Des Gardox ? Ceux qui ont un peu suivi à l'école savent que c'étaient les autochtones qui occupaient la terre avant l'arrivée des Indépendants (les premiers colons eurysiens qui formeront par la suite Saint-Marquise). Les curieux savent qu'en réalité, il y avait deux nations qui occupaient les terres actuelles de Saint-Marquise, les passionnés ont probablement déjà leur nom : les Pomawsuwinuwoks ("humains" en pomawsuwin), surnommés "Montagnards" par les premiers colons eurysiens de l'île, et les Ohoteets (dérivé de "oqote'tut", "amis" en ohoteet). Les nerds savent qu'il existait en réalité trois peuples se partageant le territoire, le troisième peuple en question, les Baathu, est peu connu, il a disparu quelques décennies après l'arrivée des Eurysiens. Pour résumer l'histoire des Gardox, ils ont été rencontré par les Indépendants à la fin de l’année 1800, ceux ci ont vu les tensions monter entre les deux camps car leurs cultures étaient différentes et qu'ils ne se comprenaient pas. En 1812, les Indépendants qui souhaitent éviter une guerre signent un traité de paix avec les Gardox, et obtiennent la moitié sud de l'île, les Gardox peuvent alors intégrer la civilisation eurysienne de Saint-Marquise et ils connaissent depuis le confort de la civilisation moderne. Voilà ! Du moins, c'est l'histoire telle que Saint-Marquise la raconte.
Vous vous en doutez, les Pomawsuwinuwok et les Ohoteet ont une version un peu différente de l'histoire en tête. Il existe des installations humaines sur l'île de Norland au moins huit siècles avant l'arrivée des Eurysiens, et même un squelette trouvé en 2000 avant Jésus-Christ. Les Pomawsuwinuwok sont un peuple semi-nomade vivant dans les terres au Nord du pays, qui se concentraient près des fleuves en été pour pêcher et cultiver, et qui repartaient et se dispersaient en hiver plus en hauteur . Les Ohoteet étaient nomades, vivaient en tribus dispersées qui ne se rencontraient que lors de grandes rencontres estivales ou lors de départ en guerre. C'était de grands chasseurs et ils se déplaçaient le long des côtes mais aussi plusieurs dizaines de kilomètres à l'intérieur des terres lors des saisons de chasse à l'orignal, au caribou, à l'ours et à la loutre. Le mode de vie de ces deux nations étaient assez différents, et à l'arrivée des Eurysiens ils entretenaient une relation cordiale, mais tendue, alternant entre de petites attaques et des échanges commerciaux. L'ère des bateaux de planches (l'arrivée des Eurysiens) constitue réellement un point de rupture. Ils rencontrent des gens venus d'autres continents... Et leurs maladies, des dizaines de maladies qui les déciment l'une après l'autre. Et des concepts jusqu'alors inconnus comme celui de "fusil" et de "bière". Les colons commencent à s'installer, à s'installer chez eux, et à en extraire du bois, des animaux du poisson... Les populations autochtones périclitent. Elles passent de 200 000 personnes environ dans l'étendue actuelle de Saint-Marquise à environ 100 000 à la signature du traité avec les Indépendants. Ils se retrouvent à céder la terre sur laquelle ils avaient toujours vécu, deux choix s'offraient alors à eux. La premières consistait à remonter au Nord quitte à se frotter aux autres peuples autochtones et aux autres nations eurysiennes colonisant l'île. L'arrivée de milliers de migrants du sud a créé des tensions avec les habitants ohoteet du Nord, qui manquaient d'espace de chasse attribuables aux nouveaux venus. Cette migration massive est à ce jour nommé "marche des adieux", car toutes les familles et tribus ne sont pas parties. Celles qui restèrent durent accepter d'intégrer la société saint-marquoise, et d'accepter la loi des Eurysiens. Pour eux, a commencé une longue phase d'assimilation. Sous Saint-marquise, les Ohoteet et les Pomawsuwinuwok ont été sédentarisés, christianisés, et ont connu leur creux de historique de population, à environ 40 000 personnes, faisant de l'île de Norland une des dernières zones du monde à connaître un tel choc épidémique, deux siècles après la majeure partie de l'Aleucie. Ils ont constitué une part importante de la force ouvrière lors de l'industrialisation de Saint-Marquise, et ont notamment été rapidement appréciés pour les travaux de construction. C'est à cette époque que les derniers villages illégaux sont évacués, le nombre de locuteurs du Ohoteet et du Pomawsuwin baisse rapidement, les autochtones font partie des prolétaires les plus pauvres du pays. Leur identité autochtone est niée au nom de l'unité nationale et leur voix disparait de l'espace publique pendant plus d'un siècle. A l'école, personne n'est sensé parler de langue autochtone, l'usage de noms autochtones est largement discriminé, dans les années 50', les dernières personnes ayant vécu dans un wigwam durant leur enfance meurent, avec leurs savoirs. Beaucoup de connaissances concernant les peuples et les modes de vie autochtones ont été perdus. Dans les années 70', les cultures Gardox sont principalement maintenues par la contre-culture, plusieurs groupes de musiques tendant de reconstituer ou d'adapter des musiques traditionnelles, ou de chanter en Ohoteet ou Pomawsuwin, des communautés essaieront d'établir à nouveau des villages, à la même époque où les hippies s'essaieront à la vie communautaire. Cette contre-culture restera toutefois très peu connue en-dehors des cercles autochtones. Dans les années 2000', l'Indien est avant tout une figure du passé et de la pop culture. Des bonshommes à tête plumée qui part à la guerre en criant wou wou (ce qui ne s'est jamais fait sur l'île de Norland d'ailleurs, les traditions guerrières n'étant pas les mêmes), et dont les shamans lancent des phrases pleines de sagesse devant des feux de camp.
