LISTONIE : l'Empire à genoux, Jadida se soulève
Quel avenir pour la région ?
Suite aux récents soulèvements dans l'ensemble des colonies listoniennes, le peuple tasmate se lève à son tour contre l'occupant. Ici une marche dans Jadid, capitale provinciale."Liberté !", "Sus aux tirans !", "Arrêtons le massacre diplomatique" ou encore "Laissez-nous en paix". Voilà ce que l'on peut lire sur les centaines de pancartes brandies avec fermeté par les manifestants depuis maintenant une petite semaine. Bien qu'il soit difficile de les compter, on peut assurément affirmer qu'il s'agit d'une des plus grandes manifestations comptées à ce jour à Jadida. Agriculteurs traditionnalistes, artisans en manque de matières premières, pêcheurs victimes de la nouvelle implantation pharoise ou encore chefs d'entreprise ayant perdu leur maigre clientèle étrangère, tous exigent des réponses rapides et efficaces de la part du gouvernement. Réouverture aux marchés extérieures, rupture du soi-disant Pacte de Fraternité et augmentation de l'autonomie locale sont parmi les sujets posés sur la table. "Nous n'en pouvons plus. Cela fait des mois que les prix augmentent, j'ai quatre enfants à la maison. L'entreprise où je travaillais a dû faire des coupes dans son personnel, et me voilà toujours à la recherche d'un emploi." nous explique une manifestante, arrêtant un instant de brandir sa banderolle "Toujours tout pour Listonia, et nous ?". Un sentiment de ras-le-bol partagé avec Assim, fabricant de meubles traditionnels : "La politique étrangère de la Listonie n'a que trop duré. A cause d'elle, je n'ai plus personne à qui vendre, les gens ont peur et font des économies. Que vais-je devenir ?". Propriétaire de l'affaire familiale, cet artisan de 40 ans craint qu'il doive se reconvertir, quitte à faire outrage à l'héritage familial pourtant si important au sein de cette communauté. "Que vont-ils penser de moi à la maison ? Sans cette production, je ne peux pas nourrir ma famille...C'est ce que nous ont donné nos ancêtres, nous devons perpétuer cette tradition !" Assim n'est pas le seul dans ce cas. En réalité, l'ensemble de la société traditionnelle tasmate se trouve désormais en danger, après des siècles de survivance sous le joug des colons listoniens. Les pêcheurs craignent désormais la concurrence pharoise qui ne tardera pas à venir, les artisans ne trouvent plus d'acquéreurs mais ne peuvent pas se tourner vers e marché extérieur faute de moyens et de politique étrangère stable. Les agriculteurs quant à eux peuvent encore subvenir à leurs besoins mais se joignent ardemment aux protestations, du moins lors de leurs descentes en ville. Toutes les strates de la société tasmate, épuisées, tonnent de nouveau contre la métropole, accusée d'exploiter les locaux. "Regardez !" nous interpelle un manifestant, pêcheur depuis son adolescence. "Tout cela, ce sont des villas listoniennes. Ils appellent ça le style colonial. C'est révulsant, comment peut-on faire de l'art sur quelque-chose qui vise à soumettre un peuple ?" De part et d'autre de la chaussée se trouvent en effet des immeubles dans le plus pur style eurysien, vraisemblablement d'anciennes maisons de marchands venus s'installer lors de la colonisation. "En attendant, nous n'avons rien eu de plus. Le port s'est agrandi, mais ce n'est pas pour nous : l'eau est devenue polluée et je ne trouve plus de poissons." Que souhaitez-vous donc, demande alors notre correspondante sur place : "Hier nous aurions dit une politique d'apaisement, plus d'autonomie ou quelque-chose comme ça" débute une Sallim, étudiante listonienne ralliée à la cause. "Maintenant, nous ne voyons d'autre solution que de se tourner vers nos véritables voisins. La couronne n'a fait que démontrer sa totale incompétence depuis maintenant plus d'un an." "S'ils nous vendent contre des hélicoptères, c'est nous qui allons partir, et ça va pas leur plaire !" marmone une mère listonienne, vivant depuis maintenant 20 ans à Jadida, sa ville de coeur. "Quand je suis partie pour Jadida, j'étais rempli de confiance envers le gouvernement. On m'avait proposé un emploi à Jadida dans une entreprise d'import-export. Ici comme dans le reste de l'outremer, ce genre de commerces sont très importants. Je croyais naïvement que l'état reconnaissait tous ses citoyens comme égaux, du moins les Listoniens de souche. Il s'avère que non, et pas qu'un peu. A Jadida, les procédures administratives durent des mois et les administrations vous donnent des consignes contradictoires, selon l'humeur du régime. Un jour on peut travailler, l'autre non. On m'a même demandé ma carte d'identité pour certifier que j'étais listonienne. Si je ne l'avais pas eu sur moi, on m'aurait sûrement renvoyé pour suspicion. Toute cette paranoïa est absurde."
