Dans le genre chambre d’hôtel minable, Aglaya avait vu pire. De toute façon, la définition de ce que l’on pouvait considérer minable changeait d’un pays à l’autre. D’une région à l’autre, même. On ne pouvait pas appliquer les mêmes standards aux territoires isolés, exploités, abandonnés de tous, qu’aux centres névralgiques de ces empires tentaculaires, inondant chaque espace de ce luxe néphrétique, véritable colique de biens pillés, transformant chaque lieu de vie en hall d’exposition d’une vanité indescriptible. Le capitalisme, sa voracité impie, ses éternels vaux d'or... Ici, au moins, les choses étaient simples. Et puis comme dit, pour une chambre minable, Aglaya avait vu pire.
De toute façon c’était ce qu’il lui fallait. Elle n’avait pas l’énergie de fouiller une chambre bien meublée. Elle préférait ne pas y passer trop de temps, et rapidement pouvoir enchainer sur un repos bien mérité. Si elle n’en laissait rien paraître, les derniers jours avaient été exceptionnellement éprouvants. Déjà parce qu’elle s’y était tuée à la tâche, ensuite parce que, et ça malheureusement rien n’y faisait, elle n’arrivait pas à s’habituer à la chaleur abominable, sèche, dure, de ces régions qu’elle aimait tant parcourir.
Aujourd’hui encore, il faisait chaud. En sortant du Manva l’ingénieure avait aussitôt été assaillie par la différence de température séparant la salle climatisée du bar de l’extérieur. La bouffée brûlante fut comme une chape de plomb lâchée sur ses épaules, elle s’immobilisa sous le choc, le temps d’une grande inspiration. Devant elle s’étendait un chemin de gravier remontant petite cour sèche, ornées de plantes mourantes et séparée de la rue par des murets bruns, à moitié effondrés. De l’autre côté on devinait deux vieillards, attablés sur de petites chaises en plastique colorée, sous un parasol. Le tout détonnait dans cet environnement d’un terne désuet, traditionnel. De l’autre côté de la cour, à une dizaine de mètres du bar, se trouvait les chambres : deux étages de portes en bois, poussiéreuses, écaillées, abritées par un pare-soleil métallique courant tout le long du toit. L’architecture d’un motel Aleucien, les matériaux typiques de la région. Rien n'avait changé, sinon l'âge des lieux. Sentant déjà sa peau brûler, Aglaya ne perdit pas plus de temps que nécessaire à analyser la scène. En quelques pas elle avait rejoint les escaliers montant jusqu’au premier étage des chambres. À cette heure les fenêtres étaient fermées pour éviter de laisser entrer le soleil. Aglaya ne s’en plaignait pas. Elle grimpa les escaliers métalliques, contourna un vieux noir accoudé sur le garde-corps le temps d’une cigarette – il faudra, se dit-elle, se renseigner sur les autres clients – puis entra dans la chambre qu’elle avait louée.
Comme dit celle-là était minable. Juste assez à son goût. Avant tout, elle repéra puis activa la climatisation. L’air était extrêmement lourd et elle voulait mettre un terme à la sensation d’étouffement qui la suivait depuis son arrivée. Le vieux cube blanc crachota un peu, puis se mit à siffler comme un asthmatique qui aurait couru un cent mètres. Si malade fut-il, cet asthmatique avait au moins le bon goût de crachoter quelque-chose qui passait pour de l’air frais, aussi lui pardonnait-on tout le reste. Ce détail réglé, l’ingénieure fit émerger un petit boîtier d’une poche de sa veste. Un détecteur d’onde.
C’était pour ça qu’elle aimait les chambres minables. Il fallait moins de temps pour les fouiller. Elle avait déjà dormi au Manva. Des années plus tôt. On aurait ainsi pu penser qu’elle aurait considérée inutile de fouiller à nouveau cette chambre. Après tout elle connaissait les lieux et l’avait probablement déjà fait lors de son précédent passage. Cependant elle était du genre consciencieuse. On la surnommait l’ingénieure, pas la technicienne. Et puis de toute façon elle avait dormi dans une autre chambre. Dans son corps de métier chaque chambre devait être considérée comme son entité propre. Pour avoir déjà fait un peu d’observation – quoi qu’à un poste très élevé où elle se contentait de comptabiliser les informations obtenues par d’autres – elle savait pertinemment que toutes les chambres ne servaient pas nécessairement les mêmes buts. Il y avait des chambres lourdement équipées, d’autres moins, d’autres pas du tout. Selon les éventuels degrés de suspicion des éventuels ennemis, on pouvait l’avoir dirigé vers telle ou telle chambre. Certes elle devait considérer par défaut que son interlocuteur – le barman, qui lui avait donné les clefs – et donc lui avait dit de se rendre dans cette chambre précisément – était un allié : après tout c’était lui qui allait la faire entrer en contact avec Mohammed. Mais bon. Ce n’était pas une raison pour perdre ses bonnes habitudes d’une part, pas une raison non-plus pour lui faire confiance. C’était un monde de faux-semblant, la paranoïa y régnait vraiment à un poste de qualité cardinale.
