Un regard plus léger sur l'Humanité
Longtemps mise de côté au profit de la praticité et de l'austérité, l'ouverture pharoise au reste du monde et la prospérité du Syndikaali semble sonner le retour de la flamboyance vestimentaire chez les aventuriers et pirates albiens.
Anthropologues et sociologues le savent depuis longtemps, les textes, articles et ouvrages traitant de ce sujet sont nombreux : la mode est souvent au miroir d’une société. Analyser les évolutions du style vestimentaire d’un peuple permet d’en comprendre partiellement les transformations culturels et enjeux politiques avec lesquels ce dernier est en prises. Révolution sexuelle, émancipation du corps ou au contraire retour au puritanisme ou au traditionalisme, désir de se rapprocher de la nature ou de s’en émanciper, la mode traduit les problématiques d’une époque dont elle est le reflet indirect.
A ce titre, le « style » pharois ne fait pas exception et si une retrospective historique des derniers siècles serait assurément trop longue pour ces pages, il n’est pas inintéressant de revenir sur l’évolution de l’habillement au Syndikaali au cours des deux-cent-cinquante dernières années.
Dans une région aussi hostile et froide que le nord de la péninsule d’Albi, les vêtements ont d’abord répondu à des besoins strictement utilitaires. Si cela n’exclue pas les parures et les ornements, l’explosion géographique de la société pharoise, divisée en petites propriétés isolées les unes des autres a longtemps diminué l’utilité sociale de la distinction. De manière assez évidente, s’il n’y a pas besoin de se montrer aux autres, le style vestimentaire a peu d’importance, tout comme les formes de démonstrations ostentatoire de richesse.
Cette analyse trouve toutefois sa limite en ce qui concerne les capitaines et marchands. Soumis à une forte concurrence les uns vis-à-vis des autres, la beauté extérieur des navires et des tenues joue un rôle fondamental afin de se démarquer de la concurrence. Le modèle économique traditionnel pharois étant une multitude de propriétés foncières plus ou moins éloignées les unes des autres, reliées par le passage fréquents de navires de commerce assurant le transport des marchandises par voie de mer, on confie plus naturellement le fruit de son travail à un capitaine arborant des signes extérieurs de bonne fortune. Il faut ajouter à cela la superstition très ancrée au sein du territoire Pharois, un marin aillant l'air d'un miséreux renvoie comme message qu'il pourrait apporter avec lui le mauvais œil.
Cette dichotomie ente deux sociétés, l’une marquée par la sobriété, l’autre par l’étalage de sa fortune, a longtemps joué un rôle social de séparation entre le peuple de la mer – historiquement économiquement et militairement dominant – et celui de la terre, plus méprisable.
Pendant l’âge d’or de la piraterie pharoise, au XVIIème siècle, les parures des capitaines jouèrent un rôle particulièrement significatif, étant signe de succès économique. C’est aussi l’âge d’or des tenues de style « cocoq », très chatoyantes, brodées de fils d’or et d’argents, souvent ornées de pierres précieuses et de tissus d’importation étrangère, ou issus de rapines. Les capitaines et marins privilégient alors l’esthétique à la praticité, être entravé dans ses mouvements par une tenue complexe et onéreuse renvoie le message que l’on ne craint pas les mutineries et que l’on commande suffisamment d’hommes pour ne pas avoir à se battre seul.
Flamboyantes jusqu'à l'absurde, les tenues n'ont vocation qu'à souligner l'aura de celui ou celle qui les porte. La peur ou l'étonnement qu'elles suscitent sont un facteur important au moment de la chasse d'un navire, l'équipage de ce-dernier préférant souvent se rendre plutôt que d'affronter des Pharois à l’aspect terrorisant.
Le style cocoq sera abandonné dès le début du XIXème siècle avec la montée en tension de la société albienne et les crises mettant à mal le pouvoir de la Couronne. L’ensemble de la péninsule entreprend de se militariser et les formations stratégiques en combat naval à plusieurs navires prennent le pas sur le romantisme individualiste des pirates. On privilégie dès lors l’efficacité en prévision d’un conflit de grande ampleur qui se déclare en 1829 avec la révolution albienne. Les marins préfèrent alors des tenues plus sobres, permettant de repérer rapidement le grade hiérarchique de la personne afin de faciliter la circulation des ordres et les manœuvres, y compris lorsque les instructions se prennent grâce à des longues-vues.
