Posté le : 16 sep. 2022 à 09:03:55
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Après des mois de déploiement, il serait attendu de la part des détachés de la haute manne qu’ils s’ennuient. L’ennui était le propre de la guerre et un bon soldat savait sans doute que le déploiement, quelle que soit la mission le justifiant, donnerait lieu à plus d’attentes, à plus de grands moments de vide et de solitude, qu’autre-chose. Les fusillades sont brèves et rares, les batailles composées de grands mouvements et de longs silences. Les opérations, des détonations occasionnelles donnant suite à la folie des officiers qui se pensaient assez intelligents pour contourner par leurs tactiques celles déployées par leurs cibles. L’attente, enfin, était omniprésente. C’était l’acte ultime de l’armée. Son incarnation la plus parfaite, bien qu’inconnue du grand public, infilmable disent les studios imbéciles, qui croient sincèrement plus intéressant de filmer des images fantasmées des tueries, des batailles où l’héroïsme, ce fantasme d’adolescent, a la part belle, que le long déclin psychologique des hommes et femmes confinés dans l’attente explosive du moment final. Comme autant de casseroles couvertes, dans lesquelles monte une pression explosive qui ne pourra s’exprimer qu’en termes de violences, de peur, d’explosion, d’aliénation. Avant toute chose, c’est l’aliénation, au sens le plus adapté il faut croire. L’aliénation au sens ancien, socialiste, primordial. La violence existe dans la nature, on pourrait même parler de guerres entre animaux sociaux, qui aiment s’exterminer à l’occasion. Mais l s’agit moins de guerre que de conflits, de batailles en un acte. L’humanité a développé la tendance, puis l’a industrialisée, et a donné naissance à un nouveau genre de conflit : la guerre. La guerre. La terrible et abominable guerre moderne. Aliénante, donc, en ça précisément qu’il n’est pas utile d’y participer en amenant quoi que ce soit de l’animal ou de l’homme. On y participe en tant que carcasse, que création creuse. Invention ultime de la civilisation, centre brûlant de tout les efforts de société, la guerre est pourtant la négation de ce que l’humanité moderne prétend généralement défendre. Les droits humains, le respect, la construction d’un monde nouveau. Injustifiable sur le plan moral et éthique, même l’auto-défense passe pour suspecte auprès de qui a un semblant de conscience. Ce pourquoi on hurle généralement aux soldats de ne pas en avoir. On les presse pour qu’ils oublient. Il faut tuer l’homme dans le soldat si on espère le voir tuer. L’autre méthode consiste à camoufler la guerre. Les conflits asymétriques sont plein à craquer de ces méthodes. Mettre autant d’interface, de distance virtuelle ou physique que possible entre le soldat et l’être qu’il va être amener à détruire. L’Homme est une espèce constructive. Il faut briser l’homme si on souhaite lui demander de détruire.
Aliénation. La position de celui ou celle qui s’oublie soi-même, oublie ses priorités, oublie ses intérêts. Aliénation, position de celui ou celle qui intériorise ce qui le dégoûte et accepte de souffrir pour des intérêts qui ne l’auraient jamais intéressé si on ne l’avait pas déconstruit par la situation et l’apprentissage. L’ouvrier veut manger on l’exploite comme un esclave pour le propriétaire. Le soldat aussi veut quelque-chose. Défendre son pays ou sa maison, lutter pour la paix, dans certains pays financer ses études. Il oublie qu’il ne protège rien, ne défend rien, est juste là pour tuer, si besoin. C’est là encore un acte d’aliénation. Le soldat est parmi les prolétaires les plus oublieux de ses propres intérêts. Qu’est-ce, on se demande parfois ? N’y a-t-il pas une dose de volontaire ? L’armée moderne est souvent l’armée de métier. Celle des hommes et femmes qui acceptent de se sacrifier. Sacrifice sordide et injustifiable. C’est une création de la société, il n’y a rien de naturel ou d’élémentaire dans l’acte militaire, l’acte soldatesque. Tout ce qui est artificiel, sociétal, construit, peut-être analysé, critiqué, déconstruit. Le soldat moderne mérite qu’on s’arrête sur lui et qu’on le déconstruise. Sinon il est condamné à s’ennuyer sur le front, jusqu’au jour où il tuera. Traditionnellement, les kah-tanais