Au printemps 2009, plusieurs conflits sur l’urbanisme de la petite ville enlisent les projets de développement de la ville. La construction d’une ligne de train de banlieue pour relier Moses à Valmount est bloquée par les réclamations de NIMBYs, le reclassement d’un quartier au Sud de la ville pour permettre la construction d’immeuble voit l’opposition farouche des conseils de copropriété locales. La ville est en déficit et a besoin de développer une base fiscale pour se remettre à flot. Or, il existe un projet qui rencontre le soutien du comité de citoyens local, et qui permettrait de loger des citoyens aisés capable de fournir plus d’argent à la ville qu’ils n’en coûteraient. Le projet tombe à pic car les quartiers les plus pauvres se voyaient progressivement couper les services publics et avaient besoin d’investissement pour leur permettre de se mettre au niveau. Commença à former un cadastre et à lancer un appel d’offre à différents promoteurs. Le propriétaire du terrain de golf local souhaite s’étendre depuis quelques temps déjà, et pose sa demande auprès de la mairie pour que l’extension du golf soit prise en compte dans les projets de développement de la ville. Le comité de citoyens soutien aussi ce projet et il faudrait de toute façon bien quelques greens de plus pour divertir ces nouveaux arrivants. Le projet est donc pris en compte. Les seules réclamations pour suspendre le projet viennent de personnes externes à la ville, l’on part du principe que les non-résidents ne sont pas concernés par le projet, les réclamations sont mises au placard.
En juillet, les dernières négociations avec les promoteurs permettront de retenir un projet et de commencer les chantiers à l’automne. Le permis est accordé sans plus attendre pour l’expansion du golfe, et les partis extérieurs qui avaient déposé les réclamations se matérialisent à la plus grande stupeur du Conseil municipal et des promoteurs et du patron de golf impliqués dans le projet. A ce moment-là, le terrain est une forêt, et des gens de tout Saint-Marquise sont déterminés à ce que personne ne vient la couper. Il ne s’agit pas en premier lieu de militants écologistes, mais de Gardox. Or il ne s’agit pas jusque-là d’une faction que l’on imagine très revendicative. Ce n’est pourtant pas la première lutte menée dans le pays au nom du droit des autochtones. Comme le dira de manière assez acide la militante pomawsuwinuwoke Jesse « Mehciluwehe » Spence envers le conseil municipal de la ville après les événements : « Mais faites-pas vos niaiseux ! Nos ancêtres se battaient sur cette forêt avant que ma grand-mère soit née ! Vous arrangez juste l’histoire encore et encore pour faire comme si en fait, il n’y avait qu’un seul Saint-Marquise uni par les mêmes intérêts. Nous sommes activement invisibilisés par un système fait par des Pâles pour des Pâles, qui met en valeur le mode de vie des Pâles et exclue toutes les autres cultures en assimilant les gens dès leur enfance. On a peut-être plus la culture de nos ancêtres, mais ni la culture pomawsuwinuwoke, ni la culture ohoteet ne sont mortes. Nous sommes là, et nous n’allons plus arrêter de crier, jusqu’en Enfer s’il le faut ! ». Le groupe en question est un groupement organisé, les « Chasseurs de Matawe'g » (confluence de rivières, en référence à une confluence de plusieurs rivières qui servait de point de rencontre aux canoës), formé historiquement dans les années 1980 pour faire face à une crise de pauvreté qui touchait les communautés Gardox qui s’inséraient très difficilement dans la société Saint-Marquoise, en chassant et cueillant la nourriture qu’ils ne pouvaient pas nécessairement se payer, ils pouvaient également intervenir dans des combats si l’un de leurs frères et sœurs avaient besoin d’être défendus (les Gardox pauvres ayant souvent côtoyés les milieux criminels pour se maintenir à flot, ça arrivait assez souvent). Les Chasseurs se voulaient historiquement transpartisans et n’était pas connu pour son engagement politique. Ce n’est qu’assez récemment et à cause de pleins de facteurs différents que la Société des Chasseurs a pris un tournant anticapitaliste.
