Quelle forme pour les protectorats pharois en Listonie ?
Il s’agit très certainement de la plus grande zone d’ombre du contrat signé entre l’Empire Listonien et le Pharois Syndikaali : sobrement résumé par « à la discrétion de », les infrastructures, installations et investissements dont feront l’objet ces deux petits kilomètres carrés de territoire – à peine la taille d’un pâté de maison – sont encore inconnus.
Un mois s’est écoulé depuis la signature du décret et les territoires ultra-marins de Listonie n’ont pour l’heure reçus la visite que d’une poignée d’administrateurs, architectes et géographes pharo-listoniens venus effectuer des relevés et tracer – virtuellement – les frontières des protectorats. Une présence étrangère très discrète donc, mais amenée à se concrétiser dans les prochains jours puisque le gouvernement pharois vient officiellement d’autoriser la seconde étape du projet « chemin noir ».
Chargé de superviser en personne sa mise en place, le Capitaine Ilmarinen, directeur des services de la C.A.R.P.E. a distribué ses instructions, officielles et officieuses. Les ordres sont clairs : le chemin noir ne doit pas être invasif. Dans l’idéal, il devra même se faire oublier sinon des locaux, au moins des Etats voisins. Dans son dernier rapport, le directeur des services secrets assume :
« Nous n’avons aucune prétention à établir un réseau commercial à travers le monde, réseau que nous ne pourrions de toute façon pas rentabiliser en cinq ans. La manne économique pharoise à l’international repose déjà sur ses diasporas et son contrôle de la région d’Eurysie Septentrionale, il serait absurde de chercher à concurrencer des empires économiques aux implantations locales déjà établies, et ce parfois depuis des siècles. Dans cette course, nous sommes un géant aux pieds d’argile. »
A quoi servira donc ce chemin noir, si ce n’est un réseau de comptoirs commerciaux pour la marine marchande ? Officiellement, le Syndikaali reste vague, le Capitaine Ministre Nooa, chef de la culture et des arts, s’est fendu d’un communiqué « à destination de nos nouveaux voisins » ainsi que « des communautés listoniennes ultra-marines que nous nous faisons une joie de rencontrer ». Celui-ci, marqué par les bons sentiments, n’en reste pas moins rempli d’ambiguïtés :
« La Geste pharoise fut toujours faite d'aventures et d'explorations, d'aller à la rencontre des mers et de leurs habitants. Toute notre énergie, tout notre travail, nous le dédions à repousser les frontières gelées de notre océan lointain, à nous ouvrir sur l’inconnu, l’exotique, sur l’autre et ses richesses. Ces comptoirs qui concrétisent notre présence à travers le monde doivent être vus comme autant d’ambassades, autant de pavillons de la culture du Syndikaali, autant de portes ouvertes, de fenêtres crevant le brouillard, dissipant la brume anthropologique qui par éloignement et par bêtise rend les hommes étrangers à eux-mêmes, car étrangers à leurs frères. »
Un discours aux airs de déclaration d’intentions, en somme et dont les annonces concrètes énoncées à la fin peinent à équilibrer le lyrisme des premiers paragraphes.
« Plutôt que de comptoirs, parlons de havres. Ces enclaves pharoises se veulent un refuge, un lieu de paix pour le travailleur de la mer. Le Syndikaali ne produit guère, son industrie s’est depuis longtemps spécialisée autour de la pêche, de la construction et de la réparation des navires, et des services offerts à ceux qui les conduisent. Ces territoires, modestes par leurs tailles, viennent non pas en concurrence mais en complément de ce qui se trouve déjà sur place. Le Syndikaali a tout à offrir et rien à prendre, s’il se trouve un seul laissé pour compte dans ce partenariat, qu’il m’écrive donc, j’irai personnellement à sa rencontre écouter ses doléances et ne sortirai qu’une fois la solution trouvée ! »
Bravade caractéristique du Capitaine Nooa, élu du Parti Pirate et dont la formation politique a personnellement poussé et voté à l’unanimité le projet Chemin Noir porté à l’origine par le Capitaine Mainio. L’alliance libérale-libertaire qui a réussi à faire passer cette décision aux deux assemblées grâce à l’union de leurs voix.