parlaient de Gardes. Et ils connaissaient les notions de théorie, savaient comme d’autres que la guerre était l’infamie la plus obscène du monde moderne. Ils ne croient pas en rien, ce qui est rend naïf et permets de justifier leurs écarts de conduite : les révolutionnaires sont anti-guerre, les révolutionnaires sont pacifistes, pourtant la révolution est un combat, et la lutte des classes souvent armée. C’est le privilège de celui qui a un rêve d’oublier les faits. La Garde existe car le Kah sommeil encore. L’Armée du peuple est vue comme belle car on a tant expliqué le pourquoi de son être. Les détachés de la haute manne ne sont pas des soldats au sens où on l’entends traditionnellement ; L’Armée de l’Union est la réponse moderne à une question vieille comme le monde de la pensée libertaire. Si tout est révolution, comment l’Armée peut-être fonctionne en révolution. Il n’y a pourtant rien de plus rigide, de plus fermé, non ? C’est qu’on pense toujours aux armées du vieux monde. On croit que parce qu’il n’existe que des armées de pays autoritaire, il ne peut pas en exister d’autres. On a pensé la même chose, de façon stupide et insensée, des pays. Il n’y a que des monarchies féodales et des républiques bourgeoise. Point de place pour le peuple sur le banc des puissants. Et maintenant ? La Révolution n’a-t-elle pas essaimée tant de fils et filles ? Son armée aussi est une expérience. La critique des armées révolutionnaires se fait souvent sous la forme d’une attaque contre ses principes et leur efficacité. Les gens confondent hiérarchie et ordre. Ils pensent qu’il ne peut pas y avoir d’ordre sans hiérarchie parce qu’ils sont imbéciles, et éduqués en individualistes. L’individualiste et un être aliéné, sacrément aliéné, qui apprend à tenir son humanité à l’écart, comme les gens biens tiennent leur bestialité à l’écart. Il croit que tout est rapport de force et d’égoïsme, et qu’il n’existe au mieux que des regroupements forcés ou par la force ou par le besoin d’hommes et femmes. Ils ne croient pas, même quand ils le voient, aux forces humaines et altruistes. Aux regroupements d’idées et de volonté, au volontariat du travail commun. Ils ne conçoivent pas qu’une force armée puisse se faire sur les bases du volontariat réel. Ils méprisent les soldats, il faut le dire, du haut de leur position bourgeoise. Ils les méprisent car ils sont des prolétaires, mais qu’ils défendent leurs intérêts dans un acte de pure soumission. Et les méprisent tant que dans leur esprit étriqué, soldat et policier devient synonyme de tout ce qu’ils prennent de haut comme acquis. L’ordre, la sécurité de leur système et de leurs intérêts. Même quand elle prend le pouvoir, l’armée le fait souvent pour a classe supérieure. Ainsi personne là-bas ne comprend ces corps de volontaires, ces brigades et ces milices d’hommes et femmes qui acceptent de travailler à un même but, et ne questionnent pas leurs officiers, pas plus qu’ailleurs, s’ils ont appris à leur faire confiance. Ils ne peuvent pas comprendre ces armées dont le fonctionnement ne laisse pas de place à la corruption. Car la démocratie dissous la corruption, qui est en fait son antithèse. Personne ne comprend qu’on peut tuer, qu’on peut s’aliéner – c’est vrai – en toute connaissance de cause, qu’il existe des gens armés qui ne défendent pas leurs maîtres mais leur être, et que ces gens forment la garde. Ils ne comprennent pas la beauté d’un corps armé créé en quatre ans sur des théories utopiques. Ils disent, en imbéciles, « mais il faut des années pour former sans violence ! » comme si respecter les hommes les rendait plus incapables. Ils sont coincés dans une vision du monde d’imbéciles. Il faut des années, aussi, pour briser le soldat et l’envoyer se faire tuer. La formation militaire est une chose sérieuse et longue, qu’on s’y prenne en libertaire ou en enfoiré. Et la Garde s’y est toujours prise au mieux, constamment. Les hommes du kodeda sont issus de ce héritage à la foi si jeune et si vieux. Derniers nés d’une armée de la révolution, du armée qui EST la révolution. Ils se sont enterrés ici en connaissance de cause et préparent, minutieusement, la mission qui a justifié leur présence. De longs mois s’écoulent, invisibles sous la terre des montagnes centrales.