Il s’agit du premier mouvement social autochtone répertorié à Saint-Marquise au XXIème siècle, et tout un ensemble de manifestations d’autochtones ont suivi dans un peu tout le pays. Mais revenons à notre golf. Les autochtones se sont installés et ont commencé à occuper golf au 24 juillet tôt le matin peu avant son ouverture. C’est le propriétaire qui appelle la police pour signifier l’occupation du terrain de golf par « Une bande de jeunes ». La police municipale qui se rends sur place comprends rapidement que la fameuse bande de jeune sont en fait des protestataires et qu’ils comptent bien rester sur place pour défendre un terrain, et qu’ils ne partiront pas de là avant longtemps. Agathe « Gitpu » Duhameau, qui sera la porte-parole de la communauté, poste une vidéo sur Internet pour signifier la prise du terrain de golf de Moses et les revendications associées. Les mouvements autochtones de Saint-Marquise se sont depuis largement structuré en ligne. Les Gardox commencent d’ailleurs à fortifier leur position en posant des barricades. La police fait remonter l’information au Conseil municipal qui décide de mobiliser la majeure partie de la force de police pour gérer la crise au plus tôt. Dès le 29 juillet, la police charge, les autochtones répliquent en menaçant de démolir le terrain de golf. Puis des charges de police auront lieu tous les trois à quatre jours jusqu’en octobre. Le propriétaire du golf demande une résolution rapide du problème. La ville reçoit l’injonction de la Cour Civile de Valmount envers les militants Gardox de retirer les barricades et de libérer les lieux, autorisant la ville à demander des renforts nationaux pour mettre cette demande à exécution. Au 15 août, environ 510 protestataires et 800 policiers (dont 5 agents spéciaux) se toisant face à face. Au 18 août, des citoyens de la ville se mobilisent en soutien des Gardox, mouvement porté par Teagan Irvin qui dénonce « Une décision prise dans l’intérêt d’une minorité de privilégiés sans tenir compte de l’importance historique et culturelle que la forêt pour revêtir pour les communautés gardox et les habitants de la ville ». La mobilisation des habitants et le début de médiatisation de l’affaire pousse la ville à entamer des négociations avec les Gardox. Le maire de la ville, Romuald Morneau, demande aux Gardox de bien vouloir présenter une « position officielle et consensuelle » qui permettrait d’entamer des négociations, ce à quoi l’un des protestataires a répondu « vous de même » et faisant référence à la controverse que le conflit avait occasionné chez les allochtones.
Les discussions s’enlisent et les deux parties se méfient l’un de l’autre. Les Gardox tentent avec grande difficulté d’installer des barricades sur la forêt adjacente, incursions qu’en général, la police repousse. Les mouvements sociaux qui parcourent le pays sollicitent la police, les renforts tardent à venir, et les chargent de police gardent donc un effet limité. La situation s’enlise. D’autres Gardox rejoignent les barricades, d’autres fatiguent et partent. Début septembre, la barricade culmine à 650 protestataires environ. L’entreprise SMimmo qui a répondu à l’appel d’offre propose de renoncer au développement du quartier pavillonnaire et de dédommager le golf en échange d’octroi de terrains commerciaux et résidentiels sur une terre agricole plus au Nord de la ville. Les agriculteurs concernés refusent le projet, et le comité de citoyens refuse également ce plan. Même les Gardox n’y sont pas favorables : le simple retrait de SMimmo n’engage pas les autres promoteurs et même l’abandon du projet de développement serait un retour au status quo qui ne garantirait aucune protection future de la forêt. Les Gardox comprennent toutefois que le comité de citoyens fera obstruction à toute revendication de leur part et c’est Gitpu qui s’y présentera « armée de mots » pour prendre la parole. Elle raconta quelque chose comme : « Si vous pensez vraiment qu’une forêt est un prix correct à payer pour quelques trous de plus dans un golf, coupez-en une autre. Nous sommes là et nous tenons à elle, il va falloir apprendre à cohabiter, ou partir, parce que nous, on reste ! ». Le discours est accueilli par les huées de l’assistance, le maire fait savoir qu’il n’est pas là pour négocier, mais pour développer la ville, qu’il ne cèdera pas et les ferait partir, tôt ou tard. Du côté Gardox, des dissentions commencent à prendre de l’ampleur et à diviser un groupe qui n’avait jamais été parfaitement uni. Les modérés préconisent de porter maintenir les positions jusqu’à ce que la ville soit prête à négocier, les radicaux proposent l’intensification, voire l’armement des combats. Il est question également de savoir si l’on doit faire appel à des alliés pâles, à d’autres groupes voire à des soutiens internationaux. De savoir également quelle place les femmes doivent prendre dans la lutte, si elles doivent être en première ligne. Si l’on souhaite constituer une commune autogérée, ou si l’on souhaite désigner un nombre restreint de dirigeants pour accélérer les prises de décision. Les modérés, menés par Gitpu, prennent le contrôle des opérations, une bonne partie des radicaux quittent le mouvement, une bonne partie des gens sont écartés du processus de décision, les décisions des chefs ne sont pas toujours acceptées comme légitimes, et le mouvement a du mal à se coordonner.