Un capitaine fiable est un capitaine austère, qui privilégie les actes et les succès sur le terrain plutôt que l’esbrouffe. La place importante prise par les idéologies socialistes et ouvriéristes infuse la sobriété de la terre vers la mer. Le peuple travailleur ne désir pas suivre au combat des flambeurs mais privilégient l’organisation collective et la démocratisation des organes décisionnaires.
Si les pirates n’ont pas disparu, le charme aventurier se voit progressivement remplacé par des questions plus prosaïques d’efficacité et d’égalité. Il devient alors mal vu de chercher à trop se démarquer ce qui, sauf à quelques exceptions, pousse les Pharois à harmoniser leurs tenues. Les fourrures, la laine et le tissu épais, capable de tenir chaud dans les mers du nord viennent remplacer les soieries et la dentelle. On parle alors « d’austérité martiale » dont l’influence se ressent tout au long de la République Pharoise.
Dépourvu de fioritures, c'est la couleur du bonnet qui indique le grade de militaire de celui qui le porte. Ici un officier républicain.
C’est l’avènement du Syndikaali au cour de la deuxième moitié du XIXème siècle, qui verra le retour de la flamboyance avec la mise en avant des idées libertaires, anarchistes et individualistes. Indépendant de la Couronne et inspiré par le vitalisme révolutionnaire qui infuse depuis la Commune d’Albigärk, le pays se rend à l’évidence qu’il ne peut compter sur ses seules ressources terrestres pour prospérer. Le commerce du Détroit mais surtout la piraterie et la contrebande retrouvent leurs lettres de noblesse en venant irriguer de richesses exotiques le territoire pharois.
Reprenant certains des codes cocoq, c’est le dandysme qui fait son apparition, prenant à contre-pied l’austérité martiale en vogue depuis plusieurs décennies. L’échec de la République Pharoise et de ses ambitions égalitaires fait ressurgir le désir de se démarquer et se développe un véritable élitisme vestimentaire distinguant « ceux qui prospèrent » de « ceux qui restent à terre ». Les froufrous et la dentelle du cocoq ne reviennent toutefois pas à la mode, les pirates préférant les coupes cintrées, souvent androgynes, allant de paire avec un éloge de l’agilité et de la sveltesse. Le corps idéal pharois est celui du gymnaste, capable de sauter d’un pont à l’autre et de grimper dans les voiles ce qui convient aux tenues serrées et moulantes, mettant en valeur les muscles sans risques de s’accrocher aux cordages.
Avant tout autre chose, le style se doit d’épouser le mouvement et cherche à jumeler la force masculine et l'agilité féminine dans une tendance de tenues androgynes.
Il est intéressant de constater qu’a contrario, une contre-culture se développe dans les centres urbains en pleine expansion avec la révolution industrielle. Ces-derniers restant néanmoins isolés les uns des autres, les styles sont localisés. On s’habille ainsi « à la mode d’Helmi », « à la mode de Kanavaportti » ou « à la mode de Pharot ». Ces styles ont toutefois comme point commun de marcher dans les pas d’Albigärk, parangon de la culture pharoise sur la terre et qui impulse les canons du bon goût dans le reste du Syndikaali.
Les styles dits « terrestres » se démarquent donc des styles « de la mer » dans une volonté d’affirmer la valeur du travail collectif au sein des corporatives et des phalanstères ouvriers. Moins chauds et imperméables que les tenues destinées aux marins, les vêtements terrestres dévoilent plus naturellement la peau au niveau des bras et des jambes, dans un contexte de révolution sexuelle précoce. L’accès aux richesse d’une grande partie des pharois grâce à la mutualisation des profits de l’industrie va avec une émancipation sociale grandissante et des revendications culturelles progressistes. Le libertinage, encore aujourd’hui associé au monde de la mer, trouve ses adeptes dans les grands centres urbains qui développent des quartiers portuaires pour accueillir les besoins de ces nouvelles mœurs.
Utilisant des matières moins nobles, moins couteuses à laver mais également capable de supporter les températures de l'industrie lourde, les styles terrestres cherchent autant à être pratiques au quotidien qu'à magnifier le corps au travail.