Une demeure bourgeoise listonienne de style colonial dans les Novos Bairros, ou Nouveaux Quartiers en listonien, aujourd'hui occupée par les instances locales. Ces quartiers ont été bâtis au détriment de la population locale à la fin du XIXème siècle. Construites au frais de nombreuses vies sur d'anciennes terres agricoles, elles symbolisent l'oppression étrangère pour les Tasmates, le peuple indigène de cette partie de l'île.Ces protestations ne datent pas d'hier : la fermeture de l'économie listonienne avait soulevé nombre de petits entrepreneurs, un désastre économique et social que la lumière médiatique n'avait que peu montré au grand public. Mais aujourd'hui, les récentes -et violentes- secousses que subit le Trône de Listonie au sein de l'ensemble de ses colonies ont capté l'attention des médias à travers le monde : Port Hafen, Macao...Tous comptent un jeune mais menaçant -du moins pour la capitale listonienne- mouvement indépendantiste qui gagne semaine après semaine en ampleur. Une dynamique qui ne semble pas pouvoir s'arrêter, étant donné le mutisme complet de Listonia et de sa tristement célèbre porte-parole Daniel Alva Silva en charge des Affaires Etrangères. Le reste du gouvernement impérial reste également sans réponse, alors les habitants se mobilisent. Des affiches écrites en langue locale sont placardées dans les rues, des cadres du nouveau mouvement Asli Jadida -
la véritable Jadida, Jadida signifiant originellement renouveau- font passer les informations dans les endroits reculés de la province et les manifestants les plus connectés se coordonnent avec leurs homologues d'outremer afin d'impacter plus fortement encore le pouvoir central. Souvent listoniens ou bourgeois tasmates, ces derniers se font ainsi accepter par un soulèvement majoritairement ethnique. "Les protestations contre le colonisateur datent maintenant de plus d'un siècle" relate Shaïn Salbia, maître-conférencier en Histoire à l'Institut d'Histoire et d'Ethnologie d'Al Kara. Tasmate d'origine, il est parti de son pays natal pour venir étudier au Banairah où il a bénéficié d'une bourse étudiante. Désormais passé maître en son domaine, il observe les événements actuels avec grand intérêt mais également inquiétude. "L'empire listonien a eu depuis fort longtemps une politique colonisatrice, mais son attitude vis-à-vis des peuples soumis a été fort contrastée selon les périodes comme les régions. Des colonies comme Jadis ont été permises par l'expulsion des natifs par exemple. Les colonies australes n'ont quant à elles eu peu de problème à s'imposer sans violence. Il n'en est rien de Jadida, qui a été capturée à la suite d'une guerre de succession au trône du royaume local alors en place. L'ensemble de l'île est alors en proie à de violents affrontements, dont certains causés par l'ingérence listonienne afin de faciliter leur implantation. Profitant de leur armée technologiquement supérieure, les généraux listoniens n'ont que peu de mal pour s'imposer, mais font face à de graves problèmes d'approvisionnement. La production locale tient difficilement la route pour nourrir à la fois l'armée sur place et les populations locales. Ces dernières sont alors spoliées de leurs récoltes et forcées à travailler. Ne pouvant pas s'approvisionner auprès des puissances locales qui n'ont pas la production suffisante pour exporter ou même l'intérêt d'appuyer indirectement les actions bellicistes d'une puissance colonisatrice désormais à leurs portes, l'armée ne peut qu'attendre les approvisionnements venant des colonies voisines et étendre les exploitations agricoles sur la côte, quitte à y sacrifier une population épuisée et en proie à la disette. Débute alors une longue histoire d'exploitation des Tasmates, histoire qui finit par s'améliorer grâce à la stabilisation de la région. Néanmoins, les souvenirs restent de part et d'autre, et les discriminations ne sont pas rares : emplois, accès aux urgences, etc. L'ère contemporaine a réussi à libérer un peu ce peuple grâce aux puissances extérieures ayant gagné en puissance et désormais à même de concurrencer l'empire, mais la politique listonienne d'enfermement a cristallisé de nombreuses tensions."