Les hommes y sont arrivés par la voie des airs, du sol, invisibles comme des ombres, au milieu du bordel et des tueries, de la bataille constante de leurs aînés de l’aviation légère, de leurs rivaux de l’armée listonienne, contre les pillards mandrakiens. Voleurs, assassins, pillards de tout ordre : il existe une presse pour en parler comme autre-chose que des animaux au service d’un tueur gras et imbécile. Elle est d’autant plus idiote qu’elle vise à toucher un peuple qui se fait quotidiennement assaillir par les créatures. Dites à cet homme qui a vu sa femme emportée, à cette femme qui a vu ses enfants déchirés, à ces enfants qui ont vu leur maison brûler, regardez-les dans les yeux et dites-leur, avec votre sourire hypocrite de grand bourgeois, que les tueurs sont des gens biens, qu’ils sont beaux et forts, et là pour aider. Cet homme, cette femme, ces enfants, ne vous cracheront pas au visage. Parce qu’ils savent que demain, s’ils le font, ce sera à leur tour de disparaître. La violence intimide, mais ne gagne pas les cœurs. Le travail, l’apprentissage, l’altruisme et la sécurité les gagnent. Et ceux-là sont kah-tanais. Dehors, la bataille éternelle fait rage autour d’un chantier qui n’en termine pas de promettre et d’exaucer. Combien de familles tirées de la misère ? Toutes. Combien d’enfants scolarisés ? Tout. Et des paies si hautes dans la région, employée en priorité à améliorer les conditions de ces villages, suivant les conseils avisés des amis kah-tanais qui s’exercent à empêcher les travailleurs de virer petits bourgeois. Ils gagnent honnêtement leur argent, qu’ils l’emploient honnêtement. Ils le font. C’est à travers ces terres acquises que les soldats se sont déployés. Le plus dur fut de faire passer le gros œuvres,mais dans une région à la fois passoire et marchande, c’est tout à fait réalisable. Combien de marchandises de contrebande, de mercenaires étrangers, de pièces de contrebande passent la frontière ? Combien de temps cela pourra-t-il continuer ? Et les hommes sont passés. Maintenant ils sont partout, comme des garnisons informelles et secrètes. On en trouve dans les villages, les petites villes, travaillant aux champs ou sur les chantiers, présent aux réunions politiques dans les caves de la grande ville. Les kah-tanais sont omniprésents. Ils parlent la langue, ne font pas de vague, pas un bruit. C’est l’armée des insoupçonnés. Pire, des inremarqués. L’armée de celles et ceux auxquels on ne peut rien reprocher même si l’on sait, à un degré ou un autre, ce que leur présence incarne, finira par incarner. La mort, mes amis, mais pas pour vous.