Du côté des policiers, les renforts ne viennent toujours pas. Beaucoup manquent de sommeil, n’ont parfois pas passé un seul weekend avec leur famille depuis le début de la crise, les charges permettent des arrestations, mais n’entame pas la résistance des Gardox. La Cour Civile de Valmount réitère son injonction, de retirer les barricades et de vider les lieux, mais en précisant que cela ne doit pas fournir une occasion à la ville de commencer les chantiers avant d’avoir trouvé un accord avec les Gardox. Ces derniers n’obtempèrent pas. La police décide de changer de tactique et d’étouffer lentement la barricade. Quelques charges sont encore effectuées jusqu’en octobre, mais ils se mettent à intercepter au maximum les livraisons de produits courants qui parviennent régulièrement aux barricades par des livreurs extérieurs. C’est à partir de là que l’on commencera réellement à parler de « Siège de Moses ». Alors que des citoyens du coin se débrouillent pour faire passer des provisions de temps en temps et que les Gardox commencent à rationner les provisions, Teagan Irvin fait remonter l’information à la cour civile de Valmount qui statue en faveur des Gardox en partant du principe qu’utiliser la faim où le manque de médicaments pour pousser des manifestants à partir pouvait s’assimiler à des menaces de mort, et était par conséquent illégal. La police reste même aujourd’hui très évasive lorsqu’on la soupçonne d’avoir malgré tout continué à faire usage de cette tactique.
Milieu septembre, l’avocat Alcanthe Marcil s’est proposé pour leur fournir ses services, et les débats font rage pour savoir si l’on devrait laisser un allochtone les défendre, voire prendre part dans les négociations. Finalement, l’avocat est engagé, mais il lui est demandé de ne pas parler en leur nom sans leur accord explicite. Gitpu devient de plus en plus paranoïaque avec le temps, et c’est parfois une autre Chasseuse, la pomawsuwinuwoke Paige « Nankomiye » Douglas qui prends la relève comme porte-parole modérée de la Société. Un second groupe de Gardox, décident de barricader l’une des routes qui partent de Moses vers l’Ouest, ce qui gênerait l’arrivée de renfort et peut servir de dépôt pour livrer plus efficacement leurs frères et sœurs du golf. La police ne les laisse pas faire, s’ensuit trois nuits d’affrontement, envoyant à l’hôpital quatre policiers, et vingt-cinq Gardox. Un ainé ohoteet, Nolan « Nguto'pj » Brown, mourra de ses blessures plusieurs jours après à l’hôpital. La tentative est un échec pour les Gardox, les participants se dispersent, et certains sont recherchés par la police aujourd’hui encore.
Octobre arrive, et la chute des premières neiges. Le groupe n’arrive pas à constituer des provisions pour passer l’hiver, une bonne partie des membres s’est désistée pour différentes raisons ou s’est fait arrêter, il reste environ 200 irréductibles le moral au plus bas qui commencent sérieusement à envisager de se rendre. Certain des radicaux qui étaient partis plus tôt reviennent soutenir le combat. La ville à ce moment-là n’a encore fait aucune concession, certains promoteurs se sont désistés. Quelques centaines de renforts de l’armée nationale viennent finalement en soutien à la police. Alcanthe Marcil tente de négocier avec l’armée pour éviter la charge dévastatrice que proposait les policiers. Les décisions de la Cour civile ne s’appliquent pas formellement aux soldats qui par conséquent se chargent de maintenir le blocus. Alcanthe doit par conséquent faire appel à un tribunal militaire qui refuse toute condamnation ou injonction à l’encontre des soldats. Alcanthe communique la situation aux Gardox pendant que les recours judiciaires commencent à s’enliser dans un bourbier administratif soutenu par les conflits entre la juridiction civile et militaire.
En novembre, la neige tombe en continu, les Gardox ont du mal à se chauffer et une épidémie de grippe éclate au golf qu’ils ont du mal à enrayer. Le propriétaire du golf laisse tomber son projet d’extension, à la grande colère du comité de citoyens du quartier, mais la municipalité ne promet toujours rien au-delà du status quo. Les Chasseurs revoient leurs ambitions à la baisse et posent comme demande qu’on les laisse partir et rentrer chez eux sans les arrêter, ce qui est refusé. Des agents de police d’autres villes viennent renforcer la police de Moses. Ils décident d’utiliser des bulldozers pour passer les barricades en force. Les radicaux sortent les fusils, l’un des policiers seront gravement blessés, les forces de police refluent, et laissent les deux bulldozers en plan, que les Gardox récupèreront pour leur usage. On estime qu’au moins deux Gardox ont tiré, les policiers ont répliqué à balles réelles sans toucher les protestataires. Les bulldozers seront récupérés par la résistance qui s’en serviraient pour fortifier la barricade. La décision d’utiliser les armes est très controversée au sein des Chasseurs, de même que chez les habitants qui leur apportent leur soutien.