Mais alors, quels liens entretient donc cette région si unique et pourtant si dépréciée par la couronne ? L'historien et sociologue listonien Diego Iasmano explique : "Al-Jadida a depuis le XVème siècle de très bons rapports avec le Banairah. C'est à cette époque que ce dernier se relève de la guerre contre l'envahisseur turco-mongol. Liés par une histoire commune, l'Emirat de Tasmatie Occidentale et la toute nouvelle République Directe du Banairah -
rappelons à nos lecteurs que le Banairah change à cette époque de fonctionnement et acquiert sa forme que l'on connaît, à quelques différences près, aujourd'hui- se rapprochent diplomatiquement. Alors en conflit avec le Reinaume de Destane, l'Emirat sollicite l'aide du Banairah alors plus à même de percer les défenses de l'île grâce à son avance technologique supérieure. En 1460, la Reine signe le traité de paix faisant de l'île désormais appelé Destanh un territoire souverain du Banairah. Loin de vouloir s'imposer en maître malgré son intérêt évident pour de nouvelles terres fertiles et stratégiques, le tout premier Khasser offre une autonomie partielle à l'île et montre ses bonnes intentions pour les peuples locaux. L'objectif est évidemment d'apaiser pour mieux régner, mais la guerre étant à l'origine contre le gouvernement en place, la stratégie rencontre le succès. L'Emirat est quant à lui satisfait de se voir débarrassé d'un ennemi menaçant et se voit offert des réparations de guerre raisonnables. Les siècles suivants seront structurés par les échanges commerciaux intenses entre l'Emirat, ses voisins immédiats, le Banairah et Fortuna qui possède alors la partie sud de l'île de Destanh suite à une succession. Des ressortissants banairais s'installent alors dans la région, et ce surtout au sein de l'Emirat afin de monter leur affaire au contact d'une juteuse route commerciale. Malheureusement, la Tasmatie Occidentale, que les Banairais ont par ailleurs nommé Alay Al-Jadida -le Nouvel Elan-, nom qui sera contracté en Elan Al-Jadida, a été victime de son succès. L'Empire de Listonie sent que la région est une manne financière et voit d'un mauvais oeil Fortuna qui s'en accapare une grande proportion. L'Empereur finit donc par ordonner la mise en place de comptoirs dans la région afin de concurrencer son rival. Le Banairah à cette époque est dépassé par la flotte impériale et ne peut qu'assister à la chute de l'Emirat au suite d'une guerre de succession contrôlée par les services secrets de la couronne. Mais les liens restent puissants et rentrent dans l'imaginaire collectif. L'opposition ferme du Banairah à la politique mortifère de l'Empire et l'application de sa politique souverainiste trouvent un auditoire très large au sein de la population tasmate, et cela n'a jamais été aussi vrai."
Carte de l'Archipel Ocre, ou Archipel d'Oshrey, et frontières de la province listonienne de "Jadidos" (nom listonien), ou Elan/Alay Al-Jadida. Source : Atlas Mondial 2006, éditions Savoirs. Correction carteIl s'agit de la mer des Bohrins et non la Leucitalée, mes excuses ! Reste donc à savoir quelle sera la réponse d'Abunaj face à la montée du séparatisme tasmate : reconnaissance d'un régime indépendant et envoi de matériel, ou simple soutien moral ? Certains pensent plutôt à un soutien moins visible via l'utilisation de réseaux parallèles, mais personne ne pourra vérifier la véracité de cette hypothèse, sinon l'Ambē. "Cela me paraît encore bien disproportionné, surtout pour un régime aussi pacifique que la République Directe" nous confiait Mr.Iasmano. "Ce qui est sûr, c'est que la population locale sera majoritairement en faveur d'une aide étrangère, et encore plus banairaise. Le Banairah est le seul pays de la région à la fois assez puissant et culturellement proche pour apporter une aide bienvenue à la province. L'opinion des Listoniens de souche est plus dubitative, certains se préoccupant des intentions d'un tel pays qui peut, malgré leur durée de séjour à Al-Jadida, leur sembler assez étranger." Cette inquiétude reste en toute probabilité peu fondée. En effet, l'intérêt premier du Banairah est de garantir la stabilité de ses voies commerciales importantes pour son économie, et de protéger sa région d'une influence étrangère incontrôlée dont fait partie celle de la couronne listonienne. Si les représentants du Banairah sont restés cordiaux avec le premier ministre listonien, ceux-ci ont fait savoir leur désaprobation de la politique listonienne auprès des médias nationaux, un ensemble de décisions qui n'a eu que peu d'importance simplement grâce au poids plume de la Listonie au sein de la mer des Bohrins. Il faut avouer que la situation a plu en partie aux acteurs économiques banairais : la Listonie en sabotant sa propre économie sous le coup de mesures paranoïaques a redirigé l'ensemble des capitaux vers les ports banairais bien plus compétitifs.
Les coordinateurs de la manifestation à Jadida que nous avons rencontré sur place nous ont informé qu'ils continueront à manifester jusqu'à obtenir une réponse des instances impériales. Certains groupes sont déjà depuis quelque temps devant le palais du gouverneur où la tension est palpable : les habitants d'outremer l'ont bien compris, leur avenir ne se trouve pas auprès des Listoniens, mais bien avec celui de leurs partenaires historiques...