Ce qui change cette fois, c’est que jusqu’alors ces méthodes étaient réservés à des organisations mafieuses ou infréquentables sur la scène politique internationale. Autant pouvait-on presque se réjouir que les criminels Pharois nettoient leur linge sale en famille, autant les déclarations ultra-violentes de la Transblêmie ont toujours suscité l’indignation et la réprobation quasi unanime de la communauté internationale, le pays n’étant, on le sait, reconnu que par une poignée de nation et toutes gravitant dans la sphère politique de l’Empire Xin. C'est la première fois qu'une alliance de plusieurs pays s'autorise à appeler au meurtre de dirigeants étrangers.
Dès lors, que l’Organisation des Nations Commerçantes s’adonne de manière unilatérale à de tels procédés jusque là considérés comme mafieux ou terroristes est de nature à inquiéter. On pourra répondre avec bienveillance que l’ONC s’est dotée d’un tribunal, mais les gages de sérieux donné par celui-ci sont faibles et, plus généralement, en l’absence de droit international, ce Tribunal se trouve réduit à répéter la parole de ses maîtres. S’il arrivait demain que la Transblêmie déclare unilatéralement que la rousseur est un crime et juge et condamne à cet égard les personnes rousses à une peine d’emprisonnement, personne ne manquerait de dénoncer l’absurdité du procédé. C’est pourtant bien ce que fait l’ONC en inventant de nulle part des chefs d’accusations dont elle affuble – oh surprise – les dirigeants de nations avec qui elle est en guerre. On croirait presque à une coïncidence.
En fait, de sources internes à l’Organisation, seuls trois pays ont activement participé à la construction de ce tribunal interétatique et à son bureau : l’Alguarena, le Lofoten et le Novigrad. Trois pays dont les gouvernements sont marqués à droites et à l’extrême-droite, connus pour leur bellicisme et avoir déclaré unilatéralement plusieurs guerres dont deux encore en cours au Prodnov et au Kronos. Autrement dit, d’avantage qu’une institution censée rendre la justice, le Bureau Interétatique de Lutte contre les Crimes Internationaux (que nous abrégerons dorénavant BILCI) ressemble plutôt à un outil de légitimation des politiques impérialistes et bellicistes de ces trois pays.
En vérité, l’ONC n’en est pas à son premier coup d’essai. On se souvient par exemple de l’invasion du Capitol de Saint-Marquise par des fanges radicalisées d’extrême droite pro-ONC en décembre 2009. Derrière la façade du libéralisme et du droit international, on assiste une fois de plus à des tentatives de coup de force et d’intimidation anti-démocratique, dès lors que le résultat dans les urnes déplaît aux intérêts économiques de l’Organisation des Nations Commerçantes. Dans cette équation, le qualificatif de « Commerçante » annonce la couleur car avant toute autre considérations, ce sont les enjeux pécuniaires qui président à la politique internationale de l’ONC, expliquant d‘un seul coup cette offensive pseudo-juridique contre un dirigeant élu mais dont l'idéologie économique s'éloigne du dogme capitaliste autoritaire.
On est ainsi en droit de ce demander, comme tout ce qui touche aux nations non-bellicistes de l’ONC : que sont-elles allées foutre dans cette galère ? La Sérénissime de Fortuna cautionne-t-elle la mise à prix de la tête de leaders politiques ? Le Jashuria est-il prêt à justifier et travailler à l’arrestation voire à l’assassinat de personnalités politiques étrangères sur décision de quelques individus devenus juges et bourreaux ? La Youslévie a-t-elle donné son accord pour une telle instrumentalisation du droit international ? Car l’illusion de la légitimité du BILCI n’aura pas fait long feu lorsqu’on regarde en détail les mandats d’arrêts et sommes promises pour la tête des ennemis de l’ONC. En effet, le mandat émis contre Alexei Malyshev, premier ministre du Prodnov, mentionné explicitement les mots « cible prioritaire morte ou vive ». Autrement dit il ne s’agit pas de se saisir d’un individu pour le forcer à comparaître devant un tribunal, mais de l’exécuter froidement (la mention d’un sobre « à ramener vivant prioritairement » ayant la décence d’essayer de nous laisser croire à une forme de justice). On pourrait assez légitimement se demander de quel droit un tribunal international condamne à mort un individu sans lui avoir offert la possibilité de se défendre. A ce qu’on sache pour l’heure, Alexei Malyshev ne s’est pas vu proposé de comparaître de lui-même ou de formuler une réponse aux accusations émises contre sa personne.
Par ailleurs, et le bas blesse encore à ce niveau, les accusations formulées contre le premier ministre du Prodnov sont au mieux contestables, au pire farfelues. La liste des crimes s’égrène comme autant de perles sur un collier : « Terrorisme ; Crimes de guerres ; Infractions graves et violation du Traité de Neviskgorod ; Instigateur et planificateur de la guerre d'invasion contre le Prodnov Libre ; Menace et complot contre la paix mondiale ». Autant dire qu’il y a là, de façon presque caricaturale, tout le narratif des politiciens de l’ONC à l’encontre de la République Sociale du Prodnov. A se demander à quoi bon l’indépendance des juges ayant formulé ces chefs d’accusation si ces-derniers se contentent de reprendre les éléments de langage du monde médiatique et politique. Mais intéressons nous un instant aux accusations en elles-mêmes.