Dans la pratique, les déclarations du Capitaine Nooa se sont traduite par l’ouverture de marchés publiques dans ces régions afin d’y installer « des structures industriels de chantiers navals adaptés aux besoins des locaux » sous-entendu à la densité de population de chaque colonie, ainsi que la délivrance de permis de construire pour le secteur des services : bars, commerces de bouche, lieux de détente. Les territoires les plus peuplés pourront pour certains bénéficiers d’investissements plus ambitieux tels des casinos ou des maisons de passe.
Une façade qui – si elle peut choquer la morale – a été pensée afin de ne pas capter les forces vives économiques régionales mais d’offrir un hub apolitique et d’une grande permissivité pour les marins et voyageurs en transit dans ces eaux, loin des conflits et des lois restrictives que peuvent imposer les puissances voisines, bien souvent beaucoup plus conservatrices.
Le projet du chemin noir ne s’arrête toutefois pas à cela. Si bien sûr par son existence même il offre désormais à la piraterie pharoise une multitude de lieux de repli et de ravitaillement dans le monde – là où elle devait jusqu’alors compter sur des formes de proto-marchés noirs et sur la discrétion des mafias locales, discrétion parfois monnayée à prix d’or, le Capitaine Ilmarinen et la C.A.R.P.E. vont plus loin.
Dans les chantiers navals d’Helmi, la cité industrielle, les vastes dispositifs d’écoute sont en phase d’être finalisés. Mobilisés pour leur transport, les trois navires cargos militaires du Syndikaali attendent à quai. L’opération Lokero « tentacules » est une manœuvre autant risquée qu’ambitieuse, visant à cribler le monde d’antennes relais. Le Syndikaali depuis des années s’est fait une spécialité dans l’espionnage des communications et entend désormais donner à son réseau d’antennes une ampleur jusque là inégalée. Dissimulées à l’intérieur de bâtiments administratifs, dont les toits pourront s’ouvrir selon les besoins, elles seront la première pierre d’une surveillance mondiale généralisée.
Pour l’heure bien sûr, il ne s’agit là que de prototypes, voués à évoluer. Les antennes radars d’ailleurs ne sont même pas encore terminées mais le Capitaine Ilmarinen a exprimé son désir et son bon espoir de les voir déployées d’ici la fin du mois de décembre 2006.
Encore balbutiant et fébrile, le projet chemin noir est néanmoins appelé à prendre rapidement forme dans les prochains temps. Conscient de l’hostilité avérée de certains Listoniens à cet accord, hostilité ayant pris un tour tragique lors de la destruction et l’assassinat de l’ambassadrice du Syndikaali à Listonia, le ministre de la Défense territoriale, le citoyen Sakari, a consenti à déployer sur place une force armée proportionnée à la population locale de chaque enclave. Pour l’heure, ces effectifs vont d’une simple vingtaine de marins à une grosse centaines de soldats armés.
Le ministère de la Défense territoriale, après concertation avec le Capitaine Ministre Mainio, ont choisi une politique d’invisibilisation des troupes censée favoriser une désescalade. Comptant jouer sur l’absence d’uniformes militaires officiels de l’armée pharoise et la structure hiérarchique des bataillons organisés autour de bâtiments de guerre relativement autonomes les uns des autres, Sakari et Mainio espèrent que les soldats sauront se fondre dans le flux d’entrepreneurs et de marins pharois qui ne manqueront pas d’arriver dans les prochaines semaines. Sans cacher leur présence aux autorités listoniennes, ce sont bien les locaux qu’il s’agit de ne pas effrayer. Les soldats ont d’ailleurs eut des consignes très strictes de la part de leurs officiers, les chargeant de limiter tout débordements ou excentricités.
Un numéro d’équilibriste, en quelque sorte, que s’apprête à jouer le Syndikaali. Manœuvre qui pourrait bien lui coûter cher en cas de faux pas mais également rapporter gros à moyen termes, donnant à l’influence pharoise une portée désormais mondiale.