Et puis, vient juillet 2009, une municipalité à l'Ouest de Valmount délivre au terrain de golf du coin un permis d'expansion. Il va enfin pouvoir passer de 10 à 22 trous, et offrir des greens plus variés aux golfeurs du coin. La ville prévoit également la construction d'un quartier pavillonnaire aux alentours, allongeant le quartier actuel. Le problème, c'est que ce terrain de golf doit s'étendre sur une forêt à côté, et pas n'importe laquelle. Si les allochtones la connaissent sous le nom de "Bois de McArthur", les Ohoteet la nomment plutôt "Retraite de Kolusc", un héros mythologique commun sous des noms et des histoires un peu différentes à la plupart des peuples de Norland. Pour les Ohoteet il est traditionnellement considéré comme un sorcier vagabond qui a donné aux animaux leur forme actuelle et qui sert de chef à tout un ensemble de petits héros. La christianisation des Gardox fera un temps de Kolusc une figure divine. Les Ohoteet considèrent la Retraite de Kolusc comme le dernier voyage connu du vagabond, et certaines versions de la légende disent qu'il y est toujours. Si les croyances ont disparu, il semblerait que le respect que les Ohoteet avaient pour cette forêt ne s'est pas dissipée.
Combien de sites importants ont été transformés en terrains de golf, en hôtels, en meubles ou en champs de blé sans que le désaccord des autochtones ne soit même conceptualisé comme une question, avant que des squatteurs ne se décident à refuser une destruction de plus ? A quel point les autochtones se sentent autochtones ? A quel point leurs vues divergent de celle d'un Saint-Marquois allochtone ? Lorsqu'un allochtone saint-marquois évoque le traité de paix de 1812, il y voit un exemple de bonne entente, la preuve qu'en apprenant à s'écouter et à se comprendre, il devient possible de mettre de côté ses conflits pour avancer ensemble vers des lendemains qui chantent. Lorsqu'un autochtone évoque le traité de paix de 1812, il y voit la prise de pouvoir d'une puissance coloniale, et le début d'un génocide culturel qui ne s'est jamais arrêté. Évidemment, tout ce que l'on pourrait dire est une simplification, mais il y a une fracture profonde entre deux populations, portant deux points de vue, dont un a été invisibilisé pendant des décennies. Il semblerait que l'identité autochtone soit bien vivace à Saint-Marquise, et qu'une jeune génération qui arrive à l'âge adulte soit déterminé à la défendre. Et pour ne rien simplifier, ceux qui sont prêts à, par exemple, occuper un parcours de golf pour protéger une forêt sont parmi les plus radicaux, et n'hésitent pas à considérer l'oppression des autochtones comme une émanation du capitalisme.
Le soir du 24 juillet, le soleil se couche par-delà la forêt dans une lumière orange Agathe "Gitpu" Duhameau allume sa camera, y fait face, et commence à émettre depuis le terrain de golf, expliquant tout simplement que le terrain est occupé et qu'ils installent les premières barricades. La vidéo est publiée sur Internet, et le groupe de 150 personnes installé à Moses reçoit du soutien de tout le pays, les commentaires évoquent des centaines de raisons de manifester, les suggestions d'endroits où installer des barricades fusent, et les idées de protestations rivalisent de créativité.