme un pion sur l’échiquier de son voisin ?
La seconde faiblesse de la propagande pontarbelloise est
sa faible mainmise sur la population. Ne disposant pas d’un appareil culturel capable de rivaliser avec celui du Syndikaali et d’Albigärk, le régime de Santialche est contraint de
s’appuyer uniquement sur la terreur – et le patriotisme – qu’il inspire, ou, à défaut, sur celui de l’Alguarena.
Une nouvelle forme de dépendance qui contraste cruellement avec les ambitions de souveraineté affichées par Sapateiro et les cadres de l’ANPL.
A cette heure,
les seuls arguments politiques du régime de Santialche sont ses victoires militaires et le fait d’avoir réussi à expulser l’autorité coloniale listonienne. Un récit fort et attractif, mais
qui menace de s’effriter sous plusieurs coups de butoir récents.
Déjà,
les crimes de guerre révélés à la population par le Syndikaali entachent l’armée immaculée de Santialche et insinuent le doute quant aux véritables pratiques des militaires. Après tout,
ce sont aussi d’ex-Listoniens qui ont été impitoyablement mitraillés au camp Pharois. Des ex-compatriotes, des nationalistes, des indépendantistes eux-aussi… tués de sang-froid par l’ANPL.
Une décision assez incompréhensible pour qui ne se content pas d'avaler tout cru la propagande du régime et qui se justifie très maladroitement par Santialche : certes le gouvernement a expliqué que son offensive contre l’enclave du Syndikaali avait pour but de mettre fin à la contrebande. Mais d’une part,
le Syndikaali n’a jamais posé problème aux Pontarbellois et n’était une menace qu’aux yeux des militaires. D’autre part, la taille de l’enclave, située à proximité des agglomérations, faisait voir de manière évidente qu’il n’y avait aucune menace d’invasion de prévue, faute de matériel stocké, de véhicules ou d’engins aéronautiques. Enfin, et c’est sans doute le plus crucial, si contrebande il y avait, celle-ci
profitait aux populations locales qui pouvaient bénéficier de biens exotique d’importation à très bas coûts puisque complétement détaxés.
En s’attaquant à l’enclave pharoise, le gouvernement du Pontarbello s’est finalement
tiré une balle dans le pied, aux yeux de la communauté internationale c’est une évidence, mais également auprès de certaines parties de la population.
Car si
l’ANPL est prête à assassiner ses propres compatriotes ex-Listoniens pour servir des ambitions incompréhensibles, il est naturel de se demander jusqu’où elle serait aussi prête à aller pour se maintenir au pouvoir.
Les prochains à être criblés de balles seront ils également d’ex-Listoniens ? Des nationalistes ? Des indépendantistes ? Au hasard… des Pontarbellois ?
En s’enfermant dans sa posture de citadelle assiégée, incapable de communiquer auprès de sa population sans brandir des drapeaux ensanglantés, Santialche pourrait
perdre progressivement la confiance des Pontarbellois.
Un vent de défiance qui pourrait bien, à défaut d’encourager au soulèvement, donner la poussée nécessaire aux insatisfaits de l’ANPL qui voient de l’intérieur les contradictions et vacillement du régime. Quoi de mieux que
les échos de la fronde populaire pour justifier sa légitimité à agir, et
trouver le courage de passer à l’action ?
Grâce à la diffusion de la théorie « des deux chemins », la propagande décoloniale entend s’adresser à la branche libérale de l’ANPL.
Une armée n’est pas un monolithe et
même les soldats les plus loyaux peuvent avoir des doutes, voire même des idées. Cela tombe bien, les « deux chemins » proposent justement
une dichotomie séduisante et facile à comprendre pour qui cherche à mettre des mots sur les limites du régime de Santialche. Face aux faiblesses évidentes de la dictature, il est naturel de voir l’herbe plus verte dans le jardin du voisin, surtout si ce voisin n’hésite pas à mettre en scène ses talents d’horticulteur depuis quelques temps.
Démocratie, droits individuels, ouverture au monde, un gouvernement reconnu à l’international et dont la voix porte au-delà de ses frontières…
autant d’arguments que n’a pas le Pontarbello. Un comble quand on voit que la minuscule République Hafenoise parvient à faire bien mieux avec seulement… cinq-mille habitants !
Comment une telle micro-nation peut-elle jouir de tant d’alliances et de marques d’affections, venus de pays très différents, alors que le Pontarbello s’englue dans les scandales et attire sur lui l’opprobre et la critique ?
Pour des militaires, pour des nationalistes,
se voir traités de criminels peut tout autant créer de la résilience que de la honte. Honte de ce que l’ANPL est devenue. Honte des crimes qu’elle a commis.
Honte de ses compromissions, de sa vassalisation, incapable de tenir le Pontarbello, obligée de se prostituer aux mercenaires Jaguar…
Face à ce constat, la libéralisation du pays semble
un horizon intéressant. Réparer les erreurs commises, corriger le faux départ, réintégrer la communauté internationale, se rapprocher des ex-colonies listoniennes,
pourquoi pas intégrer l’ONC ? L’Alguarena en est membre, l’adhésion serait logique, et cela permettrait sans aucun doute de nouer des liens avec de nombreuses nations respectables à travers le monde, au lieu de
s’enfermer dans une dictature honnie hors de ses frontières.
La perspective de
retrouver une respectabilité et de s’ouvrir au monde est tout autant une idée séduisante pour ceux qui aspirent à
voir leur pays briller à l’international, que pour ceux qui, dans
un soucis de conquérir leur souveraineté, ne verraient pas d’un mauvais œil le fait de multiplier les partenaires, de façon à se rendre moins dépendants de l’Alguarena.
Organisation confuse et disparate, composée de soldats formés sur le tas et venus de nombreux horizons, l’ANPL a toujours été l’unique organisation pontarbelloise à porter un projet d’indépendance. C’est assez naturellement qu’
elle a agrégé des soldats venus de milieux socio-culturels et de traditions politiques très différentes. Il est donc normal de s’attendre à ce que, une fois installée au pouvoir,
des lignes dissidentes commencent à se dessiner à l’intérieur. Des lignes qui se nourrissent directement de la propagande listonienne et pharoise car c’est bien simple :
il y en a pour tous les goûts ! Les libéraux apprécieront sans aucun doute les promesses de démocratie et de gouvernement populaire du modèle Hafenois, ceux qui croient d’avantage dans les vertus d’un nationalisme fort y trouveront matière à réfléchir l’émancipation du joug alguarenos. Enfin, ceux qui ont simplement les dents longues, ne verraient pas d’un mauvais œil que le général Leopoldo Sapateiro se trouve fragilisé et pourquoi pas, renversable.
En fournissant des mots clefs, des idées, des réflexions logiques, mais aussi des espoirs et des contre-modèles, le Syndikaali entend se façonner un terreau fertile pour une implantation locale,
directement au cœur de l’ANPL.