En ce qui concerne les crimes de guerre, pour l’heure rien n’est encore avéré. D’ailleurs la législation sur la guerre est encore assez maigre mais les quelques interdits consensuels tel que l’utilisation d’armes chimiques ou le ciblage ou la prise d’otage délibérée des populations civiles n’est, à ce jour, ni rapporté ni documenté. Cela pourrait toutefois évoluer, comme rapporté dans un précédent article des Nouvelles Peprovites, avec la mise en place du siège de Staïglad dont certains enjeux cyniques font craindre que les habitants se trouvent pris entre deux feux. Cependant, la mise en place rapide d’un couloir humanitaire à travers les lignes de front rend difficilement attaquable le traitement des civils par l’armée rouge.
L’accusation de terrorisme paraît tout aussi infondée, du moins aucun document ni témoignage n’est parvenu à notre journal de telles pratiques.
Les trois dernières accusations sont d’avantage politiques que factuelle. Le Traité de Nevskigorod n’a pas été respecté par aucune des deux parties – et cela a pour le coup été prouvé. En vérité aucun des camps n’a démilitarisé son territoire comme le prévoyaient les accords et la présence de chaque côté de la frontière de troupes et de matériel en grande quantité rende difficile à dire qui a le premier rompu la trêve. Ainsi, si c’est bien la RSP qui a frappé la première, cette-dernière revendique une « frappe préventive » contre un régime « putschiste » qui aurait projeté également une reprise des hostilités à moyen termes. Pour preuve, d’après la RSP, les importants stocks d’armes et les dizaines de milliers de militaires en garnison sur place jusqu’à la veille de la reprise de la guerre. Si la RLP nie toute velléité d’invasion, une analyse prudente de la situation obligerait malheureusement à attendre la fin des combats pour investiguer plus en profondeur. Pour l’heure, l’immédiateté du fait militaire faire courir le risque au journaliste d’être malgré lui un outil de désinformation et de propagande de guerre.
La dernière accusation est finalement formulée en termes vagues et ne reposant, elle aussi, sur aucun élément concret. La RSP n’est à cette heure membre d’aucune organisation internationale et le conflit prodnovien semble pour l’instant ne pas dépasser les frontières du territoire national. Au pire – ou au mieux – le blocus pharois vise précisément à empêcher la propagation de la guerre en limitant les interventions de pays étrangers.
Au-delà de la farce, que faut-il comprendre de ce coup de poker politique de l’ONC ? A parler franchement, sauf à se lancer dans d’hasardeuses tentatives d’enlèvement ou d’assassinat, il est peu probable que ce tribunal serve à autre chose qu’à la propagande politique de l’Organisation. La capture d’un dirigeant étranger s’avérant d’une grande complexité, on imagine assez mal quelle concrétisation le Tribunal Interétatique pour la Justice et le Droit (TIJD) pourrait donner à ses verdicts. En vérité, c’est presque mieux ainsi, on imagine assez clairement le scandale que provoquerait l’exécution froide d’un leader politique sur ordre d’une organisation se revendiquant du droit et de la démocratie. Il faut donc chercher ailleurs le sens de ce tribunal et y voir avant toute une tentative d’intimidation et de polarisation de l’ordre politique international sur fond de défaite militaire au Prodnov et d’apparition de concurrents à l’ONC.
Depuis quelques années, des organisations internationales ont commencé à voir le jour, marchant sur les plates-bandes de l’ONC. La plus exemplaire étant l’OND, organisation majoritairement eurysienne composée de démocratie libérales attachées au droit international, au libre commerce et à la libre circulation des peuples. Des valeurs sommes toutes assez proches de celles prônées par l’ONC mais qui contrairement à cette-dernière ne souffrent pas d’être portées par des régimes ouvertement fascisants et d’extrême droite, dont l’interventionnisme militaire a plusieurs fois été critiqué. Autrement dit, l’ONC a beau réunir des poids lourds économiques, elle pourrait rapidement se voir ringardisée voire distancée par des organisations plus jeunes, plus dynamiques, et aux mains propres.
Par ailleurs, on sait que l’OND a fort vigoureusement engagé le chantier du droit international, multipliant les déclarations et groupes de travail pour établir, dans divers domaines tel que celui des ZEE ou des droits de l’homme, un régime de règles à vocation supranationales. Est-ce que, craignant d’être prise de vitesse par une organisation plus légitime, l’ONC aura accéléré son agendas pour se poser en précurseur de la justice internationale ? Ce qui est certain en tout cas, c’est qu’avec un tel coup d’épée dans l’eau le TIJD vient de mettre du plomb dans l’aile aux ambitions d’établir un droit de la guerre, désormais irrémédiablement suspect d’instrumentalisation politique.
En définitive, plus que des actes concrets l’ONC envoie un message : elle se pose en législatrice et entend s’imposer unilatéralement dans les affaires des autres pays, quitte à nier la légitimité populaire accordée par les élections, comme elle l’a fait en envahissant le Prodnov et le Kronos. Toute nation attachée à l’espoir que représente la perspective de l’élaboration d’un droit international au service de la paix devrait prendre acte des attaques menées contre celui-ci au nom de l’impérialisme unilatéral de la bien nommée Organisation des Nations Criminelles.