Ils ont ce qu’ils appellent la Fourmilière. Certains parlent aussi de ruche, car les deux mots ont quelques similarités en syncrelangue, mais c’est définitivement plus une fourmilière. Une base creusée à même la montagne, à la discrétion des ombres millénaires, réseau de tunnels anciens recyclés, réhabilités, personne ne s’y rend, il y a trop de galerie pour trouver celle ou la reine kah-tanaise a essaimée sa portée d’ouvrières. Elles sont toutes arrivées en même temps, pour former la communauté ultime des invisibles. L’enclave d’une armée qui attend, et s’ennuie. Lot de la guerre et de ceux qui y prennent part. Lot si utile que pour rien au monde on aurait eu pitié des déployés. Oui, il n’y a ici rien d’autre à faire que le long travail de la préparation, l’entraînement, l’entretien des armes, tout est bon pour occuper l’esprit pendant que les experts, les officiers du renseignement, contrôlent la situation et la ville. Le réseau invisible est omniprésent, suit à la trace toutes les actions de tout les individus. Cellule principale, centre nerveux d’une gigantesque initiative de délation et d’analyse. Des yeux partout, autant d’oreilles. Les taupes, les rapporteurs, les agents infiltrés et ceux qui ne savent même pas qu’ils sont agents. Ils forment les pseudopodes d’un être immatériel qui, pourtant, voit et entend tout. Kodada n’est pas sous écoute. Elle est infiltrée comme par certains de ces étranges parasites marins, s’infiltrant dans la carapace des crustacés et s’attachant leur système nerveux, ces créatures flasques et blanches, occupant tout l’espace de la carapace, doivent bien savoir ce qui se passe dans l’esprit rudimentaire des crabes. Hurlent-ils à l’aide jusqu’à leur mort d’épuisement ? L’expérience kah-tanais tend à prouver que non. L’expérience kah-tanaise tend à prouver que le crabe ne sait même pas ce qui lui arrive. Il continue d’avancer, suit sa vie normale. Un jour sa carapace explosera et sa chair sera libérée des contraintes que la nature lui a imposées. Le crabe deviendra autre-chose de plus beau, de meilleurs, le parasite, pour sa part, pliera bagages. C’est plus un symbiote, dans les faits. Et un symbiote extrêmement bien organisé. Malgré quelques changements d’officier aux postes clefs lors d’élections, la grande structure n’a pas changé. Une haute pyramide au sommet de laquelle se trouvent hommes et femmes issus des meilleures écoles d’officier de l’Union. Loin du petit chef traditionnel qui émergent de ce genre d’académie, ils incarnent al compassion et la ruse. On y retrouve plus du chef de bande, accepté car appréciable, doué et intelligent, que du jeune premier incapable d’empathie ou d’adaptation, catapulté à la tête d’une centaine de vieux barbus détestant la vie et tout ce qu’elle peut encore leur « chier dessus ».C’est ce que fait la vie des soldats, lorsqu’elle est dictée par les officiers. Eux aussi sont des bourgeois : ils font des ronds de jambe pour mieux déféquer sur vos intérêts. Pas ceux du Grand Kah, donc. Ils dirigent un corps d’élite qui sait ce qu’il a à faire et quand il doit le faire, mais n’attends que les instructions bienveillantes et celui ou celles dont ils ont plébiscités la position du fait de son efficacité. C’est que tout le monde est très anxieux. On a pas mis les mots sur la nature du Kodeda et de son indépendance à venir. On a pas mis les mots par peur de ce que laisserait éclater la transparence. Que verrait-on une fois débarrassé de la cloison du langage militaire ? La guerre et la terreur, immanquablement. Les gardes n’ont pas besoin de ça. Tout est trop important pour qu’on se laisse aller à définir des termes que l’on comprend implicitement. Déjà, il n’y a pas de rapport entre le détachement et les évènements qu’il allait provoque. Tout ça était de la faute de l’occupant Listonien. S’il devait y avoir une guerre, plus précisément, s’il devait y avoir une révolution armée, ce serait du seul fait que les conditions historiques et matérielles s’y prêtent. Sans entrer dans un discours de causalité, la Garde n’était-elle pas elle-même déployée en vertu d’accords et de décisions que l’on expliquait elles-mêmes que par la situation HISTORIQUE ? N’était-ce pas là tout le principe ? Il n’y avait aucune décision à l’œuvre, on suivait des courants de l’histoire, sans cesse plus violents à mesure que son cour s’escarpait et s’accélérait. Bientôt on arriverait à une cascade et les particules se disperseraient dans l’air. Brumisation de l’Histoire, il n’y aurait plus ni structure ni continuité, seulement la force brute de la chute. Application de la physique à la métaphore dialectique, bientôt l’heure sera trop sombre pour y penser. On se refuse pourtant à y penser. C’est un refus quasi-mystique, comme si les évènements cachaient des secrets de fabrication, quelque-chose de magique qu’il ne fallait pas comprendre sous peine de le perdre.