Elle fit donc le tour de la chambre, son détecteur en main. Une espèce de fantôme vouté par la chaleur, son air extrêmement grave ne laissait rien deviner de la satisfaction toute professionnelle que lui faisait ressentir cette tâche. Un regard sur l'écran de son détecteur. Rien d’anormal. Rien ne pouvant indiquer qu’un dispositif d’écoute ou d’observation sans fil ne soit caché où que ce soit. Restait donc les dispositifs classiques. A l’ancienne. Elle grimpa sur le lit pour démonter le plafonnier – rien – la lampe de la table de chevet – rien non-plus – les tiroirs, le lit, s’assura que le miroir ne cachait rien, puis le détecteur de fumée, puis les prises. Rien, rien, rien. Parfait. Elle fouilla sa veste et en sortie les éléments disparates d'un petit dispositif de vision nocturne qu’elle enfila le temps d’une inspection rapide du sol et des murs. Les caméras à infrarouges et autres visions nocturnes – sensément activée considérant l’obscurité relative qui régnait sur la chambre – pouvaient être repérées de la sorte. C'était leur gros défaut, et ce pourquoi en toute logique on ne donnait pas de chambre d'espionnage à un agent vétéran. Sauf, peut-être, pour l'intimider. Lui indiquer qu'on savait qu'il savait. Quelque-chose dans ces eaux là.
Rien. L'ingénieure ne semblait pas sous surveillance, ce qui en soi ne prouvait rien mais signifiait aussi qu’elle n’avait pas grand-chose à faire en attendant la suite des opérations. Peut-être qu'elle était en terrain allié, peut-être qu'elle était en terrain ennemi, mais pas encore à un stade où cela nécessitait des précautions supplémentaires, peut-être qu'elle était tout simplement en terrain neutre.
Satisfaite, elle s’accorda quelques heures de repos.
De toute façon c’était ce qu’il lui fallait. Elle n’avait pas l’énergie de fouiller une chambre bien meublée. Elle préférait ne pas y passer trop de temps, et rapidement pouvoir enchainer sur un repos bien mérité. Si elle n’en laissait rien paraître, les derniers jours avaient été exceptionnellement éprouvants. Déjà parce qu’elle s’y était tuée à la tâche, ensuite parce que, et ça malheureusement rien n’y faisait, elle n’arrivait pas à s’habituer à la chaleur abominable, sèche, dure, de ces régions qu’elle aimait tant parcourir.
Aujourd’hui encore, il faisait chaud. En sortant du Manva l’ingénieure avait aussitôt été assaillie par la différence de température séparant la salle climatisée du bar de l’extérieur. La bouffée brûlante fut comme une chape de plomb lâchée sur ses épaules, elle s’immobilisa sous le choc, le temps d’une grande inspiration. Devant elle s’étendait un chemin de gravier remontant petite cour sèche, ornées de plantes mourantes et séparée de la rue par des murets bruns, à moitié effondrés. De l’autre côté on devinait deux vieillards, attablés sur de petites chaises en plastique colorée, sous un parasol. Le tout détonnait dans cet environnement d’un terne désuet, traditionnel. De l’autre côté de la cour, à une dizaine de mètres du bar, se trouvait les chambres : deux étages de portes en bois, poussiéreuses, écaillées, abritées par un pare-soleil métallique courant tout le long du toit. L’architecture d’un motel Aleucien, les matériaux typiques de la région. Rien n'avait changé, sinon l'âge des lieux. Sentant déjà sa peau brûler, Aglaya ne perdit pas plus de temps que nécessaire à analyser la scène. En quelques pas elle avait rejoint les escaliers montant jusqu’au premier étage des chambres. À cette heure les fenêtres étaient fermées pour éviter de laisser entrer le soleil. Aglaya ne s’en plaignait pas. Elle grimpa les escaliers métalliques, contourna un vieux noir accoudé sur le garde-corps le temps d’une cigarette – il faudra, se dit-elle, se renseigner sur les autres clients – puis entra dans la chambre qu’elle avait louée.