C’est également une accélération de la mise en valeur des femmes comme rouage fondamental de l’économie. Alors même que toute la société tend progressivement à se détacher des mœurs conservatrices, reliquats du christianisme albien, au profit d’une sexualité plus libre et émancipée, le corps féminin se désexualise à mesure qu’il se dévoile, se révélant prioritairement comme un outil de travail. En fait, c’est la sexualisation masculine qui nivelle les tabous autour du corps féminin, ramenant les deux genres sur un terrain assez horizontal, chacun pouvant au même titre que l’autre devenir objet de désir. Si la révolution féministe est encore loin, la démocratisation des expériences bisexuelles transforment le regard masculin – et également celui des créateurs de mode – débarrassant les femmes du poids de leur érotisation, qu’il convenait jusque là d’exacerber ou au contraire de masquer.
La mise en valeur de la peau va de paire avec la résurgence du tatouage, pratique religieuse longtemps associée à l’Église Abyssale qui revient à la mode comme parure esthétique.
Cette « belle époque » reçoit finalement un coup d’arrêt avec la prise d’Albigärk, véritable moteur culturel du Syndikaali qui se trouve amputé de son cœur révolutionnaire. La société est sous le choc et prend conscience de sa vulnérabilité. Un mouvement contre culturel réactionnaire se diffuse alors. De nombreux Pharois prônent un retour à des modes de vie plus traditionnels et la sobriété des tenues allant avec. C’est le début de la « mode grise » qui renoue avec le besoin d’efficacité et d’ordre de la population pharoise. C’est également le début de la Nouvelle Doctrine, un vaste plan stratégique et militaire d’aménagement du territoire visant à renforcer les positions du Syndikaali dans la région. Très rapidement, les excès vestimentaires sont mal vus, considérés comme un gâchis de ressources qui auraient pu être dédiées à la collectivité.
A l’image des grands travaux d’aménagements urbains qui valorisent les installations de style brutaliste et rationalistes en béton, la mode pharoise est aux couleurs ternes et naturelles, ne nécessitant pas de colorants et moins d’entretien. Les vêtements chauds et durables sont valorisés. Ce n’est pourtant pas la fin de la créativité stylistique, au contraire. Les couturiers du Syndikaali, largement encouragés par le gouvernement qui souhaite développer des pôles culturels pharois indépendants d’Albigärk, déploient rapidement des trésors d’intelligence pour répondre aux nouveaux enjeux du pays. Les tenues privilégient alors la praticité, poussée jusqu’au rang d’art. Un même manteau peut se déconstruire aisément afin de retirer des manches, des couches et de la fourrure, de sorte qu’il se suffit à lui-même quelle que soit la saison. On orne les habits avec des motifs en poches et les accessoires de type bandoulière deviennent très prisés. L’objectif est de faire de la tenue pharoise un modèle d’efficacité sans rien sacrifier à la diversité des formes et des patrons. On cherche également à permettre plusieurs tenues en une, en retournant les tissus ou en mixant différents éléments les uns aux autres afin d’offrir de la diversité vestimentaires en utilisant le moins d’étoffes possibles.
Cette créativité connaîtra un très grand succès, renouvelé par des timides tentatives d’apporter de la couleur et des ornements à mesure que la Nouvelle Doctrine offrait ses premiers succès économiques et politiques.
Austère mais adaptée à la dureté du grand nord et de la navigation, la mode grise cherche à accompagner le corps du travailleur pour lui permettre une meilleur motricité dans l'effort et privilégie l’ergonomie de la tenue et l'utilité des accessoires à leur aspect esthétique. Cela n'empêche pas aux stylistes d'accorder un certain soin à l'harmonie de l'ensemble.
C’est toutefois l’ouverture du Syndikaali à la mondialisation, au début des années 2000, qui marque un nouveau tournant majeur pour la mode pharoise. Dopé par une croissance fulgurante grâce à l’accentuation des échanges dans le Détroit et une politique économique volontariste à l’étranger, les Pharois reprennent progressivement confiance dans le potentiel de leur nation. La Nouvelle Doctrine, qui a confirmé son efficacité, s’autorise désormais quelques débordements grâce aux renouveau des aventuriers Pharois partant à la conquête des mers. Le phénomène de piraterie et de contrebande s’accentue significativement, d’abord en mers du nord, puis dans le reste du monde, apportant dans la foulée son lot de figures charismatiques et de nouveaux riches aux caractères flambeurs. Un exemple caractéristique de ce phénomène étant certainement la démocratisation des animaux familiers exotiques tels que les perroquets et oiseaux chanteurs ramenés du Paltoterra à l’occasion d’expéditions pirates dans la régions.