Mais ce n’est pas une raison pour ignorer, ne pas se préparer. C’est une suite d’évènements auxquels on ne peut rien faire. L’histoire ne s’arrêtera pas. Jamais. Jamais sous l’effet de ceux qui ne s’y préparent pas. Elle incarne la vitalité, cette force qui a justifié jusqu’aux premiers jours de la civilisation : tout est faim, tout est repas pour substanter cette faim. Il y a bien entendu le libéralisme, qui n’est que chiure d’oie et ne comprends pas la faim. Le libéralisme gave car il croit qu’on satisfait mieux en abusant du système et des hommes qu’en acceptant la faim. Il n’accepte pas la faim car la faim est la vie, et le libéralisme, pour sa part, l’idée de la mort. La mort est mise à mal par la révolution, qui elle aussi est la vie. Il faut la prendre en compte, savoir qu’elle approche. S’y préparer. Les gardes déployés s’y préparent. Grouillant dans les sous-sols propres et modernes de leur base souterraine, ils planifient l’avenir de la région par l’action coup de poing. Bientôt il ne restera plus d’opposants à la victoire de tout les travailleurs, car la fin de l’Histoire, si elle n’est ni proche ni possible pour l’heure, reste l’objectif que l’on cherche à accomplir. Peut-on accélérer l’histoire ? Le désir d’accélérer l’histoire n’est-il pas une conséquence de l’histoire même ? Lorsque l’on croit accélérer l’histoire n’est-ce pas son cours qui s’accélère, et nous qui y participons ? La poule, l’œuf. La révolution et le révolutionnaire. Travailleurs de tout les pays, etc. La guerre se prépare et on en a la certitude sans cesse renouvelée. Les évènements sont les augures de leurs successeurs et on lit dans leurs entrailles, sitôt qu’ils passent, ce que l’avenir réserve. La guerre, oui. Donc on attend et on s’ennuie, anxieux. Mais moins qu’au début Le rapport de force à changer et ce n’est plus une région étrangère que l’on traverse. Ce n’est plus un Kodeda sauvage, tout pétris de l’infâme oppression de tous par quelques-uns. C’est une terre mûre, qui tombera d’elle-même si on ne l’accompagne pas. Lorsqu’un fruit tombe, il essaime moins sûrement que lorsqu’on le plante. Laisser une plante mourir c’est un crime contre la vie. Le Grand Kah s’imagine jardinier.
La situation change. Il y a des oppresseurs qui font mine de collaborer mais qui ne préparent qu’une chose : la fin promise de leur histoire. Ils se regardent et se serrent la main. L’armée de la Listonie, les barons du Kodeda. Ils se haïssent. Ils se méprisent. Ils n’ont pas le choix de faire autrement. Ils sont si insignifiants, si faibles. Ils sont si comme ça, si typiques. Le premier éclat de violence incarnera la fin de leur Histoire. Ne le savons-nous pas ? N’est-ce pas très exactement ce dont il est question ? Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait qu’ils ne peuvent pas préparer un conflit réel pour le moment. Ils ont besoin de chaque homme pour tenir leur position, et ils en ont peu. La révolution du kodeda sera une guerre de quelques-uns pour le destin de tous. Les fusils sont jetés dans la rue comme autant d’occasions manquées. L’avenir sera rouge, camarade. Rouge sang, rouge révolution. Les soldats se regardent en chien de faïences avec les gardes du corps. Ils occupent l’aéroport ce qui leur assure la survie : tant qu’ils tiennent l’aéroport les alliés du prince ne pourront débarquer dans la région : on laissera le tenir encore et encore. Qu’ils tiennent, petits soldats, qu’ils tiennent c’est bon pour tout le monde. Et leur navire, seul au port. Une belle pièce d’intimidation, rappelant à tous où se trouve l’Empire et ce à quoi il pense. Les empires rêvent-ils ? Peut-être de soie et de dorures. D’empire propre de conquête glorieuse. Ils ne croient pas à la réalité de la colonisation car ils fantasment leur oppression. Ou bien, cruels en plus d’être sots, ils apprécient l’acte de la violence et se font plaisir à imaginer toute la destruction mortifère qu’enfante leur régime. C’est un grand bordel de sang et d’os brisés. Celui des esclaves, des familles soumises, des humains réduits en bête de somme. Il n’y a rien à dire de positif sur ces colonies. Le navire, silencieux dans le port, rêve et attend. Il fantasme des jours qui ne viendront pas, qui ne sont jamais venu.