Comme dit celle-là était minable. Juste assez à son goût. Avant tout, elle repéra puis activa la climatisation. L’air était extrêmement lourd et elle voulait mettre un terme à la sensation d’étouffement qui la suivait depuis son arrivée. Le vieux cube blanc crachota un peu, puis se mit à siffler comme un asthmatique qui aurait couru un cent mètres. Si malade fut-il, cet asthmatique avait au moins le bon goût de crachoter quelque-chose qui passait pour de l’air frais, aussi lui pardonnait-on tout le reste. Ce détail réglé, l’ingénieure fit émerger un petit boîtier d’une poche de sa veste. Un détecteur d’onde.
C’était pour ça qu’elle aimait les chambres minables. Il fallait moins de temps pour les fouiller. Elle avait déjà dormi au Manva. Des années plus tôt. On aurait ainsi pu penser qu’elle aurait considérée inutile de fouiller à nouveau cette chambre. Après tout elle connaissait les lieux et l’avait probablement déjà fait lors de son précédent passage. Cependant elle était du genre consciencieuse. On la surnommait l’ingénieure, pas la technicienne. Et puis de toute façon elle avait dormi dans une autre chambre. Dans son corps de métier chaque chambre devait être considérée comme son entité propre. Pour avoir déjà fait un peu d’observation – quoi qu’à un poste très élevé où elle se contentait de comptabiliser les informations obtenues par d’autres – elle savait pertinemment que toutes les chambres ne servaient pas nécessairement les mêmes buts. Il y avait des chambres lourdement équipées, d’autres moins, d’autres pas du tout. Selon les éventuels degrés de suspicion des éventuels ennemis, on pouvait l’avoir dirigé vers telle ou telle chambre. Certes elle devait considérer par défaut que son interlocuteur – le barman, qui lui avait donné les clefs – et donc lui avait dit de se rendre dans cette chambre précisément – était un allié : après tout c’était lui qui allait la faire entrer en contact avec Mohammed. Mais bon. Ce n’était pas une raison pour perdre ses bonnes habitudes d’une part, pas une raison non-plus pour lui faire confiance. C’était un monde de faux-semblant, la paranoïa y régnait vraiment à un poste de qualité cardinale.
Elle fit donc le tour de la chambre, son détecteur en main. Une espèce de fantôme vouté par la chaleur, son air extrêmement grave ne laissait rien deviner de la satisfaction toute professionnelle que lui faisait ressentir cette tâche. Un regard sur l'écran de son détecteur. Rien d’anormal. Rien ne pouvant indiquer qu’un dispositif d’écoute ou d’observation sans fil ne soit caché où que ce soit. Restait donc les dispositifs classiques. A l’ancienne. Elle grimpa sur le lit pour démonter le plafonnier – rien – la lampe de la table de chevet – rien non-plus – les tiroirs, le lit, s’assura que le miroir ne cachait rien, puis le détecteur de fumée, puis les prises. Rien, rien, rien. Parfait. Elle fouilla sa veste et en sortie les éléments disparates d'un petit dispositif de vision nocturne qu’elle enfila le temps d’une inspection rapide du sol et des murs. Les caméras à infrarouges et autres visions nocturnes – sensément activée considérant l’obscurité relative qui régnait sur la chambre – pouvaient être repérées de la sorte. C'était leur gros défaut, et ce pourquoi en toute logique on ne donnait pas de chambre d'espionnage à un agent vétéran. Sauf, peut-être, pour l'intimider. Lui indiquer qu'on savait qu'il savait. Quelque-chose dans ces eaux là.
Rien. L'ingénieure ne semblait pas sous surveillance, ce qui en soi ne prouvait rien mais signifiait aussi qu’elle n’avait pas grand-chose à faire en attendant la suite des opérations. Peut-être qu'elle était en terrain allié, peut-être qu'elle était en terrain ennemi, mais pas encore à un stade où cela nécessitait des précautions supplémentaires, peut-être qu'elle était tout simplement en terrain neutre.
Satisfaite, elle s’accorda quelques heures de repos.