Il faudra toutefois attendre le conflit pharo-listonien et l’indépendance d’Albigärk pour que cette tendance se concrétise radicalement. L’euphorie de la victoire, la relance du dynamisme culturel albien mais surtout l’influence des meurs aristocratiques listoniennes sont autant d’ingrédients favorisant le retour du style élitaire de la piraterie pharoise.
La culture de Listonie, quoiqu’elle n’ait pas eu le temps de complétement infuser en cinquante ans de colonisation d’Albigärk qui possédait déjà une culture locale très forte, a de quoi entrer en résonance avec le désir de distinction et d’émancipation par le vêtement resté en germe au sein de la société pharoise tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle.
Habituée à l’autarcie culturelle depuis la chute de la Couronne d’Albi, s’il a pu être flamboyant le style Pharois n’en restait pas moins modeste, n’ayant jamais cherché à s’imposer hors des frontières culturelles de la péninsule. Une grande part de la culture du pays repose en effet sur son particularisme ce qui la vaccine contre toute volonté d’impérialisme culturel, de sorte que la confrontation avec des mœurs étrangères est un phénomène rare au cours de l’histoire de la région.
L’ouverture « forcée » aux Listoniens a donc eut l’effet d’un électrochoc pour les isolationnistes du Syndikaali, provoquant aussi bien un sentiment de rejet pour les plus xénophobes, que de stimulation esthétique.
A gauche, aristocrate Listonien. A droite, pirate Pharois. Influence, singerie ou hybridation, l'aristocratie impériale déringardise le désir de distinction au sein de la société pharoise.
Il n’en fallait pas plus aux aventuriers Pharois pour décider de remettre au goût du jour leur tentation élitaire. La société listonienne étant marquée par la séparation entre la noblesse et les roturiers, les pirates du Syndikaali en ont repris les codes, initialement dans un soucis de paraitre respectables aux yeux d’une population habituée aux marques de prestige par le vêtement. La mode s’est ensuite répandue comme une traînée de poudre, entraînant dans son sillage un retour en fanfare de l’excentricité, d’autant plus flamboyant que les technologies modernes dans le domaine du textile et de la navigation font que les marins sont moins à la merci du climat et des éléments. Il devient plus aisé d’assumer des tenues vaporeuses ou légères lorsqu’on dispose d’une cabine chauffée.
Quoique la suprématie des capitaines soit aujourd’hui de l’histoire ancienne, à l’époque des armées de métier et des complexes militaro-industriels modernes, le souvenir de la distinction par le vêtement est encore vivace et tend à polariser le style des Pharois en deux.
D’un côté, un grand soucis de réalisation et d’individualisation de soi par sa tenue, celle-ci devenant un moyen d’expression de la personnalité et du vécu de la personne qui l’arbore. Bien que minoritaire, ce style qualifié d’aristo-individualisme trouve son succès au sein des milieux anarchistes et pirates, plus généralement libertaires, valorisant la diversité du genre humain et l’excentricité comme moteur et stimulation de l’intelligence et de l’imagination.
Soit, dans un mouvement contre culturel, la praticité et l’austérité restent le mot d’ordre, ces caractéristiques étant valorisées par une grande partie de la population héritière de la mode « grise » de la Nouvelle Doctrine. Une période chère aux Pharois, qui reste fondamentale dans leur imaginaire historique, un demi-siècle charnière entre humiliation militaire et rebond économique ayant fait du pays la deuxième puissance mondiale à l’aube du XXIème siècle.
Entre austérité et flamboyance, comme souvent, plusieurs Pharois se font face et cohabitent.
Aujourd’hui, la mode pharoise semble entrer progressivement dans un nouveau cycle, certainement influencée par les vagues migratoires qui touchent le Syndikaali et l’ouverture à la mondialisation et aux médias étrangers. La manière dont évoluera le style vestimentaire du pays reste donc un mystère, héritier de traditions encore vivaces et ouvert aux inspirations du monde extérieur, les prochaines années s’annoncent sans aucun doute d’une grande fertilité pour le monde de l’esthétique.