Pendant un temps on avait peur de lui, et des cinq cent hommes qu’il transporte. On croyait qu’il représentait un risque. Il avait fallut de l’observation par les meilleurs, les tulpas, ces invisibles excentriques, moins humains qu’esprit voyou, pour comprendre qu’il n’en était rien. Le navire était un animal qui, loin d’être innocent, pouvait être vaincu comme dans un mythe, par l’usage d’une force suffisante. Inconnue des Listoniens, des batteries de missiles kah-tanaise attendaient leur heure. Il n’y aurait pas de guerre entre l’Empire et l’Union. Ni l’Empire ni l’Union ne le voulaient. Il n’y aurait pas de guerre entre l’Empire et l’Union, mais il pouvait y avoir du conflit. Les crimes devaient être stoppés. N’était-ce pas la position qui avait justifié la prise de la Mährenie ? N’était-ce pas en ce nom qu’on tuait, parfois, et sans attendre ? Alors oui, le vaisseau pourrait repartir. On n’avait aucun grief contre lui. Mais on pourrait le tuer. Si la bête insistait pour être monstrueuse, il faudrait l’abattre. On en avait les moyens, on attendait tous l’heure avec anxiété. Au sol c’était différent et il y avait plus prioritaire. On parlait assez peu du grand soir promis, dans la fourmilière où grouillaient les gardes. Ambitieux mais visionnaires, ceux-là voyaient ce que leur réservait l’avenir immédiat. Un autre éclatement des poudres, d’un genre tout à fait différent. Il fallait qu’un homme paie pour ses crimes, et ceux-là étaient nombreux. L’homme avait fait tuer, violer, piller et détruire. L’homme était un pur imbécile et allait le payer, car ce qu’il avait fait, ce qu’il avait commandité, il l’avait commandité sur des kah-tanais. De tout les crimes possibles, il n’y en avait qu’un seul que l’Union ne pardonnait pas : celui de tuer les siens. Les criminels n’étaient jamais chassés sans raison. L’interventionnisme avait toujours une cause. C’était la faute à l’État de droit. La justice n’autorisait pas de telles actions sans des preuves et du concret. Tyran, que cela vous serve de leçon ! Restez dans vos frontières, ne tuez pas le kah-tanais, ou ses frères viendront vous chercher. Ils viendront chercher le prince. Le plan était complexe sans être compliqué. Sans cesse remis à plus tard pour préserver l’équilibre des forces. Il était impossible de ne pas être admiratif devant son élégance et les moyens mis en place pour le réaliser. La victoire était non-seulement promise, mais presque déjà acquise. L’homme qui avait fait tuer des kah-tanais serait surpris non-pas d’être enlevé, on ne lui ferait pas l’honneur d’utiliser les termes du martyr ou de la victime, mais d’être, très ouvertement, amené devant les tribunaux avec l’accord de l’Empire et du peuple. Le peuple n’ignorait pas ses crimes, placardés partout en ville, les fermes et corps carbonisés brûlaient la rétine et s’imprimaient dans la conscience collective. Il n’y avait pas d’autre moyen d’apprécier ou comprendre l’oppression qu’en voyant la pure violence, la jubilation, de ses exécutants. Les soldats imbéciles dont on parlait plus tôt. Ils étaient là, aux ordres de la bourgeoisie éternelle et sophistique. Il était maintenant temps de comprendre où cela pouvait mener. Au cimetière, oui, et à la fin d’un règne puant et nécrophage. La machine de l’argent, le libéralisme, huile ses mécanismes au sang du travailleur. Le travailleur, maintenant, est protégé. Bon salaire, syndicat, une armée populaire aux portes du royaume, sous ses montagnes, belle bête que celle-là, attentive à l’avenir et à ce qu’il risque de donner dans les jours à venir. Et il ne faut pas avoir peur d’être précis : il risque de donner des morts, principalement des morts, qui engraisseront à leur tour un arbre fruitier. La terre sera un jardin. Combien d’os dans les racines du verger ? C’est peut-être là le principal crime de l’oppresseur. Bien qu’il ne s’en rende pas compte, il empêche le changement d’advenir sans violence. Parce que son régime est cannibale, il impose tous le goût de la viande, parce qu’il est mortifère, il crée un système où tout doit passer par là. La différence étant que le peuple, lui, ne manque pas d’empathie. Son armée tue sans le goût du sang. Des anthropophages ascétiques.