En décembre, les provisions sont épuisées, et même les habitants du coin se plaignent d’être repoussés par les policiers dès qu’ils comptent se rendre au golf pour fournir une quelconque aide. Les Gardox maintiennent leur demande à l’amnistie qui est toujours refusée. Certains d’entre eux ne guérissent pas de leur grippe. Le groupe décide donc de tenter le tout pour le tout, et de passer en force le barrage de police. Les premières manifestations pro-ONC sollicitent les policiers, ce qui dépeuple le front de Moses. Le 15 décembre 2009, les assiégés utilisent les deux bulldozers pour forcer les policiers à s’écarter pendant que les militants passent derrière. La police répliquera en tentant de diviser le cortège pour arrêter les Chasseurs. La réussite sera en demi-teinte pour les Gardox, 195 d’entre eux, Gitpu et Nankomiye comprises, seront arrêtés par la police. C’est une cinquantaine de militants seulement qui passeront et arriveront à se rendre sain et sauf à Valmount avant de se disperser dans tout le pays. 33 d’entre eux seront arrêtés dans les semaines qui suivent. Certains ont été arrêtés alors qu’ils étaient à l’hôpital pour soigner leurs blessures quand bien même la police avait promis aux Gardox que l’hôpital serait un lieu sûr.
Aujourd’hui, aucun projet de développement n’a pris sur la Retraite de Kolusc, le golf n’a pas connu d’extension. Un promoteur immobilier, Norris Construction, s’est proposé pour reprendre le projet, ce qui a occasionné il y a seulement quelques semaines de grosses manifestations face à son siège situé à Barthelemew principalement mené par les Gardox. Les mouvements sociaux de 2009-2010 semblent être un peu retombé depuis la fin du Siège de Moses, mais le Sièg de Moses, et la résistance farouche qu’on opposé les autochtones pour sanctuariser la forêt a pour la première fois mis les luttes autochtones sur le devant de la scène. Un grand nombre de Gardox se sont radicalisés depuis, et une culture militante est en train d’émerger ces dernières années qui tranche avec l’approche plutôt discrète qui prenait place jusque-là, le but étant d’obtenir des avancées assez rapidement pour que personne ne puisse revenir dessus sans que personne ne le remarque. Des radios et des journaux en ligne tenus par et pour les autochtones en premier lieu ont fleuri sur l’Internet Saint-Marquois et l’on voit émerger une véritable faction militante organisée par un réseau associatif qui se ramifie parfois jusque dans des villages ruraux, et qui côtoient des confréries, tribus et sociétés proprement autochtones dont la position est centrale dans l’organisation des réseaux d’autochtones au quotidien. Et surtout, les luttes indigénistes ont pris une tendance anticapitaliste qui les amènent à développer des positions radicales avec lesquelles il sera difficile pour Mont-Law de faire des compromis. Cet article lui-même vient de cette nouvelle culture militante, et c’est pourquoi il est important pour nos médias de documenter ces luttes. Ce sont des combats que les médias nationaux passent aujourd’hui encore sous silence, et dont la société civile n’a pas toujours conscience.
Enfin, et c’est important de le dire, ce ne sont pas des combats qui ont été menés seuls. Jamais. Cette année encore, les autochtones ont bénéficié d’un cortège à la Pride radicale qui défilait à Mont-Law en juin 2011, plusieurs associations antiracistes étaient présentes à la manifestation face à Norris Construction. Lorsque des autochtones ont bloqué une scierie à Vandale, ce sont des anarchistes qui ont sabotés les camions. Les mouvements hackers ont fourni des renseignements importants aux Gardox qui tenaient une radio en ligne concernant la façon dont un consortium de compagnies de pêche empêche toute régulation en mer, information qui a bénéficié aux militants écologistes et pourraient soutenir prochaine lutte conjointe. L’on a même vu des citoyens autrement dépolitisés soutenir des causes autochtones par lesquelles ils n’étaient pourtant pas directement concernés. C’est parce qu’on n’est pas seuls qu’on peut continuer à se battre.