On s’y prépare. La tension dans l’air ne ment pas : l’heure de l’orage approche. Ce sera une explosion d’eau et de sang, de plomb et d’alliages rares. La mécanique de la guerre fait appel à la mécanique des éléments, inutile de nier leur lien, les anciens le savaient bien, et leurs mythes font notre culture. Tout est culture. L’interprétation même du monde est culture. Alors qu’on le veuille ou non, la guerre est météo, il pleuvra, bientôt, jusqu’à la dernière goutte de sang, damné comme innocent, et mourront les derniers jours d’une atmosphère sombre. C’est la guerre qui se prépare, sensible et palpable, l’air électrique pulse comme une artère. Il gonfle et s’opacifie, et les gens tremblent sans savoir pourquoi. Tout est secret. Des plans à leur résolution, mais on sent déjà un changement approcher. Ces femmes étrangères bâtissent un camp à l’est. Pourquoi ? Elles aussi viennent pour la guerre ?
C’est une question encore sans réponse. On promet d’y réfléchir, d’envoyer tulpas et ambassadeurs pour rencontrer celles-là. Et de quel droit ? Le Grand Kah n’est rien ici. Si. L’investisseur d’un projet de route. Alors c’est décidé ? Bonjour mesdames, que font vos fusils si près des nôtres ? Venez-vous tuer ou voir ? Êtes-vous des libérées ou des oppressées ? Venez-vous forger des chaînes ou briser celles des esclaves ? Franchement ce serait si simple si en dehors du problème de la discrétion il n’y avait celui de la timidité. Le Grand Kah est un pays, mais souvent, aussi, compris comme un être. Un être tendu, philosophe, sensible et taiseux, volubiles en proverbes. Ce n’est pas le Pharois qui ose parler à tous, ce n’est pas les EAU qui n’ont peur de rien. C’est un être de contradiction et d’inquiétudes. Plutôt attendre que risque de leur parler, alors ? Non. Il faut savoir. Kah est une roue, elle doit tourner, avancer. Ce qui se dresse sur son chemin peut être rampe ou obstacle. Il faut s’en informer à l’avance, pour forcer les évènements à évoluer comme on le souhaite. Les femmes dans le camp militaire seront contactées. Plus tôt qu’elles ne le pensent. Peut-être pensent-elles qu’elles ne le seront pas. On peut croire que personne n’est aussi naïf mais c’est vrai : certains agissent sans comprendre qu’il existe un monde physique au sein duquel toute action entraîne sinon une conséquence, au moins une réaction. Elles construisent ce camp et savent bien que cela apportera quelque-chose d’autre : un changement, peut-être. On viendra leur dire bonjour et l’avenir seul portera les promesses de ce que cela pourra signifier dans leur esprit. Mais elles doivent le savoir. Au moins à un degré animal, inconscient. La question étant dès-lors : pourquoi n’ont-elles pas communiquées avec nous ? Avec les Listoniens ? Oh, nous savons qu’elles ne leur ont pas parlé. Les tulpas sont partout et savent tout. Le capitaine, le petit chef dépêché par l’Empire, a vu les femmes, mais pas à ce propos. Sur un autre sujet. On a pas creusé, on en sait pas plus. On sait ce que l’on veut savoir et ça, on s’en moque. Alors pourquoi ? Pourquoi venir sans demander quoi que ce soit ? Sans revendiquer la nature de leur présence ? Jouent-elles la carte de la discrétion ? Elles sont si souvent silencieuses qu’on tend à oublier tout ce qu’elles ont à dire. Elles ne disent rien à dessein, c’est assuré. Ce qui en soi promet déjà la violence du futur. Elles sont ici chez personne et donc chez elles. C’est très inquiétant. On ne sait jamais ce que vont faire les gens, lorsqu’ils sont chez eux. La guerre ? Pourraient-elles réagir à la guerre ? Il ne saurait y avoir d’escalades. Pas avec elle. Après des heures et des jours de débats, on décide qu’elles sont des alliées. Oui, on ira leur parler.
Fort de ces multiples conclusions et de l’avenir que lui promettent ses plans, la fourmilière s’endort et rêve de sang.
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